Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
MMA Iard Assurances Mutuelles contre Eric François
LITIGE N° D2012-2136
1. Les parties
Le Requérant est MMA Iard Assurances Mutuelles de Le Mans, France, représenté par Cabinet Laurent & Charras, France.
Le Défendeur est Eric François de Chatou, France.
2. Noms de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne les noms de domaine <mma-prejudice-moral-economique.com>, <mma-zero-blabla-publicite-mensongere.com> et <mma-zero-tracas-publicite-mensongere.com>.
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est Gandi SARL.
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par MMA Iard Assurances Mutuelles auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 26 octobre 2012. En date du 26 octobre 2012, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Gandi SARL, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 26 octobre 2012, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 7 novembre 2012, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 27 novembre 2012. Le défendeur a fait parvenir sa réponse le 26 novembre 2012.
En date du 10 décembre 2012, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Martine Dehaut. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’applicatioNo. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’applicatioNo.
En date du 30 novembre 2012, le Requérant a déposé au Centre des observations additionnelles auxquelles le Défendeur a répondu en date du 3 décembre 2012.
En date du 7 décembre 2012, le Défendeur a déposé auprès du Centre des observations additionnelles.
4. Les faits
Le Requérant, la société française MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES (ci-après MMA), exerce ses activités dans le domaine des assurances. Ce groupe a plus de 180 ans d’existence et sa clientèle compte plus de 3 millions d’individus en France.
Dans le cadre de ses activités, le Requérant est notamment titulaire des droits suivants:
- Marques françaises verbale et semi-figurative MMA no. 07 3 545 787 du 21 décembre 2007 et no. 99 781 216 du 17 mars 1999, visant une vaste gamme de produits et services, y compris les services d’assurances de la classe 36;
- Marques françaises verbales ZERO TRACAS, ZERO BLABLA no. 99 780 936 du 16 mars 1999 et no. 09 3 695 996 visant là encore une gamme très vaste de produits et services, dont les services d’assurance naturellement;
- Marque française verbale ZERO TRACAS no. 01 3 115 301 du 3 août 2001, visant des produits et services des classes 16, 28, 36 et 41.
Le Requérant est par ailleurs titulaire de plusieurs noms de domaine, dont <mma.fr> et <zerotracas.com>, lesquels hébergent ses sites Internet.
Le Défendeur, Monsieur Eric François, est un particulier également établi en France. Monsieur François est en relation depuis plusieurs années avec MMA, pour le compte de sa mère, dans le cadre d’un différend né sur l’exécution d’un contrat d’assurance souscrit auprès de celle-ci.
Les noms de domaine litigieux, <mma-prejudice-moral-economique.com>, <mma-zero-blabla-publicite-mensongere.com>, et <mma-zero-tracas-publicite-mensongere.com>, ont été réservés le 19 septembre 2012. Ces noms de domaine ne sont pas actifs.
5. Argumentation des parties
Comme indiqué dans le rappel de la procédure, les parties ont déposé des observations supplémentaires au soutien de leurs prétentions, après l’expiration des délais qui leur étaient impartis. Conformément aux règles en vigueur, il appartient à la Commission administrative de déterminer l’admissibilité de ces nouvelles observations, en veillant naturellement au respect d’une équité totale entre les parties.
En l’espèce et dans le respect d’une gestion rigoureuse de la procédure, la Commission administrative estime que les arguments exposés tant dans la plainte du Requérant que dans la réponse du Défendeur lui permettent de prendre position, sans qu’il soit nécessaire de tenir compte des observations supplémentaires déposées par chaque partie. La Commission administrative souhaite notamment écarter l’argument exposé par le Requérant selon lequel les éléments contenus dans la réponse du Défendeur constituerait des faits nouveaux. En effet, il apparaît clairement à la lecture du dossier que Monsieur François est en litige depuis de nombreuses années avec la société MMA, et cette dernière ne pouvait ignorer le lien manifeste entre ledit litige et la réservation des noms de domaine litigieux. Partant, il lui était parfaitement loisible d’anticiper le contenu de la réponse du Défendeur à cet égard.
A. Requérant
Le Requérant estime que les trois critères définis aux Principes directeurs sont emplis en l’espèce, et partant sollicite le transfert des trois noms de domaine litigieux.
S’agissant d’une part de la similitude des marques et noms de domaine susceptible de prêter à confusion, la Requérant relève, en substance, que les noms de domaines litigieux sont construits sur un modèle identique, qui consiste à reproduire en position d’attaque sa marque MMA, à l’accompagner le cas échéant de la marque ZERO TRACAS ou ZERO BLABA, et à y adjoindre des mentions génériques “publicité mensongère”, ou “préjudice moral économique”.
Concernant par ailleurs l’absence de droit ou d’intérêt légitime du Défendeur, le Requérant indique notamment ce qui suit: “la marque MMA est connue en France pour protéger des services d’assurances. Le défendeur ne pouvait pas ignorer l’existence des marques du requérant, en sorte que le défendeur n’a aucun intérêt légitime au regard des noms de domaine objets de la présente plainte, qui ne peuvent conduire qu’à une perception péjorative des consommateurs. Le principe de la liberté d’expression n’autorise pas le défendeur à enregistrer des noms de domaine comportant les marques du requérant, fussent-ils associés à d’autres termes descriptifs”.
MMA considère, enfin, que les noms de domaine litigieux ont été enregistrés et utilisés de mauvaise foi, et ce “compte tenu de la notoriété des marques du requérant et de l’association de ses marques avec des termes avilissants”. Le Requérant insiste notamment sur le fait que l’absence d’exploitation des noms de domaine litigieux reproduisant la marque notoire MMA est constitutive de mauvaise foi.
B. Défendeur
Le Défendeur concentre l’ensemble de ses observations sur le litige qui l’oppose au Requérant dans le cadre de l’exécution d’un contrat d’assurance souscrit par ses parents.
Les circonstances de ce litige sont en tout état de cause totalement étrangères à la présente procédure, de sorte qu’il n’est pas pertinent d’en exposer les tenants et aboutissants.
Il est néanmoins utile de reproduire ici l’extrait suivant de la réponse de Monsieur François: “Le Défendeur demande à pouvoir conserver les 3 noms de domaine en objet aux fins de pourvoir attirer l’attention jusqu’à ce que les MMA honorent les vertus vantées par leur “célèbre slogan Zéro Tracas, Zéros Blabla”(…). C’est-à-dire jusqu’à ce que les MMA cessent de tromper le conjoint survivant et lui fassent connaître la méthodologie exhaustive et les subtilités de détermination de son préjudice économique”.
6. Discussion et conclusions
Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant d’apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement:
- Le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits;
- Le Défendeur ne dispose d’aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et
- Le nom de domaine est enregistré et utilisé de mauvaise foi.
La Commission administrative examine ci-après le bien fondé de l’argumentation des parties sur ces trois points.
La présente affaire soulève des questions délicates liées à l’enregistrement et à l’usage de noms de domaine à des fins de critiques. Dans ce domaine il existe une jurisprudence UDRP relativement abondante, mais pas nécessairement uniforme. De fait, il existe des divergences d’opinion sur la qualification – ou non – de cybersquatting vis-à-vis des sites auxquels il est généralement fait référence par le suffixe ”sucks”, employé dans le sens de “mauvais”, “nul”. En l’espèce l’Expert va s’attacher à déterminer, sur la base des circonstances exactes de l’affaire et sans se limiter à des considérants de principe, s’il est justifié d’ordonner le transfert des noms de domaine litigieux au Requérant en application des critères cumulatifs énoncés ci-dessus.
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
Tel qu’énoncé dans les Principes directeurs, la similitude entre les marques du Requérant et les noms de domaine litigieux doit être de nature à “prêter à confusion”. Il s’agit dès lors d’une exigence plus importante qu’une simple similitude. Cette précision n’est pas neutre s’agissant des noms de domaine comprenant l’expression d’une critique, et qui partant ne risquent pas d’être perçus par le public comme provenant du titulaire légitime des marques antérieures.
Confronté aux noms de domaine litigieux <mma-prejudice-moral-economique.com>, <mma-zero-tracas-publicite-mensongere.com>, et <mma-zero-blabla-publicite-mensongere.com>, il est évident que le public va y percevoir:
- D’une part, une référence aux marques bien connues du Requérant. A cet égard il ne fait aucun doute, comme rappelé dans le jugement du tribunal de grande instance de Dole du 21 avril 2010 joint à la plainte, que le sigle MMA est une marque notoire dans le domaine des assurances, en France. De même que jouit d’une forte notoriété le slogan “ZERO TRACAS, ZERO BLABLA”, qui est récurrent dans la communication du Requérant depuis de nombreuses années.
- D’autre part, l’expression d’une critique, qui laisse présumer que les sites Internet hébergés sous ces adresses vont être exploités afin de pouvoir exprimer un mécontentement, des reproches vis-à-vis du Requérant.
La référence explicite, immédiatement perceptible aux marques du Requérant suffit-elle à la reconnaissance d’une similitude prêtant à confusion? D’aucuns estiment que tel n’est pas le cas, dans la mesure où les mentions accompagnant les marques du Requérant indiquent clairement que ce site ne peut pas émaner du Requérant lui-même, et qu’il est exploité, ou va être exploité, à des fins de critique.
La Commission administrative considère toutefois, en l’espèce, que le premier critère est satisfait. Partir du postulat de principe selon lequel l’adjonction à une marque de mentions critiques, insultantes, diffamatoires, etc. empêcherait les titulaires de droits de combattre de nombreux cas de cybersquatting justifiant un transfert ou une annulation des noms de domaines litigieux.
Dans ces conditions, il y a lieu de considérer qu’il existe une similitude prêtant à confusion entre les marques MMA, ZERO TRACAS, ZERO BLABLA, d’une part, et les noms de domaine litigieux <mma-prejudice-moral-economique.com>, <mma-zero-tracas-publicite-mensongere.com>, et <mma-zero-blabla-publicite-mensongere.com>, au sens de la disposition commentée. Nous préciserons, à titre surabondant, que l’expression d’une critique n’apparaît pas à l’évidence s’agissant du nom de domaine litigieux <mma-prejudice-moral-economique>: il n’est pas inenvisageable de considérer que celui-ci pourrait héberger un site Internet Officiel du Requérant, dédié par exemple à la présentation d’offres relatives à l’indemnisation de certains type de préjudices. De même qu’il ne peut pas être totalement exclu qu’un nom de domaine associant une marque à l’expression “publicité mensongère” provienne du titulaire de la marque et ait pour fonction de mettre en garde les usagers contre la circulation de publicités mensongères.
B. Droits ou légitimes intérêts
Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs énumère de manière non-exhaustive un certain nombre de circonstances de nature à établir les droits ou l’intérêt légitime du défendeur sur le nom de domaine telles que:
(i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet,
(ii) le défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services, ou
(iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.
L’analyse de l’existence d’un droit ou d’un intérêt légitime du Défendeur est décisive dans l’examen des procédures UDRP mettant en jeu des noms de domaine hébergeant des sites Internet de critique. Elle est souvent délicate à mener, et la présente espèce en constitue une nouvelle illustratioNo.
Sur le principe, il est parfaitement acquis que l’Internet constitue un véhicule pertinent pour recueillir, exprimer et diffuser une opinion, un mécontentement. Et il est tout aussi acquis que, pour la mise en œuvre de cette critique, les individus peuvent légitimement réserver et exploiter des noms de domaine, y compris des noms de domaine reproduisant des marques de tiers, sous réserve naturellement de respecter un certain nombre de conditions sur lesquels nous reviendrons dans les développements ci-après. De fait, la réservation de noms de domaine comportant les marques de tiers est admise dans de nombreuses autres situations, y compris à des fins commerciales (à titre d’illustration, voir les décisions rendues dans les affaires Human Resource Certification Institute v. Tridibesh Satpathy, Edusys, Litige OMPI No. D2010-0291, et Intuit, Inc. v. Privacyprotect.org / Niveditha.G, Cosmic IT Services Pvt. Ltd, Litige OMPI No. D2011-1714).
La jurisprudence majoritaire – mais non uniforme, encore une fois (voir à titre d’illustration, la décision rendue dans l’affaire Towers on the Park Condominium v. Paul Adao, Litige OMPI No. D2012-1054, et également dans l’affaire Technion-Israel Institute of Technology v. Anonymous / Whois Privacy Protection Service, Inc. / Technionteams Whistleblower, Litige OMPI No. D2011-0887) – considère que peut difficilement exciper d’un intérêt légitime le défendeur qui a réservé des noms de domaine consistant uniquement en la marque critiquée (voir notamment l’affaire Compagnie de Saint Gobain v. Com-Union Corp, Litige OMPI No. D2000-0020). Puisqu’en effet, une telle pratique est susceptible de générer une confusion pour le public, et parallèlement elle prive le titulaire des droits de noms de domaine dont on pourrait estimer que la titularité lui correspondrait.
Dans la présente espèce, et comme rappelé dans les développements relatifs à la similitude des marques et des noms de domaine, on peut objectivement considérer que les noms de domaine litigieux sont destinés à l’expression d’une critique. Dans la plupart des affaires et compte tenu de l’influence de la culture anglo-saxonne, les sites Internet de critique sont hébergés sous des noms de domaine associant la marque critiquée et le vocable “sucks” . Mais il existe de nombreuses autres variantes, et le choix du signe réservé à titre de nom de domaine appartient uniquement au réservataire (voir, par exemple, les affaires Amylin Pharmaceuticals, Inc. v. Watts Guerra Craft LLP, Litige OMPI No. D2012-0486, ou Covance, Inc. and Covance Laboratories Ltd. v. The Covance Campaign, Litige OMPI No. D2004-0206).
Dans ces conditions, de l’avis de la Commission administrative, la réservation des noms de domaine litigieux <mma-prejudice-moral-economique.com>, <mma-zero-tracas-publicite-mensongere.com>, et <mma-zero-blabla-publicite-mensongere.com> peut avoir une apparente légitimité, à tout le moins au regard de la procédure UDRP: le Défendeur, dont les parents sont clients du Requérant, n’est pas satisfait des prestations offertes par cette dernière et souhaite s’en exprimer publiquement au moyen d’un site Internet spécifique.
La présente espèce soulève toutefois une difficulté non anodine, à savoir l’absence d’exploitation des noms de domaine litigieux.
Sur cette question, il convient de rappeler à titre liminaire que l’exigence cumulative d’une réservation et d’un usage du nom de domaine n’existe que s’agissant du critère de la mauvaise foi, qui sera analysé au besoin en dernier lieu.
Dans l’immense majorité des procédures UDRP de cette nature, les sites Internet de critique sont exploités, permettant ainsi à l’expert saisi de déterminer si l’exploitation effectuée est légitime et ne porte pas indûment atteinte à la marque du requérant. Puisqu’en effet, l’intérêt légitime n’est généralement pas reconnu si le site Internet du défendeur contient des liens commerciaux, ou reproduit la présentation du site institutionnel du requérant, ou mentionne également des marques de tiers, ou n’indique pas expressément et immédiatement la nature critique du site, ou si l’exploitation est également effectuée à des fins commerciales, etc. (pour une approche structurée des circonstances permettant de reconnaître l’intérêt légitime du défendeur utilisant un nom de domaine à des fins de critique, voir la décision Chelsea and Westminster Hospital NHS Foundation Trust v. Frank Redmond, Litige OMPI No. D2007-1379).
L’on pourrait considérer que l’absence d’exploitation des noms de domaine litigieux traduit l’absence réelle de projet d’exploitation de sites Internet par le Défendeur, ce qui constituerait un argument favorable aux thèses du Requérant. De fait, la Commission administrative est tout à fait disposé à suivre une argumentation en ce sens, sur le principe.
Cela étant, dans la présente espèce, nous ne pouvons ignorer le fait qu’il s’est écoulé un délai particulièrement court entre la date de réservation des noms de domaine litigieux, et la date de saisine du Centre par le Requérant. Les noms de domaine litigieux <mma-prejudice-moral-economique.com>, <mma-zero-tracas-publicite-mensongere.com>, et <mma-zero-blabla-publicite-mensongere.com> ont été réservés le 19 septembre 2012 par Monsieur Eric François, et la plainte a été déposée le 26 octobre 2012. Il ne s’est donc écoulé qu’un peu plus d’un mois entre la date de réservation des noms de domaine litigieux et le dépôt de la plainte. Si une absence d’exploitation pendant une période longue – 2 ou 3 ans – est évidemment suspecte, tel n’est pas le cas dans l’hypothèse d’un délai d’une quarantaine de jours.
Dans ces conditions, l’absence d’exploitation des noms de domaine litigieux ne prive pas leur titulaire d’intérêt légitime. Rien ne permet à la Commission administrative d’affirmer que ces noms de domaine ne seront pas exploités en bonne et due forme, à terme, pour exprimer un mécontentement vis à vis du Requérant dans le respect de la légalité. Autrement dit, la Commission administrative s’interdit d’effectuer une censure a priori.
De fait le Défendeur précise bien, dans sa réponse, qu’il souhaite “pouvoir conserver les 3 noms de domaine en objet aux fins de pourvoir attirer l’attention jusqu’à ce que les MMA honorent les vertus vantées par leur “célèbre slogan Zéro Tracas, Zéros Blabla” (…).”. Il s’agit bien là de l’annonce d’une exploitation prochaine à des fins de critique.
Certes, Monsieur François précise encore son intention de renoncer aux noms de domaine litigieux si “les MMA cessent de tromper le conjoint survivant et lui fassent connaître la méthodologie exhaustive et les subtilités de détermination de son préjudice économique”. Une telle attitude peut se concevoir: si l’objet du mécontentement disparaît, la critique n’a plus lieu il est logique de prendre les dispositions pertinentes de cessation de diffusion de la critique. Et, encore une fois, il conviendra de juger sur pièces le contenu du site Internet du Défendeur, le temps venu.
A ce stade, la Commission administrative juge utile de revenir sur un cas d’espèce relativement similaire mais ayant abouti à une solution distincte. Dans l’affaire Société Accor contre M. Philippe Hartmann, Litige OMPI No. D2001-0007, la société Accor reprochait à un tiers l’enregistrement du nom de domaine <accorsucks.com>. Dans le cadre de l’évaluation du droit et de l’intérêt légitime du Défendeur, l’Expert a notamment retenu qu’ “il apparaît alors, que le site qui serait créé à l’initiative du Défendeur sous le nom de domaine en cause serait conçu pour être le réceptacle des mécontentements des clients des hôtels Accor. Dans un environnement de droit français et sans doute de manière plus large, la Commission pense que les litiges de consommation entre clients et agents économiques peuvent se régler amiablement inter partes ou par contentieux contractuels judiciaires sans donner lieu nécessairement à exposition sur sites Internet”.
Nous sommes très sensibles à une telle argumentatioNo. Cela étant et encore une fois, chaque dossier doit être analysé au cas par cas, et nous croyons pouvoir justifier de ne pas retenir une telle solution dans la présente espèce. D’une part, la jurisprudence UDRP ne laisse aucun doute sur le principe selon lequel la réservation d’un nom de domaine à des fins de critique peut permettre de justifier d’un intérêt légitime. D’autre part, il existe des différences non neutres entre ces deux affaires. Ainsi, dans le Litige OMPI No. D2001-0007, l’Expert saisi a fait part de ses doutes sur les intentions réelles du défendeur, qui prétendait que son site Internet serait destiné à recueillir l’expression du mécontentement de l’ensemble de la clientèle d’Accord. Or, dans la présente espèce, si exploitation il y a, elle sera uniquement destinée à exprimer les critiques de Monsieur François, à propos d’un conflit réel et tangible. Par ailleurs, et surtout, le Défendeur dans le Litige OMPI No. D2001-0007 avait également offert de céder son nom de domaine en contrepartie d’un dédommagement financier. Une telle offre, qui nuit de toute évidence à la crédibilité d’un projet de site Internet de critique, n’a pas été formulée en l’espèce.
Ceci étant exposé et bien entendu, au-delà d’une situation clairement établie d’absence d’intérêt légitime, et de réservation et d’usage de mauvaise foi, la Commission administrative n’est en aucun cas compétente pour apprécier la légalité des propos qui, le cas échéant, seront tenus publiquement par le Défendeur à l’encontre du Requérant via un site Internet hébergé sous les noms de domaine litigieux. Cette compétence relève uniquement des juridictions françaises.
Autrement dit, il n’appartient pas à la Commission administrative de déterminer si l’exercice par le Défendeur de son droit fondamental à la liberté d’expression dénigre de façon injustifiée des marques du Requérant, et a fortiori un tel exercice ne peut être effectué a priori.
Aussi, la Commission administrative considère que le Défendeur jouit à tout le moins à ce stade d’un droit ou intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux <mma-prejudice-moral-economique.com>, <mma-zero-tracas-publicite-mensongere.com>, et <mma-zero-blabla-publicite-mensongere.com> au sens de la disposition commentée.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
Dans la mesure où le Défendeur peut arguer de l’existence d’un intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux <mma-prejudice-moral-economique.com>, <mma-zero-tracas-publicite-mensongere.com>, et <mma-zero-blabla-publicite-mensongere.com>, la plainte doit être rejetée sans qu’il n’y ait lieu d’analyser d’éventuels agissements de mauvaise foi. Cela étant, à titre surabondant et compte tenu des circonstances de cette espèce, la Commission administrative croit utile de formuler quelques remarques concernant l’exigence de réservation et d’usage de mauvaise foi des noms de domaine litigieux.
Il est parfaitement acquis, dans la jurisprudence de l’UDRP, que l’absence d’exploitation d’un nom de domaine n’est pas un obstacle nécessairement rédhibitoire. Il peut être contourné sous certaines conditions, comme rappelé dans la synthèse de jurisprudence établie par le Centre: marque notoire reprise seule, absence de réponse à la plainte, identité fausse du défendeur, etc.
En l’espèce et pour les motifs détaillés dans l’analyse du point B ci-dessus, la Commission administrative estime que les conditions de la reconnaissance d’un usage de mauvaise foi ne sont pas établies. D’une part, le laps de temps écoulé depuis la réservation des noms de domaine est très court, ce qui nuit à la reconnaissance d’un usage passif de mauvaise foi (“bad faith passive use”). D’autre part, le Défendeur a un intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux, ce qui implique qu’il est approprié de juger “sur pièces” s’il effectue un usage de mauvaise foi desdits noms de domaine: via un détournement de clientèle, via une copie des sites Internet du Requérant, etc.
7. Décision
Conformément aux dispositions du paragraphe 4(i) des Principes directeurs et du paragraphe 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne le rejet de la plainte.
Martine Dehaut
Expert Unique
Le 24 décembre 2012