Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Coup de Pates contre Mohamed Bouchaid

Litige No. D2018-1157

1. Les parties

Le Requérant est Coup de Pates de Ferrières-en-Brie, France, représenté par Novagraaf France, France.

Le Défendeur est Mohamed Bouchaid d’Issy-les-Moulineaux, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <coupdepates-france.com> est enregistré auprès de Register.IT SPA (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée en anglais par Coup de Pates auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 23 mai 2018. En date du 23 mai 2018, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 25 mai 2018, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige. Le 25 mai 2018, le Centre a notifié aux Parties, en anglais et en français, que la langue du contrat d’enregistrement était le français. Le 28 mai 2018, le Requérant a déposé une plainte amendée traduite en français. Le Défendeur n’a apporté aucune observation concernant la langue de la procédure.

Le Centre a vérifié que la plainte déposée en anglais et en français répondait bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 31 mai 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 20 juin 2018. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 22 juin 2018, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 2 juillet 2018, le Centre nommait Alexandre Nappey comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est la société COUP DE PATES, distributeur de produits surgelés de haut de gamme, qui a été fondée en 1996 et qui est titulaire, notamment, des marques suivantes constituées de l’expression “COUP DE PATES”:

- COUP DE PATES, marque nominale française n° 1581702 déposée le 23 mars 1990 en classes 29 et 30;

- COUP DE PATES, marque semi-figurative française n° 1598773 déposée le 22 juin 1990 en classes 29 et 30;

- COUP DE PATES, marque nominale de l’Union européenne n° 108498 déposée 1er avril 1996 en classes 29, 30 et 42.

Le nom de domaine litigieux <coupdepates-france.com> a été enregistré le 24 octobre 2017.

A la date de la plainte, le nom de domaine litigieux ne dirigeait vers aucun site web.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

En premier lieu, le Requérant avance que le nom de domaine litigieux est semblable au point de prêter à confusion avec ses marques antérieures COUP DE PATES car:

- il reprend l’expression “COUP DE PATES” dans son intégralité;

- l’addition du terme “france” n’est pas suffisante pour écarter un risque de confusion car ce terme n’est pas distinctif puisqu’il se réfère au territoire français sur lequel le Requérant est actif et qu’il doit donc être exclu de la comparaison des signes;

- l’extension “.com” n’est pas un élément pertinent pour écarter un risque de confusion.

En deuxième lieu, le Requérant soutient que le Défendeur, identifié comme étant Monsieur Mohamed Bouchaid, n’a aucun droit sur la dénomination “COUP DE PATES” puisqu’il il ne s’agit pas de son patronyme et qu’il ne possède pas de marque comprenant cette dénomination.

Selon le Requérant, il ne dispose donc d’aucun intérêt légitime à détenir le nom de domaine litigieux.

En troisième lieu, le Requérant avance que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur. A cet égard, le Requérant indique que le nom de domaine litigieux n’est pas exploité. De plus, le Requérant soutient qu’un serveur de messagerie aurait été configuré sur le nom de domaine litigieux, ce qui pourrait laisser penser que le Défendeur a pour but de se faire passer pour le Requérant et d’envoyer des messages frauduleux aux clients et fournisseurs de ce dernier afin de collecter des données personnelles au nom du Requérant ou de partager des informations sur ce dernier.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d’application dispose: “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.”

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant désireux d’obtenir le transfert d’un nom de domaine litigieux de prouver cumulativement que:

(i) Le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion, avec une marque de produits ou services sur laquelle le Requérant a des droits;

(ii) Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

(iii) Le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

6.1. La langue de la procédure

A titre préliminaire, l’unité d’enregistrement a indiqué que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux était le français et le Requérant, qui avait initialement déposé la plainte en anglais, a soumis la plainte en français suite à la notification du Centre.

Le Requérant est une entreprise française, le Défendeur semble bien être français, son adresse, telle que déclarée dans la base de données WhoIs, est en France, et le nom de domaine litigieux qui est composé du terme “france” fait expressément référence à ce pays.

La Commission estime qu’il n’y a aucun obstacle qui s’oppose à ce que la décision soit rendue en français, conformément aux dispositions du paragraphe 11 des Règles d’application.

6.2. Questions de fond

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits.

La Commission administrative estime que le Requérant a démontré qu’il est titulaire de droits sur la marque COUP DE PATES en France et dans l’Union Européenne notamment.

Le nom de domaine litigieux <coupedepates-france.com> reprend intégralement la marque COUP DE PATES du Requérant, suivie du terme “france” qui fait directement référence au territoire sur lequel est situé le siège social du Requérant.

Ceci étant, de nombreuses décisions ont reconnu, sur le fondement des Principes directeurs, que l’incorporation d’une marque reproduite à l’identique au sein d’un nom de domaine est suffisante pour établir que le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à la marque sur laquelle le requérant a des droits, et que la simple adjonction d’un terme (mot, acronyme, désignation géographique) est insuffisante pour éviter un tel risque de confusion (voir notamment la section 1.8 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition (“Synthèse, version 3.0”), et les décisions Hoffmann-La Roche AG v. Domain Admin, Privacy Protection Service INC d/b/a PrivacyProtect.org / Conan Corrigan, Litige OMPI No. D2015-2316, Valero Energy Corporation and Valero Marketing and Supply Company c. Valero Energy, Litige OMPI No. D2017-0075, BHP Billiton Innovation Pty Ltd c. Oloyi, Litige OMPI No. D2017-0284, Allianz SE c. IP Legal, Allianz Bank Limited, Litige OMPI No. D2017-0287, The American Automobile Association, Inc. c. Cameron Jackson / PrivacyDotLink Customer 2440314, Litige OMPI No. D2016-1671).

En l’espèce, la Commission administrative estime que l’ajout du terme “france” à la marque COUP DE PATES dans le nom de domaine litigieux n’est pas de nature à exclure un risque de confusion entre la marque du Requérant et le nom de domaine litigieux.

Au contraire, la Commission administrative estime que, l’ajout du terme “france” est descriptif du territoire sur lequel le Requérant est installé et vient renforcer le risque de confusion ce dernier. Voir sur ce point, parmi de nombreuses décisions, Christian Dior Couture c. Jean Guedj, Litige OMPI No. D2017-0731, énonçant que “Le nom de domaine litigieux <dior-france.com> reprend l’intégralité des marques DIOR détenues par le Requérant, pratique qui a toujours été considérée dans les décisions des commissions administratives en vertu des Principes directeurs comme un fort indice de cybersquatting (voir, par exemple, récemment encore Crédit Agricole S.A. contre Marconi Jessica, Litige OMPI No. D2017-0492). L’adjonction du terme ʻFranceʼ ne diminue pas le risque de confusion, tout au contraire, d’autant que la Maison Dior est mondialement connue comme une société française.”

Par conséquent, la Commission administrative estime que le nom de domaine litigieux est similaire à la marque détenue par le Requérant au point de prêter à confusion, au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

Conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, le Requérant est tenu de démontrer prima facie que le Défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime au regard du nom de domaine litigieux. Il appartient ainsi au Requérant d’établir que le Défendeur ne détient aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. En revanche, si le Défendeur ne réagit pas ou ne parvient pas à apporter la preuve du contraire, le Requérant est présumé avoir fourni la preuve de l’absence de droits ou d’intérêt légitime.

Il résulte des éléments transmis par le Requérant que le Défendeur ne bénéficie d’aucun droit sur le nom de domaine litigieux dans la mesure où le nom du Défendeur, Mohamed Bouchaid ne présente aucune ressemblance avec les termes COUP DE PATES, que le Défendeur n’est titulaire d’aucune marque de produits ou de services portant sur le signe COUP DE PATES et que le Requérant n’a concédé au Défendeur aucune licence ou autre autorisation d’usage des marques détenues par le Requérant ni de l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

La Commission administrative relève que le Défendeur n’a pas répondu à la plainte comme il y a pourtant été invité: il n’a ainsi pas contesté les allégations du Requérant, ni fourni d’explications ou de justifications de nature à prouver un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

La Commission administrative estime que le Requérant a établi une présomption d’absence de droit ou d’intérêt légitime qui n’a pas été renversée par le Défendeur.

Dans ces conditions, la Commission administrative estime que le Défendeur n’a pas de droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon les paragraphes 4(a)(iii) et 4 (b) des Principes directeurs, la réalisation de l’une des circonstances suivantes est susceptible d’établir qu’un nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi:

(i) les faits montrent que le défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine;

(ii) le défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique;

(iii) le défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou

(iv) en utilisant ce nom de domaine, le défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.

Le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux <coupedepates-france.com> a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.

Enregistrement de mauvaise foi:

Concernant l’enregistrement de ces noms de domaine litigieux, la Commission administrative considère que la dénomination choisie par le Défendeur n’a rien d’usuelle ou de générique puisqu’elle est protégée à titre de marque en France et au niveau européen au bénéfice du Requérant.

La Commission administrative considère par ailleurs que, au regard de l’ancienneté des marques COUP DE PATES et de l’association, au sein du nom de domaine litigieux, de la dénomination “COUP DE PATES” avec le terme “France” qui fait directement référence au territoire sur lequel se trouve le Requérant, le Défendeur ne pouvait pas ignorer l’existence des droits du Requérant au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux.

Utilisation de mauvaise foi:

Le Requérant prétend qu’une adresse de messagerie aurait été configurée sur la base du nom de domaine litigieux mais ne produit aucune preuve à l’appui de cette affirmation.

La Commission administrative ne peut dès lors tenir compte de cet argument.

Cependant, la Commission administrative relève qu’au jour de la plainte, le nom de domaine est inactif, ce qui dans certaines circonstances est susceptible d’être interprété comme une utilisation de mauvaise foi.

En effet, la détention passive d’un nom de domaine imitant une marque enregistrée peut être considérée comme un acte de mauvaise foi.

Au surplus, le fait que le Défendeur n’ait pas daigné prendre part à la procédure pour tenter de justifier ses actes conforte la Commission administrative dans son opinion que le nom de domaine litigieux est bien utilisé de mauvaise foi.

Dans ces conditions, la Commission administrative estime le Défendeur a enregistré et qu’il utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <coupdepates-france.com> soit transféré au Requérant.

Alexandre Nappey
Expert Unique
Le 16 juillet 2018