Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D Lec contre Orsun, Fabrice Guigonnat

Litige No. D2014-0222

1. Les parties

Le Requérant est l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D Lec de Ivry-sur-Seine, France, représenté par Inlex IP Expertise, France.

Le Défendeur est Orsun, Fabrice Guigonnat de Paris, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <leclerc-pharma.net>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine litigieux est enregistré est OVH (ci-après “l’unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 13 février 2014.

En date du 13 février 2014, avec un rappel le 18 février 2014, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 18 février 2014, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 19 février 2014, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 11 mars 2014. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 12 mars 2014, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 4 avril 2014, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Nathalie Dreyfus. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant a enregistré diverses marques LECLERC notamment pour les “produits pharmaceutiques” en classe 5:

- marque française LECLERC n° 1307790 déposée le 2 mai 1985, dûment renouvelée le 6 décembre 2004;

- marque communautaire LECLERC n° 002700656 enregistrée le 26 février 2004 (renouvelée);

- marque française PARAPHARMACIE E. LECLERC n° 3865031 enregistrée le 7 octobre 2011.

Le Défendeur a procédé à l’enregistrement du nom de domaine litigieux en date du 16 décembre 2013.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant fait valoir que ses marques sont exploitées, qu’elles “ont acquis une indiscutable notoriété” et qu’elles ont été déposées et enregistrées antérieurement à la réservation du nom de domaine litigieux. Il estime que le nom de domaine litigieux associe ainsi le terme générique “pharma”, qui est une abréviation usuelle du mot “pharmacie” à une marque notoire de telle sorte qu’une confusion sera créée dans l’esprit du public. Ce dernier pensera accéder à un site officiel du “Mouvement Leclerc” qui ferait état du positionnement de l’enseigne dans le secteur de la pharmacie. Le Requérant ajoute qu’il milite, depuis plusieurs années, pour que les médicaments à prescription facultative ne relèvent plus du monopole des officines ce qui accroit le risque de confusion. En outre, il exploite notamment une enseigne de parapharmacie, est titulaire de la marque française PARAPHARMACIE E. LECLERC et a enregistré le nom de domaine <parapharmacieleclerc.com>.

Il met ensuite en avant le fait que le Défendeur ne porte pas le nom “Leclerc”, ne détient aucun droit sur le terme considéré comme signe distinctif tel qu’une marque ou un nom commercial, n’a reçu aucune autorisation pour en être propriétaire ou l’exploiter, a déjà enregistré trois noms de domaine dans le but d’en monnayer la rétrocession et dont le transfert a été ordonné à son profit et enfin que le nom de domaine litigieux est resté inactif, ce qui, dit-il, “confirme l’absence d’intérêt légitime du Défendeur à son égard”.

Le Requérant estime enfin que la preuve de la mauvaise foi du Défendeur au stade de l’enregistrement est rapportée dans la mesure où l’enregistrement du nom de domaine litigieux a été fait en présence de marques notoires, que son engagement pour la vente, au sein de son réseau de parapharmacies, des médicaments à prescription médicale facultative non remboursés a été vivement critiqué par les pharmaciens et dont la connaissance par le Défendeur était d’autant plus certaine que M. Guigonat est directeur commercial d’une société de distribution de produits pharmaceutiques. En outre, le Requérant fait valoir que l’enregistrement du nom de domaine litigieux a eu lieu quelques jours après la décision du Centre ordonnant les transferts des trois noms de domaine <leclerc-pharma.com>, <mapharmaleclerc.com> et <mapharmacieleclerc.com>. Le Requérant estime que c’est en pleine connaissance de l’illégalité de sa démarche que le Défendeur a réservé le nom de domaine litigieux afin de ternir la réputation du Requérant et l’empêcher de réserver le nom de domaine litigieux <leclerc-pharma.net>. Quant à l’usage de mauvaise foi, il se manifeste dans le fait que le nom de domaine litigieux n’est pas exploité, le Requérant soulignant qu’un “usage passif” peut constituer un usage de mauvaise foi. En outre, il fait valoir que dans le cadre de la première procédure UDRP relative aux trois noms de domaine susmentionnés, plusieurs échanges ont eu lieu entre son Conseil en propriété industrielle et le Défendeur l’informant que ces réservations portaient préjudice aux droits du Requérant. Cependant, cela n’a pas empêché ce dernier seize jours après la décision URDP ordonnant le transfert des noms de domaine susmentionnés d’effectuer une nouvelle réservation du nom de domaine litigieux <leclerc-pharma.net>.

Le Requérant considère donc que les conditions sont remplies pour que le transfert du nom de domaine litigieux soit ordonné.

B. Défendeur

Ainsi qu’il a été énoncé, le Défendeur est défaillant puisqu’il n’a pas présenté de réponse dans les délais requis à destination de la Commission administrative.

6. Discussion et conclusions

La Commission administrative rappelle que le cas doit être jugé, en dépit de la défaillance d’une partie (paragraphe 14 des Règles d’application) et qu’elle est amenée à statuer au vu de la plainte et des documents (paragraphe 15 des Règles d’application).

Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, afin d’obtenir gain de cause dans cette procédure et obtenir le transfert du nom de domaine litigieux, le Requérant doit prouver que chacun des trois éléments suivants est satisfait:

(i) Le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et

(ii) Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

(iii) Le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant justifie avoir enregistré diverses marques LECLERC (française et communautaires) et PARAPHARMACIE E.LECLERC (française) notamment pour les “produits pharmaceutiques” en classe 5.

En l’espèce, le nom de domaine litigieux <leclerc-pharma.net> est composé de l’élément distinctif “Leclerc” auquel est ajouté le terme générique “pharma”.

La question est celle de savoir si l’adjonction du terme “pharma” dans le nom de domaine litigieux est de nature à créer une distance suffisante avec les marques du Requérant pour que le nom de domaine litigieux ne prête pas à confusion avec lesdites marques.

Lorsqu’un nom de domaine intègre totalement la marque déposée du Requérant, cela suffit pour établir un lien entre le nom de domaine litigieux et la marque (voir, Magnum Piering, Inc. c. Les Mudjackers et Garwood S. Wilson, Sr., Litige OMPI No. D2000-1525).

En l’espèce, le nom de domaine litigieux reproduit intégralement la marque LECLERC.

Par ailleurs, la présence du terme “Leclerc” et de l’abréviation usuelle “pharma” au sein d’un nom de domaine litigieux a pour seul but de décrire les produits ou services pharmaceutiques et parapharmaceutiques désignés par la marque du Requérant (voir, Association des Centres Distributeurs E. Leclerc – A.C.D Lec c. Fabrice Guigonnat, Litige OMPI No. D2013-1676).

En l’espèce, le terme “pharma” fait partie de la marque PARAPHARMACIE E. LECLERC du Requérant et le nom de domaine litigieux comprend les mots “leclerc” et “pharma”.

Il a d’ailleurs été retenu, concernant le nom de domaine <leclerc-pharma.com>, que l’ajout du terme descriptif “pharma” au terme “leclerc” ne suffit pas à exclure le risque de confusion (voir Association des Centres Distributeurs E. Leclerc – A.C.D Lec c. Fabrice Guigonnat, supra). L’adjonction du terme “pharma” ne peut en réalité que renforcer le sentiment d’un lien entre le nom de domaine litigieux et les marques LECLERC, l’internaute percevant nécessairement cette mention comme un rappel de la marque et une déclinaison de celle-ci à partir d’une offre spécifique du Requérant (voir Association des Centres Distributeurs E. Leclerc – A.C.D Lec c. Marie-Laure Neau / Anne-Charlotte Neau / Guillaume Neau / Philippe Neau, Litige OMPI No. D2013-1793).

La Commission administrative est donc d’avis que le nom de domaine litigieux est semblable au point de prêter à confusion avec la marque détenue par le Requérant au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le Défendeur ne porte pas le nom de “Leclerc” ce qui aurait pu éventuellement expliquer voire justifier l’usage de ce nom, même s’il convient de relever que cela ne constitue pas une justification automatique, tout étant question d’espèce. Il n’est pas connu sous ce nom, il ne détient aucun droit sur le terme “leclerc” à titre de marque, de nom commercial ou de dénomination sociale, il n’a reçu aucune autorisation pour l’utiliser et il n’existe aucune relation entre eux pour justifier l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux.

Selon le paragraphe 4(c) des Principes directeurs, un défendeur peut prouver ses droits sur un nom de domaine et les intérêts légitimes qui s’y attachent en démontrant l’une des circonstances ci-après:

(i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet; ou

(ii) le défendeur est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

(iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

En l’espèce, le Défendeur est défaillant et n’a par conséquent pas fourni d’indications selon lesquelles il disposerait de droits ou intérêts légitimes s’y rapportant.

En l’absence de réponse du Défendeur, la Commission administrative accepte les allégations du Requérant énonçant que le nom du Défendeur n’est pas composé du nom “Leclerc”, qu’il n’est pas connu sous le nom de domaine litigieux, qu’il n’a pas reçu autorisation pour utiliser les marques du Requérant dans le nom de domaine litigieux, qu’il n’existe pas de relation d’affaire entre le Requérant et le Défendeur, qu’il n’est pas titulaire d’une marque correspondant au nom de domaine litigieux (voir Association des Centres Distributeurs E. Leclerc – A.C.D Lec c. Fabrice Guigonnat, supra).

Par ailleurs, la Commission administrative estime que l’usage fait par le Défendeur du nom de domaine litigieux, au moyen duquel il renvoie sur une page par défaut de l’hébergeur contenant des liens apparemment commerciaux sans rapport apparent avec lui-même ou avec le Requérant, ne peut pas être considéré en l’espèce comme une offre de bonne foi de produits et services, ou comme un usage non commercial légitime ou un usage loyal.

Enfin, le Défendeur avait déjà réservé trois noms de domaine <leclerc-pharma.com>, <mapharmaleclerc.com> et <mapharmacieleclerc.com> dans l’objectif d’en monnayer la rétrocession et dont le transfert a été ordonné au profit du Requérant (voir Association des Centres Distributeurs E. Leclerc – A.C.D Lec c. Fabrice Guigonnat, supra). La Commission administrative est d’avis que cette nouvelle réservation du nom de domaine litigieux <leclerc-pharma.net> poursuit le même objectif et a été réalisée en fraude des droits du Requérant.

Au vu de l’ensemble des éléments ci-dessus, la Commission administrative conclut que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache au sens du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

S’agissant de l’enregistrement de mauvaise foi du nom de domaine litigieux, il est indiscutable que le choix d’une marque notoire, qui développe depuis 1988 une activité de parapharmacie sous l’enseigne LECLERC, en lui adjoignant précisément le terme “pharma” qui renvoie à la même idée, n’est pas le fruit du hasard. L’enregistrement a indubitablement été fait en toute connaissance de cause. D’autant que “Fabrice Guigonnat”, réservataire du nom de domaine litigieux, directeur commercial d’une société de distribution de produits pharmaceutiques, non seulement connaissait comme tout le monde en France les marques LECLERC, mais aussi ne pouvait ignorer la présence de LECLERC dans le secteur de la santé.

Par conséquent, la Commission administrative estime que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux:

- afin de ternir la réputation du Requérant dans la mesure où les internautes pourraient croire que le Requérant a décidé de vendre des produits pharmaceutiques alors qu’il n’est pas encore légalement autorisé à le faire;

- afin d’empêcher le Requérant de réserver le nom de domaine litigieux.

Par ailleurs, la simple immobilisation d’un nom de domaine, sans raison d’être, peut être constitutive d’un usage de mauvaise foi (voir Association des Centres Distributeurs E. Leclerc – A.C.D Lec c. MarieLaure Neau / Anne-Charlotte Neau / Guillaume Neau / Philippe Neau, supra).

L’usage passif d’un nom de domaine a été reconnu comme pouvant être une forme d’utilisation de mauvaise foi du nom de domaine (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Sanofi-aventis c. Gérard Scarretta, Litige OMPI No. D2009-0229; Malayan Banking Berhad c. Beauty, Success & Truth International, Litige OMPI No. D2008-1393).

Par ailleurs, la Commission administrative rappelle que seize jours après la décision UDRP ordonnant le transfert des trois noms de domaine <leclerc-pharma.com>, <mapharmalerclec.com> et <mapharmacieleclerc.com> au profit du Requérant, le Défendeur a fait précisément une nouvelle réservation du nom de domaine litigieux <leclerc-pharma.net>. Ce nom de domaine ne diffère du nom de domaine <leclerc-pharma.com> que par son extension. La Commission administrative est d’avis que cette réservation a été réalisée au mépris d’une décision UDRP antérieure et en pleine connaissance du Défendeur de l’illégalité de sa démarche.

Pour la Commission administrative, l’enregistrement et l’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est clairement établi.

7. Décision

Pour les raisons précédemment développées, sur la base des paragraphes 4(a) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <leclerc-pharma.net> soit transféré au Requérant.

Nathalie Dreyfus
Expert Unique
Le 9 avril 2014