Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Vins de Stars SAS contre Rudy Vervant

Litige No. D2014-1814

1. Les parties

Le Requérant est Vins de Stars SAS, de Biscarrosse, France, représenté par ACBM Avocats, France.

Le Défendeur est Rudy Vervant, de Paris, France.

2. Noms de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine <vinsdestars.com> et <lesvinsdestars.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est OVH.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Vins de Stars SAS auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 16 octobre 2014.

En date du 16 octobre 2014, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 20 octobre 2014, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 21 octobre 2014, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 10 novembre 2014. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 10 novembre 2014.

En date du 17 novembre 2014, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Louis-Bernard Buchman. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est une société française, initialement immatriculée le 12 avril 2013 au registre du commerce et des sociétés de Mont-de-Marsan sous la dénomination Popcorner, qui a modifié sa dénomination sociale en Vins De Stars le 10 juin 2013.

Le Requérant a déposé auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle le 21 mai 2013 la marque VINS DE STARS, enregistrée sous le numéro 4 008 094 (ci-après désignée: “la Marque”).

Le Défendeur est une personne physique de nationalité française.

Les deux noms de domaine litigieux ont été enregistrés par le Défendeur aux dates suivantes: <vinsdestars.com> le 15 avril 2013 et <lesvinsdestars.com> le 17 avril 2013.

Il n’est pas contesté que la Marque est postérieure aux réservations des deux noms de domaine litigieux.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

(i) Le Requérant dispose d’un droit sur la Marque, qui est également sa dénomination sociale. Par ailleurs, il a enregistré et utilise comme nom de domaine <officielvinsdestars.fr>.

(ii) Les noms de domaine litigieux portent atteinte aux droits dont est titulaire le Requérant, en ce qu’ils imitent la Marque, et sont susceptibles de créer un risque de confusion dans l’esprit des internautes en leur laissant croire que le Requérant est lié directement ou indirectement aux noms de domaine litigieux, ce qui n’est pas le cas.

(iii) Les nom de domaine litigieux sont constitués de la partie distinctive de la Marque.

(iv) Le Défendeur n’a jamais été autorisé par le Requérant à procéder à l’enregistrement de noms de domaine litigieux. Le Défendeur ne peut justifier d’aucun droit ou intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux.

(v) Le Défendeur a enregistré les noms de domaine litigieux et les utilise de mauvaise foi.

(vi) Le Requérant demande que les noms de domaine litigieux lui soient transférés.

B. Défendeur

(i) Le Défendeur a enregistré les noms de domaine litigieux dans le but d’un projet commercial dont le lancement a été retardé faute de moyens financiers.

(ii) Le Défendeur a un intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux car il a fait des préparatifs sérieux pour les exploiter et ses enregistrements sont antérieurs à la Marque.

(iii) Il a offert de vendre au Requérant les noms de domaine litigieux mais ce dernier a décidé de ne pas donner suite à cette offre.

(iv) La demande du Requérant doit être rejetée.

6. Discussion et conclusions

6.1. Aspects procéduraux

L’unité d’enregistrement a indiqué que les contrats d’enregistrement des noms de domaine litigieux étaient en langue française. En ce qui concerne la langue de la procédure, le Requérant fait valoir que le Requérant et le Défendeur sont tous deux de nationalité française et domiciliés en France, et que la langue française ayant été utilisée dans les échanges antérieurs entre les parties, la langue française devrait être choisie comme langue de la procédure. Le Défendeur ne s’est pas opposé à cette demande et a répondu en utilisant la langue française. La Commission administrative, faisant application des dispositions du paragraphe 11(a) des Règles d’application et de son pouvoir d’appréciation, décide que le français sera la langue de la procédure.

Par ailleurs, il est rappelé que la Commission administrative est tenue d’appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d’application qui prévoit que: “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable”.

Le paragraphe 10(a) des Règles d’application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu’elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d’application).

6.2. En ce qui concerne les conditions du paragraphe 4(a) des Principes directeurs

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Dans le cadre de l’analyse de la première condition du paragraphe 4(a), les Principes directeurs n’imposent pas que les droits de marque du Requérant soient antérieurs à la réservation des noms de domaine litigieux, voire même antérieurs à l’introduction de la plainte (voir The State of Tennessee, USA c. (DOMAIN NAME 4 SALE) DOMAIN-NAME-4-SALE eMAIL baricci@attglobal.net, Litige OMPI No. D2008-0640).

L’existence du droit du Requérant est un critère purement objectif ne s’inscrivant aucunement dans une logique de comparaison chronologique avec les dates de réservation par le Défendeur des noms de domaine litigieux: la Commission administrative doit se contenter de constater si un tel droit existe ou non.

Au vu des pièces versées au dossier, la Commission administrative considère que le Requérant justifie de droits exclusifs sur la dénomination “vins de stars” à titre de marque enregistrée.

Demeure alors la question de la comparaison entre cette dénomination d’une part et les noms de domaine litigieux d’autre part: les noms de domaine litigieux reproduisent totalement l’élément distinctif “vins de stars”.

En ce qui concerne l’identité ou la similitude de l’élément distinctif “vins de stars” par rapport aux noms de domaine litigieux, la seule différence consiste en la présence dans l’un des deux noms de domaine litigieux du préfixe “les”. Cette différence ne saurait aux yeux de la Commission administrative conférer un autre sens à ce nom de domaine litigieux ni permettre de le distinguer de la Marque du Requérant.

Il est établi par ailleurs que les extensions de nom de domaine (“.com”), suffixes nécessaires pour leur enregistrement, sont sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, les extensions pouvant donc ne pas être prises en considération pour examiner la similarité entre la Marque du Requérant et les noms de domaine litigieux, conformément à nombre de décisions déjà rendues (Voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Accor c. Accors, Litige OMPI No. D2004-0998).

La Commission administrative estime que le public en général et les internautes en particulier pourraient penser que les noms de domaine litigieux renvoient aux produits ou services du Requérant dont la société porte la même dénomination sociale que la Marque, ces noms de domaine litigieux étant similaires à la Marque sur laquelle le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (Voir Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA c. PrivacyProtect.org / N/A, indishi india mr.ugala, Litige OMPI No. D2010-1147; Credit Industriel et Commercial S.A., BanqueFédérative du Crédit Mutuel c. Headwaters MB, Litige OMPI No. D2008-1892; Banque Saudi Fransi c. ABCIB, Litige OMPI No. D2003-0656; Islamic Bank of Britain Plc c. Ifena Consulting, Charles Shrimpton, Litige OMPI No. D2010-0509; BPCE c. PrivacyProtect.org / Maksym Pastukhov, Litige OMPI No. D2010-1666).

Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l’exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le Défendeur étant une personne physique qui n’est pas connue sous les noms de domaine litigieux, la légitimité des intérêts du Défendeur sur les noms de domaine litigieux n’est pas établie (Voir Owens Corning Fiberglas Technology, Inc. c. Hammerstone, Litige OMPI No. D2003-0903).

Le Défendeur n’est pas lié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à utiliser la Marque ou à procéder à l’enregistrement de noms de domaine incluant la Marque.

Les noms de domaine litigieux ne renvoient les internautes vers aucun site internet actif, et aucun élément du dossier ne révèle que le Défendeur fasse des préparatifs sérieux à l’effet d’utiliser les noms de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services. La Commission administrative note que bien que le Défendeur soutienne que les noms de domaine litigieux ont été enregistrés pour répondre à un projet lancé en avril 2013, le Défendeur n’a pas apporté de preuves suffisantes à cet égard, car les documents soumis au dossier ne sont pas datés.

De plus, l’usage passif que fait le Défendeur des noms de domaine litigieux ne semble pas légitime, puisque la pièce 7 jointe à la Réponse du Défendeur contient expressément la reconnaissance du fait que le Défendeur a entendu monnayer leur vente pour un montant de EUR 26.000 par nom de domaine litigieux, hors de proportion avec leur valeur.

Enfin, la Commission administrative note que le Défendeur ne fait pas actuellement un usage noncommercial légitime des noms de domaine litigieux.

La Commission administrative est d’avis, dans ces conditions, que le Défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes qui s’attachent aux noms de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La mauvaise foi doit être prouvée dans l’enregistrement comme dans l’usage.

En ce qui concerne l’enregistrement de mauvaise foi, le fait que qu’une marque soit postérieure à l’enregistrement d’un nom de domaine litigieux n’empêche pas en principe une Commission administrative de conclure dans des circonstances spécifiques, à la mauvaise foi du Défendeur dans l’enregistrement du nom de domaine litigieux. Sur cette question, voir Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP (ci après dénommée “Synthèse 2.0”) au paragraphe 3.1 et en particulier les décisions ExecuJet Holdings Ltd. c. Air Alpha America, Inc., Litige OMPI No. D2002-0669 et Kangwon Land, Inc. c. Bong Woo Chun (K.W.L. Inc), Litige OMPI No. D2003-0320.

Dans cette affaire, les noms de domaine litigieux ont été enregistrés six semaines avant le dépôt de la Marque du Requérant.

La bonne foi du Défendeur lors de l’enregistrement ne ressort d’aucun document soumis au dossier, mais sa mauvaise foi n’est pas établie par le Requérant. En particulier, le Requérant ne soumet au dossier aucune mise en demeure qui aurait été envoyée au Défendeur de cesser de porter atteinte aux droits du Requérant sur la Marque. Dès lors, il n’est pas prouvé que le Défendeur ait eu connaissance des droits du Requérant sur la dénomination “Vins de Stars” lorsqu’il a enregistré les noms de domaine litigieux et qu’il ait maintenu en vigueur les noms de domaine litigieux en contravention avec le paragraphe 2 des Principes directeurs, qui dispose que: “En demandant l’enregistrement d’un nom de domaine ou le maintien en vigueur ou le renouvellement d’un enregistrement de nom de domaine, vous affirmez et nous garantissez que ….b) à votre connaissance, l’enregistrement du nom de domaine ne portera en aucune manière atteinte aux droits d’une quelconque tierce partie …”. Il n’est pas non plus établi, ni même allégué, que le Défendeur et le Requérant soient concurrents et que le Défendeur ait enregistré les noms de domaine litigieux “essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent”, au sens du paragraphe 4(b)(iii) des Principes directeurs.

Concernant l’utilisation des noms de domaine litigieux, ces derniers ne semblent pas faire l’objet d’une exploitation. La simple immobilisation d’un nom de domaine, sans raison d’être, peut être constitutive d’un usage de mauvaise foi.

Des décisions administratives UDRP ont déjà et à plusieurs reprises pu retenir que la détention d’un nom de domaine sans qu’un site Internet actif y corresponde pouvait, dans certains cas, être considérée comme une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Christian Dior Couture SA c. Liage International Inc., Litige OMPI No. D2000-0098; ACCOR c. S1A, Litige OMPI No. D2004-0053et Westdev Limited c. Private Data, Litige OMPI No. D2007-1903).

En outre, la Commission administrative considère que l’offre de vendre les noms de domaine litigieux à un prix sans commune mesure avec leur valeur peut s’analyser en tentative d’extorsion et être un indice de mauvaise foi (voir CBS Broadcasting, Inc. c. Gaddoor Saidi, Litige OMPI No. D2000-0243; Magnum Piering, Inc. c. The Mudjackers and Garwood S. Wilson, Sr., Litige OMPI No. D2000-1525; Advance Magazine Publishers Inc. c. Marcellod Russo, Litige OMPI No. D2001-1049; McMullan Bros., Limited, Maxol Limited, Maxol Direct Limited Maxol Lubricants Limited, Maxol Oil Limited Maxol Direct (NI) Limited c. Web Names Ltd, Litige OMPI No. D2004-0078; NB Trademarks, Inc. c. Domain Privacy LTD and Abadaba S.A., Litige OMPI No. D2008-1984; The South African Football Association (SAFA) c. Fairfield Tours (Pty) Ltd, Litige OMPI No. D2009-0998).

En conséquence, la Commission administrative conclut que même si le Défendeur semble utiliser les noms de domaine litigieux de mauvaise foi, il n’est pas établi qu’il les ait enregistrés de mauvaise foi, et qu’en conséquence, l’exigence du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs n’est pas satisfaite.

7. Décision

Conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative refuse la demande de transfert des noms de domaine <vinsdestars.com> et <lesvinsdestars.com>.

Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 1er décembre 2014