Le Requérant est Carrefour de Boulogne-Billancourt, France, représenté par Dreyfus & associés, France.
Le Défendeur est Crédit Conseil de L'Essonne d'Evry Courcouronnes, France, représenté en interne.
Le nom de domaine litigieux <carrefourcredits.com> est enregistré auprès de Ligne Web Services SARL (ci-après désigné « l'Unité d'enregistrement »).
Une plainte a été déposée par Carrefour auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le « Centre ») en date du 19 juillet 2018. En date du 19 juillet 2018, le Centre a adressé une requête à l'Unité d'enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 20 juillet 2018, l'Unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la plainte répondait bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés « Principes directeurs »), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les « Règles d'application »), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les « Règles supplémentaires ») pour l'application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d'application, le 25 juillet 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 14 août 2018. Le 1er août 2018, le Requérant a demandé la suspension de la procédure pour une période de 30 jours. Le même jour, le Centre a notifié aux Parties et à l'Unité d'enregistrement la suspension de la procédure jusqu'au 31 août 2018. Le 2 août 2018, le Requérant a demandé la réinstitution de la procédure. Le 6 août 2018, le Centre a réinstitué la procédure, en indiquant que le délai pour le dépôt d'une réponse était le 19 août 2018. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 8 août 2018.
En date du 23 août 2018, le Centre nommait Michel Vivant comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.
Le Requérant, ainsi qu'il a été indiqué, est Carrefour.
Carrefour est un des leaders mondiaux de la grande distribution. Il s'est également diversifié en s'étendant au secteur de la banque et de l'assurance.
Carrefour est titulaire de nombreuses marques, notamment françaises et européenne, telles que la marque française CARREFOUR, n° 1487274, enregistrée dès le 2 septembre 1988, ou la marque française BANQUE CARREFOUR, n° 3585968, enregistrée le 2 juillet 2008. Il est également titulaire de noms de domaine dont <carrefour.com>, <carrefour.fr> et <carrefour-banque.fr>.
Le nom de domaine litigieux <carrefourcredits.com> a été enregistré le 20 décembre 2017.
Carrefour a alors adressé, le 5 janvier 2018, une lettre de mise en demeure au titulaire du nom de domaine litigieux afin de tenter d'obtenir de lui le transfert sans frais dudit nom de domaine. En réponse, le titulaire du nom de domaine litigieux a fait savoir au Requérant, par un mail du 16 janvier 2018, qu'il avait procédé à la réservation d'un second nom de domaine : <carrefourcredits.fr> et être disposé à transférer ces deux noms de domaine pour la somme de 12750 EUR hors taxe (le nom de domaine <carrefourcredits.fr>, enregistré à la même date que le nom de domaine litigieux, faisant l'objet d'une procédure SYRELI auprès de l'AFNIC).
N'ayant pas obtenu d'autres réponses du Défendeur, Carrefour déposa la plainte dont est aujourd'hui saisie la Commission administrative.
Le Requérant fait d'abord observer que le nom de domaine litigieux reproduit sa marque CARREFOUR à l'identique et que la composition dudit nom de domaine accroît même le risque de confusion « car il conduit les internautes à penser qu'il appartient au Requérant, et est plus particulièrement lié à l'activité bancaire de ce dernier. » Il souligne que la marque CARREFOUR a déjà été reconnue comme notoire à l'occasion de décisions antérieures des commissions administratives.
Il rappelle que de nombreuses décisions sous les Principes directeurs ont jugé que la reprise à l'identique d'une marque au sein d'un nom de domaine est suffisante pour établir que le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion avec la marque du requérant et observe que l'ajout du terme générique « crédits » n'écarte en rien le risque de confusion et bien au contraire.
En conséquence, il considère qu'il est établi que le nom de domaine litigieux est identique ou à tout le moins fortement similaire aux marques qu'il détient.
Le Requérant observe ensuite que "le Défendeur n'est ni affilié au Requérant, ni autorisé par le Requérant à enregistrer ou à utiliser les marques Carrefour ou encore à demander l'enregistrement d'un nom de domaine incorporant ces marques" et qu'il n'est pas connu sous ce nom.
A l'affirmation du Défendeur selon laquelle il aurait choisi le nom de domaine litigieux en vue de la construction d'un site généraliste spécialisé dans la demande de prêts divers manifestant sa volonté « d'être à la croisée de tous les crédits et de tout type de demande de financement », le Requérant répond que le nom de domaine litigieux n'a jamais été actif, renvoyant, au moment de son enregistrement, vers une page indiquant seulement que le nom de domaine était réservé, et renvoyant désormais vers une page indiquant que le nom de domaine est suspendu.
Il ajoute que l'enregistrement des marques du Requérant ayant précédé largement l'enregistrement du nom de domaine litigieux, le Défendeur ne pouvait raisonnablement prétendre qu'il avait l'intention de développer une activité légitime.
En conséquence, pour le Requérant, il est hors de doute que le Défendeur n'a aucun droit ni intérêt légitime à l'égard du nom de domaine litigieux.
Enfin, le Requérant fait observer qu'en présence d'une marque notoire comme la marque CARREFOUR, le Défendeur n'a pu enregistrer le nom de domaine litigieux qu'en toute connaissance de cause, c'est-à-dire, selon une jurisprudence bien établie des commissions administratives, de mauvaise foi, rappelant en outre qu'il incombait au Défendeur préalablement à l'enregistrement du nom de vérifier qu'il ne portait pas atteinte aux droits des tiers.
Quant à l'usage de mauvaise foi, le Requérant souligne que le Défendeur, qui a refusé de transférer sans frais le nom de domaine litigieux, a déclaré être prêt à ce transfert pour autant que lui soit versée une contrepartie financière, ce qui, là encore selon une jurisprudence bien établie, est tenu par les commissions administratives pour une preuve d'un usage de mauvaise foi.
Il rappelle encore que le nom de domaine litigieux n'a fait, comme relevé plus haut, l'objet d'aucune utilisation.
L'enregistrement comme l'usage du nom de domaine litigieux ont donc été faits de mauvaise foi.
Le Défendeur ne répond pas de manière systématique aux arguments du Requérant et ne suit pas la structuration tripartite des Principes directeurs et Règles d'application. Il concentre sa réponse sur l'affirmation qu'il a toujours été de bonne foi.
Il ne répond pas vraiment sur la question de l'identité ou de la similitude du nom de domaine litigieux avec les marques du Requérant.
Sur le second point, il ne répond pas davantage sur l'existence de droits qui seraient les siens mais, quant aux intérêts légitimes qui pourraient être les siens, il fait état du projet qu'il dit avoir eu « de créer un site généraliste sur le prêt consommation afin de développer cette activité », dans le prolongement de son activité de courtier en crédits. Pour appuyer ses dires, il produit deux devis dont le premier correspondant à la création d'un site « indépendant et généraliste dans le domaine des demandes de prêts personnels » et agréé par lui en novembre 2017. Il produit encore un certain nombre de factures émanant de l'auteur des devis en question.
Enfin, s'agissant de sa bonne foi, le Défendeur fait valoir qu'ignorant le droit des marques comme celui des noms de domaine, il n'a pas eu le sentiment de porter atteinte à la marque CARREFOUR même s'il reconnaît évidemment la connaître. Même si l'argument n'est pas formulé en ces termes, il paraît bien mettre en avant l'idée de la mise en place d'une sorte de « site carrefour ». Il fait également valoir qu'il a bien eu un projet effectif de réalisation d'un tel site, comme le prouvent devis et factures produits.
Il ajoute avoir « pris conscience, avec le dépôt de plainte reçu, qu'[il] aurai[t] dû transférer les noms de domaines réclamés à première demande » et fait état de sa volonté de procéder aujourd'hui à ce transfert
– mais, sur ce dernier point, sans que rien à ce jour n'ait concrétisé ce projet alors qu'il met en avant une demande d'information sur la marche à suivre pour opérer le transfert datant du 8 août.
L'identité du nom de domaine litigieux <carrefourcredits.com> avec les marques CARREFOUR n'est pas discutable puisque le nom de domaine litigieux reprend l'intégralité desdites marques sans aucun changement. Or une telle pratique a toujours été considérée dans les décisions des commissions administratives comme suffisante pour établir l'identité ou la similitude requise en vertu des Principes directeurs.
L'adjonction de termes ou de lettres ne peut venir contredire cette conclusion dans la mesure où la marque CARREFOUR apparaît dans le nom de domaine litigieux. La nature de tels termes additionnels peut seulement influer sur l'examen des deuxième et troisième éléments (voir la Synthèse des avis des commissions administratives de l'OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition, section 1.8).
Pour la Commission administrative, l'identité ou similitude du nom de domaine litigieux <carrefourcredits.com> avec les marques CARREFOUR de nature à prêter à confusion avec lesdites marques au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, est donc bien établie.
S'agissant des droits que pourrait faire valoir le Défendeur, il est de fait que le Défendeur n'est ni affilié au Requérant, ni autorisé par lui à enregistrer ou à utiliser les marques CARREFOUR ou encore à demander l'enregistrement d'un nom de domaine incorporant ces marques.
S'agissant des intérêts légitimes qu'il pourrait faire valoir, force est de constater qu'il n'est pas connu sous le nom de domaine litigieux.
Le Défendeur met toutefois en avant que le choix du nom de domaine litigieux lui aurait été dicté par son pouvoir d'évocation comme manifestant la volonté qu'il avait d'offrir un site « à la croisée de tous les crédits » – ce qui, dans le vocabulaire des Principes directeurs et Règles d'application, peut d'une certaine manière être compris comme renvoyant à l'idée qu'il aurait un intérêt légitime à l'usage du nom litigieux et appelle donc une considération particulière. Il convient toutefois de souligner que, comme le rappelle la Synthèse des avis des commissions administratives de l'OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition, section 2.10.1, les commissions administratives ont jugé que le fait que le nom de domaine corresponde à un nom commun (phrase ou terme pris dans un dictionnaire) ne suffisait pas à justifier d'un intérêt légitime. Il a ainsi été pertinemment jugé à propos du terme « TGV » : « The Panel considers that the mere registration of a domain name composed of a descriptive word does not confer a right or legitimate interest in it within the meaning of paragraph 4(a)(ii) of the UDRP. To hold otherwise would contradict the structure of the UDRP and would unreasonably exclude from its protection the owners of the many trademarks which comprise words that can be used descriptively in other contexts » (Société Nationale des Chemins de Fer Français c. RareNames, Inc., RareNames WebReg and RN WebReg, Litige OMPI No. D2008-1849).
Pour que l'usage d'un terme commun puisse être jugé légitime, encore faudrait-il que ce terme soit utilisé à bon escient. Au cas présent, « carrefourcredits » n'a pas la signification « naturelle » que veut lui reconnaître le Défendeur. Il ne suggère pas l'idée d'un « carrefour des crédits » (formule qui, d'ailleurs, resterait bien vague et sujette à contestation) mais ne peut guère être compris autrement que déclinant la marque CARREFOUR et renvoyant à une prestation particulière qu'offrirait l'entreprise ainsi identifiée comme il en va par exemple avec le nom de domaine <carrefour-banque.fr> détenu par Carrefour.
En réalité, pour exprimer l'idée qu'il dit avoir été la sienne (et à supposer que l'affirmation corresponde à la réalité), le Défendeur pouvait le faire tout autrement, sans utiliser le terme « carrefour ».
Ainsi rien dans le contexte présent ne confère une légitimité à l'usage du terme « carrefour ».
Aussi la Commission administrative juge-t-elle que le Défendeur n'a aucun droit à faire valoir sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s'y attache au sens du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.
Si l'usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux par le Défendeur paraît pouvoir être caractérisé sans grande difficulté comme il sera démontré plus loin, dès lors que les conditions d'enregistrement et d'usage de mauvaise foi sont cumulatives selon les Principes directeurs, il convient de se demander si, au moment de l'enregistrement, le Défendeur était, ou non, de mauvaise foi, quel qu'ait été l'usage ultérieur du nom de domaine litigieux.
En effet, le Défendeur ne cesse de protester de sa bonne foi. Son argumentation, au moins implicite, est que, s'il n'ignorait évidemment pas la marque CARREFOUR, il a seulement voulu utiliser le terme « carrefour » dans son acception ordinaire. Cependant, la marque CARREFOUR est une marque notoire et, comme il a été observé plus haut, l'alliance faite des termes « carrefour » et « crédits » ne suggère pas vraiment que le Défendeur ait élu un nom de domaine ayant la fonction de suggestion qu'il lui prête. On ne peut échapper au sentiment d'une construction intellectuelle faite ex post, d'autant que rien ne vient établir ses dires qui procèdent de la simple affirmation. En revanche, la marque CARREFOUR est bel et bien reprise dans son intégralité dans le nom de domaine litigieux et, si pour la Commission administrative le Défendeur ne peut justifier cette reprise par un intérêt légitime au sens des Principes directeurs, il faut également rappeler, comme le fait le Requérant, qu'il incombait au Défendeur préalablement à l'enregistrement du nom de domaine de vérifier qu'il ne portait pas atteinte aux droits des tiers.
De surcroît, l'usage ultérieur du nom de domaine litigieux ne plaide pas en faveur de la bonne foi initiale du Défendeur.
En effet, le nom de domaine litigieux n'a jamais été actif, renvoyant, au moment de l'enregistrement, vers une page qui indiquait seulement que le nom de domaine était réservé, et renvoyant par la suite vers une page indiquant que le nom de domaine était suspendu. Or cette « suspension » n'est pas la marque d'une volonté qu'aurait eue le Défendeur de régler amiablement le différend. Dans un premier temps, celui-ci a, en effet, déclaré être prêt à transférer au Requérant le nom de domaine litigieux pour la somme de 12750 EUR hors taxe représentant à ses dires les coûts de création de logos, de permutation de logos, de modification du référencement, des bannières, etc. (mail du Défendeur du 16 janvier 2018), ce qui correspond à une manifeste recherche de profit sans rapport avec le coût insignifiant d'un transfert, critère par excellence de mauvaise foi retenu par les commissions administratives. Dans un second temps, le Défendeur a bien déclaré qu'il était prêt à transférer sans frais le nom de domaine litigieux mais il lui aura fallu huit mois pour en arriver là. Qui plus est, il doit être observé que, si le Défendeur s'est formellement prononcé en ce sens dans sa réponse adressée au Centre le 8 août 2018, rien n'a été encore fait fin août, à la connaissance de la Commission administrative.
Aussi la Commission administrative est-elle d'avis que l'enregistrement comme l'usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs sont établis.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <carrefourcredits.com> soit transféré au Requérant.
Michel Vivant
Expert Unique
Le 31 août 2018