Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Viacom International, Inc. contre Véronique Mistrali
Litige n° D2005-0501
1. Les parties
Le Requérant est Viacom International, Inc., New York, Etats-Unis d’Amérique, représenté par Cabinet Beau de Loménie, France.
Le Défendeur est Véronique Mistrali, Biarritz, France.
2. Noms de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne les noms de domaine suivants :
<doralexploratrice.com> et <doralexploratrice.net>.
Les deux noms de domaine ont été enregistrés le 3 janvier 2004.
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est Gandi SARL.
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par Viacom International, Inc. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 6 mai 2005.
En date du 9 mai 2005, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement des noms de domaine litigieux, Gandi SARL, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 20 mai 2005.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 20 mai 2005, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 9 juin 2005. Le défendeur a fait parvenir sa réponse le 23 mai 2005.
En date du 8 juin 2005, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Nathalie Dreyfus. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
4. Les faits
Le Requérant est titulaire de l’enregistrement de marque communautaire DORA THE EXPLORER No 1312016 déposée le 16 septembre 1999 et régulièrement enregistrée. Il est également titulaire de dépôts ou d’enregistrement de cette marque dans de nombreux pays du monde.
Cette marque est utilisée comme titre d’un dessin animé qui donne également lieu à la commercialisation de produits dérivés.
En France, cette série est diffusée sous le nom de DORA L’EXPLORATRICE depuis au moins septembre 2002.
Le Défendeur a enregistré les noms de domaine litigieux <doralexploratrice.com> et <doralexploratrice.net> le 3 janvier 2004. Ces noms de domaine ne renvoient pas vers des pages actives. Le Défendeur a précisé qu’il souhaitait créer un site informatif pour les enfants sur le dessin animé, à des fins personnelles et a proposé de transférer au Requérant les noms de domaine en litige moyennant la somme forfaitaire de 6 000 euros.
C’est dans ces conditions que la présente procédure a été engagée.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
Le Requérant fait valoir qu’il est titulaire de droits sur la marque DORA THE EXPLORER. Il précise que celle-ci fait l’objet d’une exploitation publique et notoire en tant que titre d’un dessin animé qui donne lieu également à la commercialisation de produits dérivés.
Le Requérant ajoute que les noms réservés sont identiques au titre sous lequel la série est diffusée en France. Il expose que ces noms de domaine prêtent à confusion avec les marques dont le Requérant est titulaire puisqu’ils n’en constituent que la traduction, parfaitement accessible au public, dans la mesure où l’on y retrouve DORA et un terme commençant par les syllabes EXPLOR.
Le Défendeur n’a pas de lien juridique avec le Requérant et ne bénéficie d’aucune autorisation lui permettant de faire usage des noms réservés. A ce titre, le Défendeur n’a aucun droit sur les noms de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.
Le Requérant conclut que l’enregistrement des noms de domaine litigieux par le défendeur constitue une atteinte à ses droits.
B. Défendeur
Le Défendeur reconnaît avoir enregistré les deux noms de domaine en litige.
Le Défendeur fait valoir qu’il a procédé à la réservation de ces noms de domaines dans le but de créer un site informatif pour les effets du dessin animé, sans aucun but spéculatif. Son projet n’a pu aboutir pour des raisons personnelles.
Le Défendeur a été contacté par le Requérant pour obtenir le transfert amiable des noms de domaine. Le Défendeur a formulé une proposition financière de 6 000 euros pour céder les droits sur les noms de domaine en litige. Le Défendeur estime être de bonne foi puisqu’il a enregistré ces noms à des fins personnelles sans mauvaise intention et qu’il n’a tiré aucun profit de ces noms de domaine.
6. Discussion et conclusions
Le paragraphe 15(a) des Règles d’application prévoit que “la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément au Principes directeurs aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu’elle juge applicable”.
Au demeurant, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver contre le défendeur cumulativement que :
(a) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le requérant a des droits;
(b) il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache;
(c) son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
En conséquence, il y a lieu de s’attacher à répondre à chacune des trois conditions prévues par le paragraphe 4(a) des Principes directeurs.
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
La charge de la preuve de droits sur la marque reproduite dans le nom de domaine incombe au Requérant.
L’Expert constate que le Requérant justifie uniquement être titulaire entre autres de la marque communautaire DORA THE EXPLORER No 1312016, déposée le 16 septembre 1999 et régulièrement enregistrée.
L’Expert estime que la marque DORA THE EXPLORER n’est pas identique au signe DORA L’EXPLORATRICE.
Néanmoins, l’Expert constate que le terme d’attaque entre les deux signes est le même : DORA. Or, il est clairement établi que les syllabes d’attaque sont celles qui attirent le plus l’attention du consommateur. En outre, l’Expert constate que les noms de domaine litigieux constituent simplement la traduction en français de la marque DORA THE EXPLORER dont le Requérant est titulaire et dont il a établi un usage public.
La traduction de la marque DORA THE EXPLORER par DORA L’EXPLORATRICE correspond précisément au titre du dessin animé, tel que diffusé en France.
L’Expert est d’avis que les noms de domaine litigieux constituent la simple traduction de la marque DORA THE EXPLORER en langue française. Par ailleurs, le dessin animé est connu en France dans le milieu concerné des enfants sous l’appellation DORA L’EXPLORATRICE (Litige OMPI n° D2004-0279 Compagnie Générale des Établissements Michelin - Michelin & Cie. contre Graeme Foster).
En conséquence, l’Expert considère que les noms de domaine litigieux sont similaires aux marques dont le Requérant est titulaire et qu’il exploite au point de prêter à confusion avec celles-ci.
B. Droits ou légitimes intérêts
Il ressort des éléments du dossier que le Défendeur ne dispose d’aucun droit privatif sur le signe DORA L’EXPLORATRICE. Le Défendeur n’a pas de lien juridique avec le Requérant et ne bénéficie d’aucune autorisation lui permettant de faire usage des noms de domaine litigieux. Le Défendeur allègue qu’il souhaitait utiliser les noms de domaine objet du litige pour un site personnel. Néanmoins, il n’a présenté aucune preuve requise par le paragraphe 4(c)(iii).
L’Expert en conclut que le Défendeur ne justifie d’aucune utilisation de bonne foi des noms de domaine, ni d’aucun droit dans l’utilisation de ce nom de domaine.
En conséquence, l’Expert considère qu’il est établi que le Défendeur ne dispose d’aucun intérêt légitime pour la détention et l’utilisation des noms de domaine <doralexplotrice.net> et <doralexploratrice.com>.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
Il ressort des éléments communiqués que le Défendeur a enregistré des noms de domaine imitant les marques DORA THE EXPLORER, largement connue du public concerné anglophone et connu d’un certain public France sous le titre du dessin animé DORA L’EXPLORATRICE.
Résidant en France, le Défendeur ne pouvait prétendre ne pas connaître le titre d’émission DORA L’EXPLORATRICE/DORA THE EXPLORER était enregistrée en tant que marque ou qu’à tout le moins ce signe ne pouvait être librement utilisé.
Or, il est établi que la réservation de noms de domaine reprenant une marque dont le réservataire ne pouvait ignorer qu’elle appartient à un tiers constitue un enregistrement de mauvaise foi.
Ainsi, l’Expert considère que le nom de domaine a été enregistré de mauvaise foi.
En effet, le Défendeur a dans un premier temps proposé les noms de domaine à la vente pour la somme forfaitaire de 6 000 euros. Il a ensuite réitéré cette proposition de revente et ce après été informé par le Requérant de l’existence de ses droits antérieurs et de sa volonté de voir les noms de domaine transférés à titre amiable. Le fait de chercher à vendre les noms de domaine litigieux constitue un usage suffisant pour montrer la mauvaise foi même s’il n’est pas fait d’autre usage du site et même si le Défendeur a attendu passivement que le Requérant prenne contact pour faire une offre d’achat.
L’Expert estime qu’il est démontré que le Défendeur n’a jamais entendu faire une exploitation légitime des noms de domaine, un usage purement lucratif. L’absence d’intention mercantile n’a pas été démontrée par le Défendeur. Par ailleurs, l’offre à la vente pour 6 000 euros est clairement un prix excédant le montant des frais déboursés par le Défendeur en relation avec les noms de domaine litigieux.
Ainsi, l’Expert estime que l’usage des noms de domaine de mauvaise foi est également établi.
En conséquence, l’Expert considère que la preuve de l’enregistrement et de l’usage de mauvaise foi est établie.
7. Décision
Les conditions posées à l’article 4a) des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine étant réunies, l’Expert ordonne en conséquence le transfert au profit du Requérant des noms de domaine <doralexploratrice.com> et <doralexploratrice.net>.
Nathalie Dreyfus
Expert Unique
Le 22 juin 2005