WIPO

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Migros-Genossenschafts-Bund contre Andrew Myers

Litige n° D2008-0092

 

1. Les parties

La Requérante est Migros-Genossenschafts-Bund, Zurich, Suisse, représentée par Baker & McKenzie, Suisse.

Le Défendeur est Andrew Myers, Genève, Suisse.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <bancomigros.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Key-Systems GmbH dba domaindiscount24.com.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Migros-Genossenschafts-Bund auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 23 janvier 2008.

En date du 24 janvier 2008, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Key-Systems GmbH dba domaindiscount24.com, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 25 janvier 2008. Le 29 janvier 2008, united-domains AG, le revendeur de noms de domaine pour l’unité d’enregistrement, confirma que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine était le français, ce dont la Requérante a été informée le jour même. La Requérante a par conséquent soumis une traduction de sa plainte en français, dans le délai imparti par le Centre.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 13 février 2008, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 4 mars 2008. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 3 mars 2008.

En date du 14 mars 2008, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Pierre Olivier Kobel. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

 

4. Les faits

La Requérante est une entreprise très connue en Suisse par ses activités diverses. La Requérante est d’abord et avant tout la première chaine de supermarchés de Suisse dans les domaines alimentaire et non-alimentaire. Elle offre aussi de nombreux services, tels que voyages, cours de formation en tous genres, services bancaires, services immobiliers, etc. Dans le domaine bancaire, la Requérante offre ses services sous l’enseigne de Banque Migros, MigrosBank, Banca Migros, selon les régions linguistiques de Suisse.

La Requérante a enregistré nombre de marques afin de couvrir ses nombreuses activités. Elle est notamment titulaire des marques suivantes :

- BANCAMIGROS, marque suisse No. P-414501 avec priorité au 20 janvier 1958,

- BANCAMIGROS, marque internationale ayant pour base la marque ci-dessus et couvrant l’Italie,

- BANQUE MIGROS, marque suisse No. P-414502 avec priorité au 20 janvier 1958,

- BANQUE MIGROS, marque internationale No. 631422 ayant pour base la marque ci-dessus et couvrant le Benelux et la France,

- MIGROS, marque suisse de service No. P-415060 enregistrée le 27 septembre 1994,

- MIGROS, marque internationale de service No. 637252 ayant pour base la marque ci-dessus, et couvrant un grand nombre de pays,

- MIGROS, marque communautaire de produits et de services No. 000744912 enregistrée le 26 juillet 2000,

et de nombreuses autres marques semi-figuratives comportant le nom Migros.

En Suisse, la marque MIGROS est une marque de haute renommée, considérée par le public comme une des plus fiables et dignes de confiance.

Le Défendeur est titulaire du nom de domaine litigieux depuis le 2 avril 2007. Il n’exploite aucun site sous ce nom de domaine.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérante

La Requérante explique avoir d’abord appris l’existence du nom de domaine enregistré par le Défendeur <bancamigros.com>, identique à sa marque BANCAMIGROS. Elle s’adressa par écrit au Défendeur le 9 février 2007, afin de l’informer de ses droits sur la marque et mettre le Défendeur en demeure de cesser d’utiliser le nom de domaine <bancamigros.com>.

La Requérante explique, pièces à l’appui que le Défendeur offrit de lui vendre ledit nom de domaine pour un prix tenant compte :

“a) de la taille de votre erreur stratégique [en n’enregistrant pas ledit nom de domaine],

b) de l’importance évidente que ce nom a pour votre entreprise,

c) de l’intérêt évident de la concurrence pour acheter ce nom,

d) des dépenses juridiques impliquées pour essayer de maîtriser, récupérer et surveiller ce nom, surtout si j’acceptais de le vendre à un tiers étranger,

e) de mon travail pour avoir acheté, renouvellé (sic) et gardé ce nom,

f) de mes efforts pour aider à corriger l’erreur stratégique de la Migros, et,

g) de mon effort de renonciation à cette propriété.

Je suis persuadé que la Migros comprendra ma position concilliante (sic) et saura profiter aujourd’hui de l’opportunité que je lui présente de posséder ce nom de domaine. Je reste donc dans l’attente d’une offre très sérieuse et concrète.”

Après plusieurs échanges de courriels, les parties se sont finalement entendues pour un transfert dudit nom de domaine pour le prix de CHF 5’000. Les parties signèrent une convention au mois d’août 2007, par laquelle le Défendeur transférait le nom de domaine <bancamigros.com> à la Requérante, moyennant preuve de quoi, la Requérante paierait la somme de CHF 5’000.

Une fois la transaction exécutée, le Défendeur informa la Requérante en date du 9 novembre 2007, de ce qu’il détenait le nom de domaine litigieux soit <bancomigros.com> : “Par ailleurs, en relisant nos listes, nous nous sommes aperçu (sic) que nous détenons aussi le nom bancomigros.com, que nous pourrions aussi vous transférer.”

La Requérante expose, pièces à l’appui, que le nom de domaine litigieux avait été enregistré par le Défendeur au mois d’avril 2007, soit après qu’il ait reçu la lettre de mise en demeure du 9 février 2007 et pendant les négociations sur le rachat de <bancamigros.com>.

La Requérante expose pour le surplus que le nom de domaine litigieux est pratiquement identique à sa marque BANCAMIGROS, que le Défendeur n’a aucun intérêt légitime ni droit sur le nom de domaine litigieux, n’ayant strictement aucun lien avec la Requérante et que l’enregistrement et l’utilisation dudit nom de domaine est de mauvaise foi.

B. Défendeur

Dans sa réponse, le Défendeur ne conteste pas les explications de la Requérante concernant les circonstances de la vente du nom de domaine <bancamigros.com>. Il ne conteste pas non plus avoir adressé un message le 9 novembre 2007 offrant de vendre le nom de domaine litigieux à la Requérante.

Le Défendeur se dit propriétaire légitime du nom de domaine litigieux. Il conteste à la Requérante tout droit sur le nom de domaine litigieux dans la mesure où elle n’est pas titulaire d’une marque identique Banco Migros.

Selon le Défendeur, la Requérante ne serait pas intéressée par le nom de domaine litigieux puisqu’elle ne l’a pas enregistré, mais ne procéderait que par harcèlement à son égard, usant de son pouvoir et de sa taille.

Le Défendeur expose qu’il n’y a pas de typo-squatting ou de confusion possible par erreur typographique car la touche de la lettre “a” serait à l’opposé de la touche pour la lettre “o” sur un clavier d’ordinateur, de sorte qu’une erreur typographique serait impossible. Il expose que revendiquer des droits sur la base d’une erreur portant sur une seule lettre reviendrait à revendiquer des droits sur 11 variations, le mot composant le nom de domaine litigieux étant formé de 11 lettres.

Sans offrir de preuve de son allégation, le Défendeur expose qu’il vendait des produits avant le litige et n’avait pas eu le temps de publier ses articles au moyen du nom de domaine, mais entendait publier la vente d’articles en gros ou en semi gros qui ne seraient pas en compétition avec la Migros. Il expose que, de son avis, le fait que la Requérante n’ait pas enregistré le nom de domaine litigieux ne pouvait être que l’expression de son désintérêt pour ledit nom de domaine compte tenu de ses services informatiques puissants.

Le Défendeur conteste utiliser la marque Banco Migros ou le nom de domaine litigieux. Il estime que l’utilisation dudit nom de domaine n’a aucune incidence sur les activités de la Requérante car l’Internaute qui arriverait par mégarde sur ce site [par ailleurs inexistant (c’est nous qui rajoutons)] s’en apercevrait immédiatement. Il conteste utiliser le nom de domaine pour une activité concurrente qui puisse prêter à confusion ou qui soit contraire à l’étique (sic) et estime ne pas avoir détourné de consommateurs en créant de confusion. Enfin, il n’aurait jamais mis le nom de domaine litigieux en vente publique.

Il estime que l’offre de reprise gratuite du nom de domaine litigieux par la Requérante est inacceptable et conclut à ce que la Requérante soit déboutée de ses conclusions, sa demande constituant un abus de procédure administrative.

 

6. Discussion et conclusions

Conformément au paragraphe 4.a) des Principes directeurs, le titulaire d’un nom de domaine est tenu de se soumettre à une procédure administrative au cas où un tiers fait valoir que i) le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits; ii) le titulaire n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache et, iii) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Lorsque la partie requérante apporte la preuve que ces conditions sont remplies, la commission administrative prononce la radiation ou le transfert du nom de domaine litigieux en fonction des conclusions prises par la partie requérante. En l’espèce, la Requérante requiert le transfert à son profit du nom de domaine litigieux.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

De jurisprudence constante, la simple variation d’une lettre, généralement qualifiée de typo-squatting, n’exclut pas le risque de confusion avec une marque. Ce n’est que lorsque cette variation affecte de façon importante les éléments caractéristiques de la marque de sorte que le risque de confusion peut être écarté, que le typo-squatting peut rester sans conséquence juridique du point de vue des marques. Le seul fait que les touches de caractères soient éloignées sur un clavier n’empêche en rien les erreurs typographiques et par voie de conséquence, le typo-squatting.

En l’espèce, l’élément caractéristique du nom de domaine <bancomigros.com> et de la marque enregistrée par la Requérante BANCAMIGROS est l’élément “Migros”, lequel ne subit aucune variation entre la marque et le nom de domaine litigieux. Seul change l’élément purement descriptif qualifiant les services rendus par la Requérante, lequel apparait dans la marque avec un “a” à la fin et dans le nom de domaine litigieux avec un “o” à la fin.

De surcroît, la marque MIGROS est une marque de haute renommée en Suisse. En relation avec des services bancaires, cette marque est de façon inhérente distinctive. Le risque de confusion résultant de l’identité entre les éléments caractéristiques de la marque d’une part et du nom de domaine litigieux d’autre part est donc patent.

Il résulte de ce qui précède qu’un risque de confusion certain existe entre la marque BANCAMIGROS enregistrée par la Requérante et le nom de domaine litigieux.

B. Droits ou légitimes intérêts

La Requérante a exposé que le Défendeur n’avait aucun lien d’aucune nature avec elle, ce que le Défendeur ne conteste pas.

Le seul fait que la Requérante ait omis d’enregistrer le nom de domaine litigieux ne signifie pas que le Défendeur ait sur ledit nom de domaine des droits ou des intérêts légitimes. Si tel était le cas, il n’y aurait pas place pour aucune procédure de règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine telle que l’UDRP adoptée par l’ICANN le 26 août 1999 et à laquelle le Défendeur s’est soumis en enregistrant le nom de domaine litigieux.

Les allégations du Défendeur selon lesquelles celui-ci entendrait commercialiser des produits en gros ou en semi-gros, sans toutefois que ceux-ci soient en concurrence avec la banque Migros, ne se fondent sur aucune preuve. Elles ne peuvent donc être retenues.

Enfin, le seul fait que tout Internaute pourrait s’apercevoir de sa méprise en utilisant le nom de domaine litigieux ne constitue pas un droit ou un intérêt légitime portant sur le nom de domaine litigieux. Cet argument est par ailleurs sans pertinence puisqu’aucun site n’est exploité par le Défendeur sous le nom de domaine litigieux.

En raison de l’inexistence d’aucun lien de quelque nature que ce soit entre la Requérante et le Défendeur, inexistence non contestée par ce dernier, et de l’absence de preuve contraire de droits ou d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux de la part de ce dernier, la Commission retient que la Requérante a effectivement démontré l’absence d’intérêt légitime ou de droit du Défendeur sur le nom de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Conformément au paragraphe 4.b) lit. ii) des Principes directeurs, la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut résulter de la démonstration par les faits que la partie défenderesse a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais que le défendeur peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec le nom de domaine litigieux.

En l’espèce, le Défendeur ne conteste ni le contenu ni les circonstances des négociations qui ont eu lieu avec la Requérante en relation avec le nom de domaine <bancamigros.com> enregistré par le Défendeur en violation des droits de la Requérante.

Le Défendeur ne conteste pas non plus avoir enregistré le nom de domaine litigieux au mois d’avril 2007 alors qu’il avait déjà reçu une lettre de mise en demeure l’informant de la marque BANCAMIGROS appartenant à la Requérante et que des négociations étaient en cours en vue du transfert du nom de domaine <bancamigros.com>. L’enregistrement du nom de domaine litigieux a donc été effectué de mauvaise foi.

Le Défendeur ne conteste pas non plus avoir informé la Requérante du nom de domaine litigieux et le lui avoir offert en transfert, une fois la transaction concernant le nom de domaine <bancamigros.com> exécutée seulement. Or, le prix de transfert requis par le Défendeur pour le nom de domaine <bancamigros.com> dépasse très largement les simples frais d’enregistrement et de maintien dudit nom de domaine. C’est en effet à un marchandage que le Défendeur s’était livré au sujet du nom de domaine <bancamigros.com>, utilisant au maximum la capacité de nuisance du cyber-squatting effectué sur le nom de domaine <bancamigros.com>.

“Je vous suggère de me faire une proposition d’achat économiquement sérieuse du nom bancamigros.com en tenant compte a) de la taille de votre erreur stratégique [en n’enregistrant pas ledit nom de domaine], b) de l’importance évidente que ce nom a pour votre entreprise, c) de l’intérêt évident de la concurrence pour acheter ce nom;

d) des dépenses juridiques évidentes impliquer pour essayer de maîtriser, récupérer et surveiller ce nom, surtout si j’acceptais de le vendre à un tiers étrangers, e) de mon travail pour avoir acheté, renouvellé (sic) et gardé ce nom, f) de mes efforts pour aider à corriger l’erreur stratégique de la Migros, et, g) de mon effort de renonciation à cette propriété.

Je suis persuadé que la Migros comprendra ma position concilliante (sic) et saura profiter aujourd’hui de l’opportunité que je lui présente de posséder ce nom de domaine. Je reste donc dans l’attente d’une offre très sérieuse et concrète.”

Or, le procédé qui consiste ainsi précisément à négocier la vente d’un nom de domaine violant les droits d’une partie pour un prix dépassant manifestement les seules dépenses relatives à l’enregistrement et le maintien dudit nom de domaine, tout en cachant à cette partie avoir enregistré pendant les négociations un autre nom de domaine pratiquement identique, pour tenter de le lui vendre une fois la transaction complétée, constitue en soi une utilisation de mauvaise foi caractéristique d’un nom de domaine au sens du paragraphe 4.b lit. i) des Principes directeurs. Il s’agit là d’une activité de cyber-squatting typique, contre laquelle les Principes directeurs ont été adoptés.

Le fait que le Défendeur n’ait pas constitué de site concurrent des activités de la Requérante, par exemple afin de détourner des consommateurs à des fins lucratives en créant une confusion est, dans le cadre du paragraphe 4.b) lit. i), sans pertinence. Il en va de même du fait que le Défendeur n’ait pas mis publiquement en vente le nom de domaine litigieux. A ce sujet, il convient de relever que le Défendeur avait dans le cadre des négociations ayant abouti au transfert du nom de domaine <bancamigros.com>, menacé la Requérante d’un transfert à des tiers, voire à des concurrents pour augmenter le prix de transfert du nom de domaine. Il ne saurait être question de bonne foi du Défendeur dans de telles circonstances.

La Requérante a donc établi à satisfaction de droit la mauvaise foi du Défendeur sur le nom de domaine litigieux.

 

7. Décision

Conformément aux paragraphes 4.a), 4.b) lit. i) et 4.i) des Principes directeurs et 15 des règles, la Commission ordonne le transfert du nom de domaine <bancomigros.com> à la Requérante.


Pierre Olivier Kobel
Expert Unique

Le 28 mars 2008