Le Requérant est SA Artexis Exhibitions de Gand, Belgique, représenté par Sybarius, Belgique.
Le Défendeur est Jean-Pierre Ier de Monte Carlo, Monaco.
Le nom de domaine litigieux <art.brussels> est enregistré auprès d’OVH (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par SA Artexis Exhibitions auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 23 mai 2018. En date du 23 mai 2018, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 24 mai 2018, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 4 juin 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 24 juin 2018. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 26 mai 2018, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 2 juillet 2018, le Centre nommait Martine Dehaut comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le Requérant, société de droit belge, a pour activité l’organisation de salons et de foires d’art grand public et notamment de la foire d’art contemporain Art Brussels que celui-ci organise depuis plus de 30 ans.
Le Requérant invoque à l’appui de sa demande les enregistrements de marque auprès de l’OBPI suivants :
Marque semi-figurative de l’Union économique Benelux ART BRUSSELS n° 0746928, enregistrée le 1er juin 2004; et
Marque verbale de l’Union économique Benelux ARTBRUSSELS n° 0765428, enregistrée le 9 mai 2005, pour désigner une série de produits et de services en relation avec l’organisation de foires et de salons. La distinctivité de ladite marque acquise par un usage ancien a été retenue par la Cour d’Appel de Bruxelles dans un arrêt du 15 Juin 2016 opposant le Requérant à une société polonaise.
Le nom de domaine litigieux a été réservé par le Défendeur le 4 avril 2018 auprès de l’OVH de manière anonymisée.
Le 11 avril 2018 le Requérant a été contacté par courriel par un certain John David Peter pour l’informer que le nom de domaine <art.brussels> était mis en vente, et lui communiquant le lien vers la place de marché en ligne sur lequel il pouvait faire une offre d’achat.
Le nom de domaine litigieux était mis en vente aux enchères au prix minimum de 50 000 euros.
Le 16 avril 2018, le Requérant adressait un courrier de mise en demeure à l’Unité d’enregistrement demandant que cette dernière communique l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et invite son client à transférer celui-ci à son bénéfice dans les 48 heures sous peine, en cas d’inexécution, de l’introduction d’une action judiciaire pour obtenir la réparation du préjudice subi.
En réponse le 19 avril 2018, l’unité d’enregistrement a invité le Requérant à s’adresser au Registre en charge de la gestion du domaine <.brussels>.
Préalablement, le Requérant demande que le français soit retenu comme langue de la présente procédure. Il invoque à cette fin les arguments suivants :
Le Requérant est une société de droit belge, l’Unité d’enregistrement est une société de droit français localisée en France. De plus, le Requérant invoque que le site auquel renvoie le nom de domaine est rédigé en langue française et que les courriers et emails échangés entre le Requérant et l’Unité d’enregistrement ont été rédigés en français.
Le Requérant fait valoir que le nom de domaine litigieux <art.brussels> reprend à l’identique les deux éléments verbaux qui constituent sa marque ART BRUSSELS. La reproduction quasi identique de sa marque ne peut que générer une confusion dans l’esprit de l’internaute qui ne manquera pas de percevoir le nom de domaine litigieux comme une marque secondaire ou une variante de la marque dont il est titulaire, les associant à une même entreprise ou à des entreprises liées. L’internaute sera ainsi indûment conduit à accéder au site du Défendeur alors même qu’il pense avoir accédé à celui du Requérant.
L’absence d’exploitation du nom de domaine litigieux, sa mise en vente sept jours après son enregistrement démontrent que le Défendeur n’a aucune intention de l’exploiter ni aucun intérêt légitime attaché à ce dernier. Selon le Requérant, le Défendeur n’est par ailleurs pas connu sous ce nom.
Le Requérant estime enfin que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi dans le seul but de le lui vendre et ce à un prix excédant de loin les seuls frais que le Défendeur a pu engager pour son enregistrement.
Le Requérant demande en conséquence le transfert à son profit du nom de domaine <art.brussels>.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant d’apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement :
Le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et
Le Défendeur ne dispose d’aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache ; et
(iii) Le nom de domaine litigieux est enregistré et utilisé de mauvaise foi.
A titre préliminaire, la Commission administrative confirme que les conditions sont remplies pour permettre à la présente procédure d’être conduite en français puisque la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux et celle dans laquelle la plainte a été déposée est le français.
La Commission administrative confirme que le Requérant a justifié de ses droits sur la marque ART BRUSSELS comme ci-dessus rappelés. Il apparaît à l’évidence que le nom de domaine litigieux <art.brussels> pris dans son ensemble est une reproduction quasi-identique de la marque du Requérant.
Néanmoins, il se caractérise par le fait que la seconde portion du nom de domaine correspond au domaine générique de premier niveau “.brussels”. En principe, il est considéré par les Commissions administratives que l’extension doit être écartée pour apprécier la similitude source de confusion, requise par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, entre le nom de domaine litigieux et la marque qui lui est opposée. Ce principe connaît toutefois des exceptions, notamment lorsque le terme constituant l’extension est compris dans la marque du Requérant et induit, de par son association avec le vocable constituant la première portion du nom de domaine, une confusion avec la marque du Requérant.
On se réfèrera sur cette question à la jurisprudence développée par les Commissions administratives - comme reflété dans la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition (“Synthèse, version 3.0”), paragraphe 1.11.3 - ainsi qu’aux décisions rendues dans les litiges suivants : At World Properties, LLC c. Whois Agent, WHOIS PRIVACY PROTECTION SERVICES, INC. / Whois Agent, PROFILE GROUP, Litige OMPI No. D2016-0440, <at.properties>; Compagnie Générale des Etablissements Michelin c. Pacharapatr W., Litige OMPI No. D2016-2465, <tyre.plus>; Première Vision c. Pierre-Olivier Fluder, Litige OMPI No. D2014-2036 <premiere.vision>.
En l’espèce, il résulte de l’association du domaine <art> à l’extension “.brussels” un ensemble quasi identique à la marque du Requérant, susceptible d’induire une confusion dans l’esprit des internautes qui ne manqueront pas d’associer indûment le nom de domaine litigieux à la marque et l’activité du Requérant.
En conséquence, la Commission administrative considère que la première condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.
La Commission administrative rappelle qu’il appartient au Requérant d’apporter la preuve d’une absence de droits ou intérêts légitimes du Défendeur sur le nom de domaine litigieux. En l’espèce, le Requérant affirme que le Défendeur n’est pas connu sous le nom “ART BRUSSELS” mais ne corrobore pas cette affirmation par des recherches susceptibles d’être conduites notamment sur l’Internet ou auprès du Registre des sociétés. Cela étant, il apparaît à l’évidence que le Défendeur n’a jamais utilisé le nom de domaine litigieux. Bien au contraire, comme le démontrent les pièces communiquées par le Requérant, le Défendeur s’est empressé de mettre en vente ce dernier sur une plateforme de vente aux enchères, sept jours après son enregistrement. Le nom de domaine litigieux était toujours en vente au moment du dépôt de la présente plainte. La Commission administrative retient dès lors favorablement l’argument du Requérant selon lequel de tels faits et agissements démontrent l’absence d’intérêt légitime du Défendeur sur le nom de domaine <art.brussels>, argumentation que ce dernier n’a d’ailleurs pas cherché à contester.
En conséquence, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est remplie.
En application du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, le Requérant est tenu de prouver que le Défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi. Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs donne des exemples non exhaustifs de comportements susceptibles de constituer une telle preuve, tels que :
(i) les faits montrent que le Défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine litigieux essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au Requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine litigieux ;
(ii) le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique ;
(iii) le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent ; où
(iv) en utilisant ce nom de domaine litigieux, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.
En l’espèce, il a été clairement démontré par le Requérant que le Défendeur n’a eu d’autre but en réservant le nom de domaine litigieux que de tenter de vendre ce dernier au Requérant, celui-ci ayant été invité par email sept jours seulement après la réservation du nom de domaine litigieux à se rendre sur une plateforme de vente aux enchères “uniregitry.com” pour en faire l’acquisition. La Commission administrative a pu constater au vu des documents annexés par le Requérant à la présente plainte que le nom de domaine <art.brussels> était en effet mis en vente au prix exorbitant de 50000 euros, excédant largement le coût de sa réservation.
De tels agissements démontrent la mauvaise foi du Défendeur dans la réservation du nom de domaine <art.brussels> exploité uniquement pour faire un profit indu en tirant partie de la renommée d’une foire d’art contemporain organisée depuis de très nombreuses années par le Requérant.
En conséquence, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est satisfaite.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <art.brussels> soit transféré au Requérant.
Martine Dehaut
Expert Unique
Le 16 juillet 2018