Centre d’arbitrage et de m�diation de l’OMPI
D�CISION DE L’EXPERT
Kimberly-Clark Worldwide Inc. & Kimberly-Clark Corp. contre Eurorasric Limited ou Eurotastic Limited
Litige n� DFR2008-0006
1. Les parties
Les Requ�rants sont les soci�t�s Kimberly-Clark Worldwide Inc. & Kimberly-Clark Corp., Neenah, Etats-Unis d’Am�rique, repr�sent�es par Clifford Chance Europe LLP, Paris, France.
Le D�fendeur est Eurorasric Limited ou Eurotastic Limited, Neuilly-sur-Seine, France.
2. Nom de domaine et prestataire Internet
Le litige concerne le nom de domaine <huggies.fr> enregistr� le 1er juin 2005.
Le prestataire Internet est la soci�t� Gandi, Paris.
3. Rappel de la proc�dure
Une demande d�pos�e par le Requ�rant aupr�s du Centre d’arbitrage et de m�diation de l’Organisation Mondiale de la Propri�t� Intellectuelle (ci-apr�s d�sign� le “Centre”) a �t� re�ue le 24 janvier 2008 par courrier �lectronique et, 29 janvier 2008, par courrier postal.
Le 24 janvier 2008, le Centre a adress� � l’Association Fran�aise pour le Nommage Internet en Coop�ration (ci-apr�s l’“Afnic”) une demande aux fins de v�rification des �l�ments du litige et de gel des op�rations.
Le 30 janvier 2008, la r�ponse de l’Afnic ayant fait appara�tre une distorsion entre les mentions de la demande et les informations contenues dans la base de l’Afnic, le Centre a adress� au Requ�rant une demande d’amendement de sa demande.
Le jour m�me, le Requ�rant a proc�d� � l’amendement sollicit� par voie �lectronique. L’amendement sur support papier a �t� re�u le 31 janvier 2008.
Le Centre a v�rifi� que la demande r�pondait bien au R�glement sur la proc�dure alternative de r�solution des litiges du “.fr” et du “.re” par d�cision technique (ci-apr�s le “R�glement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable � l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conform�ment � la Charte de nommage de l’Afnic (ci-apr�s la “Charte”).
Conform�ment � l’article 14(c) du R�glement, une notification de la demande, valant ouverture de la pr�sente proc�dure administrative, a �t� adress�e au D�fendeur le 1er f�vrier 2008. Conform�ment au paragraphe 5(a) des R�gles d’application, le dernier d�lai pour faire parvenir une r�ponse �tait le 21 f�vrier 2008.
Le D�fendeur n’a pas fait parvenir de r�ponse.
Le 22 f�vrier 2008, le Centre a notifi� au D�fendeur son d�faut.
Le 28 f�vrier 2008, le Centre nommait Michel Vivant comme Expert dans le pr�sent litige. L’Expert a constat� qu’il avait �t� nomm� conform�ment au R�glement. L’Expert a adress� au Centre une d�claration d’acceptation et une d�claration d’impartialit� et d’ind�pendance, conform�ment � l’article 4 du R�glement.
4. Les faits
Les Requ�rantes sont les soci�t�s Kimberly-Clark Worldwide Inc. & Kimberly-Clark Corp.
La soci�t� Kimberly-Clark Worldwide Inc. justifie de ses droits :
- sur la marque communautaire HUGGIES n� 224204 d�pos�e le 4 avril 1996 dans les classes 3, 16 et 25 (pour des produits tels que serviettes et lingettes pour b�b�s et enfants, produits jetables pour b�b�s et enfants, v�tements pour b�b�s et enfants, etc.);
- sur un ensemble de marques communautaires d�clinant le terme “Huggies”, telles que les marques HUGGIES LITTLE SWIMMERS d�pos�e le 28 octobre 1998, HUGGIES BEGINNINGS d�pos�e le 18 septembre 2000, HUGGIES FREEDOM d�pos�e le m�me jour, HUGGIES ADVENTURERS le m�me jour encore et HUGGIES SUPREME le 21 juin 2004.
La soci�t� Kimberly-Clark Corp. est, par ailleurs, titulaire de plusieurs noms de domaine “huggies + extension” dont <huggies.com> enregistr� en 1996 et <huggies.org> enregistr� en 2002. Ces noms de domaine redirigent l’internaute vers un site <huggiesclub.com> qui appartient � ladite soci�t� et propose des informations relatives � la maternit� et aux produits “Huggies”.
Le D�fendeur a enregistr� le nom de domaine <huggies.fr> le 1er juin 2005. Le site exploit� sous ce nom propose des produits analogues � ceux des requ�rantes. Il comporte des liens vers d’autres sites proposant des produits concurrents de ceux de la marque HUGGIES.
5. Argumentation des parties
A. Requ�rant
Atteinte aux droits des Requ�rants
Les Requ�rants font valoir que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine <huggies.fr> portent atteinte � leurs droits :
- au sens de la charte de nommage du “.fr”.
- comme �tant constitutifs d’actes de contrefa�on de marque et de concurrence d�loyale selon le droit fran�ais
- qu’ils d�tiennent sur la marque HUGGIES
- de m�me que sur les marques d�clinant le terme “huggies” et les noms de domaine construits sur le m�me terme.
Pour cela, les Requ�rants mettent en avant en premier lieu que le nom de domaine <huggies.fr> est la reproduction � l’identique de la marque HUGGIES n� 224204, les suffixes “.fr”, “.net”, “.com”,… n’ayant pas � �tre pris en consid�ration. Elles estiment, l’identit� des produits propos�s sous la marque et auxquels il est possible d’acc�der via le nom de domaine incrimin� n’�tant pas contestable, qu’il s’agit d’une reproduction sanctionnable au titre de l’article L. 713-2 du Code de la Propri�t� intellectuelle. Elles soutiennent qu’en tout �tat de cause la responsabilit� du D�fendeur devrait �tre au moins retenue sur le fondement de l’article L. 713-5 CPI au motif que la marque HUGGIES, disent-elles, est une marque renomm�e et que les agissements du D�fendeur ont pour cons�quence d’affaiblir le pouvoir distinctif et attractif de la marque, de leur causer un trouble commercial et de tromper le public.
L’exploitation de la marque est injustifi�e comme faite sans droit et tendant � tromper le public et b�n�ficier ind�ment de la renomm�e de la marque.
Les Requ�rants mettent en avant en second lieu que le nom de domaine <huggies.fr> reproduit les noms de domaine ant�rieurs <huggies.com> et <huggies.org> et imite les marques d�clinant le terme “Huggies”, ces reproductions ou imitations cr�ant un risque de confusion. Ces agissements constituent pour les premiers des actes de concurrence d�loyale, des actes de “contrefa�on par imitation” au sens de l’article L. 713-3 CPI pour les seconds.
Absence de droits ou d’int�r�t l�gitime du D�fendeur
Les Requ�rants observent que l’usage du nom n’est li� � aucune offre de bonne foi mais qu’en revanche l’usage est fait sans que le D�fendeur soit titulaire de d�nominations similaires, sans qu’il ait obtenu de leur part d’autorisation d’usage et alors qu’apr�s consultation sur Internet il ne semble appara�tre que pour des activit�s de t�l�communication.
Enregistrement et utilisation de mauvaise foi
Les Requ�rants, observant le caract�re notoire du “signe” “Huggies” mais aussi son caract�re totalement arbitraire, soutiennent que l’enregistrement du nom de domaine <huggies.fr> n’a pu r�sulter d’une simple co�ncidence mais proc�de d’une volont� de “s’approprier ind�ment le signe”.
Ils rel�vent l’existence en ligne d’une offre de vente du nom de domaine, m�me si, par prudence, son libell� nie cette qualification.
Ils soulignent que le D�fendeur est coutumier du fait, ayant �t� par trois fois condamn� � transf�rer des noms de domaine ind�ment enregistr�s (Carrefour et Carrefour Hypermarch�s contre Eurostastic Limited, Litige OMPI No. DFR2005-0011; Compagnie G�n�rale des �tablissements Michelin – Michelin et Cie contre EUROSTATIC Ltd., Litige OMPI No. DFR2005-0013; ANIL c. EUROTASTIC ou EURORASRIC Ltd et LANTEC CORPORATION, Litige OMPI No. DFR2005-0015).
B. D�fendeur
Le D�fendeur n’a adress� aucune r�ponse au Centre.
6. Discussion
Conform�ment aux dispositions de l’article 20(c) du R�glement, “l’expert fait droit � la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le d�fendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que d�finie � l’article 1 du pr�sent r�glement et au sein de la Charte et si la mesure de r�paration demand�e est la transmission du nom de domaine, lorsque le requ�rant a justifi� de ses droits sur l’�l�ment objet de ladite atteinte et sous r�serve de sa conformit� avec la Charte”.
A la diff�rence des litiges relevant du “.com”, il n’y a pas lieu de reprendre lin�airement les trois points figurant pour ceux-ci � l’article 4(a) des Principes UDRP.
Le Requ�rant doit certes justifier des droits qu’il all�gue (conform�ment � l’article 20(c) in fine du R�glement du “.fr” – ce qui est le cas en l’esp�ce – mais, cela fait, il convient seulement d’�tablir si l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le d�fendeur constitue une atteinte aux droits des tiers tel que d�finie � l’article 1er du R�glement (atteinte � la propri�t� intellectuelle, “aux r�gles de la concurrence et du comportement loyal”, etc.).
(i) Enregistrement du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers
En l’occurrence, le D�fendeur a enregistr� un nom de domaine qui est la reproduction tr�s exacte de la marque HUGGIES appartenant � la soci�t� Kimberly-Clark Worldwide Inc. comme celle des noms de domaine appartenant � la soci�t� Kimberly-Clark Corp. Ce nom de domaine est par ailleurs tr�s proche des marques d�tenues par la soci�t� Kimberly-Clark Wprldwide Inc., qui d�clinent la premi�re marque HUGGIES.
Comme l’observent les Requ�rantes, l’extension n’a pas �tre prise en consid�ration dans la comparaison des termes. Cela est admis aussi bien par les experts en charge des modes alternatifs de r�solution des litiges, comme le notent les Requ�rants qui visent entre autres illustrations possibles la d�cision DIPA contre LANTEC CORPORATION, Litige OMPI No. DFR2005-0010, que par les tribunaux fran�ais (ainsi TGI Paris, 27 juin 2003, <legalis.net>, jugeant que “seul le radical doit �tre pris en consid�ration pour appr�cier la contrefa�on”) qui ont, qui plus est, d�j� jug� sanctionnable la reprise d’un nom enregistr� sous une extension diff�rente (ainsi TGI Strasbourg, 29 mai 2001, JCP E 2002, n� 36, � 10, obs. Vivant).
Le D�fendeur qui a l’obligation de v�rifier que l’enregistrement auquel il proc�de ne porte pas atteinte aux droits des tiers, qui a enregistr� un nom dont les Requ�rants soulignent avec raison le caract�re arbitraire et qui n’a obtenu aucune autorisation d’utiliser le terme “Huggies” aussi bien sous une forme brute que d�clin�e, a donc, ce faisant, manifestement port� atteinte aux droits que la soci�t� Kimberly-Clark Corp. d�tient sur ses marques et ses noms de domaine <huggies.com> et <huggies.org>. Ces enregistrements constituent, en effet, des actes de concurrence d�loyale par imitation servile, de longue date sanctionn�s par la jurisprudence fran�aise.
Cela seul suffit � caract�riser l’atteinte que vise l’article 20(c) du R�glement.
Il sera n�anmoins observ� que la marque HUGGIES comme les marques qui en sont la d�clinaison l’ont �t�, comme il a d�j� �t� relev�, pour des produits tels que serviettes et lingettes pour b�b�s et enfants, produits jetables pour b�b�s et enfants, v�tements pour b�b�s et enfants, etc. et que le site exploit� par le D�fendeur comporte des liens vers d’autres sites proposant des produits tels que couches-culottes ou produits jetables pour b�b�s. Il s’agit donc manifestement de produits identiques et concurrents � ceux couverts par les marques en cause. En cons�quence de quoi l’adoption d’un nom de domaine reproduisant � l’identique (art. L. 713-2 CPI) ou imitant (art. L. 713-3 CPI) une marque ant�rieure doit recevoir la qualification d’acte de contrefa�on stricto sensu au premier cas (V. en ce sens TGI Nanterre, 18 janv. 1999, PIBD 1999, 673, III, 147, Rev. Lamy dr. aff. 1999, n� 16, p. 24) et lato sensu au second cas.
Ainsi, � ce titre encore, l’atteinte que vise l’article 20(c) du R�glement est bel et bien caract�ris�e.
(ii) Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers
S’il suffit d’�tablir que l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine litigieux par le D�fendeur constitue une atteinte aux droits des tiers, d�s l’instant o� il est �tabli que l’enregistrement a �t� fait en violation des droits des tiers, l’examen d’une �ventuelle utilisation en violation de ces droits est, au regard du R�glement, superf�tatoire.
Il sera toutefois observ� que le fait d’utiliser le nom de domaine <huggies.fr> pour proposer des produits concurrents de ceux des Requ�rants constitue manifestement une utilisation mala fide du nom de domaine tendant � d�tourner ill�gitimement la client�le des marques HUGGIES, des marques d�clin�es � partir de celle-ci et des noms de domaine �galement construits sur ce mot.
Plus encore, il doit �tre observ� que, si le D�fendeur n’a pas cherch� � monnayer le nom de domaine ind�ment pris selon une pratique des cybersquatters bien connue, il a fait appara�tre sur son site une page permettant de proposer un prix pour l’achat de ce nom de domaine. Certes, il est mentionn� dans cette page que le formulaire pr�sent� en ligne ne constitue pas une offre de vente. Mais on ne saurait y voir qu’une manœuvre assez grossi�re. Comme le soutiennent les Requ�rants, on voit mal comment la pr�sence de ce formulaire pourrait �tre interpr�t�e autrement que comme une offre de vente “d�s lors qu’elle �tablit que le titulaire du nom de domaine est dispos� � le c�der � toute personne lui faisant une offre qu’il estimerait acceptable”.
Le fait que le D�fendeur soit coutumier de ces pratiques s’ajoute enfin aux donn�es �tablies comme un indice suppl�mentaire d’un comportement �tranger � la loyaut� requise dans la vie des affaires.
Ainsi l’atteinte aux droits des tiers que vise l’article 20(c) du R�glement, cette fois-ci dans l’utilisation du nom de domaine incrimin�, est �galement caract�ris�e.
7. D�cision
Conform�ment aux articles 20(b) et (c) du R�glement, l’Expert ordonne la transmission du nom de domaine <huggies.fr> au profit de la soci�t� Kimberly-Clark Corparation.
Michel Vivant
Expert
Date: Le 13 mars 2008