Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Colle SA c. Editions et Publicités
Litige No. D2002-1054
1. Les parties au litige
1.1. Le Requérant
Le Requérant est la société Colle SA, Société Anonyme de droit français, ayant son siège social 36 rue la Boétie, 75008 Paris, France.
Le Requérant est représenté par Maître Pierre-Louis Dauzier, avocat au Barreau de Paris, SCP Chemouli Dauzier & Associés, 12 boulevard Raspail, 75007 Paris, France.
1.2. Le Défendeur
Le Défendeur est la société Editions et Publicités, Société Anonyme de droit français, ayant son siège social 109 la Canebière, 13001 Marseille, France.
Le Défendeur est représenté par Maître Julia Braunstein, avocat au Barreau de Marseille, SCP Braunstein-Chollet-Magnan, 16 rue de Breteuil, 13001 Marseille, France.
2. Le nom de domaine et l’unité d’enregistrement
2.1. Le nom de domaine litigieux est <france-villa.com>.
2.2. L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine litigieux a été enregistré est: Network Solutions, Inc. (US), 505 Huntmar Park Drive, Herndon, VA 20170, États-Unis d’Amérique.
2.3. Cette unité d’enregistrement a confirmé toutes les données du présent litige qui ont été présentées par le Requérant dans la plainte qu’il a formée devant l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle.
3. Rappel de la procédure
3.1. Une plainte a été déposée par la société Colle SA auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné l’"OMPI") en date du 15 novembre 2002, par courrier électronique et reçue sur support papier le 22 novembre 2002, et ce conformément aux Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après désignés "les Principes directeurs") adoptés et publiés par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN).
3.2. L’OMPI a accusé réception de la plainte le 15 novembre 2002.
3.3. Le 15 novembre 2002, l’OMPI a adressé la requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 21 novembre 2002.
3.4. Le 25 novembre 2002, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur.
3.5. Le 17 décembre 2002, l’OMPI notifiait le défaut du Défendeur.
3.6. Le 19 décembre 2002, l’OMPI recevait un courrier du Défendeur.
3.7. Le 20 décembre 2002, l’OMPI adressait un courrier au Défendeur.
3.8. Le 8 janvier 2003, l’OMPI accusait réception de la réponse hors délai du Défendeur, mais n’avait pas encore en sa possession les annexes.
3.9. Le 10 janvier 2003, l’OMPI notifiait la nomination de l’expert.
3.10. Le 10 janvier 2003, l’ensemble des pièces du présent litige était adressé à la Commission Administrative constituée d’un seul expert signataire des présentes.
3.11. Le 14 janvier 2003, l’OMPI adressait à la Commission Administrative, le mémoire en réplique du Requérant.
3.12. En application de l’article 11 des Règles d’application des Principes directeurs, la Commission décide que la langue de procédure est le français, dans la mesure où les deux parties sont de langue maternelle française et, qu’elles se sont exprimées en français dans leurs échanges de courriers et qu’elles résident en France.
4. Les faits
4.1. Monsieur Yannick Boisson, Président Directeur Général de la société Colle SA, a déposé les marques françaises suivantes:
- "Francevillas" n° 97 664890, déposée le 20 février 1997 en classes 16 et 36, pour désigner des "produits de l’imprimerie, revues journaux, périodiques, brochures, dépliants, catalogues, prospectus, location de villas";
- "Francevillas" n° 01 3 111 446, déposée le 13 juillet 2001, en classe 38 pour désigner les services de: "télécommunications, télécommunications multimédia, télécommunications par terminaux d’ordinateurs, par voies télématiques, radiophonique, télégraphique, téléphonique, par l’Internet; transmission de messages et d’images assistées par ordinateur; transmission d’informations par code télématique et par noms de domaine; transmission d’informations contenues dans des banques de données; consultation sur écrans d’informations à partir d’une banque de données; messagerie en ligne; services d’échange électronique de données; messagerie électronique; services de communication électronique et par ordinateurs; services de transmission d’informations par réseaux nationaux et internationaux de communication et de télécommunication, par l’Internet, l’Intranet, Extranet; services de fourniture d’accès à un réseau de télécommunication national et international".
4.2. La société Colle SA bénéficie d’une licence exclusive d’exploitation de la marque "Francevillas" n° 97 664 890 en vertu d’un contrat en date du 21 mars 1997, publié au Registre National des Marques le 9 juin 1997.
4.3. En outre, les termes "Francevillas" sont utilisés à titre de nom commercial depuis au moins le 4 février 1997, par la société Colle SA.
4.4. La société Colle SA possède également les noms de domaine <francevillas.com> enregistré le 18 mars 1997, et <france-villas.com> enregistré le 24 janvier 1999, et exploite un site internet à l’adresse suivante "www.france-villas.com".
4.5. Le Défendeur a enregistré le nom de domaine <france-villa.com> le 10 septembre 1999.
Il n’invoque aucun droit au titre de la dénomination sociale, du nom commercial, de l’enseigne ou encore un droit de marque sur la dénomination "france-villa".
4.6. Il est établi que le Défendeur a procédé à l’enregistrement de son nom de domaine auprès de NSI.
5. Moyen des parties
A. Les Requérants:
Le Requérant demande à la Commission administrative de rendre une décision ordonnant que le nom de domaine <france-villa.com> soit transféré à la société Colle SA.
Au soutien de sa plainte, sur le fondement du paragraphe 4.a)b)c) des Principes directeurs et paragraphe 3 des Règles d’application, il avance les arguments suivants:
5.1. Le nom de domaine litigieux <france-villa.com> est quasiment identique non seulement aux marques "Francevillas", mais également au nom commercial tel qu’utilisé depuis 1997, ou encore au nom de domaine <france-villas.com> sous lequel le Requérant exploite son site Internet.
En effet, l’absence de "s" à la fin de "villa" ne modifie en rien la perception tant visuelle que phonétique et plus encore intellectuelle du terme "france-villa".
5.2. Le Requérant et le Défendeur ont tous deux notamment pour activité la location saisonnière de villas de charme ce qui engendre un risque de confusion certain.
5.3. Le Défendeur ne justifie d’aucune marque ou dénomination d’aucune sorte qui comporterait le terme "Francevilla" ou "France-villa".
5.4. Il semble que le nom de domaine <france-villa.com> n’ait été déposé que pour profiter de son pouvoir attractif puisqu’il ne correspond à aucun site Internet, mais permet uniquement un renvoi vers le site correspondant à l’adresse: "www.abritel.com", laquelle héberge le site du Défendeur.
5.5. La mauvaise foi du Défendeur est démontrée par le fait d’avoir déposé le nom de domaine <france-villa.com> dans le seul but de permettre aux internautes interrogeant cette adresse d’être redirigés vers son site commercial.
Le Défendeur a donc sciemment tenté d’attirer à des fins purement lucratives les Internautes sur un site Internet lui appartenant en créant une probabilité de confusion avec le Requérant.
5.6. Par ailleurs, par un courrier électronique du 17 juillet 2002, le Défendeur proposait au Requérant un partenariat financier. Ce courrier électronique laisse à penser qu’outre le fait qu’initialement l’enregistrement du nom de domaine litigieux avait nécessairement pour seul objectif d’attirer la clientèle du Requérant, il est en outre devenu un moyen de monnayer un partenariat lucratif pour le Défendeur.
5.7. Enfin, le Défendeur n’a jamais répondu aux deux mises en demeure adressées par le Requérant.
5.8. En conséquence, le Requérant demande à la Commission administrative de rendre une décision ordonnant le transfert de l’enregistrement du nom de domaine, objet du litige.
B. Le Défendeur:
Le Défendeur, quant à lui, fait tardivement valoir les arguments suivants:
5.9. La marque "Francevillas" n° 01 311 446 a été déposée par Monsieur Yannick Boisson sans qu’aucune licence d’exploitation n’ait été concédée à la société Requérante.
Par ailleurs, le dépôt de cette marque est postérieur à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.
5.10. Concernant la marque "Francevillas" n° 97 664890, celle-ci revêt un caractère descriptif.
5.11. En outre, le Requérant ne peut opposer l’usage de la dénomination "Francevillas" à titre de nom commercial dans la mesure où la procédure d’arbitrage a uniquement vocation à régler les conflits entre nom de domaine et marques.
5.12. Le Défendeur ayant une activité d’offres de villas en France pour les vacances, il peut légitimement utiliser les termes descriptifs "france" et "villa".
A ce titre, le terme "villa" est un terme international, commun à grand nombre de pays européens.
5.13. Les termes "france" et "villa" sont fortement utilisés par la profession car ils sont représentatifs du produit offert comme le démontre le plus grand nombre de noms de domaine coexistant dans plusieurs pays.
5.14. Le caractère attractif du nom de domaine <france-villa.com> provient de sa généralité et de son caractère descriptif des services proposés.
En aucun cas, il ne peut être considéré que le caractère attractif est la conséquence d’une éventuelle notoriété de la marque de la société Requérante ou bien même de son nom commercial.
5.15. Le Défendeur fait donc un usage loyal du nom de domaine litigieux, sans intention de détourner, à des fins lucratives, les consommateurs en créant une confusion, mais simplement en permettant au consommateur désireux de trouver une location de villa en France de se rendre sur un site leader en la matière et présent sur le marché de la télématique depuis plus de quinze ans.
5.16. Le nom de domaine n’a pas été enregistré et n’est pas utilisé de mauvaise foi. Il est uniquement utilisé pour permettre aux internautes à la recherche d’offres de location de trouver un site correspondant à leurs besoins, sans qu’aucun désir de concurrence déloyale ne puisse être retenu.
5.17. Il n’y a pas d’abus de concurrence, mais simplement une coexistence entre des dénominations descriptives comme il est fréquent en matière de marques et comme a pu le préciser l’OMPI dans une décision où ont été en conflit une marque et un nom de domaine descriptifs (Case n° D2000-0489, France Telecom / Les Pages Jaunes francophones).
5.18. Le nom de domaine n’a pas été enregistré ou acquis essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au Requérant en tant que propriétaire de la marque "Francevillas".
519. Le nom de domaine n’a pas été enregistré en vue d’empêcher le Requérant de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, puisqu’un nom de domaine identique à la marque avait déjà été enregistré.
5.20. Concernant la proposition de partenariat lucratif, il s’agit d’un message électronique qu’un stagiaire du Défendeur a envoyé à de nombreuses sociétés travaillant dans la location immobilière afin d’envisager un partenariat.
5.21. Les sociétés en cause ne sont pas en situation de concurrence totale.
Le Requérant est une agence de voyages commercialisant des villas et est en relation directe avec les consommateurs.
En revanche, le Défendeur exerce une activité de publication par voie électronique d’offres de locations de vacances et est donc simplement éditrice d’un magazine électronique d’annonces.
5.22. Concernant la reprise du tiret, il s’agit d’une coïncidence.
5.23. L’enregistrement litigieux a seulement pour objet d’attirer une clientèle potentielle en utilisant une dénomination générique non susceptible d’appropriation exclusive.
6. Discussion
6.1. Le paragraphe 15 (a) des Règles prévoit que "la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément au Principe directeur aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu’elle juge applicable".
6.2. Au demeurant, le paragraphe 4 (a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver contre le Défendeur cumulativement que:
a) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion avec une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits;
b) il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache;
c) son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
6.3. En conséquence, il y a lieu de s’attacher à répondre à chacune des trois conditions prévues par le paragraphe 4 (a) des Principes directeurs.
a) Le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion avec une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits.
Si le Requérant ne peut en effet se prévaloir de la marque "Francevillas" n° 01 3 111 446 dans la mesure où, d’une part, il ne bénéficie d’aucune licence exclusive d’exploitation et que, d’autre part, celle-ci a été déposée postérieurement à l’enregistrement du nom de domaine litigieux, en revanche le Requérant peut légitimement opposer au Défendeur la marque "Francevillas" n° 97 664890 déposée le 20 février 1997, sur laquelle il bénéficie d’une licence exclusive d’exploitation en vertu d’un contrat en date du 21 mars 1997, publié au Registre National des Marques le 9 juin 1997.
Par ailleurs, il ressort de la comparaison de la marque "Francevillas" et du nom de domaine litigieux <france-villa.com> que les ressemblances tant visuelles, phonétiques qu’intellectuelles sont de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public.
En effet, le nom de domaine <france-villa.com> est identique à tout le moins similaire à la marque antérieure dont est licencié le Requérant, l’adjonction du suffixe ".com" et d’un tiret ne revêtant pas de caractère distinctif dans le domaine des services rendus sur Internet.
En outre, l’adjonction de ".com" et du tiret ainsi que l’omission de la lettre "s" sont inopérants dans la mesure où ces ajouts ou omissions ne confèrent pas au nouvel ensemble ainsi composé un sens nouveau de nature à éviter un risque de confusion avec la marque "Francevillas" (Décision OMPI n° D2000-0834, 4 septembre 2000, CBS Broadcasting Inc. c. Worldwideweb Inc.).
En conséquence, il y a lieu de considérer que le nom de domaine <france-villa.com> est identique ou à tout le moins similaire à la marque "Francevillas" exploitée par le Requérant.
Enfin, la Commission Administrative n’a pas compétence pour apprécier le caractère distinctif d’une marque, cette appréciation relevant de la seule compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire.
b) Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache.
Il ressort des éléments du dossier que le Défendeur n’a aucun droit de propriété intellectuelle ou autre sur la dénomination "France(-)villa".
En outre, il n’est pas établi que le Défendeur ait obtenu une quelconque autorisation du Requérant pour exploiter cette dénomination à titre de nom de domaine.
Le Défendeur ne saurait au surplus arguer du fait que les termes "france" et "villa" sont des termes génériques pour désigner tous services relatifs à la location de villas en France dès lors qu’aucune contrainte technique ni grammaticale n’obligeait le Défendeur à composer le nom de domaine litigieux selon la même structure que celle employée par le Requérant, à savoir en premier lieu, le mot "france", puis le mot "villa", les deux espacés d’un tiret.
En conséquence, la Commission considère que le Défendeur n’établit en rien l’existence d’un intérêt légitime à la détention du nom de domaine <france-villa.com>.
c) Le nom de domaine du Défendeur a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
La Commission constate que le Défendeur exerce depuis quinze ans en France une activité que l’on peut qualifier de concurrente de celle du Requérant.
En conséquence, il ne pouvait ignorer l’existence tant de la marque, du nom commercial que du nom de domaine "France-villas" et de l’exploitation sous ce dernier d’un site Internet.
Or, il est établi que la réservation d’un nom de domaine reprenant une marque dont le réservataire ne peut ignorer qu’elle appartient à un tiers constitue un enregistrement de mauvaise foi.
En outre, si les termes "france" et "villa" peuvent être considérés comme génériques pour désigner un service dédié à la location de villas en France, en revanche, rien n’imposait au Défendeur d’adopter pour la structure du nom de domaine litigieux la même composition grammaticale que la marque antérieure "France Villas".
En outre, aucun site n’est exploité sous l’adresse "www.france-villa.com", celle-ci ayant pour seul objet de rediriger les internautes sur le site "www.abritel.com" détenu et exploité par le Défendeur.
En conséquence, il apparaît que le Défendeur qui exerce une activité concurrente de celle du Requérant sous la dénomination principale "Abritel", en utilisant le nom de domaine litigieux, a sciemment tenté d’attirer à des fins lucratives les Internautes sur son site web en créant une confusion avec la marque du Requérant.
Or, le fait de rediriger un nom de domaine vers l’adresse d’un site concurrent est constitutif de mauvaise foi (Netwisard Inc. v. Spectrum Enters, WIPO case N° D2000-1768; AutoNation Inc.v. Paul Schaefer, WIPO case N° D2001-0289).
Il est indéniable que le Défendeur a ainsi entendu bénéficier des investissements du Requérant ayant permis l’exploitation et la promotion auprès du public tant de la marque "Francevillas" que du site "www.france-villas.com".
En conséquence, la Commission appréciant souverainement les faits au regard des éléments qui lui sont rapportés et des pièces qui ont été versées aux débats, considère que le Défendeur a bien procédé au dépôt et exploité le nom de domaine <france-villa.com> de mauvaise foi.
7. Décision
7.1. Les conditions posées à l’article 4 a) des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine étant réunies, la Commission administrative décide en conséquence le transfert du nom de domaine <france-villa.com> au profit de la société Colle SA.
Isabelle Leroux
Expert Unique
Daté: Le 23 janvier 2003