Le requérant est Ledjo Energie SA de Bourges, France, représenté à l'interne.
Le défendeur est Dino Vaïarelli de Boulogne-Billancourt, représenté par le Cabinet Mizrahi Associés, France.
Le litige concerne le nom de domaine <ledjo.com>.
L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Gandi SAS.
Une plainte a été déposée par Ledjo Energie SA auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 27 avril 2009.
En date du 28 avril 2009, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, Gandi SAS, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 29 avril 2009, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 15 mai 2009, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 4 juin 2009. Le défendeur a fait parvenir sa réponse le 4 juin 2009.
En date du 11 juin 2009, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Christophe Caron. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.
En date du 15 juin 2009, le requérant a fait parvenir au Centre un document additionnel ayant pour finalité de répondre aux arguments du défendeur. En application du paragraphe 10 des Règles d'application, la Commission a accepté de prendre en considération ce document additionnel, à la condition que le défendeur puisse lui-même répondre avant le 22 juin 2009 afin que les parties soient traitées de façon égale tout en ayant la possibilité équitable de faire valoir leurs arguments. Le délai ayant été prorogé jusqu'au 29 juin 2009, le défendeur a fait parvenir au Centre, à cette date, un document additionnel qui a été pris en considération par la Commission administrative.
Le nom de domaine litigieux, <ledjo.com>, a été enregistré, le 2 novembre 2005, par le défendeur qui allait occuper, un mois plus tard, des fonctions au sein d'une société Ledjo scop SARL.
Le requérant est la société Ledjo Energie SA, immatriculée le 11 septembre 2007, qui est spécialisée dans la production d'énergie verte en valorisant les déchets organiques et qui a notamment été créée par d'anciens responsables de la société Ledjo scop SARL, étant précisé que le défendeur n'a jamais occupé de fonction au sein de la société Ledjo Energie SA.
Le requérant a déposé, le 17 octobre 2008, la marque française semi-figurative “Ledjo” n° 08/3605387 pour désigner des produits et services des classes 35, 37 et 40 essentiellement dans le domaine de l'énergie SA.
Il n'est pas contesté par les parties que, pendant un temps non précisé, le nom de domaine litigieux faisait l'objet d'une redirection vers d'autres sites du requérant. Cette redirection a cessé à la fin du mois de février 2009 à la suite de conflits opposant des membres de la société Ledjo Energie.
Par courrier du 17 avril 2009 adressé au défendeur, le requérant a souligné qu'il subissait, de ce fait, un préjudice commercial et qu'il refusait d'acquérir le nom de domaine à un prix supérieur à sa valeur.
Le requérant a décidé de saisir la commission administrative pour solliciter, à son profit, le transfert du nom de domaine litigieux <ledjo.com>.
Le requérant considère qu'il est propriétaire de la marque française semi-figurative n° 08/3605387 qui reproduit à l'identique l'expression “ledjo” qui constitue l'intégralité du nom de domaine litigieux <ledjo.com>.
Il précise également que le défendeur n'a pas de droits sur l'expression “ledjo” et qu'il n'a aucun intérêt légitime qui lui permettrait de l'utiliser puisqu'il n'est pas connu, ni n'exerce d'activité commerciale, sous ce terme.
Le requérant indique également que le défendeur est de mauvaise foi puisqu'il entend vendre le nom de domaine litigieux à un prix supérieur à sa valeur d'achat. Il précise également qu'il subit une perturbation de ses activités commerciales à cause de la cessation de la redirection, à partir du site désigné par le nom de domaine litigieux, vers ses propres sites internet.
Le requérant considère également qu'il aurait dû bénéficier d'un transfert de propriété du nom de domaine litigieux.
Pour ces différentes raisons, il sollicite le transfert à son profit du nom de domaine <ledjo.com>.
Le défendeur souligne qu'il a enregistré le nom de domaine le 2 novembre 2005, soit bien avant l'enregistrement, par le requérant, de la marque LEDJO. Il considère donc que, en application de l'article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle français, le nom de domaine constitue une antériorité qui rend indisponible le signe déposé en tant que marque par le requérant.
Le défendeur indique ensuite qu'il a été directeur général associé de la société Ledjo SCOP SARL, cabinet de conseil en développement durable, de décembre 2005 à décembre 2006. Il précise que le requérant a d'abord été un client de la société Ledjo SCOP SARL avant de fonder la société Ledjo énergie SA avec, à l'époque, la société Ledjo comme actionnaire principal. Le défendeur considère donc qu'il a un intérêt légitime à détenir et à exploiter le nom de domaine litigieux.
Le défendeur souligne enfin qu'il a enregistré le nom de domaine de bonne foi avant l'enregistrement de la marque du requérant. Il précise qu'il n'a pas enregistré le nom de domaine afin de le vendre à un prix excédant sa valeur ou pour porter atteinte aux intérêts du requérant. Au contraire, il considère qu'il subit, du fait du requérant, un préjudice.
Le défendeur indique également qu'il n'a jamais eu l'obligation personnelle de transférer le nom de domaine litigieux.
Le défendeur conclut donc au rejet de la plainte du requérant.
La Commission administrative constituée pour trancher le présent litige se cantonnera à l'application des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine. Il s'agit donc de vérifier, pour prononcer ou refuser un transfert de nom de domaine, que les conditions exprimées par les Principes directeurs sont cumulativement réunies.
En vertu du paragraphe 4 (a) des Principes directeurs, la procédure administrative n'est applicable qu'en ce qui concerne un litige relatif à une accusation d'enregistrement abusif d'un nom de domaine sur la base des critères suivants :
(i) Le nom de domaine enregistré par le détenteur est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits; et
(ii) Le détenteur du nom de domaine n'a aucun droit sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s'y attache; et
(iii) Le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi, dont le paragraphe 4 b) des Principes directeurs donne quelques exemples non limitatifs.
Le requérant prouve être propriétaire de la marque française semi-figurative n° 08/3605387 qui protège le terme de fantaisie “ledjo” pour désigner des produits et services des classes 35, 37 et 40 dans le domaine de l'énergie.
Les arguments du défendeur selon lesquels un nom de domaine est susceptible de constituer une antériorité rendant indisponible une marque, s'ils sont pertinents en droit français, ne peuvent pas être pris en considération par la Commission administrative qui, à défaut d'une décision de justice française ayant préalablement annulé la marque “ledjo”, ne peut que constater l'existence des droits du requérant sur cette marque valable.
Etant donné que la marque en couleurs semi-figurative n° 08/3605387 du requérant reproduit le terme de fantaisie “ledjo” associé à une branche d'arbre stylisée, elle n'est pas strictement identique au terme exclusivement dénominatif “ledjo” qui constitue le nom de domaine litigieux.
La marque LEDJO du requérant est cependant semblable au nom de domaine litigieux <ledjo.com> au point de prêter à confusion. En effet, l'internaute d'attention moyenne peut considérer que le nom de domaine litigieux permet d'accéder au site du propriétaire de la marque n° 08/3605387.
La Commission administrative constate que la première condition du paragraphe 4 (a) est remplie.
La Commission administrative constate que le défendeur ne prouve pas avoir des droits sur l'expression “ledjo”. Il n'est pas davantage connu sous ce nom.
Si le défendeur a pu, comme l'indique le curriculum vitae qu'il communique à la Commission administrative, être directeur général associé de la société Ledjo SCOP SARL de décembre 2005 à décembre 2006, force est de constater que l'intérêt légitime qui s'attache à la réservation du nom de domaine litigieux, n'est plus actuel depuis deux ans et demi.
Or, il est important que l'intérêt légitime ne soit pas apprécié uniquement au moment de l'enregistrement d'un nom de domaine afin d'éviter qu'une personne physique, qui a pu avoir dans le passé un intérêt légitime à l'enregistrer et à l'utiliser, puisse le conserver indéfiniment, lorsque cet intérêt légitime disparaît au détriment, notamment, d'une personne morale qui aurait un intérêt légitime encore plus fort à en bénéficier.
La Commission administrative constate que, à ce jour, le défendeur n'occupe plus aucune fonction au sein de la société Ledjo SCOP SARL. Il ne justifie donc pas avoir un intérêt légitime à utiliser le nom de domaine litigieux.
La Commission administrative constate que la seconde condition cumulative du paragraphe 4(a) est remplie.
L'enregistrement du nom de domaine <ledjo.com>, effectué le 2 novembre 2005, est antérieur, de plusieurs années, au dépôt de la marque semi-figurative LEDJO et à la création de la société requérante Ledjo énergie SA. De surcroît, au début du mois de novembre 2005, le défendeur n'avait pas connaissance des projets de création de la société requérante. Il est donc attesté que le nom de domaine litigieux a été enregistré de bonne foi sans que le défendeur soit motivé par une volonté de nuire, d'une façon ou d'une autre, aux intérêts du requérant et, notamment à ses opérations commerciales. Il n'est donc pas prouvé que, au moment de l'enregistrement, le défendeur avait la volonté de revendre le nom de domaine au requérant. Il n'est pas davantage prouvé que, au moment de l'enregistrement, il connaissait le requérant.
Etant donné que le paragraphe 4(a) des Principes directeurs exige que le nom de domaine ait été enregistré “et” utilisé de mauvaise foi, il faut en déduire qu'il est nécessaire, pour que la mauvaise foi soit caractérisée, qu'il y ait cumulativement un enregistrement mais aussi une utilisation répréhensible. En effet, seul le mot “et” est utilisé, à l'exclusion du terme “ou” qui pourrait permettre de retenir la mauvaise foi dans l'hypothèse alternative d'un enregistrement ou d'une utilisation répréhensible. Il en résulte que, en l'absence d'enregistrement de mauvaise foi, cette dernière ne saurait être retenue par la Commission administrative, même dans l'hypothèse d'une utilisation de mauvaise foi.
De surcroît, il apparaît néanmoins que la preuve de l'utilisation de mauvaise foi n'est pas rapportée. En ce qui concerne l'usage de mauvaise foi, la Commission administrative rappelle que la simple passivité du défendeur, quant à l'utilisation du nom de domaine litigieux, ne saurait constituer, en elle-même et à défaut d'autres éléments, un comportement de mauvaise foi. De même, il est constant que la mauvaise foi du défendeur ne se présume pas et qu'il appartient au requérant de prouver son existence à la Commission administrative.
La Commission administrative constate que le requérant communique la copie d'une lettre adressée au défendeur, rédigée par ses soins, dans laquelle il se plaint que ce dernier veut lui revendre le nom de domaine a un coût qui excède sa valeur. Cette lettre ne comporte pas de signature manuscrite et il n'est pas attesté que son destinataire l'ait reçue. Etant donné que nul ne peut se constituer une preuve à soi-même, la Commission administrative, qui n'a pas connaissance d'autres preuves de ce comportement, notamment qui émaneraient du défendeur, ne peut, sur le fondement de ce seul document, caractériser la mauvaise foi.
Si le requérant souligne que le défendeur a cessé la redirection à partir du site désigné par le nom de domaine litigieux vers ses propres sites, ce qui n'est pas contesté par le défendeur, il n'est pas démontré à la Commission administrative que la cessation de cette redirection soit constitutive d'une utilisation de mauvaise foi qui soit imputable au défendeur. En effet, il est loisible au détenteur d'un nom de domaine d'en faire l'usage qu'il souhaite et notamment d'établir ou de faire cesser une redirection à partir du site internet désigné par le nom de domaine. Et si d'autres personnes physiques ou morales ont pu s'engager à transmettre la propriété du nom de domaine au requérant et/ou à perpétuer une redirection, force est de constater que ces obligations ne sont pas opposables au détenteur d'un nom de domaine dès lors qu'il n'est pas prouvé qu'elles ont été contractées par ce dernier.
La Commission administrative constate également qu'il ne lui a pas été communiqué des preuves de l'utilisation du nom de domaine afin de détourner la clientèle du requérant, de créer une confusion au détriment de ce dernier ou de caractériser une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux par le défendeur.
En l'état et compte tenu des éléments factuels de ce litige qui dépassent les éléments factuels que la Commission administrative doit prendre en considération en application de ses pouvoirs tels qu'ils résultent des Principes directeurs et des Règles d'application, il appartient certainement au requérant et au défendeur de débattre de ces questions, si tel est leur souhait, devant les juridictions judiciaires nationales compétentes.
La Commission administrative constate que la troisième condition cumulative du paragraphe 4(a) n'est pas remplie.
Vu les paragraphes 4 (a) et 4 (i) des Principes directeurs et 15 des Règles, la Commission administrative constate que :
- Le nom de domaine <ledjo.com> est semblable, au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits.
- Le détenteur du nom de domaine <ledjo.com> n'a aucun droit sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s'y attache.
- Le nom de domaine <ledjo.com> n'a pas été enregistré de mauvaise foi et il n'est pas prouvé qu'il soit utilisé de mauvaise foi par le défendeur.
La Commission administrative constate que les trois conditions requises par le paragraphe 4 (a) des Principes directeurs ne sont pas cumulativement réunies et rejette en conséquence la plainte du requérant.
Christophe Caron
Expert Unique
Le 6 juillet 2009