La Requérante est Teamreager AB de Gothembourg, Suède, représentée par Advokatbyrån Gulliksson AB, Suède.
Le Défendeur est Muhsin E.Thiebaut, Walid Victor de Boulogne Billancourt, France.
Le litige concerne le nom de domaine <moobitalk.com>.
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine litigieux est enregistré est OVH.
Une plainte a été déposée par Teamreager AB auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 14 mai 2013.
En date du 14 mai 2013, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. Le 14 mai 2013, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Le 30 mai 2013, le Centre a envoyé un courrier électronique aux parties en expliquant que la plainte avait été déposée en anglais, alors que le contrat d’enregistrement était en français. Il a invité en conséquence la Requérante à fournir soit la preuve suffisante d’un accord entre les parties pour que la procédure se déroule en anglais, soit une plainte traduite en français ou une demande motivée pour que l’anglais soit la langue de la procédure. La Requérante a déposé le 4 juin 2013 une plainte traduite en français et a confirmé en date du 14 juin 2013 son acceptation du français comme langue de la procédure.
Le 19 juin 2013, Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 9 juillet 2013. Le Défendeur a fait parvenir le 9 juillet 2013 en guise de réponse un courriel rédigé en anglais.
En date du 22 juillet 2013, le Centre a nommé dans le présent litige comme expert unique Philippe Gilliéron. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le 24 juillet 2013, le Défendeur a adressé au Centre un courriel sollicitant un délai de sept jours pour déposer sa Réponse et informant le Centre qu’il acceptait que l’anglais soit la langue de la procédure. Dite requête sera directement traitée par la Commission administrative dans le cadre de la présente décision.
La Requérante est une société suédoise active notamment dans le domaine de la téléphonie mobile.
La Requérante est titulaire des droits sur les marques suivantes :
- La marque verbale communautaire MOOBITALK (n° 009455825) déposée le 19 octobre 2010 et enregistrée le 10 février 2011 dans les classes 9, 12 et 38 de la classification de Nice.
- La marque verbale internationale MOOBITALK (n° 1076957) enregistrée le 19 avril 2011 désignant la Suisse (enregistrement le 28 juin 2012 dans les classes 9, 12 et 38 de la classification de Nice) et la Norvège (enregistrement le 5 juillet 2012 dans les classes 9 et 12 de la classification de Nice).
La Requérante a en outre déposé le 19 avril 2011 auprès de l’Office Canadien de Propriété Intellectuelle une marque verbale MOOBITALK (n° 1524328) pour divers produits en lien avec la téléphonie mobile et pour des services de “telecommunication access”.
Le nom de domaine litigieux, <moobitalk.com>, a été enregistré le 17 avril 2011.
Le 7 février 2013, les conseils de la Requérante ont contacté par courrier le Défendeur, attirant son attention sur l’existence de ses droits à la marque MOOBITALK et de la violation qui résultait de l’enregistrement du nom de domaine litigieux. En substance, il était requis du Défendeur qu’il transfère le nom de domaine litigieux à la Requérante. Il semble que le Défendeur n’ait jamais répondu à ce courrier.
A ce jour, le nom de domaine litigieux renvoie à un site Internet se présentant comme offrant des services de discussion en ligne. L’utilisateur peut sélectionner l’un des Etats qui lui sont proposés (“Jordan”, “Kuwait”, “Iraq”, “Palestine”, “KSA”, “Morocco” et “Mauritania”). Quel que soit le pays choisi par l’utilisateur, aucune des fonctionnalités proposées par ledit site (qu’elle soit d’enregistrement ou d’utilisation du service de discussion) ne semble opérationnelle.
La Requérante relève en premier lieu que, dès lors qu’il est fait abstraction de l’extension de premier niveau “.com”, le nom de domaine litigieux est identique aux marques dont est titulaire la Requérante.
En second lieu, la Requérante affirme que le Défendeur n’aurait aucun droit sur le nom de domaine litigieux, ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache. Selon elle, le nom de domaine litigieux ne ferait pas l’objet d’une utilisation ou de préparatifs plausibles en lien avec une offre de biens ou de services de bonne foi. Il ne serait pas non plus démontré que le Défendeur ferait une utilisation noncommerciale ou légitime du nom de domaine litigieux. Au contraire, s’appuyant sur une capture d’écran du site Internet auquel renverrait le nom de domaine litigieux en date du 8 mai 2013, la Requérante allègue que le nom de domaine litigieux renverrait vers ce qui semble être un site ayant pour but de fournir une aide aux utilisateurs désirant configurer ou modifier leur compte de courrier électronique. Au surplus, la Requérante relève qu’il n’est pas démontré que le Défendeur serait connu sous une dénomination correspondant au nom de domaine litigieux et rappelle que la Requérante n’a jamais donné son accord à ce que le Défendeur fasse usage de sa marque.
En troisième et dernier lieu, la Requérante allègue que le Défendeur a enregistré et fait usage du nom de domaine litigieux de mauvaise foi. Le Défendeur aurait tout d’abord enregistré celui-ci ultérieurement à l’enregistrement par la Requérante de sa marque communautaire MOOBITALK. Bien qu’averti par courrier des droits de la Requérante, le Défendeur n’aurait pas réagi ni modifié l’usage qu’il faisait du nom de domaine litigieux. Enfin, sans toutefois appuyer ses dires sur un quelconque moyen de preuve, la Requérante considère que la mauvaise foi du Défendeur serait confirmée par le fait qu’il détiendrait actuellement 161 noms de domaine inactifs.
Le Défendeur s’est contenté de répondre en date du 9 juillet 2013 au Centre et au conseil de la Requérante par un courriel rédigé en anglais.
Dans la mesure où il s’agit de la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine, la langue de la procédure est le français (paragraphe 11 des Règles d’application). Il est toutefois admis que, dans des circonstances exceptionnelles, une réponse puisse être rédigée dans une langue différente de celle de la plainte (paragraphe 4.3 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, deuxième édition, “Synthèse, version 2.0”). En l’espèce, la Commission administrative est d’avis qu’il est approprié de tenir compte des brèves informations fournies en anglais par le Défendeur en raison du fait que la plainte de la Requérant avait initialement elle-même été déposée en anglais.
En conséquence, il sera retenu que, dans son courriel du 9 juillet 2013, le Défendeur a affirmé avoir des droits et des intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux, dans la mesure où ledit nom de domaine litigieux ferait partie de “Moobichat”, un service de discussion en ligne pour téléphones mobiles dont le Défendeur prétend qu’il aurait été lancé antérieurement à 2009 et qui serait encore en fonction actuellement.
Par courriel du 24 juillet 2013, le Défendeur a sollicité un délai supplémentaire de sept jours pour lui permettre de répondre, et informé le Centre qu’il acceptait l’anglais comme langue de la procédure. Ce courriel, manifestement tardif, sera écarté et la requête du Défendeur par conséquent rejetée. Informé le 19 juin 2013 par le Centre qu’une procédure administrative avait été ouverte à son encontre et qu’un délai au 9 juillet 2013 lui avait été imparti pour déposer sa réponse, le Défendeur n’a pas réagi, se contentant d’un simple courriel. Sa requête, formée quinze jours après que le délai de réponse a expiré, le jour où la Commission administrative s’apprête à rendre sa décision, ne peut dès lors être que rejetée et le Défendeur s’en prendre à sa propre négligence.
Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si les trois conditions suivantes sont réunies:
(i) si le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la Requérante a des droits; et
(ii) si le Défendeur n’a aucun droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux; et
(iii) si le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
Selon le paragraphe 4(a)(i), la Requérante doit démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la Requérante a des droits.
En l’espèce, il est établi que la Requérante est titulaire des marques verbales communautaire, internationale et canadienne MOOBITALK.
Etant admis que l’extension “.com” peut ne pas être prise en considération dans le cadre de l’examen de la similarité entre le nom de domaine litigieux et la marque de la Requérante (Arthur Guiness Son & Co. (Dublin) Limited c. Dejan Macesic, Litige OMPI No. D2000-1698), il convient d’admettre que le nom de domaine litigieux est identique aux marques de la Requérante.
Partant, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.
Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(ii), la Requérante doit démontrer que le Défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitime sur le nom de domaine litigieux.
Dans Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624, la commission administrative a considéré que, s’agissant d’un fait négatif presque impossible à démontrer, à partir du moment où la partie requérante a allégué que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime en relation avec le nom de domaine, c’est à la partie défenderesse qu’il incombe d’établir l’existence de ses droits. Partant, il suffit que la Requérante établisse prima facie que le Défendeur ne détient aucun droit ou intérêt légitime pour qu’il soit laissé au Défendeur le soin d’établir ses droits. A défaut, la Requérante est présumée avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs (voir le paragraphe 2.1 de la Synthèse, version 2.0).
En l’espèce, que l’on se réfère au site tel qu’il ressort de la capture d’écran fournie par la Requérante et que cette dernière prétend avoir réalisé en date du 8 mai 2013 ou à l’apparence actuelle du site, il appert que le nom de domaine litigieux ne renvoie à aucun site Internet véritablement actif. En effet, au regard de l’apparence du site telle que présentée par la Requérante au moyen d’une capture d’écran, le Défendeur fournirait des services de migration de courriers électroniques qui renverraient l’utilisateur à des liens Pay-per-Click. L’état actuel du site ne permet pas non plus de reconnaître un quelconque droit ou intérêt légitime du Défendeur sur le nom de domaine litigieux. En effet, le site se présente comme fournissant des services de discussion en ligne, ce dont le Défendeur se prévaut dans son courriel du 9 juillet 2013. Cependant, aucun des liens proposés ne renvoie à une page qui permettrait effectivement d’utiliser de tels services. A supposer que le site ait été en cours de construction, ce que le Défendeur ne prétend pas, puisqu’il allègue bien au contraire que le service de discussions en ligne proposé sur ledit site serait actif depuis avant 2009, il eût été loisible au Défendeur de produire des pièces à cet effet pour démontrer son intérêt légitime. Or, il ne l’a pas fait et doit en supporter les conséquences.
Le site n’apparaissant en dépit des déclarations du Défendeur que comme un site vitrine sans aucune activité propre, la Commission administrative en déduit que le Défendeur n’a pas démontré détenir des droits ou des intérêts légitimes dans le nom de domaine litigieux.
Compte tenu de ce qui précède, le Défendeur n’ayant pas procédé doit supporter les conséquences de sa négligence et, partant, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.
Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(iii), la Requérante doit démontrer que le Défendeur a enregistré et qu’il utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
A la date de l’enregistrement par le Défendeur du nom de domaine litigieux, la Requérante était d’ores et déjà titulaire de la marque communautaire éponyme. Une brève recherche sur Internet, voire la simple introduction du terme “moobitalk” sur un moteur de recherche aurait permis au Défendeur de savoir que cette désignation correspondait à la marque de la Requérante. Il s’engageait d’ailleurs à effectuer une telle vérification en acceptant la clause du contrat d’enregistrement lui prohibant d’enfreindre les droits de propriété intellectuelle de tiers (dans ce sens, Aspen Holdings Inc. c. Rick Natsch, Potrero Media Corporation, Litige OMPI No. D2009-0776). Il y a dès lors lieu d’admettre que le Défendeur a procédé à l’enregistrement du nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
En outre, comme exposé précédemment, le Défendeur ne semble jamais avoir fait véritablement usage du nom de domaine litigieux. L’absence d’utilisation active d’un nom de domaine sans que son propriétaire n’essaie de contacter le titulaire d’une marque aux fins notamment de vendre ledit nom de domaine litigieux n’exclut pas la mauvaise foi du Défendeur. La Commission administrative se doit de déterminer si un agissement entrepris de mauvaise foi doit être reconnu au regard de l’ensemble des circonstances. Le fait que le propriétaire du nom de domaine litigieux n’ait pas procédé peut constituer l’une de ces circonstances (paragraphe 3.2 de la Synthèse, version 2.0). Or, en l’espèce, le Défendeur a fourni pour toute réponse un bref courriel dépourvu de tout moyen de preuve, alléguant contrairement à l’apparence que son service serait opérationnel depuis avant 2009, ce qu’une brève consultation du site contredit. Sa requête tendant à obtenir un délai de sept jours pour déposer sa réponse, formée le 24 juillet 2013, apparaît manifestement tardive. La Commission administrative relève au surplus que le Défendeur avait tout loisir pour démontrer qu’il déployait des activités propres sur ledit site, que ce soit en répondant au courrier qui lui avait été adressé le 7 février 2013 par les conseils de la Requérante, ou en procédant dans le délai fixé au 9 juillet 2013.
Au vu de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, la Commission administrative peine à voir en quoi l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur pourrait avoir lieu de bonne foi. En s’abstenant de toute réponse en bonne et due forme accompagnée de pièces permettant à la Commission administrative de se forger une opinion lui permettant cas échéant de renverser l’impression d’ensemble négative résultant des circonstances précitées, ce que le Défendeur avait tout loisir de faire, la Commission administrative n’a d’autre choix que d’admettre que le Défendeur a fait un usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.
Partant, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est satisfaite.
Pour les raisons précédentes, conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <moobitalk.com> soit transféré à la Requérante.
Philippe Gilliéron
Expert Unique
Le 29 juillet 2013