Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

CGE Distribution SAS contre Jacky Norbert Durand, CGED

Litige No. D2017-1004

1. Les parties

Le Requérant est CGE Distribution SAS, de Montrouge, France, représenté par H2O Avocats, France.

Le Défendeur est Jacky Norbert Durand, CGED, de Paris, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <cgedsas.com> est enregistré auprès de 1API GmbH (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par CGE Distribution en français auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 19 mai 2017. En date du 22 mai 2017, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 24 mai 2017, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige, et indiquant que la langue du contrat d’enregistrement était l’anglais.

Le 31 mai 2017, le Centre a envoyé un avis aux parties concernant la langue de la procédure, invitant le Requérant soit à fournir la preuve d’un accord, entre le Requérant et le Défendeur, prévoyant que la procédure se déroule en français, soit à déposer une plainte traduite en anglais, soit à déposer une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Défendeur a également été invité à fournir des arguments à cet égard. Le 31 mai 2017, le Requérant a déposé une demande afin que la procédure administrative se déroule en français. Le Défendeur n’a fourni aucun argument à cet égard.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 8 juin 2017, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur en anglais et français. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 28 juin 2017. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 3 juillet 2017, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

Le Centre a demandé aux parties le 19 juin 2017 de le tenir informé de tous développements relatifs aux trois procédures judiciaires initiées par le Requérant et notées dans la plainte.

En date du 14 juillet 2017, le Centre nommait Louis-Bernard Buchman comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est CGE Distribution SAS, société française distribuant du matériel électrique.

Le Requérant est titulaire de la marque française semi-figurative CGED (et logo), déposée auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle, enregistrée le 9 novembre 2012 sous le numéro 3935259 au nom de la société Sonepar et cédée par celle-ci au Requérant en date du 8 décembre 2014 (ci-après désignée “la Marque”).

Le Défendeur est Jacky Norbert Durand, CGED, dont l’adresse renseignée est située en France.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux <cgedsas.com> en date du 2 mars 2017.

Le nom de domaine litigieux avant sa suspension renvoyait automatiquement les internautes vers le site officiel du Requérant “www.cged.sonepar.fr”.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

(i) Le Requérant dispose d’un droit sur la Marque.

(ii) Le nom de domaine litigieux contient la Marque.

(iii) Le nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits dont est titulaire le Requérant, en ce qu’il imite la Marque, et est susceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit des internautes en laissant croire que l’utilisation faite par le Défendeur de l’adresse de messagerie “…@cgedsas.com” ainsi que la réservation du nom de domaine litigieux proviennent du Requérant puisque le nom de domaine litigieux pointe vers le site Internet officiel du Requérant.

(iv) Le Défendeur n’a jamais été autorisé par le Requérant à utiliser la Marque à quelque titre que ce soit. Le Défendeur ne peut justifier d’aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, le fait de s’identifier sous une fausse identité allant à l’encontre de tout droit ou intérêt légitime et manifestant une tentative d’escroquerie.

(v) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux et l’utilise de mauvaise foi.

(vi) Le Requérant demande que le nom de domaine litigieux lui soit transféré.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a rien répondu.

6. Discussion et conclusions

6.1. Aspects procéduraux

L’Unité d’enregistrement a indiqué que le contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux était en langue anglaise. En ce qui concerne la langue de la procédure, le Requérant a demandé que la langue de la procédure soit le français compte tenu de l’identité, la nationalité et le lieu de résidence des parties.

Le Requérant invoque de surcroît, à l’appui de sa requête, le fait que la Marque est une marque française.

Il appartient donc à la Commission administrative de se prononcer sur la langue de la procédure. Le Défendeur ne s’est pas opposé à cette demande. La Commission administrative, estimant que choisir une autre langue de procédure générerait des frais de traduction et des délais, et faisant application des dispositions du paragraphe 11(a) des Règles d’application et de son pouvoir d’appréciation, décide que le français sera la langue de la procédure.

Par ailleurs, il est rappelé que la Commission administrative est tenue d’appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d’application qui prévoit que: “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable”.

Le paragraphe 10(a) des Règles d’application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu’elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d’application).

En conséquence, la Commission administrative s’est attachée à vérifier, au vu des seuls arguments et pièces disponibles, si l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux portaient atteinte aux droits du Requérant et si le Défendeur pouvait justifier de droits sur ce nom de domaine.

Enfin, la plainte déposée par le Requérant mentionne que trois procédures judiciaires initiées par le Requérant sous forme de dépôts de plainte pénale avec ou sans constitution de partie civile sont en cours.

Le paragraphe 18(a) des Règles d’application prévoit qu’en cas de procédures judiciaires commencées avant ou pendant une procédure administrative concernant un litige sur un nom de domaine faisant l’objet d’une plainte, la Commission administrative devra décider à sa discrétion s’il faut suspendre ou clore la procédure, ou bien s’il faut rendre une décision.

Le Centre a demandé aux parties le 19 juin 2017 de le tenir informé de tous développements relatifs à ces procédures judiciaires qui sont ou pourraient être pertinentes dans le cadre de la présente procédure.

Aucune indication n’ayant été fournie au Centre à cet égard ni par le Requérant, ni par le Défendeur, la Commission administrative décide de ne pas suspendre la procédure et de rendre la présente décision.

6.2. Vérification que les conditions cumulatives du paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont réunies en l’espèce

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Dans le cadre de l’analyse de la première condition du paragraphe 4(a), la Commission administrative doit se contenter de constater si le droit de marque du Requérant existe ou non.

Au vu des pièces versées au dossier, la Commission administrative constate que le Requérant justifie de droits exclusifs sur la dénomination CGED, à titre de marque enregistrée.

Demeure alors la question de la comparaison entre cette dénomination d’une part et le nom de domaine litigieux d’autre part. Or le nom de domaine litigieux reproduit l’élément distinctif de cette dénomination.

En ce qui concerne l’identité ou la similitude de la Marque par rapport au nom de domaine litigieux, la seule différence consistent en l’ajout dans le nom de domaine litigieux du suffixe “SAS”. Les lettres SAS signifiant en français Société par Actions Simplifiée, qui est la forme juridique du Requérant, cette différence ne saurait aux yeux de la Commission administrative conférer un autre sens au nom de domaine litigieux ni permettre de le distinguer de la Marque du Requérant.

Il est établi par ailleurs que les extensions de nom de domaine (telles que “.com”), nécessaires pour leur enregistrement, sont généralement sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, les extensions pouvant donc ne pas être prises en considération pour examiner la similarité entre la Marque du Requérant et le nom de domaine litigieux, conformément à nombre de décisions déjà rendues (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Accor c. Accors, Litige OMPI No. D2004-0998).

La Commission administrative estime que le public en général et les internautes en particulier pourraient penser que le nom de domaine litigieux renvoie au Requérant, ce nom de domaine litigieux étant similaire à la Marque sur laquelle le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (voir Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA c. PrivacyProtect.org / N/A, indishi india mr.ugala, Litige OMPI No. D2010-1147; Credit Industriel et Commercial S.A., BanqueFédérative du Crédit Mutuel c. Headwaters MB, Litige OMPI No. D2008-1892; Banque Saudi Fransi c. ABCIB, Litige OMPI No. D2003-0656; Islamic Bank of Britain Plc c. Ifena Consulting, Charles Shrimpton, Litige OMPI No. D2010-0509; BPCE c. PrivacyProtect.org / Maksym Pastukhov, Litige OMPI No. D2010-1666).

Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l’exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.

B. Droits ou intérêts légitimes

Il est admis que, s’agissant de la preuve d’un fait négatif, une commission administrative ne saurait se montrer trop exigeante vis-à-vis d’un requérant. Lorsqu’un requérant a allégué le fait que le défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine, il incombe au défendeur d’établir le contraire, puisque lui seul détient les informations nécessaires pour ce faire. S’il n’y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes (Eli Lilly and Company c. Xigris Internet Services, Litige OMPI No. D2001-1086; Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624).

Aucun élément du dossier ne révèle qu’avant la naissance du litige, le Défendeur ait utilisé le nom de domaine litigieux, ou un nom correspondant au nom de domaine litigieux, en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services ou qu’il ait fait des préparatifs sérieux à cet effet.

Le Défendeur n’est en aucune manière affilié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à utiliser la Marque ou à procéder à l’enregistrement d’un nom de domaine incluant la Marque.

Par ailleurs, le mutisme conservé par le Défendeur, qui a choisi de ne pas répondre à la plainte dans la présente procédure, ne permet pas de penser qu’il ferait un usage légitime et non commercial du nom de domaine litigieux.

Au contraire, le Requérant a établi que le Défendeur fait un usage du nom de domaine litigieux à des fins frauduleuses.

Dans ces conditions, la Commission administrative est d’avis que le Défendeur n’ayant pas de droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache, l’exigence du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La mauvaise foi doit être prouvée dans l’enregistrement comme dans l’usage.

En ce qui concerne l’enregistrement de mauvaise foi, la bonne foi du Défendeur lors de l’enregistrement ne ressort d’aucun document soumis au dossier.

La Commission administrative estime que le choix comme nom de domaine de l’élément distinctif d’une marque en y ajoutant le suffixe “SAS” (qui ne saurait conférer un sens différent à la dénomination “CGED”, ni permettre de la distinguer de la Marque), ne peut être le fruit d’une simple coïncidence.

De surcroît, le Défendeur a effectué cette réservation dans le but manifeste de passer des commandes auprès de tiers et de se faire livrer des biens pour des montants importants, en se faisant passer pour le Requérant et en créant une grande similitude avec la Marque.

En effet, le nom de domaine litigieux avant sa suspension renvoyait automatiquement les internautes au site officiel du Requérant.

Dans ces circonstances, la Commission administrative estime plus qu’improbable qu’au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux, le Défendeur ait pu ne pas avoir connaissance de la Marque.

La simple immobilisation d’un nom de domaine, sans raison, peut être constitutive d’un usage de mauvaise foi.

Des décisions administratives UDRP ont déjà et à plusieurs reprises pu retenir que la détention d’un nom de domaine sans qu’un site Internet actif y corresponde pouvait, dans certains cas, être considérée comme une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows,supra; Christian Dior Couture SA c. Liage International Inc., Litige OMPI No. D2000-0098; ACCOR c. S1A, Litige OMPI No. D2004-0053; et Westdev Limited c. Private Data, Litige OMPI No. D2007-1903).

En outre, l’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux par le Défendeur peut aussi résulter du fait que son usage de bonne foi ne soit d’aucune façon plausible (voir Audi AG c. Hans Wolf, Litige OMPI No. D2001-0148), compte tenu de la spécificité de l’activité du Requérant.

Enfin, certaines commissions administratives ont même estimé que dans certaines circonstances, les personnes qui réservent des noms de domaine ont l’obligation de s’abstenir d’enregistrer et d’utiliser un nom de domaine qui soit identique ou similaire à une marque détenue par d’autres, et qu’enfreindre cette obligation peut être constitutif de mauvaise foi.

La Commission administrative conclut qu’en détenant et utilisant le nom de domaine litigieux à des fins d’hameçonnage et en ne se manifestant pas dans la présente procédure administrative, le Défendeur a procédé à une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.

Il en résulte que les trois éléments prévus au paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont cumulativement réunis.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <cgedsas.com> soit transféré au Requérant.

Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 27 juillet 2017