Le requérant est Philip Morris USA Inc. de Richmond, Etats-Unis d’Amérique, représenté par Arnold & Porter, Etats-Unis.
Le défendeur est Olivier Guerard, guerard.com.fr de Lasserre, France, representé par soi-même.
Le litige concerne le nom de domaine litigieux <marlboro51.com>.
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine litigieux est enregistré est Gandi SAS.
Une plainte a été déposée en anglais par Philip Morris USA Inc. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 1 décembre 2015.
En date du 1 décembre 2015, le Centre a adressé une requête à Gandi SAS, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le requérant. Le 2 décembre 2015, Gandi SAS a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige tout en précisant que la langue du contrat d’enregistrement était le français.
Le 9 décembre 2015, le Centre a attiré l’attention du requérant sur le fait que la langue du contrat d’enregistrement étant le français, il était invité à soumettre soit la preuve suffisante d’un accord entre les parties prévoyant que la procédure se déroule en français, soit une plainte déposée en français, ou encore déposer une demande motivée afin que l’anglais soit la langue de la procédure.
Le requérant a informé le Centre le jour même qu’une version traduite en français de la plainte serait produite, ce qui fut fait le 14 décembre 2015.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 17 décembre 2015, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 6 janvier 2016. Le défendeur a fait parvenir sa réponse le 5 janvier 2016.
Le 12 janvier 2016, le requérant a sollicité que la procédure soit suspendue durant 30 jours de manière à permettre l’exécution d’une éventuelle transaction avec le défendeur portant sur le nom de domaine litigieux. Donnant suite à cette requête, le Centre a ordonné le 13 janvier 2016 la suspension de la procédure jusqu’au 13 février 2016, suspension qui fut ensuite prolongée à la requête du requérant jusqu’au 23 février 2016. Aucun accord n’étant intervenu entre les parties, la procédure a été réinstituée.
En réponse aux arguments soulevés par le défendeur dans sa réponse, le requérant a spontanément déposé une réplique le 23 février 2016 dont il sera tenu compte eu égard aux nouveaux arguments pertinents soulevés par le défendeur dans sa réponse.
En date du 26 février 2016, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Philippe Gilliéron. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le requérant commercialise et vend des cigarettes aux Etats-Unis en particulier sous la marque MARLBORO, enregistrée aux Etats-Unis le 14 avril 1908 sous le numéro 68,502 pour des cigarettes (date de demande d’enregistrement remontant au 17 octobre 1907 et première utilisation revendiquée en 1883), respectivement sous une forme combinée le 25 juillet 1982 pour ces mêmes produits (date de demande d’enregistrement remontant au 30 mars 1971 et première utilisation revendiquée en 1954).
Le requérant conduit ses activités sur Internet au travers du site “www.marlboro.com”, enregistré le 6 mars 2000.
Il est de notoriété que la marque MARLBORO jouit d’une forte reconnaissance auprès du public en général, ce sur un plan mondial.
Le défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux le 12 août 2008. Le site web rattaché au nom de domaine litigieux <marlboro51.com> propose une collection de liens redirigeant l’internaute vers des forums de discussions destinés à des amateurs d’automobiles, auxquelles s’ajoutent divers liens hypertextes renvoyant en particulier à une page Flickr “marlboro51” et à plusieurs sites divers et variés.
Le requérant fait tout d’abord valoir le fait que le nom de domaine litigieux <marlboro51.com> est similaire à sa marque MARLBORO dès lors qu’il reprend dite marque dans son intégralité.
Le requérant considère ensuite que le défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, puisqu’il n’est en rien affilié au requérant ou ses affiliées, qu’il ne dispose d’aucune autorisation pour exploiter la marque MARLBORO et qu’il n’est pas connu sous ce nom. Du point de vue du requérant, cet enregistrement a pour seul objectif de détourner les utilisateurs du site officiel <marlboro.com> en profitant de la réputation de la marque MARLBORO.
Le requérant est enfin d’avis que le nom de domaine litigieux a été enregistré et qu’il est utilisé de mauvaise foi par le défendeur, connaissant à l’évidence la marque MARLBORO au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux <marlboro51.com>. En enregistrant ledit nom de domaine, le défendeur avait pour seul objectif selon le requérant d’attirer des utilisateurs vers son site web pour en retirer des bénéfices commerciaux, notamment au travers des liens existants vers différents sites de commerce électronique.
En réponse aux arguments soulevés par le défendeur, résumés ci-après, le requérant fait valoir que, contrairement à ses allégations, le défendeur n’établit pas être connu sous cette dénomination, certains utilisateurs de forums de discussion sur lesquels il est actif l’identifiant par son prénom, Olivier. L’utilisation par le défendeur d’images de paquets de cigarettes Marlboro sur certains forums de discussion démontrerait de surcroît si besoin était l’utilisation de mauvaise foi effectuée par le défendeur du nom de domaine litigieux.
Le défendeur fait valoir que le nom “Marlboro” n’est pas uniquement une marque, mais aussi un nom, une ville, de sorte que l’adjonction d’un chiffre permet d’exclure tout risque de confusion avec la marque du requérant.
Le défendeur allègue ensuite que le choix du nom de domaine s’explique en raison du fait qu’il se présente sur de nombreux forums de discussion sous le pseudonyme “marlboro51”, inspiré du film “Harley Davidson et l’homme aux santiags”, et que le site web rattaché au nom de domaine litigieux consiste en une liste de favoris pour retrouver les forums sur lesquels il va régulièrement. Le site n’a rien de commercial et ne fait aucun lien vers des sites de vente.
Il résulte de ce qui précède que, selon le défendeur, le nom de domaine litigieux a été enregistré et qu’il est utilisé de bonne foi.
Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par ceux-ci, à savoir:
(i) si le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérante a des droits ; et
(ii) si le défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux ; et
(iii) si le défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
Selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, la partie requérante doit démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle elle a des droits.
En l’espèce, le requérant a démontré être titulaire de la marque MARLBORO, qui doit être considérée comme une marque de haute renommée au vu de la forte reconnaissance dont elle jouit auprès du public en général (confirmé par de nombreuses commissions administratives UDRP, par exemple: Philip Morris USA Inc. c. ICS Inc., Litige OMPI No. D2013-1306).
Or, il est largement admis que le fait de reprendre à l’identique la marque d’un tiers dans un nom de domaine peut suffire à établir que ce nom est identique ou similaire au point de prêter à confusion avec la marque sur laquelle la partie requérante a des droits (voir, par exemple: Uniroyal Engineered Products, Inc. c. Nauga Network Services, Litige OMPI No. D2000-0503; Thaigem Global Marketing Limited c. Sanchai Aree, Litige OMPI No. D2002-0358; et F. Hoffmann-La Roche AG c. Relish Entreprises, Litige OMPI No. D2007-1629).
Cela vaut d’autant plus lorsque la marque constitue l’élément prédominant du nom de domaine litigieux, et que l’élément ajouté constitue un terme descriptif. Tel est le cas de l’adjonction d’un simple chiffre comme il en va en l’espèce, lequel ne revêt qu’une faible force distinctive dans l’esprit des internautes, ce d’autant plus lorsqu’il est associé à une marque aussi connue que la marque MARLBORO (voir, par exemple : Philip Morris USA, Inc. c. Zou Yali, Litige OMPI No. D2014-2164, concernant le nom de domaine <marlboro88.com>).
Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.
Selon le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, le requérant doit démontrer que le défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux.
Dans la décision Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624, la commission administrative a considéré que, s’agissant d’un fait négatif presque impossible à démontrer, à partir du moment où la partie requérante a allégué que le défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime en relation avec le nom de domaine, c’est à la partie défenderesse qu’il incombe d’établir l’existence de ses droits. Partant, il suffit que la partie requérante établisse prima facie que la partie défenderesse ne détient aucun droit ou intérêt légitime pour déplacer le fardeau à la partie défenderesse d’établir ses droits ou intérêts légitimes. A défaut, la partie requérante est présumée avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs (voir le paragraphe 2.1 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, deuxième édition, “Synthèse de l’OMPI, version 2.0”).
En l’espèce, le requérant a allégué n’avoir jamais consenti de droit ni d’autorisation au défendeur en relation avec l’enregistrement et l’exploitation d’un nom de domaine reprenant sa marque et fait valoir que le site rattaché au nom de domaine litigieux aurait pour seul objectif de permettre au défendeur de réaliser des ventes au travers de sites liés.
Le défendeur a toutefois démontré le fait qu’il utilisait depuis de nombreuses années le pseudonyme , “marlboro51” sur des forums de discussion dans le domaine automobile. Le site rattaché au nom de domaine litigieux a pour objectif de permettre au défendeur d’accéder plus facilement à ces différents forums sur lesquels il est régulièrement actif, en en dressant une liste.
Faisant usage des pouvoirs qui lui sont conférés par le paragraphe 10 des Règles d’application, la Commission administrative a examiné les différents sites liés et constaté que le défendeur y prenait en effet une part active sous le pseudonyme “marlboro51” depuis de nombreuses années, et en toute hypothèse bien avant que le litige n’ait été porté à sa connaissance. Le fait que le pseudonyme soit parfois associé à une image du paquet de cigarettes du même nom ne remet pas en cause l’utilisation non commerciale faite par le défendeur, dans un cadre fort éloigné de toute utilisation qui pourrait prêter à confusion ou porter préjudice au titulaire de la marque.
La Commission administrative considère que au vu de sa décision concernant l’usage de mauvaise foi ci-dessous, il n’est pas nécessaire de formuler une conclusion sous cette condition des Principes directeurs.
Selon le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, la partie requérante doit démontrer que le défendeur a enregistré et qu’il utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
L’enregistrement de mauvaise foi présuppose que le défendeur connaissait la marque détenue par le requérant. En l’espèce, il ne fait aucun doute que le défendeur connaissait pertinemment la marque MARLBORO lorsqu’il a procédé à l’enregistrement du nom de domaine litigieux; preuve en est du reste le fait qu’il apparaît sur certains forums de discussion en associant son pseudonyme à un paquet de cigarettes de ladite marque.
En revanche, pour les raisons exposées ci-dessous, cette connaissance ne suffit pas, selon la Commission administrative, à établir la mauvaise foi du défendeur.
Contrairement aux allégations du requérant, il n’apparaît pas que le nom de domaine litigieux serait exploité dans le but d’en retirer des profits commerciaux; la simple présence d’une bannière publicitaire sur un forum de discussion auquel renvoie le site rattaché au nom de domaine litigieux ne saurait être considéré comme une utilisation commerciale du nom de domaine litigieux lui-même, tant les liens apparaissent ténus avec une bannière publicitaire figurant en réalité sur un autre site.
Contrairement aux allégations du requérant, le fait que le défendeur soit parfois identifié par les internautes par son prénom ne change rien au fait que le défendeur lui-même apparaît systématiquement et publie systématiquement dans le cadre de ces forums sous son pseudonyme, même s’il signe parfois les messages eux-mêmes de son prénom.
En soi, il n’apparaît dès lors pas que le défendeur, qui a enregistré le nom de domaine litigieux en 2008 pour lister les forums de discussion favoris auxquels il prend part sous le pseudonyme “marlboro51” depuis de nombreuses années, fasse une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.
Partant, la Commission administrative considère que dans les circonstances du dossier les conditions posées par le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs ne sont pas réalisées.
Pour les raisons précédentes, conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative rejette la plainte déposée par le requérant.
Philippe Gilliéron
Expert Unique
Le 11 mars 2016