Le requérant est Consorzio del Prosciutto di Parma, de Parme, Italie.
Le défendeur est Antonio Piromalli, de Sollies Pont, France.
Le litige concerne le nom de domaine <jambon-parme.com>.
L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Online SAS.
Une plainte a été déposée par Consorzio del Prosciutto di Parma auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 2 novembre 2009.
En date du 3 novembre 2009, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, Online SAS, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 6 novembre 2009, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.
Le 10 novembre 2009, le Centre a informé les parties que la plainte avait été déposée en anglais alors même que la langue du contrat d'enregistrement était le français. Conformément au paragraphe 11 des Règles d'application, le Centre a invité le requérant à démontrer qu'un accord au sujet de la langue de la procédure avait été conclu avec le défendeur, ou à soumettre une traduction en français de la plainte.
Le 13 novembre 2009, le requérant a sollicité le Centre de bien vouloir accepter que la langue de la procédure soit l'anglais, en dépit du fait qu'aucun accord avec le défendeur ne puisse être démontré.
Le 18 novembre 2009, le Centre a informé le requérant du fait qu'à défaut d'accord, et vu les circonstances en l'espèce, la plainte devait être traduite en français conformément au paragraphe 11 des Règles d'application.
Le 23 novembre 2009, le requérant a déposé une traduction de sa plainte.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 24 novembre 2009, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 14 décembre 2009.
Le 16 décembre 2009, le Centre a communiqué avec les parties pour les informer qu'une des adresses électroniques utilisées lors de la notification de la plainte était différente de celle que le défendeur avait utilisée lors de l'enregistrement du nom de domaine litigieux. Le Centre a alors demandé au défendeur s'il souhaitait qu'un délai supplémentaire lui soit accordé pour répondre à la plainte. Le défendeur n'a fait parvenir aucune réponse, suite à quoi les parties ont été avisées que le Centre procéderait à la nomination d'un expert conformément aux Principes directeurs et que toute communication ultérieure de la part du défendeur serait par la suite communiquée à l'expert nommé. Aucune communication ultérieure n'est toutefois intervenue.
En date du 30 décembre 2009, le Centre a nommé dans le présent litige Philippe Gilliéron comme expert unique. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.
Le requérant a été constitué en 1963 à l'initiative de 23 producteurs qui se sont regroupés pour protéger la qualité du Jambon de Parme et sauvegarder un savoir-faire unique en conservant les méthodes traditionnelles de production. C'est à ce titre que le requérant a sollicité la protection de cette désignation en qualité d'appellation d'origine protégée auprès des instances européennes, qui lui a été attribuée dès 1996.
Outre ce caractère d'appellation d'origine contrôlée, la désignation Jambon de Parme a fait l'objet de plusieurs enregistrements en italien comme marques communautaires collectives au nom de et pour le compte du requérant :
- PROSCIUTTO DI PARMA, déposée le 24 mars 1999 et enregistrée le 3 juillet 2000 en classe 29 pour des jambons de parme (n° 001116458);
- PARMA HAM, déposée le 31 octobre 2003 et enregistrée le 23 février 2005 en classe 29 pour du jambon (n° 003493781).
Le requérant est au surplus titulaire depuis le 2 octobre 2000 du nom de domaine <jambondeparme.com>.
Le 30 septembre 2009, le défendeur a enregistré le nom de domaine <jambon-parme.com>. Le nom de domaine litigieux opère un renvoi automatique au site <gastronomie-italie.com>, consacré à la vente en ligne de produits en provenance d'Italie, y compris du jambon de parme.
Le requérant allègue tout d'abord le fait que le nom de domaine <jambon-parme.com> prête à confusion avec ses marques PROSCIUTTO DI PARMA et PARMA HAM. Bien que les enregistrements aient eu lieu en italien, la dénomination <jambon-parme.com> constitue la traduction exacte en français des marques précitées; le risque de confusion serait donc patent.
Le requérant allègue ensuite le fait qu'il n'a jamais autorisé le défendeur à faire quelque usage que ce soit du nom de domaine contesté auquel il n'est lié d'aucune manière. Le défendeur n'est pas connu sous ce nom et l'utilisation qu'il fait de <jambon-parme.com> n'a d'autre but que de créer une confusion auprès des internautes aux fins de détourner le trafic en sa faveur. Aucun droit ni intérêt légitime ne peut donc lui être reconnu sur le nom de domaine contesté.
Le requérant fait enfin valoir que le fait de lier le nom de domaine au site également accessible sous le nom de domaine <gastronomie-italie.com> témoigne d'une utilisation abusive, puisqu'elle tend à exploiter la réputation de la dénomination dont le requérant est titulaire au profit du défendeur, en laissant croire aux internautes que le titulaire du nom de domaine contesté serait le requérant ou qu'il posséderait des rapports officiels avec lui alors qu'il n'en est rien. Peu importe selon le requérant que le défendeur propose parmi d'autres produits du jambon de parme sur son site, dès lors que cette offre n'est pas exclusive et ne comporte aucun avertissement informant les internautes du fait que le site en question n'est pas le site officiel du requérant. Le requérant en conclut que le nom de domaine a été enregistré et qu'il est utilisé de mauvaise foi.
Le défendeur n'a pas procédé.
Le paragraphe 11(a) des Règles d'application prévoit que, sauf convention contraire, la langue de la procédure entre les parties est celle du contrat d'enregistrement.
En l'espèce, l'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine litigieux a été enregistré a informé le Centre le 6 novembre 2009 que la langue du contrat d'enregistrement était le français. Bien que la plainte ait initialement été déposée en anglais, une traduction en français a été déposée par le requérant à la demande du Centre avant qu'elle ne soit notifiée au défendeur et qu'un délai ne lui soit imparti pour déposer sa réponse. Le défendeur n'a donc nullement souffert du vice initial dont souffrait la plainte.
La décision est donc rendue en français.
Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs prévoit que le requérant doit prouver trois éléments de manière cumulative pour obtenir gain de cause, à savoir :
1) que le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la requérante a des droits;
2) que le défendeur n'a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine;
3) que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le défendeur.
Le fait que la dénomination jambon de parme ait reçu le statut d'appellation d'origine protégée par les instances européennes ne constitue pas un critère pertinent. Conformément au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, le requérant doit démontrer la titularité d'une marque. Bien que la question de savoir si ce paragraphe devait recevoir une interprétation extensive et s'appliquer aux indications de provenance ait été abordée dans le rapport concernant le second processus de l'OMPI sur les noms de domaine de l'Internet publié le 3 septembre 2001, il y a été répondu par la négative. Il en résulte que le fait de se prévaloir d'une appellation d'origine protégée ne permet pas d'agir en application des Principes directeurs (en ce sens également le paragraphe 1.5 des tendances en ce qui concerne les Principes directeurs).
Dans le cas d'espèce, ces considérations ne portent cependant pas à conséquence, puisque le requérant a démontré qu'il était le titulaire des marques communautaires collectives PROSCIUTTO DI PARMA et PARMA HAM (voir par exemple City of Potsdam v. Transglobal Networx Inc., Litige OMPI No. D2002-0956; Consorzio del Prosciutto di Parma v. Matthias Gasser, Hanslmeier Fleischwarenfabrik, Litige OMPI No. D2003-0474; Centrale del Latte di Torino & C. S.P.a. v. Mr Stanley Filoramo, Litige OMPI No. D2003-0931).
Le fait qu'aucune marque n'ait été enregistrée en français n'est pas décisif. Les termes <jambon-parme.com> sont compris par une majeure partie du public francophone comme la traduction littérale des termes “Prosciutto di Parma” sur lesquels le requérant possède des droits. Comme ont eu l'occasion d'en décider de précédentes Commissions administratives, il y a lieu en ce cas de conclure à l'existence d'un risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et la marque en question telle que traduite (Consorzio del Prosciutto di Parma v. Matthias Gasser, Hanslmeier Fleischwarenfabrik, Litige OMPI No. D2003-0474, où la Commission a considéré dans cette affaire en tous points semblables que le nom de domaine <parma-schinken.com> prêtait à confusion avec “prosciutto” et “ham”; Compagnie Générale Des Etablissements Michelin – Michelin & Cie v. Graeme Foster, Litige OMPI No. D2004-0279; Société pour l'œuvre et la Mémoire d'Antoine de Saint-Exupéry – Succession Saint-Exupéry – D'Agay v. Perlegos Properties, Litige OMPI No. D2005-1085).
Partant, la Commission considère que le critère posé au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est rempli.
S'agissant de la preuve d'un fait négatif, la Commission administrative estime que lorsque le requérant a allégué avec des documents à l'appui le fait que le défendeur n'a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine comme en l'espèce, il incombe au défendeur d'établir le contraire, puisque lui seul détient les informations nécessaires pour ce faire. S'il n'y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes (Eli Lilly and Company v. Xigris Internet Services, Litige OMPI No. D2001-1086; Do The Hustle LLC v. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624).
En l'espèce, le nom de domaine renvoie à un site à partir duquel le défendeur semble développer des activités de bonne foi sous le nom de domaine <gastronomie-italie.com>. Si les activités déployées sur ce site à partir du nom de domaine précité ne peuvent être taxées de mauvaise foi, le fait d'opérer un renvoi en direction de ce site au moyen du nom de domaine <jambon-parme.com> ne peut être expliqué par aucun droit ni intérêt légitime. Le défendeur n'a aucun droit propre sur cette dénomination ni n'a été autorisé par le requérant à en faire usage.
La présente Commission administrative accepte d'autant plus facilement pour exactes les allégations du requérant qu'étant donné la notoriété de sa dénomination, il est difficilement concevable que le défendeur ait pu enregistrer le nom de domaine <jambon-parme.com> sans avoir eu connaissance de l'existence des marques du requérant. Or, l'enregistrement d'un nom de domaine correspondant à la marque de haute renommée d'un tiers ne peut être considéré comme un usage légitime du nom de domaine; en décider autrement reviendrait à admettre que la violation intentionnelle par le défendeur des droits du requérant peut constituer un intérêt légitime, ce qui serait à l'évidence contraire au but poursuivi par les Principes directeurs (Madonna Ciccone, p/k/a Madonna v. Dan Parisi and “Madonna.com”, Litige OMPI No. D2000-0847). Certes, on peut ici se demander si la reconnaissance de la dénomination ne porte pas plus sur l'appellation d'origine protégée que sur les marques collectives dont le requérant est titulaire. Dans les deux cas, il ne fait cependant aucun doute que le public associe à la dénomination jambon de parme certaines caractéristiques devant être satisfaites par les fabricants et ceux qui prétendent vouloir utiliser cette dénomination.
Dans sa plainte, le requérant se prévaut de la décision Oki Data Americas, Inc. v. ASD, Inc., Litige OMPI No. D2001-0903, aux termes de laquelle le recours au nom de domaine d'un fabricant par un distributeur agréé n'était admissible que si ce dernier (i) offre effectivement le produit du même nom, (ii) ne vend que ces produits à l'exclusion de tout autre, (iii) divulgue sans équivoque le fait que son site n'est pas celui du titulaire officiel, et (iv) n'entrave pas les activités du titulaire en l'empêchant de refléter sa marque comme nom de domaine (voir également le paragraphe 2.3 des tendances en ce qui concerne les Principes directeurs, qui se réfère à cette décision comme reflétant l'opinion majoritaire des Commissions administratives).
En l'espèce, le fait que le défendeur vende éventuellement du véritable jambon de parme ne lui est d'aucune aide. Non seulement il ne satisfait pas aux critères précités, mais il ne démontre nullement revêtir la qualité de distributeur agréé comme il lui incombait s'il souhaitait en tirer bénéfice dans le cadre de cette procédure. Le requérant ayant allégué qu'aucune autorisation d'exploiter la dénomination jambon de parme n'avait été concédée au défendeur sous quelque forme que ce soit, ses affirmations doivent être considérées comme exactes en l'absence de preuve contraire. Or, il ne fait aucun doute qu'un distributeur non agréé ne peut en aucune manière revendiquer le droit d'enregistrer comme nom de domaine la marque d'un fabricant, seul en droit de décider si, quand, de quelle manière et par quelle entité sa marque peut être exploitée par un tiers. Ces principes valent a fortiori en matière de marques collectives. La décision précitée n'a donc même pas besoin d'être appliquée en l'espèce.
Par conséquent, la Commission considère que le critère posé au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est rempli.
L'enregistrement d'un nom de domaine de mauvaise foi suppose que le défendeur ait eu connaissance de la marque du requérant au moment de l'enregistrement. Comme évoqué précédemment, le défendeur ne pouvait ignorer qu'il violait les droits du requérant en enregistrant le nom de domaine <jambon-parme.com> au vu de la notoriété de cette dénomination. Or, plusieurs Commissions ont considéré que l'enregistrement d'une marque de haute renommée par un tiers n'ayant aucune affiliation quelle qu'elle soit avec le titulaire de dite marque démontrait la mauvaise foi de la partie défenderesse (Veuve Clicquot Ponsardin, Maison Fondée en 1772 v. The Polygenix Group Co., Litige OMPI No. D2000-0163; Parfums Christian Dior v. Javier Garcia Quintas and Christiandior.net, Litige OMPI No. D2000-0226; Charles Jourdan Holding AG v. AAIM, Litige OMPI No. D2000-0403). Au vu de la forte réputation dont bénéficie la dénomination du requérant, ces décisions peuvent être appliquées au cas d'espèce.
Il ne fait en effet aucun doute dans l'esprit de la Commission que le nom de domaine <jambon-parme.com> a été enregistré et a été utilisé de mauvaise foi au sens où l'entendent les Principes directeurs. En pointant vers le site <gastronomie-italie.com> au moyen du nom de domaine litigieux, le défendeur n'avait d'autre but que de rediriger les internautes francophones intéressés par l'acquisition de jambon de parme vers son site, destiné spécifiquement à leur attention. Ce faisant, le défendeur cherche avant tout à exploiter la réputation de la marque du requérant à son profit, en détournant les internautes à des fins lucratives et en entravant du même coup les activités du requérant, tout en laissant croire à d'éventuels rapports officiels entre eux qui n'existent pas.
En définitive, eu égard à la notoriété de la dénomination du requérant et à l'utilisation qu'en fait le défendeur, il ne fait aucun doute que l'enregistrement du nom de domaine <jambon-parme.com> constitue une violation délibérée des droits du requérant et que son utilisation est abusive.
Au vu de ce qui précède, la Commission considère que le critère posé au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est rempli.
Au regard des éléments développés ci-dessus et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine <jambon-parme.com> soit transféré au requérant.
Philippe Gilliéron
Expert Unique
Le 6 janvier 2010