WIPO

 

Centre d�arbitrage et de m�diation de l�OMPI

 

D�cision de la Commission administrative

Soci�t� Le Monde interactif c/ Monsieur Elph�ge Fr�my

Case No. D2000-0647

 

1. Les Origines de la Contestation

1.1. Les parties. Le requ�rant est la soci�t� Le Monde interactif, soci�t� anonyme de droit français ("le requ�rant"), filiale de la soci�t� Le Monde SA. Le d�fendeur est M. Elph�ge Fr�my, personne physique, r�sident français ("le d�fendeur").

1.2. Le nom de domaine et l�unit� d�enregistrement. Le nom de domaine contest� est "le-monde.com", qui a �t� enregistr� aupr�s de l�organisme Network Solutions, Inc.

1.3. Historique de la proc�dure et pr�sentation des faits. M. Fr�my a d�pos� le nom de domaine "le- monde.com" aupr�s de Network Solutions, Inc. le 28 novembre 1999.

De son côt�, la soci�t� Le Monde interactif est la branche multim�dia du c�l�bre journal du soir français "Le Monde", �galement constitu� sous forme de soci�t� anonyme.

Le Monde interactif, soci�t� cr��e en juin 1998, a pour objet l��dition �lectronique et le d�veloppement des informations politiques, culturelles, �conomiques et pratiques interactives, dans le prolongement de la soci�t� m�re.

Celle-ci est propri�taire de plusieurs marques françaises et internationales comportant le nom "Le Monde", ainsi que des mentions figuratives relatives � sa typographie. Les d�pôts ont �t� effectu�s ou renouvel�s pour la plupart en 1995 et 1997 dans les classes 9, 16, 35, 41 et 42, c�est-�-dire essentiellement les domaines de l��dition, la presse, les services de communication et d�information.

La soci�t� m�re a consenti en d�cembre 1998 � sa filiale un apport partiel d�actif pour les activit�s relatives au multim�dia et aux services en ligne. Elle lui a donn�, � la m�me date, licence sur ses marques, pour le domaine d�exploitation susvis�.

La soci�t� Le Monde interactif a d�pos� pour son compte en janvier 2000 en France et en Europe des marques nominales et semi-figuratives dans les m�mes classes, comportant notamment le signe "Le monde interactif.com".

Elle a �galement proc�d� en 1999 � l�enregistrement de plusieurs noms de domaine, dont "le monde-interactif.com" et "le monde.fr". Mais pas "le- monde.com".

1.4. Par plainte en date du 21 juin 2000, dont r�ception a �t� accus�e par le secr�tariat du centre d�arbitrage et de m�diation de l�OMPI le 26 juin 2000, la soci�t� Le monde interactif a requis le transfert � son b�n�fice du nom de domaine "le-monde.com".

Le 23 juin, la demande de v�rification a �t� formul�e aupr�s de l�unit� d�enregistrement, qui a r�pondu le 3 juillet suivant.

Apr�s l�examen formel de la plainte par le Centre et un �change avec le requ�rant, la proc�dure a �t� ouverte et les notifications effectu�es le 19 juillet 2000.

1.5. La plainte est assise sur les motifs qui peuvent ainsi �tre r�sum�es : le signe distinctif "Le monde", d�pos� comme marque de plusieurs façons, jouit d�une grande notori�t� en France, en Europe et dans le monde. Il correspond � une r�putation �ditoriale d�information de qualit�, dans les diff�rents secteurs culturels et �conomiques int�ressant le public; dans le sillage du d�veloppement du multim�dia, sp�cialement sur l�Internet, la soci�t� qui �dite le journal a cr�� une filiale d�di�e � cette technique, charg�e, outre de constituer l��cho en ligne de l�organe de presse (convention sur les contenus r�dactionnels de mars 1999), de proposer aux Internautes une gamme de services, notamment culturels et �conomiques �tendus; avec l�ambition de constituer un site international d�envergure, consult� � partir de nombreux pays. Des investissements financiers substantiels ont �t� consentis � cet effet. D�ores et d�j�, le site actuel, en ".fr", fonctionne avec succ�s.

Cependant, le d�veloppement de ces activit�s en ligne suppose d�une part que le signe distinctif "le monde" ne soit pas parasit� par des tiers, d�autre part qu�en vue de l�attraction de nouveaux publics, sp�cialement anglo-saxons, le nom de domaine "le monde.com" puisse revenir au requ�rant.

Le d�pôt aupr�s de Network Solutions, Inc. fait par le d�fendeur l�en emp�che.

Les conditions mises par les principes directeurs � la radiation ou au transfert, seraient remplies : le d�fendeur a d�pos� un nom de domaine qu�il a laiss� inexploit� depuis (constat d�huissier d�avril 2000), il provoque des risques de confusion avec la personne et les activit�s du requ�rant et s�inscrit dans une perspective sp�culative, comme le d�montre l��change de correspondances entre les parties; en effet, lors de pourparlers en vue du rachat, initi�s � la demande du requ�rant (qui proposait l��quivalent de 25.000 F en publicit�), le d�fendeur a exig� un prix avoisinant le million de Francs français, alors que le d�pôt lui a co�t� mille Francs. La condition essentielle de mauvaise foi serait au total ici remplie.

1.6. Le 3 ao�t 2000, le d�fendeur a r�pondu, en sollicitant le d�bout� du requ�rant, pour les raisons qui peuvent ainsi �tre r�sum�es : tout d�abord, du point de vue du signe lui-m�me, "le monde", son caract�re g�n�rique interdirait toute appropriation exclusive; pour qu�il en soit autrement, il faut, ainsi que l�a fait le requ�rant pour ses marques, le combiner avec des signes figuratifs.

Ensuite, les conditions cumulatives pos�es par les principes directeurs, qu�il incombe au demandeur de prouver, ne seraient pas remplies en l�esp�ce : ainsi qu�il l�a fait constater par exploit d�huissier en juillet 2000, le d�fendeur a d�pos� de bonne foi le nom de domaine querell�, qu�il comptait exploiter pour ouvrir un portail bas� sur les images et fournissant � l�Internaute des informations imm�diatement accessibles, notamment dans le domaine de l��ducation, des divertissements, des sports et des voyages (il a aussi d�pos� notamment "la terre.com" et "la lune.com"); ce n�est que parce qu�il n�a pu trouver de financement, qu�il n�a pas � ce jour exploit� son site et a fini par le pointer sur le site �ditorial "Quid", correspondant aux activit�s d��dition de ses parents, fondateurs de l�ouvrage papier du m�me nom. Le risque de confusion avec les activit�s et la personne du requ�rant n�existerait pas, si l�on en croit les informations que fournissent les principaux moteurs de recherche. Le d�fendeur n�a pas non plus pris l�initiative de proposer au requ�rant de lui vendre le nom de domaine, ce qui ne l�emp�chait pas, les pourparlers entam�s, de lui en r�clamer un prix qui ne soit pas d�risoire.

Enfin, le requ�rant, qui s�est montr� n�gligeant en ne d�posant pas en temps utile le nom de domaine "le monde.com", ne peut s�en prendre qu�� lui-m�me, alors en outre qu�une recherche en ligne permet de d�couvrir de nombreux d�pôts comportant le signe "le monde".

Dans ces conditions, le requ�rant n�a pas d�int�r�t l�gitime � agir, autre que de se livrer � une tentative de recapture illicite du nom de domaine, par la voie de cette action de harc�lement.

1.7. Le 10 ao�t 2000, le requ�rant a r�pondu au d�fendeur, en compl�ment � sa requ�te.

Il a �galement fait valoir un grief relatif � l�adresse exacte � laquelle le d�fendeur peut �tre joint (quid.fr) et � la connaissance qu�il pouvait en avoir au moment de l�introduction de l�instance, ce qu�il a contest�.

1.8. Le 14 ao�t, le d�fendeur a r�pliqu� sur les points de proc�dure, la chronologie de l�affaire et r�sum� sa position.

Le 18 ao�t, le requ�rant lui a encore r�pondu, soulignant notamment que son adversaire aurait transf�r� en fait la jouissance du nom de domaine � un tiers et invitant la Commission � en tirer les cons�quences.

1.9. Le 11 ao�t 2000, la commission, en sa formation d�expert unique, a �t� nomm�e par le Centre d�arbitrage et de m�diation de l�OMPI; l�expert a accept� sa mission et formul� sa d�claration d�ind�pendance. La d�cision devant normalement �tre rendue le 25 ao�t.

Le 23 ao�t 2000, la Commission, utilisant les pouvoirs qui lui sont accord�s par les art. 10 et 12 des r�gles d�application, a invit� la soci�t� requ�rante � "produire le pouvoir �crit en vertu duquel la soci�t� Le Monde SA. lui conf�re la qualit� pour agir au titre des marques dont elle est propri�taire", ainsi qu�� "�tablir dans les m�mes formes l�accord en vertu duquel la soci�t� Le Monde SA accepterait que le nom de domaine litigieux soit transf�r� � la soci�t� requ�rante en cas de succ�s �ventuel de son action devant la Commission". Le d�lai pour cette communication a �t� fix� au 25 ao�t suivant et la d�cision a de ce fait �t� report�e au 31 ao�t 2000, afin que les parties s�expliquent le cas �ch�ant sur ce point.

1.10. Le 24 ao�t, la requ�rante a fourni les pouvoirs et attestations requis (courrier du directeur juridique du "Monde", visant r�troactivement les stipulations du contrat de licence).

Par communication du 26 ao�t, le d�fendeur est revenu sur le caract�re g�n�rique du signe et a remarqu� qu�il a pour sa part fait usage d�un trait d�union entre "le" et "monde". Il a soulign� son absence de mauvaise foi au titre de l�utilisation du nom de domaine.

En r�ponse, le 26 ao�t, le requ�rant a protest� contre la pr�c�dente communication, hors d�lai.

 

2. Recevabilit� de la Requ�te

2.1. La Commission a �t� contrainte d�exiger des �claircissements, � partir du moment où la requ�rante faisait valoir des droits de marques, ant�rieurs au d�pôt du nom de domaine par le d�fendeur, qui n�appartiennent qu�� la soci�t� Le Monde SA. Ses propres d�pôts de marques sont en effet post�rieurs � l�enregistrement du nom de domaine litigieux.

La requ�rante n�est que licenci�e des marques, propri�t� du Monde SA et son contrat de licence sp�cifie bien (art. 10), en application d�une r�gle traditionnelle, qu�elle ne peut d�fendre seule les marques conc�d�es contre une atteinte qui leur serait port�e et qu�elle doit pr�alablement solliciter le concours du propri�taire, avant de pouvoir le cas �ch�ant et apr�s mise en demeure, intenter seule l�action, munie de l�accord �crit de celui-ci.

Dans ces conditions, si elle agissait seule, il lui fallait un pouvoir pour agir devant l�OMPI, qu�elle n�a pas produit au d�but de l�instance, ou la preuve qu�elle satisfaisait aux exigences de l�art. 10 de son contrat de licence.

Dans un souci de bonne administration des proc�dures de l�ICANN, la Commission a estim� pertinent et loyal de lui permettre, si les conditions en �taient remplies, de r�gulariser l�instance en produisant ce pouvoir, f�t-ce tardivement.

Pour les m�mes raisons, la requ�rante ne pouvait s�rieusement demander le transfert du nom de domaine � son b�n�fice, alors que ce ne sont pas ses droits de propri�t� intellectuelle qui seraient m�connus, mais ceux de sa parente, non partie � l�instance. De sorte que l� encore, la Commission a estim� raisonnable et juste de lui permettre de r�gulariser, si elle �tait en mesure de le faire, pour ne pas entraîner de nouvelles proc�dures et d�inutiles gaspillages de temps, d��nergie et d�argent.

 

3. Le Fond de la Contestation

3.1. Cette affaire sera tranch�e en application des principes directeurs sur le r�glement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine, adopt�s par l�ICANN le 26 ao�t 1999, ainsi que par les r�gles d�application du 24 octobre 1999 et les r�gles suppl�mentaires de l�OMPI, en vigueur au 1er d�cembre 1999.

Du point de vue du droit applicable, les r�gles mat�rielles susvis�es, accept�es par les deux parties, suffisent � r�soudre le litige. Cependant, conform�ment � l�art. 15-a des R�gles d�application, le droit français est �galement d�clar� comp�tent, en tant que de besoin, les parties �tant toutes deux de nationalit� française et la contestation se rattachant �troitement � la France.

Seront �galement utilis�s les principes g�n�raux du droit.

La commission a pu consulter les pi�ces produites par chacune des parties, �num�r�es dans leurs bordereaux et pr�alablement �chang�es entre elles, par l�interm�diaire du Centre d�arbitrage et de m�diation de l�OMPI.

Les arguments de droit et de fait ayant �t� contradictoirement �chang�s entre le requ�rant et le d�fendeur, la commission est en mesure de rendre sa d�cision.

Il convient tout d�abord d�examiner le signe distinctif querell� (A), avant de s�attacher au comportement du d�fendeur (B).

A. Validit� du signe distinctif

3.2. Dans la mati�re des noms de domaine comme dans celle des marques, il est clair qu�un signe qui serait purement g�n�rique, utilisable par tous, sans la moindre attractivit�, ne saurait �tre appropri� par quiconque. En d�posant notamment, en m�me temps que le signe litigieux, les noms de domaine "la terre.com", "la lune.com", le d�fendeur en a lui-m�me donn� l�illustration.

Telle est effectivement en soi la formule nominale "le-monde.com".

Cependant, ce ne sera pas le cas dans deux hypoth�ses, alternatives : tout d�abord, celle où le terme g�n�rique est utilis� pour d�signer une activit� ou un produit pour lequel il n�est pas usuel de l�employer; ensuite, lorsque le signe a acquis une renomm�e suffisante aupr�s du public, pour que celui-ci identifie nettement la chose ou le service sp�cifique propos�, par sa simple �vocation.

Dans le cas du signe distinctif "le monde", il apparaît que ces deux conditions sont r�unies : la soci�t� m�re a d�velopp� une exploitation relative � l�information, la presse, la politique, la culture et l��dition, qui conf�re � cette expression une distinctivit� sans rapport avec la simple �vocation mat�rielle de la plan�te sur laquelle nous vivons.

A cet �gard, la commission ne suivra pas le d�fendeur sur le point de la n�cessit� d�introduire une dimension figurative (typographie) au signe, pour lui conf�rer une distinctivit� suffisante.

Ensuite, il n�est gu�re contestable que le signe "Le monde" jouit depuis de longues ann�es, dans le secteur de l��dition et de la presse, d�une grande notori�t�, non seulement en France, mais encore en Europe et sur les autres continents.

3.3. Le d�fendeur a effectu� une recherche concernant les ant�riorit�s, c�est-�-dire les noms de domaine d�j� d�pos�s par des tiers, comprenant l�expression "le monde", ce qui tendrait, toujours de la m�me façon, � �tablir l�absence de caract�re distinctif. Il a �galement fait la liste des nombreuses d�clinaisons d�pos�es par le requ�rant lui-m�me.

La commission notera tout d�abord que la comparaison est plutôt avantageuse pour le requ�rant, qui s�est efforc� de d�poser des noms en rapport avec ses activit�s �ditoriales.

Elle remarquera ensuite que les v�ritables ant�riorit�s ne sont pas tellement nombreuses; qu�elles �manent le plus souvent de d�posants �trangers; et qu�il est impossible, au vu des pi�ces communiqu�es, de savoir si les activit�s que ceux-ci ont eues en vue, recoupent celles du requ�rant, ou si elles lui sont totalement �trang�res. N�est pas plus �tabli le fait de savoir si ces d�posants ont eu sinc�rement en vue une exploitation r�elle, ou s�ils �taient au contraire anim�s d�une volont� sp�culative.

Enfin, il n�est pas d�montr� qu�� les supposer exerçant dans le m�me domaine de sp�cialit�, le requ�rant ait connu et tol�r� durablement ces d�pôts, au point de cr�er � leur b�n�fice un v�ritable droit acquis; en toute occurrence, ces d�posants seuls auraient qualit� pour s�en pr�valoir, � l�exclusion du d�fendeur.

3.4. La commission retiendra donc le caract�re distinctif de l�expression "le monde".

Elle consid�re �galement que le trait d�union entre l�article "le" et le nom "monde" est non significatif. Pas plus que ne le serait la question (non soulev�e par le d�fendeur) des majuscules ou des minuscules, caract�risant les lettres (totalit� ou premi�res lettres de chacun des deux mots composant ce signe nominal).

L��l�ment caract�ristique essentiel des marques est en effet l�expression "le monde", appliqu�e aux domaines de la presse et de l�information sur tous supports.

B. Comportement du d�fendeur

3.5. L�art. 4-a des Principes directeurs �nonce trois conditions pour mettre en �uvre une proc�dure � l�encontre d�une personne ayant d�pos� un nom de domaine, dans des conditions qui seraient illicites : qu�il soit "identique ou semblable au point de pr�ter � confusion, � une marque de produits ou de services sur laquelle le requ�rant a des droits"; que le d�fendeur n�ait "aucun droit sur le nom de domaine ni aucun int�r�t l�gitime qui s�y attache"; que ce nom ait �t� "enregistr� et (soit) utilis� de mauvaise foi".

Ces trois conditions pr�alables � une �ventuelle radiation ou � un transfert sont cumulatives et il appartient au demandeur d�administrer la preuve qu�elles sont r�unies. On peut noter qu�elles se recoupent (surtout les deux derni�res) et que la troisi�me est d�terminante.

La commission examinera d�abord le risque de confusion (1), puis la question de la mauvaise foi (2), les deux conditions de l�absence d�int�r�t l�gitime et de la mauvaise foi pouvant �tre abord�es de front.

1. Risque de confusion

3.6. La marque "Le monde" jouit, ainsi qu�il a d�j� �t� relev�, d�une grande notori�t�. C�est un fait incontestable en France et � l��tranger.

Comme les principaux journaux des pays industrialis�s, "Le monde" a bascul� ses activit�s d��dition dans le domaine du multim�dia et de l�information "en ligne".

C�est avec cette notori�t� dans le domaine de l��dition papier et d�sormais �lectronique, que le d�fendeur risque d�entretenir une confusion avec son appropriation du nom de domaine "le-monde.com".

Cela vaut certainement pour la France et probablement m�me au-del� de ce pays. A cet �gard, les principaux moteurs de recherche, am�ricains en t�te (Yahoo, Alta Vista, Lycos), renvoient, lorsqu�on tape "le monde", au site du journal, en premier de la liste. Ce qui constitue une preuve de son implantation internationale, y compris dans l�espace d�mat�rialis� de l�Internet.

Que le site du d�fendeur ne soit pas premier (ou pas du tout) dans la liste des moteurs de recherche, alors qu�il n�a aucune activit� de services en ligne, n�est pas de nature � lever le risque de confusion. Car il suffirait que demain, il proc�de � une exploitation v�ritable et se fasse r�f�rencer, pour que la confusion s�installe, dans le cadre des moteurs de recherche, ou � l�occasion de la visite du site, par le public.

A cet �gard, la commission remarque qu�il s�agit d�appr�cier une "probabilit� de confusion", pas de v�rifier une confusion av�r�e. Et que le dommage subi par le requ�rant, � supposer qu�il soit requis, ne doit pas non plus �tre n�cessairement actuel, mais probable.

2. Mauvaise foi

3.7. Le point essentiel est de d�terminer si le d�pôt a �t� effectu� de mauvaise foi.

Celle-ci peut se d�finir comme la conscience, chez un sujet de droit, qu�il se place par son action dans une situation illicite, de nature � porter atteinte � une valeur sociale ou � causer un dommage � autrui.

C�est une notion psychologique, qui repose dans le for int�rieur de la personne � laquelle on l�impute, de sorte que pour en administrer la preuve, s�agissant d�un fait juridique, le demandeur est en droit d�utiliser tous les �l�ments probatoires pertinents, au premier rang desquels les indices et pr�somptions.

L�art. 4-b des Principes directeurs livre des indications sur les principaux cas de mauvaise foi : c�est lorsque le d�fendeur aura enregistr� le nom de domaine dans le but de le revendre au requ�rant, ou de l�emp�cher de transposer sa marque dans les noms de domaine (ce qui revient pratiquement au m�me), ou encore, pour d�sorganiser son entreprise et susciter une confusion dans l�esprit du public.

Cette mauvaise foi s�appr�cie normalement au moment du d�pôt. Les Principes directeurs pr�voient qu�il doit y avoir �galement une "utilisation" de mauvaise foi, de sorte qu�il existe une continuit� dans l��l�ment psychologique du manquement et que c�est � nouveau une exigence cumulative qui est op�r�e.

L�utilisation du nom de domaine ne sera pas n�cessairement l�ouverture et l�exploitation d�un site comportant ce signe. On peut la d�finir comme tout comportement par lequel le d�posant use du nom de domaine, notamment par la pr�sence active de son site sur le Web, celui-ci f�t-il en construction, ou encore, pointe ou renvoie � un autre site. Cet usage pourra aussi �tre constat� par le biais de l�e-mail, s�il int�gre le nom de domaine contest�. Et surtout, en dehors de l�Internet, par les rapports du d�posant avec les tiers, notamment le titulaire des droits qu�il a m�connus en proc�dant au d�pôt litigieux. Attitude qui ne se limite pas au seul cas du d�pôt aussitôt apr�s suivi d�une d�marche aupr�s de celui-ci � fin de revente � prix fort, mais consiste dans la d�fense ou la conservation du signe par tous moyens et selon tous modes d�expression, sachant qu�il a �t� ind�ment appropri�.

Cette fois, les conditions sont pleinement alternatives, un seul de ces comportements suffisant � �tablir la mauvaise foi, du moins s�il est caract�ristique.

Toute autre interpr�tation, notamment celle tendant � rechercher si le d�posant a effectivement exploit� le nom, serait une incroyable r�compense faite � la mauvaise foi et � l�inaction, en m�me temps qu�une preuve "diabolique" � la charge de la victime, mise de ce fait dans l�impossibilit� de faire radier ou transf�rer le "nom de domaine fantôme".

Enfin, il ne serait ni juste ni logique de commencer par constater qu�un d�pôt a �t� fait de mauvaise foi, pour n�en tirer aussitôt apr�s aucune cons�quence : l�adage "malitiis non est indulgendum", pas d�indulgence pour la mauvaise foi, doit l�emporter pour des raisons d��thique juridique sur la maxime "quieta non movere", il ne faut pas troubler ce qui est paisible.

Il reste � v�rifier si une telle mauvaise foi existe en l�esp�ce.

3.8. Si l�on s�en tenait � l�une des manifestations les plus claires du "cyber-squattage", consistant pour le d�posant � prendre contact avec le propri�taire de la marque, aussitôt apr�s l�enregistrement, en vue de monnayer la r�trocession du nom de domaine, la r�ponse ne pourrait �tre que n�gative. En effet, il ressort des pi�ces que c�est le requ�rant et non pas le d�fendeur qui, peu apr�s le d�pôt du nom de domaine aupr�s de Network Solutions, Inc. a pris l�initiative de lui proposer le rachat du signe.

Certes, la commission peut remarquer le caract�re exag�r� de la contre-proposition de prix formul�e par le d�fendeur, pr�s d�un million de Francs français, par rapport � l�investissement limit� qu�il a effectu� en proc�dant au d�pôt. Mais ceci n�est pas l�indice d�une mauvaise foi av�r�e.

3.9. Toutefois, il y a un point fondamental, d�j� �voqu� � propos du risque de confusion (supra, n� 3.6), qui ne peut que faire pencher dans le sens de la mauvaise foi du d�fendeur : c�est la notori�t� du signe "Le Monde" en France et au-del� des fronti�res (rev. la v�rification �loquente des principaux moteurs de recherche anglo-saxons), qui atteste que la simple �vocation de ces deux mots d�signe au premier chef, dans l�esprit du public, l�organe de presse français.

Cette notori�t� pouvait d�autant moins �chapper au d�fendeur qu�il ne s�agit pas ici d�un Internaute moyen, mais de son aveu m�me, du membre d�une famille provenant des milieux français professionnels de l��dition et de l�information.

3.10. Enfin, le d�fendeur n��tablit pas, pour d�truire ces indices de mauvaise foi, qu�il a eu la volont� r�elle et s�rieuse de cr�er et d�exploiter un site dans des conditions insusceptibles de provoquer un risque de confusion avec le signe appartenant au "Monde". Preuve qu�il est le seul � pouvoir administrer et qui peut reposer notamment dans toutes correspondances, dossiers �tablis en vue d�un financement, etc.

Le seul document de deux pages, en anglais, qu�il verse aux d�bats (annexe au proc�s-verbal de l�huissier), a trait � un futur site intitul� "Viewseek.com" et non "le-monde.com"; au surplus, cette note comporte des d�veloppements d�une grande g�n�ralit�.

Le site est rest� plusieurs mois en construction et aujourd�hui, hormis un jeu de mots sur "la cr�ation du monde" et un renvoi � la Bible, le nom de domaine pointe sur le site �ditorial et � l�adresse du "Quid".

Enfin, s�agissant du constat d�huissier produit par le d�fendeur, qui relate sur ce point ce que ce dernier lui a confi�, il sera rappel� la r�gle de droit civil français en vertu de laquelle "nul ne peut se constituer une preuve � lui-m�me". Outre que ce constat, dress� au moment où la proc�dure ICANN/OMPI �tait d�j� entam�e, n�apporte rien de d�terminant dans le sens de la preuve d�une tentative d�exploitation r�elle et s�rieuse, suivant le d�pôt.

3.11. En cons�quence, la Commission retiendra la mauvaise foi. Celle-ci �tant r�alis�e tant au moment du d�pôt que lors de l�utilisation du signe par le d�fendeur, qui continue � avoir un nom de domaine actif, m�me s�il pointe sur le site d�un tiers et qui s�est montr� peu loyal � l��gard de professionnels d�un milieu qu�il connaît bien.

M�me si la Commission ne peut se fonder que sur des pr�somptions, il n�existe pas de suffisante incertitude sur ce point, pour qu�on le fasse b�n�ficier d�un doute.

Le d�fendeur n��tablit pas non plus remplir les autres motifs d�int�r�t l�gitime �nonc�s par l�art. 4-c des Principes directeurs, parmi lesquels le fait d��tre d�j� connu pour ses activit�s sous le nom de domaine litigieux, ou d�en avoir d�j� fait un usage non commercial l�gitime.

Le monde interactif ne peut plus par le fait du d�fendeur se faire attribuer le nom de domaine en ".com" ce qui, m�me s�il aurait pu se soucier plus tôt de sa r�servation, est de nature � lui causer un dommage pour son expansion, notamment aux Etats-Unis, où cette identification est tr�s r�pandue.

La mesure de transfert forc� du nom de domaine litigieux sera, dans ces conditions, ordonn�e. Etant pr�cis� que le requ�rant ne prouvant pas que son adversaire aurait transf�r� la propri�t� de son nom de domaine � un tiers, c�est � l�encontre du d�fendeur personnellement que la mesure a lieu d��tre prise. Mais que la pr�sente d�cision, qui sera notifi�e � l�unit� d�enregistrement, s�imposera par d�finition � toute personne qui se pr�senterait comme l�ayant cause du d�fendeur, tenant ses droits de celui-ci et ne pouvant en avoir plus que lui-m�me.

 

4. D�cision de la Commission Administrative

La commission administrative d�cide, pour les raisons �nonc�es dans les motifs, qui font corps avec le dispositif, que le nom de domaine "le-monde.com" doit �tre transf�r� � la soci�t� requ�rante, selon les modalit�s et la proc�dure pr�vues par les Principes directeurs de l�ICANN.

 


 

Professeur Pierre-Yves Gautier
Expert unique de la commission

Dat�e : 31 ao�t 2000