Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Confédération Nationale du Crédit Mutuel contre Same Paul
Litige No. D2016-2558
1. Les parties
La Requérante est Confédération Nationale du Crédit Mutuel de Paris, France, représentée par MEYER & Partenaires, France.
Le Défendeur est Same Paul de Kara, Togo.
2. Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le nom de domaine litigieux <credit-mutuelgroupe.com> est enregistré auprès de PDR Ltd. d/b/a PublicDomainRegistry.com (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par la Confédération Nationale du Crédit Mutuel auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 16 décembre 2016. Le 16 décembre 2016, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. Le 20 décembre 2016, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige. Le même jour, le Centre a notifié aux parties, en anglais ainsi qu’en français, que la langue du contrat d’enregistrement était la langue anglaise et a invité la Requérante à lui soumettre soit la preuve d’un accord existant entre les parties pour que la procédure se déroule en français, soit la plainte traduite en anglais, soit enfin former une requête motivée tendant à ce que le français soit la langue de la procédure. Le 21 décembre 2016, la Requérante a soumis une demande pour que le français soit la langue de la procédure, demande à laquelle le Défendeur n’a pas répondu.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 29 décembre 2016, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur en anglais et en français. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 18 janvier 2017. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 19 janvier 2017, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 23 janvier 2017, le Centre nommait Philippe Gilliéron comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
4. Les faits
La Requérante est un important groupe français de services bancaires et d’assurances, qui comprend un réseau de 3178 agences en France.
La Requérante exploite depuis 1996 un portail internet accessible aux adresses “www.creditmutuel.com” et “www.creditmutuel.fr”.
La Requérante est titulaire de nombreuses marques tant françaises qu’internationales composées en tout ou partie du terme CREDIT-MUTUEL, dont la première remonte au 8 juillet 1988 (n° 1475940).
Active depuis plus de trente ans, la Requérante jouit d’une forte réputation à tout le moins en France. Cette dénomination est du reste réservée à la Requérante en application d’une ordonnance n° 58-966 du 16 octobre 1958.
La Requérante communique fréquemment auprès du public en se référant comme le “GROUPE CREDIT MUTUEL”.
Le Défendeur a enregistré le nom de domaine <credit-mutuelgroupe.com> le 8 novembre 2016. Le Défendeur utilise le nom de domaine litigieux pour attirer les internautes vers un site consistant en une copie servile et non autorisée du code source du site officiel de la Requérante. L’adresse postale (au Togo) indiquée par le Défendeur lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux s’avère inexistante.
5. Argumentation des parties
A. Requérante
La Requérante fait tout d’abord valoir le fait que le nom de domaine <credit-mutuelgroupe.com> est similaire à sa marque CREDIT-MUTUEL qu’elle incorpore en son intégralité et dont l’adjonction du terme GROUPE, générique, est impropre à exclure le risque de confusion qui en résulte, ce d’autant plus qu’il est fréquemment utilisé par la Requérante dans sa communication externe.
La Requérante considère ensuite que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Elle ne lui a accordé aucune autorisation ou licence d’exploitation et le Défendeur n’est ni l’un de ses agents ni l’un de ses salariés.
La Requérante fait enfin valoir le fait que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur a manifestement lieu de mauvaise foi. Au vu de sa renommée, le Défendeur ne pouvait ignorer son existence lorsqu’il a enregistré le nom de domaine litigieux. En reproduisant servilement son site officiel, le Défendeur utilise selon toute vraisemblance le nom de domaine <credit-mutuelgroupe.com> à des fins de hameçonnage, ce qui constitue à l’évidence une utilisation de mauvaise foi.
B. Défendeur
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments de la Requérante.
6. Discussion et conclusions
Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par ceux-ci, à savoir :
(i) si le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la requérante a des droits; et
(ii) si le défendeur n’a aucun droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine; et
(iii) si le défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine de mauvaise foi.
Avant d’examiner les conditions de fond posées par les Principes directeurs, il convient toutefois de résoudre une question procédurale qu’est celle de la langue de la procédure.
A. Langue de la procédure
Selon le paragraphe 11 des Règles d’application, la langue de la procédure doit être la langue du contrat d’enregistrement, sauf si les circonstances d’espèce justifient que la plainte soit soumise dans une autre langue.
En l’espèce, il est avéré que la langue du contrat d’enregistrement est l’anglais, et qu’aucun accord entre les parties n’existe pour retenir le français comme langue de la procédure. Il appert cependant que le Défendeur a indiqué comme adresse dans la banque de données WhoIs des indications en français et que le site auquel est rattaché le nom de domaine litigieux est rédigé en français. De plus, le Défendeur n’a pas répondu à la plainte et n’a pas soumis d’objections à ce que la procédure soit en français.
Partant, la Commission ne voit pas de raison de s’opposer à la requête formée par la Requérante pour que la procédure se déroule en français.
B. Identité ou similitude prêtant à confusion
Selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, la Requérante doit démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la Requérante a des droits.
En l’espèce, il est établi que la Requérante est titulaire de nombreuses marques verbales CREDIT‑MUTUEL et de nombreuses autres marques composées en tout ou partie de ce terme. Il est incontestable que la marque CREDIT-MUTUEL doit être considérée comme une marque jouissant d’une forte réputation. La dénomination CREDIT-MUTUEL est légalement réservée à la Requérante en France conformément à l’ordonnance n° 58-966 du 16 octobre 1958.
Il est largement admis que le fait de reprendre à l’identique la marque d’un tiers dans un nom de domaine peut suffire à établir que ce nom de domaine soit identique ou similaire au point de prêter à confusion avec la marque sur laquelle la partie Requérante a des droits.
Cela vaut d’autant plus lorsque la marque constitue l’élément prédominant du nom de domaine litigieux, et que l’élément ajouté constitue un terme descriptif.
Ainsi en va-t-il en l’espèce. L’adjonction du terme “groupe” est impropre à écarter le risque de confusion résultant de la reprise pure et simple par le Défendeur de la marque de la Requérante comme élément principal du nom de domaine litigieux. Au contraire, il le renforce en laissant manifestement croire à une appartenance au groupe de la Requérante.
Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.
C. Droits ou intérêts légitimes
Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(ii), la Requérante doit démontrer que le Défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.
Dans la décision Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624, la commission administrative a considéré que, s’agissant d’un fait négatif presque impossible à démontrer, à partir du moment où le requérant a allégué que le défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime en relation avec le nom de domaine, c’est au défendeur qu’il incombe d’établir l’existence de ses droits. Partant, il suffit que le requérant établisse prima facie que le défendeur ne détient aucun droit ou intérêt légitime pour renverser le fardeau de la preuve et laisser le défendeur le soin d’établir ses droits. A défaut, le requérant est présumé avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs (voir le paragraphe 2.3 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, deuxième édition, “Synthèse, version 2.0”).
Tel est le cas en l’espèce. La Requérante a allégué que le Défendeur n’avait aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine, l’utilisant comme une copie du site officiel de la Requérante, manifestement dans un but de hameçonnage. Le nom de domaine lui-même donne une impression incorrecte que le Défendeur et la Requérante sont affiliés. En l’absence d’une réponse formelle, force est d’admettre que le Défendeur n’a apporté aucun élément à même de démontrer un droit ou à tout le moins un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, difficilement concevable pour ne pas dire inconcevable au vu de la notoriété de la marque CREDIT-MUTUEL de la Requérante et du monopole qui lui a été légalement octroyé en application de l’ordonnance précitée.
Partant, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.
D. Enregistrement et usage de mauvaise foi
Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(iii), la Requérante doit démontrer que le Défendeur a enregistré et qu’il utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
L’enregistrement de mauvaise foi présuppose que le Défendeur connaissait la marque de la Requérante. En l’espèce, il ne fait aucun doute au vu de la forte notoriété dont jouit la marque de la Requérante que le Défendeur en avait à l’évidence connaissance lorsqu’il a enregistré le nom de domaine litigieux, et qu’aucune utilisation autre que de mauvaise foi n’est concevable. Le Défendeur, qui avait tous loisirs pour ce faire, n’a du reste pas démontré le contraire ni même chercher à le faire.
L’utilisation par le Défendeur du nom de domaine à des fins que la Commission ne peut imaginer autre que frauduleuse, notamment à des fins de hameçonnage, est une utilisation de mauvaise foi au sens du paragraphe 4(b)(iv) des Principes directeurs.
Partant, la Commission administrative considère que le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est également réalisé.
7. Décision
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <credit-mutuelgroupe.com> soit transféré à la Requérante.
Philippe Gilliéron
Expert Unique
Le 24 janvier 2017