Le Requérant est la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, Paris, France, représenté par le Cabinet Meyer & Partenaires, France.
Le Défendeur est Ambroise Breleur, Fort-de-France, France.
Le litige concerne le nom de domaine <mutuel-credit.fr> enregistré le 20 octobre 2008.
Le prestataire Internet est la société 1 & 1 Internet SARL.
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 8 janvier 2009 par courrier électronique.
Le 9 janvier 2009, le Centre a adressé à l'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l'“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 9 janvier 2009, l'Afnic a levé l'anonymat du titulaire du nom de domaine et a confirmé qu'aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n'était pendante. Le Requérant a déposé une demande amendée le 13 janvier 2009 par courrier électronique et le 16 janvier 2009 par courrier postal.
Le 12 janvier 2009, le Centre a reçu un courrier électronique du Défendeur. Le 13 janvier 2009, le Centre a reçu une demande de suspension de la procédure du Requérant par email. La procédure a été suspendue jusqu'au 14 février 2009. Le Centre a reçu, les 13 février et 17 mars 2009, des demandes d'extension de suspension de la procédure formées par le Requérant. Le Centre a renouvelé la suspension de la procédure par deux fois, jusqu'au 18 avril 2009.
Le 20 avril 2009, le Centre a reçu une demande du Requérant de ré-instituer la procédure, les parties n'ayant pas trouvé un règlement amiable au litige.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l'ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l'Afnic applicable (ci-après la “Charte”).
Conformément à l'article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 22 avril 2009. Conformément à l'article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 12 mai 2009. Le Défendeur n'a pas fait parvenir sa réponse. Le Centre a notifié le défaut du Défendeur le 14 mai 2009.
Le 4 Juin 2009, le Centre nommait Stéphane Lemarchand comme Expert dans le présent litige. L'Expert constate qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément à l'article 4 du Règlement.
Le Requérant est la Confédération Nationale du Crédit Mutuel (ci-après dénommée “Crédit Mutuel”), deuxième banque de détail en France.
Le Crédit Mutuel, disposant de 5.148 points de vente au service de près de 15 millions de clients, bénéficie d'une grande notoriété.
En vertu des dispositions de l'ordonnance n° 58-966 du 16 octobre 1958, l'utilisation du terme “Crédit Mutuel” est réservée à la Confédération Nationale du Crédit Mutuel et à toutes les caisses de Crédit Mutuel affiliées à cette confédération.
Le Requérant est titulaire de nombreux noms de domaine incluant les termes “Crédit Mutuel” tels que :
- <creditmutuel.fr>, réservé depuis le 10 août 1995;
- <creditmutuel.com>, réservé depuis le 28 octobre 1995;
- <creditmutuel.net>, réservé depuis le 3 octobre 1996 par la filiale informatique du groupe Crédit Mutuel, la société Euro-Information SAS;
- <creditmutuel.info>, réservé depuis le 13 septembre 2001 par la société Euro-Information SAS;
- <creditmutuel.mobi>, réservé depuis le 26 septembre 2006; et
- <creditmutuel.eu>, réservé depuis le 13 mars 2006.
L'ensemble de ces noms de domaine renvoie vers le portail Internet du Requérant depuis octobre 1996.
Le Requérant est également titulaire de plusieurs marques françaises et internationales, régulièrement renouvelées, composées des termes “Crédit Mutuel” telles que :
- la marque française semi-figurative CREDIT MUTUEL déposée le 8 juillet 1988 sous le n° 1 475 940 et enregistrée pour des services des classes 35 et 36;
- la marque française semi-figurative CREDIT MUTUEL déposée le 20 mai 1990 sous le n° 1 646 012 et enregistrée pour des produits et services des classes 16, 35, 36, 38 et 41;
- la marque internationale CREDIT MUTUEL déposée le 17 mai 1991 sous le n° 570182 et enregistrée pour des produits et services des classes 16, 35, 36, 38 et 41, désignant le Benelux, l'Italie et le Portugal;
- la marque communautaire CREDIT MUTUEL, LA BANQUE À QUI PARLER déposée le 19 juin 2006 sous le n° 005 146 162 et enregistrée pour des produits et services des classes 9, 16, 35, 36, 37, 38, 39, 41, 42, 43, 44 et 45.
Le Défendeur a procédé à l'enregistrement du nom de domaine <mutuel-credit.fr> le 20 octobre 2008 de façon anonyme.
Le Requérant a décidé d'avoir recours à la présente procédure administrative pour obtenir la divulgation des coordonnées du titulaire du nom de domaine.
L'Afnic a transmis les informations relatives à l'identification du titulaire du nom de domaine contesté au Centre le 9 janvier 2009.
A la demande du Centre, le Requérant a ainsi déposé une demande amendée, comprenant le nom et les coordonnées du titulaire du nom de domaine contesté, le 13 janvier 2009.
C'est dans ces conditions que le Centre a été saisi du présent litige.
Le Requérant soutient qu'il est détenteur de droits antérieurs sur le signe CREDIT MUTUEL à titre de noms de domaine et de marques françaises et internationales.
Le Requérant fait également valoir qu'en vertu des dispositions de l'ordonnance n° 58-966 du 16 octobre 1958, l'utilisation des termes “Crédit Mutuel” lui est réservée.
Le Requérant soutient que la dénomination “Crédit Mutuel” bénéficie, en France, d'une réputation certaine dans le domaine bancaire et financier, eu égard à son exploitation intensive et soutenue depuis plusieurs années.
Le Requérant soutient, tout d'abord, que le nom de domaine <mutuel-credit.fr> est fortement similaire à la marque antérieure CREDIT MUTUEL; la seule différence entre le nom de domaine litigieux et les marques du Requérant consistant en l'inversion des termes “Crédit” et “Mutuel” au sein du nom de domaine litigieux.
Le Requérant soutient encore que cette seule inversion ne suffit pas per se à écarter, dans l'esprit des internautes, le risque de confusion existant entre le nom de domaine <mutuel-credit.fr> et la marque antérieure renommée CREDIT MUTUEL.
Au surplus, le Requérant fait valoir que la simple adjonction d'un tiret entre les termes “Mutuel” et “Crédit” au sein du nom de domaine litigieux n'écarte pas le risque de confusion dans l'esprit du public entre le nom de domaine et les marques renommées du Requérant.
Le Requérant fait également valoir que la simple adjonction de l'extension nationale “.fr” n'est liée qu'à des considérations techniques et n'a donc pas à être prise en considération pour l'appréciation de l'identité ou de la similitude du nom de domaine contesté avec la marque antérieure renommée CREDIT MUTUEL.
Le Requérant constate, en outre, que le nom de domaine <mutuel-credit.fr> renvoie vers un site Internet français retraçant l'historique du Groupe Crédit Mutuel et présentant sa structure et l'ensemble des services proposés par le Requérant en France et à l'étranger via ses succursales ou ses filiales spécialisées.
Le Requérant a constaté que ce site Internet reprenait la teneur et le contenu de l'article dédié au Requérant au sein de l'encyclopédie en ligne Wikipédia.
Le Requérant en déduit que la seule intention du Défendeur est de détourner le trafic des internautes en créant une confusion dans leur esprit à des fins pécuniaires.
En outre, le Requérant a constaté la présence de liens hypertextes sur le site Internet litigieux renvoyant les internautes vers les sites d'établissements concurrents.
Le Requérant fait valoir que ceci démontrait la volonté purement lucrative du Défendeur qui entend tirer indûment profit de la réputation de la Confédération Nationale du Crédit Mutuel par le trafic ainsi généré, le Défendeur espérant une rémunération au prorata du chiffre d'affaires réalisé par les annonceurs publicitaires à partir des liens hypertextes figurant sur ce site Internet.
En conséquence, le Requérant en conclut que l'enregistrement et l'utilisation du nom de domaine litigieux <mutuel-credit.fr> constituent donc une atteinte aux droits de propriété intellectuelle dont il est titulaire.
Le Requérant sollicite ainsi le transfert du nom de domaine <mutuel-credit.fr > à son profit.
Le Défendeur n'a adressé aucune réponse au Centre dans le délai imparti, qui prenait fin le 12 mai 2009.
L'Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et/ou une utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite, en conséquence, la transmission de ce nom de domaine à son profit.
Conformément au paragraphe 20(c) du Règlement, l'Expert “fait droit à la demande lorsque l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l'article 1 du présent règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l'élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.
L'Expert rappelle que, conformément à l'article 1 du Règlement, l'atteinte aux droits des tiers s'entend comme “une atteinte aux droits des tiers en particulier lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle française ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d'une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi.”
En conséquence, l'Expert s'est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l'enregistrement et/ou l'utilisation du nom de domaine <mutuel-credit.fr> portait atteinte aux droits du Requérant et, le Requérant sollicitant la transmission de ce nom de domaine à son profit, si celui-ci justifie de droits sur ce nom de domaine.
La reproduction et/ou l'imitation de marques ou autres droits privatifs appartenant à un tiers ou exploités par un tiers sans autorisation constituent une atteinte qui doit être sanctionnée.
En l'espèce, l'Expert constate que le Requérant justifie être titulaire de droits privatifs antérieurs sur la dénomination “Crédit Mutuel” visant le territoire français depuis au moins 1988, et ce notamment par le biais de plusieurs marques françaises et internationales, toutes ces marques ayant été régulièrement renouvelées.
L'Expert constate également que le Requérant est titulaire de plusieurs noms de domaine comportant la marque CREDIT MUTUEL, enregistrés antérieurement au nom de domaine litigieux.
L'Expert constate que le Requérant justifie aussi des droits sur l'élément objet de la demande à titre de dénomination sociale.
De plus, l'Expert constate que la dénomination “Crédit Mutuel” jouit d'une certaine renommée s'agissant, plus particulièrement, des services bancaires.
L'Expert constate que le nom de domaine litigieux reproduit les termes “Crédit” et “Mutuel” présents dans toutes les marques et les noms de domaine précités dont est titulaire le Requérant.
L'Expert retient que la simple inversion des deux mots constituant les marques antérieures du Requérant dans le nom de domaine litigieux n'écarte, en aucune manière, le risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et les marques et autres droits privatifs du Requérant (Schneider Electric SA v. Ningbo Wecans Network Technology Co, Ltd., Ningbo Eurosin International Trade Co., Ltd, Litige OMPI No. D2004-0554 concernant le nom de domaine <electric-schneider.com>).
En outre, l'Expert retient que la présence d'un tiret ou l'absence d'espace entre les deux mots constituant les marques antérieures et autres droits privatifs du Requérant est sans effet quant à l'appréciation du risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et les marques et autres droits privatifs du Requérant (Confédération Nationale du Crédit Mutuel v. Mervyn Mould, Litige OMPI No. D2007-0207 concernant le nom de domaine <securite-credit-mutuel.com>).
De plus, il est admis que la présence de l'extension “.fr” au sein du nom de domaine litigieux – inhérente au fonctionnement des noms de domaine – ne permet pas d'écarter tout risque de confusion (SARL Abcyne contre Jeremie Guyot, Litige OMPI No. DFR2007-0001).
Dès lors, compte tenu de la notoriété des marques CREDIT MUTUEL, mais également de la forte présence du Requérant sous cette dénomination depuis 1958, le Défendeur ne pouvait ignorer, au jour de l'enregistrement du nom de domaine litigieux, à savoir en octobre 2008, l'existence du Requérant, de son activité et de l'exploitation du site Internet “www.creditmutuel.fr”.
Qui plus est, l'Expert constate que le site Internet accessible à l'adresse “www.mutuel-credit.fr” proposait, avant le blocage par l'Afnic, des liens hypertextes en relation avec les activités bancaires, secteur d'activité du Requérant.
Dès lors, il est peu probable que le Défendeur, au jour de l'enregistrement du nom de domaine litigieux, n'avait pas connaissance du Requérant, de son activité et de sa présence sur Internet.
En tout état de cause, il appartenait au Défendeur, avant de procéder à l'enregistrement du nom de domaine, conformément à l'article 12(1) de la Charte de vérifier que cet enregistrement ne portait pas atteinte aux droits des tiers.
Par conséquent, l'Expert considère que l'enregistrement du nom de domaine <mutuel-credit.fr> par le Défendeur est intervenu en violation des droits du Requérant.
Il ressort des documents fournis par le Requérant à l'appui de sa requête que le nom de domaine <mutuel-credit.fr> renvoyait, au jour de la requête, vers un site Internet reprenant le contenu de l'article sur le Crédit Mutuel mis à disposition sur l'encyclopédie en ligne Wikipédia et comportant plusieurs liens hypertextes vers des concurrents du Requérant.
En l'espèce, la notoriété du Requérant et de son activité, que ce soit par la présence de ses nombreuses agences sur le territoire français ou par le biais du site Internet “www.creditmutuel.fr” est incontestable et peut difficilement être ignorée du Défendeur.
Compte tenu notamment de cette notoriété, il est très probable que le simple fait d'avoir enregistré un nom de domaine intégrant une dénomination connue des internautes, a induit ces derniers en erreur sur l'activité du Requérant.
Qui plus est, les internautes, en se connectant au site Internet “www.mutuel-credit.fr” accédaient, avant le blocage du site par l'Afnic, à une page présentant le Requérant et ses activités, et retraçant son historique en ligne, article en réalité issu de l'encyclopédie en ligne Wikipédia.
La confusion engendrée dans l'esprit du public entre les marques du Requérant et le nom de domaine litigieux apparaît évidente, et ce d'autant plus que le site Internet accessible à l'adresse “www.mutuel-credit.fr” se présentait, au moment du dépôt de la requête par le Requérant, comme un site officiel du Requérant, ainsi qu'il en résulte des documents fournis à l'appui de cette requête.
En outre, il résulte également des documents versés par le Requérant à l'appui de sa requête que le nom de domaine litigieux proposait aux internautes des liens hypertextes vers des sites de concurrents fournissant des services bancaires.
L'Expert considère que le nom de domaine litigieux renvoyait vers un site dit “parking”.
Or, il est constant que l'exploitation d'un site dit “parking” permet une rémunération de l'exploitant à chaque fois qu'un internaute se redirige vers un site commercial lié.
L'Expert considère que le fait pour le Défendeur de rediriger le nom de domaine litigieux vers une page “parking” proposant plusieurs liens hypertextes vers des concurrents du Requérant démontre sa volonté purement spéculative, entendant ainsi tirer profit de la notoriété des droits antérieurs du Requérant par le trafic généré.
L'utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur, même limitée à une présence sur un site “parking”, constitue une violation des droits des tiers et, en particulier, des droits du Requérant qui détient des marques antérieures (Sanutri AG contre Lantec Corporation, Litige OMPI No. DFR2007-0011).
En conséquence, l'Expert considère que l'enregistrement et l'utilisation du nom de domaine <mutuel-credit.fr> par le Défendeur constitue une appropriation en violation des droits de la Requérante de même que des règles normales de concurrence.
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <mutuel-credit.fr>.
Stéphane Lemarchand
Expert
Le 18 juin 2009