Le Requérant est Société Anonyme des Galeries Lafayette, de Paris, France, représenté par Dreyfus & associés, France.
Le Défendeur est Crochon Marine, de Roubaix, France / Marine C, de Colombes, France.
Les noms de domaine litigieux <galerielafayette.net> et <galerielafayettes.net> sont enregistrés auprès d’OVH (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par Société Anonyme des Galeries Lafayette auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 11 juillet 2018. En date du 11 juillet 2018, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 13 juillet 2018, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 24 juillet 2018, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire des noms de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte ou une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 27 juillet 2018.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 30 juillet 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 19 août 2018. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse.
En date du 29 août 2018, le Centre nommait Louis-Bernard Buchman comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Par ordonnance administrative No.1 du 13 septembre 2018, la Commission administrative a demandé au Requérant de fournir les annexes complètes correspondant à la liste des annexes, jointe à la plainte et à la plainte amendée, certaines de celles produites ne correspondant pas à leur description dans cette liste. Le 21 septembre 2018, le Requérant a déposé les pièces complémentaires demandées.
Le Requérant est le propriétaire des grands magasins Galeries Lafayette, fondés à Paris en 1895, et possède également 280 magasins situés en France et dans le monde entier, employant plus de 16000 collaborateurs et réalisant un chiffre d'affaires de vente au détail de 4,5 milliards d'euros.
Le Requérant est titulaire de marques comprenant le terme GALERIES LAFAYETTE, dont les marques (ci-après désignées ensemble : “la Marque”) suivantes :
- la marque française verbale No. 1502755 enregistrée le 9 décembre 1988 ;
- la marque française semi-figurative No. 92406755 enregistrée le 21 février 1992 ;
- la marque de l’Union Européenne No. 12602652 enregistrée le 14 février 2014.
Le Requérant est par ailleurs titulaire de nombreux noms de domaine, parmi lesquels <galerieslafayette.com>, enregistré le 1er août 1997 et <galerieslafayette.fr>, enregistré le 26 avril 1999.
Les noms de domaine litigieux ont été enregistrés par le Défendeur le 17 octobre 2017 et ne sont pas utilisés pour exploiter un site Internet, mais pointent vers une page parking.
(i) Le Requérant dispose de droits sur la Marque.
(ii) Les noms de domaine litigieux portent atteinte aux droits dont est titulaire le Requérant, en ce qu’ils imitent la Marque, et sont susceptibles de créer un risque de confusion dans l’esprit des internautes en leur laissant croire que le Requérant est lié directement ou indirectement aux noms de domaine litigieux, ce qui n’est pas le cas.
(iii) Les noms de domaine litigieux sont constitués de la partie distinctive de la Marque.
(iv) Le Défendeur n’a jamais été affilié au Requérant ou autorisé par lui à procéder à l’enregistrement des noms de domaine litigieux ; le Défendeur ne peut justifier d’aucun droit ou intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux.
(v) Le Défendeur a enregistré les noms de domaine litigieux et les utilise de mauvaise foi.
(vi) Le Requérant demande que les noms de domaine litigieux lui soient transférés.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
La Commission administrative est tenue d’appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d’application qui prévoit que : “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.”
Le paragraphe 10(a) des Règles d’application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu’elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d’application).
En conséquence, la Commission administrative s’est attachée à vérifier, au vu des arguments et pièces disponibles, si l’enregistrement et l’utilisation des noms de domaine litigieux portaient atteinte aux droits du Requérant et si le Défendeur pouvait justifier de droits sur ces noms de domaine.
Selon le paragraphe 14(b) des Règles d’application, la Commission administrative a le pouvoir de tirer du défaut du Défendeur toutes conclusions qu’elle juge appropriées.
Au cas présent, la Commission administrative constate que le Défendeur n’a réfuté aucun des faits allégués par le Requérant.
En particulier, le Défendeur, par son défaut, n’a fourni à la Commission administrative aucun des éléments prévus par les paragraphes 4(b) et (c) des Principes directeurs qui lui aurait permis de conclure que le Défendeur jouit de droits ou justifie d’intérêts légitimes concernant les noms de domaine litigieux, ou qu’il a agi de bonne foi en enregistrant et utilisant les noms de domaine litigieux.
Dans le cadre de l’analyse de la première condition du paragraphe 4(a), la Commission administrative doit d’abord constater si le droit du Requérant sur la Marque existe objectivement ou non.
Au vu des pièces versées au dossier, la Commission administrative considère que le Requérant justifie de droits exclusifs sur la dénomination GALERIES LAFAYETTE à titre de marque enregistrée.
Demeure alors la question de la comparaison entre cette dénomination d’une part et les noms de domaine litigieux d’autre part.
Or, les noms de domaine litigieux reproduisent totalement l’élément distinctif GALERIES LAFAYETTE.
En ce qui concerne l’identité ou la similitude de la Marque par rapport aux noms de domaine litigieux, la seule différence consiste en l’absence de la lettre finale “s” au mot générique “galeries” dans les deux noms de domaine litigieux et dans l’ajout de la lettre finale “s” au mot “lafayette” dans le nom de domaine <galerielafayettes.net>. Ces différences ne sauraient aux yeux de la Commission administrative conférer un autre sens aux noms de domaine litigieux ni permettre de les distinguer de la Marque du Requérant.
Il est établi par ailleurs que les extensions de nom de domaine (telles que “.net”), suffixes nécessaires pour leur enregistrement, sont sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, les extensions pouvant donc ne pas être prises en considération pour examiner la similarité entre la Marque et les noms de domaine litigieux, conformément à nombre de décisions déjà rendues sous les Principes directeurs (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Accor c. Accors, Litige OMPI No. D2004-0998).
La Commission administrative estime que les noms de domaine litigieux sont similaires à la Marque sur laquelle le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (voir Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA c. PrivacyProtect.org / N/A, indishi india mr.ugala, Litige OMPI No. D2010-1147; Credit Industriel et Commercial S.A., Banque Fédérative du Credit Mutuel c. Headwaters MB, Litige OMPI No. D2008-1892; Banque Saudi Fransi c. ABCIB, Litige OMPI No. D2003-0656; Islamic Bank of Britain Plc c. Ifena Consulting, Charles Shrimpton, Litige OMPI No. D2010-0509; BPCE c. PrivacyProtect.org / Maksym Pastukhov, Litige OMPI No. D2010-1666).
Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l’exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.
Il est admis que, s’agissant de la preuve d’un fait négatif, une commission administrative ne saurait se montrer trop exigeante vis-à-vis d’un requérant. Lorsqu’un requérant a allégué le fait que le défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine, il incombe au défendeur d’établir le contraire, puisque lui seul détient les informations nécessaires pour ce faire. S’il n’y parvient pas, les affirmations vraisemblables du requérant sont réputées exactes (Eli Lilly and Company c. Xigris Internet Services, Litige OMPI No. D2001-1086; Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624).
Le Défendeur n’a pas été autorisé par le Requérant à utiliser la Marque ou à procéder à l’enregistrement d’un nom de domaine incluant la Marque.
Par ailleurs, le mutisme conservé par le Défendeur, qui a choisi de ne pas répondre à la plainte dans la présente procédure, ne permet pas de penser qu’il ferait un usage légitime et non commercial des noms de domaine litigieux.
Enfin, le Défendeur ayant délibérément utilisé la pratique du typosquatting, aucun intérêt légitime relatif aux noms de domaine litigieux n’est manifeste de sa part.
La Commission administrative est d’avis, dans ces conditions, que le Défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes qui s’attachent aux noms de domaine litigieux.
La mauvaise foi doit être prouvée dans l’enregistrement comme dans l’utilisation.
En ce qui concerne l’enregistrement de mauvaise foi, la Commission administrative estime que le choix comme noms de domaine d’une marque notoire, en omettant ou en ajoutant simplement une lettre (qui ne saurait affecter l'apparence ou la prononciation des noms de domaine litigieux, ni permettre de les distinguer de la Marque), ne peut être le fruit d’une simple coïncidence, la notoriété de la Marque ayant été reconnue par de nombreuses décisions rendues sous les Principes directeurs (par exemple Société Anonyme des Galeries Lafayette c. Anne Isern-Gagniere, Litige OMPI No. D2005-0474; Société Anonyme des Galeries Lafayette and Galeries Lafayette Voyages c. Domains By Proxy, Inc./Reinhard Herrmann, Litige OMPI No. D2009-0904; Société Anonyme des Galeries Lafayette c. Charlie Kalopungi / Moniker Privacy Services, Registrant [2997295], Litige OMPI No. D2010-1236; Société Anonyme des Galeries Lafayette c. Domain Admin/PrivacyProtect.org et Tech Domain Services Private Limited, Litige OMPI No. D2012-0487; Société Anonyme des Galeries Lafayette c. Domain Dotter, Elia Tan, Litige OMPI No. D2013-2233; Société Anonyme des Galeries Lafayette c. Eac International Co., Limited Jiaai, Litige OMPI No. D2014-0647; Société Anonyme des Galeries Lafayette c. Ilgar Ahmetli, Litige OMPI No. D2017-0173 et Société Anonyme des Galeries Lafayette c. Mr Galeries Lafayette, Litige OMPI No. D2018-1050).
Dans ces circonstances, la Commission administrative estime plus qu’improbable qu’au moment où il a enregistré les noms de domaine litigieux, le Défendeur ait pu ne pas avoir connaissance de la Marque.
La simple immobilisation d’un nom de domaine, sans raison, peut être constitutive d’une utilisation de mauvaise foi.
Les noms de domaine litigieux renvoyaient à une page parking avec des liens pay-per-clik générant des gains commerciaux.
Des décisions administratives UDRP ont déjà et à plusieurs reprises pu retenir que la détention d’un nom de domaine sans qu’un site actif y corresponde pouvait, dans certains cas, être considérée comme une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine (voir Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, supra; Christian Dior Couture SA v. Liage International Inc., Litige OMPI No. D2000-0098; ACCOR v. S1A, Litige OMPI No. D2004-0053et Westdev Limited v. Private Data, Litige OMPI No. D2007-1903).
Par ailleurs, le fait que la page parking vers laquelle pointaient les noms de domaine litigieux ait contenu des liens commerciaux et une proposition de vente des noms de domaine litigieux confirme que le Défendeur utilisait les noms de domaine litigieux à des fins lucratives.
En outre, compte tenu de la spécificité de l’activité du Requérant, l’usage de mauvaise foi des noms de domaine litigieux par le Défendeur peut résulter du fait que leur usage de bonne foi ne soit d’aucune façon plausible (Voir Audi AG c. Hans Wolf, Litige OMPI No. D2001-0148).
La Commission administrative conclut qu’en détenant et utilisant les noms de domaine litigieux à des fins pouvant porter atteinte à la Marque et en ne se manifestant pas dans la présente procédure administrative, le Défendeur a enregistré et utilise les noms de domaine litigieux de mauvaise foi.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine litigieux <galerielafayette.net> et <galerielafayettes.net> soient transférés au Requérant.
Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 25 septembre 2018