WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

SAS Carte Bleue contre Housing Invest Society S.A., Christiaens Alain

Litige n° D2010-0536

1. Les parties

Le requérant est SAS Carte Bleue, Paris, France, représenté par Inlex Conseil, France.

Le défendeur est Housing Invest Society S.A., Christiaens Alain, Rombach-Martelange, Luxembourg.

2. Noms de domaine et unité d'enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine <ma-carte-bleue.com> et <ma-carte-bleu.com>.

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est OVH.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par SAS Carte Bleue auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 8 avril 2010.

En date du 9 avril 2010, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige. Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 4 mai 2010, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 24 mai 2010. Le défendeur n'a fait parvenir aucune réponse. En date du 25 mai 2010, le Centre notifiait le défaut du défendeur.

En date du 3 juin 2010, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique le professeur François Dessemontet. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

4. Les faits

Le requérant est une société immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris depuis mars 2002 sous la dénomination SAS Carte Bleue et utilisant Carte Bleue comme nom commercial. Cette société est bien connue en France dans le domaine des cartes bancaires de particuliers et des cartes bancaires professionnelles, et elle détient de nombreuses marques et de nombreux noms de domaine contenant les termes CARTE BLEUE seuls ou en association avec d'autres éléments (voir le site “www.cartebleue.com”). Les premiers produits et les services bancaires CARTE BLEUE avaient été lancés en 1967 afin de permettre aux clients d'un groupe de banques françaises de retirer leur argent déposé en compte et de le dépenser. A cette occasion, les banques promotrices de la carte avaient enregistré en avril 1967 la marque CB CARTE BLEUE. Cette marque a été cédée au Groupement Carte Bleue qui l'a apporté à la SAS carte bleue dans le cadre d'un apport partiel d'actifs intervenu le 1er octobre 2002.

Les produits et services CARTE BLEUE bénéficient d'une grande notoriété en France car la SAS Carte Bleue est l'un des principaux acteurs dans le domaine des cartes bancaires, tant pour les particuliers que pour les entreprises.

D'ailleurs, la SAS Carte Bleue accompagne les établissements financiers et les banques dans les phases de conception de cartes de paiement de la gamme Carte Bleue.

Cette structure propose à ses clients les services suivants :

- Appui marketing et commercial sur la gamme Carte Bleue.

- Gestion et promotion de la marque Carte Bleue.

- Support et exploitation systèmes.

- Veille technologique et marketing.

- Développement de nouveaux produits et services.

A ce jour le nombre de cartes bancaires CARTE BLEUE s'établit à plus de 34 millions et le nombre de transactions réalisées au moyen de cartes de la gamme CARTE BLEUE est de plus de 4, 99 milliards.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le requérant relève qu'il est titulaire de nombreuses marques comportant l'indication CARTE BLEUE:

1. Marque communautaire CARTE BLEUE n° 000 710 467 déposée le 24 mars 1999

2. Marque communautaire CARTE BLEUE n° 000 707 067 déposée le 18 juin 1999

3. Marques communautaires CARTE BLEUE n° 4714127 / n° 4714135 / n°4714101 / n° 4714085 de 2005

4. Marques françaises CARTE BLEUE: n° 1 391 091 déposée en avril 1967, n° 710467 déposée en décembre 1997, n° 92423680 déposée en juin 1992, n° 96645267 déposée en juin 1996, n° 053389090 (semi figurative) – du 25 octobre 2005, N° 053389086 (semi figurative) – du 28 octobre 2005, n° 053389094 (semi figurative) – du 28 octobre 2005, n° 053389087 (with device) – du 28 octobre 2005;

5. Les noms de domaine suivants:

<cartebleue.com>, <cartebleue.fr>,<cartebleue.net>, <cartebleue.biz>, <cartebleue.info>, <cartebleue.org>, <cartebleue.com>, <carte-bleue.fr>, <carte-bleue.net>, <carte-bleue.biz>,<cartebleue.info>, <carte-bleue.org>, <carte-bleue.eu>, <cartebleue.eu>.

Le requérant souligne au surplus que des commissions administratives de l'OMPI ont reconnu la notoriété de la marque CARTE BLEUE comme bien établie, notamment dans la décision SAS Carte Bleue contre Association des Amis des Malades de l'Hôpital Cochin , Litige OMPI No. D2005-1147 par laquelle les experts ont ordonné le transfert des noms de domaine <cartesbleues.com>, <cartes-bleues.com>, <cartes-bleues.net> et <cartesbleues.net> au profit du requérant au présent litige , ainsi que dans la décision SAS Carte Bleue v. Business Affiliation Ltd, Litige OMPI No. D2006-1583 sur les noms de domaine <cartebleue-suisse.com> et <cartebleue-anonyme.com>.

Dans la présente cause, le requérant mentionne en outre que les noms de domaine en litige <ma-carte-bleue.com> et <ma-carte-bleu.com> - sont quasiment identiques au signe CARTE BLEUE tel que protégé par le requérant. En effet, l'ajout du pronom possessif “ma” et, pour le deuxième nom de domaine, le retrait de la lettre “e” à la fin du terme “bleu” ne permettent pas de distinguer les signes en présence. Dès lors seul l'élément CARTE BLEUE retiendra l'attention du consommateur, qui en outre connaît cette dénomination en tant que marque, dénomination sociale et nom de domaine.

Le requérant note encore que le défendeur n'a pas requis de droit de marque sur la dénomination en cause et qu'il n'a pas acquis de réputation quelconque à ce propos, par exemple par une utilisation au travers d'une communication intense impliquant ce nom de domaine. Le défendeur n'a ni licence ni autorisation quelconque pour utiliser la dénomination CARTE BLEUE ou un nom de domaine la reprenant.

Enfin, le défendeur n'exploite pas un site actif, ce qui indiquerait sa mauvaise foi. Il est difficilement concevable que le défendeur ne profite pas de la renommée de la marque du requérant car des recherches internet très nombreuses vont référencer son site.

Le requérante note finalement qu'en tant que prestataire de services financiers, il se doit d'être vigilant afin d'éviter toute confusion entre ses activités et celles d'autrui, et ne peut tolérer un piratage de son nom de domaine, même sous une forme légèrement modifiée.

B. Arguments du défendeur

Le défendeur a fait défaut et ne présente donc aucune argumentation à l'appui de son enregistrement des noms de domaine litigieux.

6. Discussion et conclusions

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Il est certain que les noms de domaine présentent avec les marques du requérant une similitude extrême qui prête à confusion.

D'une part, le premier nom de domaine en litige est identique à la marque déposée sauf pour l'adjonction sans pertinence de “.com” et celle de l'adjectif possessif “ma”. Il ne fait aucun doute que les consommateurs attribueront à une politique de communication moderne dont le mérite et l'initiative seront attribués au seul requérant l'idée de faire précéder la marque proprement dite de cet adjectif possessif, qui pourrait avoir pour effet de rendre la carte bancaire plus proche et plus conviviale. Le consommateur considérera donc que le requérant et nul autre a ouvert le site en cause.

D'autre part, le second nom de domaine en litige ne se distingue de la marque déposée que par l'omission du “e” final dans l'expression “ma-carte-bleu”. Or de telles erreurs typographiques volontaires constituent évidemment un cas de piraterie parasitaire, puisque les moteurs de recherche et peut-être même bon nombre de lecteurs ne les remarquent guère.

La confusion des consommateurs est d'autant plus probable qu'une carte bancaire CARTE BLEUE est un objet de la vie courante, souvent reconnaissable à son graphisme, et pour l'orthographe précise de laquelle il est peu réaliste de penser que quiconque s'intéresse dans la vie quotidienne.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le défendeur a fait défaut. En fait, il ne ressort pas du dossier ou de faits notoires que le défendeur disposerait d'un droit ou d'un intérêt légitime quelconque à l'usage de la dénomination CARTE BLEUE.

En conséquence, et en tenant compte les conclusions de la Commission administrative subséquemment sous le troisième élément de l'UDRP, la Commission administrative considère que la deuxième condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le défendeur sis au Luxembourg ne peut pas avoir ignoré l'existence de la dénomination CARTE BLEUE, qui est répandue en France depuis 33 ans. Il s'agit certainement d'une marque de haute renommée, dont la pénétration dans la vie quotidienne est attestée par le nombre élevé des porteurs de cette carte, plus de 33 millions, et le nombre des transactions allégué, plus de 4, 9 milliards. Devant un tel comportement, et faute d'explications quelconques du défendeur qui a fait défaut dans la présente procédure, la Commission administrative conclura que la mauvaise foi du défendeur est certaine en ce qui concerne tant l'enregistrement du nom de domaine que son usage.

Au moment de l'enregistrement des noms de domaine en cause, le défendeur a sans doute vérifié la disponibilité des noms de domaine “carte bleue”. Ce faisant, il est impossible que le défendeur n'ait pas noté la présence de nombreux noms de domaine enregistrés par le requérant. Il semble évident que le défendeur a intentionnellement choisi ces noms de domaine très légèrement modifiés afin de contourner l'indisponibilité de la graphie originale.

Dans l'usage du nom de domaine, il existe simplement un reroutage à un site qui ne paraît pas offrir de rapports quelconques avec une activité bancaire. On ne voit pas quel intérêt légitime le défendeur pourrait alléguer pour utiliser les noms de domaine en litige, tandis qu'on perçoit bien son intérêt illégitime de se raccrocher parasitairement et de mauvaise foi à la notoriété de la dénomination CARTE BLEUE en raison des référencements très nombreux que donneront les moteurs de recherche.

7. Décision

Conformément au paragraphe 4.i) des Principes directeurs, pour les raisons indiquées dans la partie V ci-dessus, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine <ma-carte-bleue.com> et <ma-carte-bleu.com> soient transférés au requérant.


Professeur François Dessemontet
Expert Unique

Le 12 juin 2010