Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DECISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Elior contre Monsieur Muhammed Genc
Litige n° D2007-0797
1. Les parties
Le Requérant est la société Elior, Paris, France, représentée par Clifford Chance Europe LLP.
Le Défendeur est Monsieur Muhammed Genc, Goussainville, France.
2. Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine <elior.org>.
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Key-Systems GmbH.
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par Elior auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) le 31 mai 2007.
En date du 1er juin 2007, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Key-Systems GmbH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 8 juin 2007.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 13 juin 2007, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour le Défendeur pour faire parvenir une réponse était le 3 juillet 2007. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 5 juillet 2007 le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 16 juillet 2007, le Centre nommait dans le présent litige comme Expert Unique Nathalie Dreyfus. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
4. Les faits
Le Requérant est propriétaire de nombreuses marques ELIOR, dont notamment :
- enregistrement de marque française ELIOR du 8 juin 1990, n° 1 596 242 en classes 16, 35, 36, et dûment renouvelée;
- enregistrement de marque française ELIOR du 14 décembre 1993, n° 93 496 583 en classes 35, 36, et 43 et dûment renouvelée;
- enregistrement de marque française ELIOR n° 98 764 862 du 17 décembre 1998 en classes 9, 16, 29, 30, 31, 32, 33, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41 et 42;
- enregistrement de marque communautaire ELIOR n° 1221480 du 16 juin 1999 en classes 16, 29, 35, 36 et 42.
Par ailleurs, le Requérant est titulaire des noms de domaines <elior.com>, <elior.fr> et <elior.info> réservés en 1998 et en 2001.
Le Défendeur a déposé le nom de domaine <elior.org> en date de 2 juin 2006.
Après avoir eu connaissance du nom de domaine litigieux, le Requérant a adressé le 4 décembre 2006 au Défendeur, une lettre recommandée avec accusé de réception, aux fins d’obtenir le transfert du nom de domaine litigieux. A cette occasion, le Requérant a pu constater que le nom de domaine litigieux était proposé à la vente sur le site internet correspondant. Les parties se sont entretenues téléphoniquement le 12 décembre suivant. Le Défendeur a alors proposé par courrier électronique du 12 décembre 2006 de céder le nom de domaine le nom de domaine <elior.org> pour la somme de EUR 5.300.
Une nouvelle lettre de mise en demeure a été adressée le 10 janvier 2007 demandant le transfert immédiat du nom de domaine. En réponse, le Défendeur a à nouveau proposé de céder le nom de domaine litigieux pour un montant de EUR 5.300.
C’est dans ces conditions que le Requérant a introduit la présente procédure.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
Le Requérant présente l’argumentation suivante, après avoir précisé que la marque ELIOR jouit d’une grande notoriété tant en France, qu’à l’étranger.
1. Le nom de domaine est identique ou semblable, au point de prêter à confusion, avec des marques sur lesquelles le Requérant a des droits.
Le Requérant expose également que le Requérant détient des droits sur sa dénomination sociale Elior par immatriculation au Registre du Commerce et des Sociétés.
Le Requérant précise aussi qu’il est propriétaire de trois noms de domaine contenant la marque ELIOR, <elior.com>, <elior.fr> et <elior.info>.
Au vu de ces éléments, le Requérant estime que le nom de domaine litigieux <elior.org> constitue la reproduction à l’identique des marques et noms de domaine antérieurs de la Requérante, l’adjonction du suffixe “.org” étant inopérante à faire disparaître l’atteinte.
Le Requérant souligne en outre que la réservation du nom de domaine <elior.org> est, en droit français, susceptible de constituer un acte de contrefaçon de marques et de concurrence déloyale, respectivement sanctionnés par les dispositions du Livre VII du Code de la propriété intellectuelle et par les articles 1382 et 1383 du Code Civil.
2. Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.
Le Requérant expose que le Défendeur n’est pas connu sous le nom de domaine <elior.org>, ni titulaire d’une marque française, communautaire ou internationale ELIOR.
Le Requérant souligne d’ailleurs que sur le site litigieux “www.elior.org”.figure la mention :
“Ce nom de domaine n’est pas utilisé comme marque et n’est pas un site actif utilisant une marque déposée”.
En outre, il est mentionné que :
“Si vous avez simplement enregistré le nom de domaine, sans l’utiliser, il sera délicat de le défendre contre une marque même postérieure.”
Le Requérant en conclut que le Défendeur reconnait que son nom de domaine ne peut être maintenu dès lors qu’il porte atteinte à ses marques et signes distinctifs.
3. Le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
Pour le Requérant, le fait que le nom de domaine ait été réservé dans le but d’être cédé afin de réaliser un profit financier est un signe évident de la mauvaise foi du Défendeur, d’autant plus que ce dernier ne dispose d’aucun droit sur le nom de domaine.
B. Défendeur
Le Défendeur n’a pas présenté d’observations dans le cadre de la présente procédure. Il est en conséquence défaillant.
6. Discussion et conclusions
Selon le paragraphe 15(a) des Règles d’application : “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable”.
Par ailleurs, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver cumulativement que :
(a) le nom de domaine du Défendeur est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits;
(b) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et
(c) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
En conséquence, il convient de répondre à chacune des trois conditions prévues par le paragraphe 4(a) des Principes directeurs.
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
Il ressort des éléments communiqués à l’Expert que le Requérant est titulaire de nombreux enregistrements de marques ELIOR tant en France, qu’à l’étranger.
Le nom de domaine <elior.org> reproduit intégralement le vocable “elior” avec la simple adjonction du suffixe “.org”, non protégeable en tant que tel.
En conséquence, l’Expert considère que le nom de domaine litigieux constitue l’imitation de la marque ELIOR de telle sorte que le risque de confusion pour l’internaute est établi.
Ainsi, le nom de domaine <elior.org> du Défendeur est similaire à la marque du Requérant au point de prêter à une confusion avec celle-ci au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.
B. Droits ou légitimes intérêts
Dans la mesure où le Défendeur n’a pas répondu à la plainte formée contre lui, il n’a donc apporté à l’Expert aucun élément qui démontrerait ses droits où son intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux (Sydney Airport Corporation Limited v. John Crilly, Litige OMPI n° D2005-0989).
Conformément aux dispositions du paragraphe 14(a)(b) des Principes directeurs, l’Expert statue donc au vu des seuls éléments qui lui ont été transmis par le Requérant.
Il ressort des éléments communiqués que le Défendeur n’est titulaire d’aucun droit de marque sur le vocable “elior”.
Le Défendeur ne justifie d’aucune utilisation du nom de domaine <elior.org>, ni d’aucun préparatif en vue de son exploitation.
A ce titre, l’Expert relève que le Défendeur affirme lui-même sur le site internet vers lequel le nom de domaine pointe que : “….Ce nom de domaine n’est pas utilisé comme marque et n’est pas un site actif utilisant une marque déposée.”
En conséquence, la Commission considère que le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine <elior.org> au sens du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
En application du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, le Requérant doit non seulement démontrer que le nom de domaine litigieux a été enregistré, mais aussi utilisé de mauvaise foi.
Il s’agit de conditions cumulatives (voir Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI n° D2000-0003).
Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs fournit une liste non-exhaustive de circonstances constituant un enregistrement et un usage de mauvaise foi d’un nom de domaine.
Au vu des pièces versées au dossier, il ne fait pas de doute que la marque ELIOR est connue par le public pour son activité dans le domaine de la restauration, particulièrement en France où le Défendeur réside.
Le Requérant a également prouvé être titulaire, en France et ailleurs, d’un grand nombre d’enregistrements de marques ELIOR.
L’Expert note, de surcroît, que sur le site internet du Défendeur ce dernier affirme :
“….Ce nom de domaine n’est pas utilisé comme marque et n’est pas un site actif utilisant une marque déposée.
Donc le nom de domaine est simplement enregistré et n’a pas d’utilisation frauduleuse ni de mauvaise foi.”
Le Défendeur reconnait ainsi savoir que le vocable “elior” était enregistré en tant que marque ou qu’au moins ce vocable ne pouvait être librement utilisé.
En raison des éléments précités, il est manifeste que le Défendeur connaissait la marque ELIOR lors de l’enregistrement du nom de domaine <elior.org>.
Or, la réservation d’un nom de domaine reprenant une marque dont le réservataire ne pouvait ignorer qu’elle appartient à un tiers, constitue un enregistrement de mauvaise foi (Compagnie Générale des Etablissements Michelin – Michelin et Cie c/ EUROSTATIC Ltd., Litige OMPI n°DFR2005-0013 ; ACCOR c/ Eurolinked Sarl, Litige OMPI n° D2005-0861).
L’Expert estime que la condition de l’enregistrement de mauvaise foi est réalisée.
La question de savoir si le nom de domaine litigieux a été utilisé de mauvaise foi par le Défendeur est plus délicate.
En effet, le nom de domaine a été enregistré par le Défendeur le 2 juin 2006 et était lié à un site inactif, plus précisément à une page web affichant à l’origine le message suivant :
“Un nom de domaine est susceptible de constituer une antériorité opposable à une marque en vertu de l’article L. 711-4 du Code la Propriété Intellectuelle, in fine. Cela étant, pour la plupart des tribunaux, il faudra que ce dernier soit réellement exploité par son titulaire au travers d’un site Internet actif.
En l’occurrence, si vous exploitez votre nom de domaine pour identifier un site relatif au secteur d’activité des entreprises (de restauration), vous pouvez opposer son antériorité sur la marque de la société de restauration.
Si celle-ci persiste dans son action, vous pourrez former une demande reconventionnelle en nullité de marque pour indisponibilité du signe.
Si vous avez simplement enregistré le nom de domaine, sans l’utiliser, il sera délicat de le défendre contre une marque même postérieure.
Ce nom de domaine n’est pas utilisé comme marque et n’est pas un site actif utilisant une marque déposée.
Donc le nom de domaine est simplement enregistré et n’a pas d’utilisation frauduleuse ni de mauvaise foi.”
Depuis lors, le nom de domaine <elior.org> pointe vers une page éditant le message suivant :
“Ce nom de domaine n’est pas utilisé comme marque et n’est pas un site actif utilisant une marque déposée.
Donc le nom de domaine est simplement enregistré et n’a pas d’utilisation frauduleuse, ni de mauvaise foi.
“www.elior.com
Voici la preuve!
Je ne suis de mauvaise foi!!”
Le Défendeur a donc établi un lien vers le site officiel “www.elior.com” du Requérant.
La question suivante doit dès lors être tranchée : le fait que le nom de domaine <elior.org> dirige vers une page web dans laquelle le Défendeur soutient que le nom de domaine litigieux a simplement été enregistré et ne fait l’objet d’aucune utilisation est-il suffisant pour admettre que ce nom de domaine a été utilisé de mauvaise foi par le Défendeur?
Le Défendeur souhaite ainsi se retrancher derrière les dernières jurisprudences de la Cour de Cassation française et en particulier de l’affaire Locatour (arrêt n° 1672 du 13 décembre 2005 Cour de Cassation Chambre Commerciale). La Cour a en effet notamment estimé que le simple enregistrement d’un nom de domaine ne constituait pas une atteinte à un droit de marque antérieur en l’absence de la preuve d’un risque de confusion résultant de l’exercice d’activités identiques ou concurrentes.
Si des règles de droit national peuvent être prises en considération par des commissions administratives, elles ne sont pas décisives dans le contexte d’une procédure administrative en application des Principes directeurs. En effet, l’Expert doit se déterminer non en application des dispositions du Code français de la propriété intellectuelle, mais en fonction des Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine, des Règles d’application des Principes directeurs, et des Règles supplémentaires de l’OMPI qui sont applicables aux litiges concernant les noms de domaine en “.com”.
Au regard des Principes directeurs, il a été admis dans la décision Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI n° D2000-0003, qu’un usage passif peut être admis. Toutefois, dans cette affaire, la Requérante avait tenté à maintes reprises de contacter le Défendeur avant de déposer une plainte. L’impossibilité d’identifier le Défendeur et la difficulté pour le contacter ont été des arguments de poids pour conclure à l’usage de mauvaise foi.
En l’espèce, selon le Requérant, le Défendeur a dès l’origine cherché à vendre le nom de domaine litigieux en demandant au Requérant la somme de EUR 5.300, ce qui est bien supérieur aux simples frais de réservation. Le Défendeur a ainsi tenté de profiter de la notoriété dont le Requérant jouit sur le plan national.
Par ailleurs, l’Expert relève que le Défendeur affiche désormais un lien pointant vers le site officiel du Requérant, “www.elior.com”, entretenant ainsi un risque de confusion dans l’esprit des internautes.
En outre, le fait de maintenir la réservation du nom de domaine litigieux prive le titulaire de la marque ELIOR de son droit légitime d’enregistrer un nom de domaine correspondant à sa marque.
Enfin, il est difficile d’imaginer que le nom de domaine litigieux puisse être utilisé de manière légitime par le Défendeur, c’est-à-dire sans créer de confusion avec les enregistrements de marques ELIOR de la Requérante.
En conséquence, au vu des éléments précités, l’Expert considère que le nom de domaine <elior.org> a été enregistré et utilisé de mauvaise foi au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.
7. Décision
Conformément aux conditions posées par l’article 4(i) des Principes directeurs et 15 des règles d’application, la Commission administrative ordonne le transfert du nom de domaine <elior.org> au Requérant.
Nathalie Dreyfus
Expert Unique
Le 27 juillet 2007