Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Lan Airlines S.A. contre Frédéric Piechon

Litige n° D2012-1425

1. Les parties

Le Requérant est Lan Airlines S.A., Santiago, Chili, représentée par Gonzalo Sanchez-Serrano, Chili.

Le Défendeur est Frédéric Piechon, Alenya, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <latamairlinesgroup.com> (“le Nom de Domaine”).

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le Nom de Domaine est enregistré est OVH.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Lan Airlines S.A. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 12 juillet 2012.

En date du 13 juillet 2012, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du Nom de Domaine litigieux, OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. A la même date, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige. Le 20 juillet 2012 le Requérant a déposé la plainte en français en réponse à une notification du Centre en date du 19 juillet 2012 concernant la langue de la procédure.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d’application"), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 23 juillet 2012, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 12 août 2012. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 14 août 2012, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 29 août 2012, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Jacques de Werra. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

Le paragraphe 11(a) des Règles d’application prévoit que, sauf convention contraire, la langue de la procédure entre les parties est celle du contrat d’enregistrement. Toutefois, la Commission administrative peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative.

En l’espèce, l’unité d’enregistrement auprès de laquelle le Nom de Domaine a été enregistré a informé le Centre le 13 juillet 2012 que la langue du contrat d’enregistrement était le français. La plainte ayant été déposée en espagnol par le Requérant le 12 juillet 2012, ce dernier a déposé une plainte en français le 20 juillet 2012, après avoir été notifié par le Centre le 19 juillet 2012 et avoir choisi l’option de déposer la plainte en français. Dans la plainte déposée en français, le Requérant sollicite toutefois que que la langue de la procédure soit l´espagnol, en raison du fait que le Requérant est une société domiciliée au Chili, et que l´unité d’enregistrement du nom de domaine est la société OVH, société d´origine et de langue espagnole.

La Commission administrative considère qu’il n’y a pas lieu de déroger à la règle prévue au paragraphe 11(a) des Règles d’application qui prévoit que, sauf convention contraire, la langue de la procédure entre les parties est celle du contrat d’enregistrement, soit le français. En effet, le Requérant a démontré sa maîtrise du français par le dépôt de la plainte en français, le Défendeur et l’unité d’enregistrement étant pour leur part localisés en France.

4. Les faits

Le Requérant est une société chilienne active dans le domaine du transport aérien de passagers et de fret qui a fait l’objet d’une fusion avec la compagnie aérienne brésilienne TAM SA.

Ce projet de fusion et la raison sociale de la nouvelle société « LATAM AIRLINES GROUP » ont été largement médiatisés sur le plan international en août 2010, cette fusion créant en effet la plus grande compagnie aérienne latino-américaine.

Le Requérant est titulaire de multiples marques enregistrées dans de nombreux pays en lien avec ses activités et notamment d’une marque verbale européenne (Community Trademark) LATAM AIRLINES No. 009351271, enregistrée le 19 avril 2011, pour des services dans les classes 35, 37, 38 et 39 (“la Marque”).

Le Nom de Domaine a été enregistré le 14 décembre 2011. Il est utilisé dans le cadre d’un programme de parking de noms de domaine et comporte des liens pointant vers des sites de concurrents du Requérant (soit d’autres compagnies aériennes).

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant soutient en premier lieu que le Nom de Domaine est similaire au point de créer une confusion avec la Marque du Requérant, le choix du Nom de Domaine ne pouvant s’expliquer que par la connaissance de la création du Requérant résultant de la fusion des deux sociétés et ne résultant ainsi aucunement d’une coïncidence.

Le Requérant indique ensuite que le Défendeur n’a aucun droit ni aucun intérêt légitime sur le Nom de Domaine, car il n’est pas connu du marché sous le nom “latamairlines”, ni n’est titulaire d´aucune marque enregistrée avec cette dénomination, ni a été autorisé par le Requérant à faire usage ou à exploiter cette marque.

Le Requérant soutient enfin que le Nom de Domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur dès lors qu’en tant que particulier le Défendeur n´a aucun droit d´enregistrer comme nom de domaine, la Marque, profitant ainsi du capital de propriété intellectuelle, de la réputation et la notoriété du Requérant. Le Requérant allègue que le Défendeur est de mauvaise foi car le contenu offert en lien avec le Nom de Domaine est en relation directe avec le cœur de l´activité commerciale du Requérant, puisqu´il cherche à dévier les consommateurs et la potentielle clientèle intéressée par les services de voyage du Requérant, en l´entraînant vers un site Internet différent, ce qui constitue un acte parasitaire. Le Requérant indique aussi que le Défendeur serait disposé à vendre le Nom de Domaine pour la somme de USD 32'000.-

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu à la plainte.

6. Discussion et conclusions

Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par celui-ci, à savoir:

(i) si le Nom de Domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits;

(ii) si le Défendeur n’a aucun droit sur le Nom de Domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

(iii) si le Défendeur a enregistré et utilisé le Nom de Domaine de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Commission administrative constate que le Requérant a établi être titulaire de la Marque qui porte sur les termes LATAM AIRLINE, notamment en Europe et particulièrement en France où le Défendeur est situé, la Marque jouissant au demeurant d’un caractère distinctif et d’une notoriété dans le domaine du transport aérien. La Commission administrative relève que le Nom de Domaine est composé de ces deux termes (qui correspondent à la Marque) auquel est ajouté le terme descriptif “group”, l’adjonction de ce terme correspondant à la raison sociale de la nouvelle société Latam Airlines Group. Comme unanimement constaté par d’autres commissions administratives, l’adjonction d’un terme générique à une marque n’est pas susceptible d’écarter le risque de confusion, mais peut parfois au contraire augmenter un tel risque. Voir, par exemple, Dr. Ing. h.c. F. Porsche AG v. Vasiliy Terkin, Litige OMPI No. D2003-0888.

Tel est précisément le cas en l’occurrence, vu que l’adjonction du terme “groupe” à la Marque correspond précisément à la raison sociale de la nouvelle société.

Dans ces circonstances, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou légitimes intérêts

Si la charge de la preuve de l’absence de droits ou intérêts légitimes du défendeur incombe au requérant, les commissions administratives considèrent qu’il est difficile de prouver un fait négatif. Il est donc généralement admis que le requérant doit établir prima facie que le défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Il incombe ensuite au défendeur d’établir le contraire. S’il n’y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes. Voir Denios Sarl contre Telemediatique France, Litige OMPI No. D2007-0698.

En l’espèce, la Commission administrative constate que le Requérant a établi prima facie que le Défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le Nom de Domaine, en démontrant que le Défendeur n’est pas titulaire d’une quelconque marque correspondant au Nom de Domaine et qu’il n’est en outre pas connu sous ce nom. Le Requérant n’a en outre jamais autorisé ni accordé au Défendeur de droit ou de licence pour l’exploitation ou l’usage d’un site Internet. Le Défendeur ne fait en outre pas un usage non commercial légitime ou un usage loyal du Nom de Domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause. Au contraire, le Requérant a établi que le Nom de Domaine est utilisé à des fins commerciales par la présence de liens commerciaux pointant vers des sites de tiers offrant des services concurrents à ceux offerts par le Requérant. Sur cette base, la Commission administrative est convaincue qu’il appartient au Défendeur d’établir qu’il a un droit ou un intérêt légitime sur le Nom de Domaine.

En l’espèce, la Commission administrative constate tout d’abord que le Défendeur n’a pas contesté les affirmations du Requérant ni fourni d’informations de nature à démontrer un quelconque droit ou intérêt légitime à l’utilisation du Nom de Domaine.

La Commission administrative relève en outre que le terme “latam” qui correspond à la partie initiale et distinctive de la Marque du Requérant est distinctif en lien avec des services de transport aérien de sorte que l’enregistrement par le Défendeur du Nom de Domaine qui comporte ces termes comme élément distinctif ne peut être le fruit du hasard, ce d’autant moins que cet enregistrement est intervenu postérieurement à l’annonce médiatique de la création de la nouvelle entité Latam Airlines Group. La Commission administrative relève à cet égard que le Défendeur n’est pas affilié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à utiliser la Marque du Requérant dans le Nom de Domaine.

Dans cette mesure, force est de constater que le Défendeur n’utilise pas le Nom de Domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services pas plus qu’il ne fait un usage non commercial légitime ou loyal du Nom de Domaine.

La Commission administrative estime sur cette base que le Défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le Nom de Domaine et que, partant, la seconde condition figurant au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est également remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Aux fins du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la commission administrative, par les circonstances ci-après:

(i) les faits montrent que le titulaire du nom de domaine a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais que vous pouvez prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine;

(ii) le titulaire du nom de domaine a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et il est coutumier d’une telle pratique;

(iii) l e titulaire du nom de domaine a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou

(iv) en utilisant ce nom de domaine, le titulaire du nom de domaine a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.

La Commission administrative constate que le Requérant a démontré les faits - qui n’ont pas été contestés par le Défendeur - permettant de considérer que le Défendeur ne pouvait pas ignorer l’existence des services et de la Marque du Requérant au moment de l’enregistrement du Nom de Domaine qui est intervenu le 14 décembre janvier 2011, soit plusieurs mois après l’annonce de la création du groupe Latam Airlines Group, de sorte que la Commission administrative peut en conclure que le Nom de Domaine a été enregistré de mauvaise foi par le Défendeur, ce d’autant que le site associé au Nom de Domaine comporte des liens pointant vers des sites offrant des services de transport aérien concurrents à ceux offerts par le Requérant.

La Commission administrative est en outre convaincue que le Défendeur utilise le Nom de Domaine de mauvaise foi dès lors qu’il l’exploite commercialement notamment par le biais de liens commerciaux concernant des produits et services qui concurrencent ceux offerts par le Requérant.

Dans ces circonstances, l’utilisation du Nom de Domaine faite par le Défendeur confirme que ce dernier exploite indûment le nom et la réputation du Requérant ainsi que la Marque en utilisant le Nom de Domaine à des fins commerciales dans l’intention de promouvoir des produits et services concurrents à ceux offerts par le Requérant.

La Commission administrative peut dès lors en conclure que le Défendeur a enregistré et utilise de mauvaise foi le Nom de Domaine et que la troisième condition figurant au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est ainsi remplie.

7. Décision

Pour les raisons précédentes, conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine <latamairlinesgroup.com> soit transféré au Requérant.

Jacques de Werra
Expert Unique
Le 9 septembre 2012