Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Sanofi contre Registration Private, Privacy protection service - whoisproxy.ru / Dimitri Zarlov

Litige No. D2018-1681

1. Les parties

Le Requérant est Sanofi, Paris, France, représenté par Selarl Marchais & Associés, France.

Le Défendeur est Registration Private, Privacy protection service - whoisproxy.ru, Moscou, Fédération de Russie / Dimitri Zarlov, Paris, France.

2. Nom de domaine et unité d'enregistrement

Le nom de domaine litigieux <sanofi-account.com> est enregistré auprès de RU-CENTER-MSK (Regional Network Information Center, JSC dba RU-CENTER) (ci-après désigné "l'Unité d'enregistrement").

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Sanofi auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 25 juillet 2018. En date du 25 juillet 2018, le Centre a adressé une requête à l'Unité d'enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 26 juillet 2018, l'Unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l'identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 26 juillet 2018, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l'Unité d'enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte/une plainte amendée. Le Requérant a déposé un amendement à la plainte le 26 juillet 2018.

Le Centre a vérifié que la plainte et l'amendement à la plainte répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d'application"), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d'application, le 3 août 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 23 août 2018.

En date du 28 août 2018, le Centre nommait Christian André Le Stanc comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

La plainte a été déposée en anglais. Les informations reçues du Centre ont établi que la langue du contrat d'enregistrement du nom de domaine litigieux était l'anglais. Néanmoins, la Commission administrative, en application du paragraphe 11(a) des Règles d'application, décide que la présente procédure sera menée en français en raison des circonstances suivantes.

Le Requérant est une grande entreprise française ayant son siège en France à Paris et dont le représentant autorisé est un conseil français. Le Défendeur, comme cela sera revu ci-après, a dissimulé son identité sur le registre WhoIs en indiquant être « Registration Private, Privacy protection service (…) », mais l'Unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux a fait savoir au Centre - qui en a informé le Requérant - que la personne qui a enregistré ledit nom de domaine était en réalité Dimitri Zarlov domicilié en France à Paris, ce qui suggère que ce dernier comprend le français. Sans quoi il ne se serait pas probablement intéressé au dépôt d'un nom de domaine en relation avec le nom de l'entreprise française Requérante. En tous cas le Défendeur s'est abstenu de s'expliquer par exemple dans la langue du contrat d'enregistrement, puisqu'il n'a pas répondu à la plainte qui lui a été notifiée.

4. Les faits

Le Requérant est notamment titulaires des marques suivantes (annexes 8 du dossier) :

Marque française semi-figurative SANOFI n° 3831592, enregistrée le 16 mai 2011 dans les classes 1, 3, 5 9, 10, 16, 35, 38, 40, 41, 42 et 44, désignant notamment les produits pharmaceutiques.

Marque française SANOFI n° 96655339, enregistrée le 11 décembre 1996 dans les classes 1, 3, 5, 9, 10, 35, 40 et 42, désignant notamment les produits pharmaceutiques.

Marque française semi-figurative SANOFI n° 92412574 enregistrée le 26 mars 1992 dans la classe 5 désignant les produits pharmaceutiques.

Marque française SANOFI n° 1482708, enregistrée le 11 août 1988 dans les classes 1, 3, 4, 5, 10, 16, 25, 28 et 31, désignant notamment les produits pharmaceutiques.

Marque de l'Union européenne SANOFI n° 010167351, déposée le 2 août 2011 et enregistrée le 7 janvier 2012, dans les classes 3 et 5, désignant notamment les produits pharmaceutiques.

Marque de l'Union européenne SANOFI n° 004182325 déposée le 8 décembre 2004 et enregistrée le 9 février 2006 dans les classes 1, 9, 10, 16, 38, 41, 42 et 44 désignant notamment les produits pharmaceutiques et le domaine médical.

Marque de l'Union européenne SANOFI n° 000596023 déposée le 15 juillet 1997 et enregistrée le 1 er février 1999 dans les classes 3 et 5 désignant notamment les produits pharmaceutiques.

Marque internationale semi-figurative SANOFI n° 1091805, enregistrée le 18 août 2011 dans les classes 1, 3, 5, 9, 10, 16, 35, 38, 40, 41, 42 and 44, désignant notamment les produits pharmaceutiques pour la Géorgie, la Fédération de Russie et l'Ukraine.

Marque internationale SANOFI n° 1092811, enregistrée le 11 août 2011 dans les classes 1, 9, 10, 16, 38, 41, 42 et 44, désignant notamment les produits pharmaceutiques et les activités médicales pour notamment l'Australie, la Géorgie, le Japon, la République de Corée, Cuba, la Fédération de Russie et l'Ukraine.

Marque internationale SANOFI n° 1094854, enregistrée le 11 août 2011 dans les classes 3 et 5, désignant notamment les produits pharmaceutiques pour notamment l'Australie, la Géorgie, le Japon, la République de Corée, Cuba, la Fédération de Russie et l'Ukraine.

Marque internationale SANOFI n°674936, enregistrée le 11 juin 1997 dans les classes 3 et 5 désignant notamment les produits pharmaceutiques pour notamment la Suisse, Cuba, la Roumanie, la Fédération de Russie et l'Ukraine.

Marque internationale semi-figurative SANOFI n° 591490, enregistrée le 25 septembre 1992 en classe 5 désignant les produits pharmaceutiques pour notamment la Suisse, la Chine, Cuba, la Roumanie et la Fédération de Russie.

Le Requérant est également titulaire notamment des noms de domaines suivants :

<sanofi.com> enregistré le 13 octobre 1995;
<sanofi.eu> enregistré le 12 mars 2006;
<sanofi.fr> enregistré le 10 octobre 2006;
<sanofi.ru> enregistré le 2 mai 2007;

Ces marques et noms de domaines sont tous antérieurs au nom de domaine litigieux <sanofi-account.com> enregistré le 11 juillet 2018.

Le Défendeur, réservataire du nom de domaine litigieux, d'après la base WhoIs est : « Privacy protection service –whois proxy.ru » de Moscou, Fédération de Russie. En réalité «Privacy protection» est une entité destinée à empêcher que des tiers aient accès à la véritable identité du déposant (v. Annexe 12 de la plainte). Le Centre à l'occasion de la présente procédure a obtenu de l'Unité d'enregistrement l'information de ce que l'identité réelle dudit déposant serait Dimitri Zarlov, Paris. La présente procédure concernera donc le Défendeur sous cette identité apparente et réelle.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant rappelle qu'il est un acteur majeur du marché pharmaceutique mondial (Annexe 6 et 7 de la plainte). Il fait état de ses nombreuses marques antérieures visées ci-dessus, exploitées et connues, en France, en la Fédération de Russie et ailleurs, ainsi que des noms de domaine dont il est titulaire.

Le Requérant estime que le nom de domaine du Défendeur <sanofi-account.com> est similaire au point de prêter à confusion avec les marques du Requérant en ce que le terme « sanofi », qui n'a pas de signification, est hautement distinctif ; que le nom de domaine litigieux reproduit le terme « sanofi » en première position avec la différence minime de l'ajout du terme « account », banal et descriptif (v. The Royal Bank of Scotland Group Plc v. WhoIsguard Protected, WhoIsguard, inc. / Charles Adenuoye, Litige OMPI No. D2014-1739 ; et Rockefeller & Co., Inc. v. All Value Network a/k/a AVN, Litige OMPI No. D2011-1957) et sans qu'il faille avoir égard à la présence nécessaire de l'extension technique du gTLD : « .com ». Ce risque de confusion étant aggravé tenant spécialement la notoriété des marques du Requérant reconnue par des dizaines de Décisions des commissions administratives et visées dans la plainte.

Le Requérant estime que le Défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt qui s'y attache. Le Requérant avance que le Défendeur, sous son identité d'emprunt, ne saurait justifier de ses droits d'utiliser la marque notoire du Requérant; que ce dernier n'a aucun lien avec le Défendeur et que le Requérant n'a pas autorisé le Défendeur à utiliser les marques ci-dessus visées dans le nom de domaine litigieux, lequel d'ailleurs dirige l'internaute vers un site parking (Annexe 11 de la plainte), ce qui ne saurait constituer une offre de bonne foi de produits ou services ou un usage non commercial légitime du nom de domaine au sens du paragraphe 4(c) des Principes directeurs.

Le Requérant ajoute que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux de mauvaise foi. Le Requérant, au visa de précédentes décisions de commissions administratives, estime que le Défendeur a fait preuve d'une mauvaise foi opportuniste et que la notoriété et la forte distinctivité des marques SANOFI révèlent que le nom de domaine litigieux a été enregistré délibérément par le Défendeur pour susciter la confusion et l'association avec les marques du Requérant.

Enfin le Requérant a constaté la détention passive par le Défendeur du nom de domaine litigieux qui dirige vers un site parking, constituant un usage de mauvaise foi dudit nom de domaine.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a pas répondu aux arguments du Requérant explicités dans la plainte.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d'application prévoit : « La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu'elle juge applicable.»

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant désireux d'obtenir le transfert à son profit de nom de domaine enregistré par le défendeur de prouver contre ledit défendeur, cumulativement, que :

(i) Le nom de domaine enregistré par le défendeur « est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou services sur laquelle le requérant a des droits»;

(ii) Le défendeur « n'[a] aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache »; et

(iii) Le nom de domaine « a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi ».

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Commission administrative constate qu'effectivement, au vu du dossier communiqué, le Requérant dispose de droits de marque antérieurs à l'enregistrement du nom de domaine litigieux. Elle estime que le nom de domaine <sanofi-account.com> est pratiquement identique aux marques du Requérant et, en tous cas, semblable au point de prêter à confusion.

Peu importe, en effet, aux yeux de la Commission, le fait que la marque SANOFI, élément distinctif, en position d'attaque, soit suivi d'un tiret et du terme «account», ce qui ne changera pas la perception globale des marques du Requérant dans le nom de domaine litigieux. Peu importe, également, on le sait, la présence dans le nom de domaine de l'extension «.com», nécessaire pour des raisons techniques. Dès lors, l'internaute d'attention moyenne ne fera pas de différences entre les marques et le nom de domaine litigieux et aura la conviction que ledit nom de domaine traduit les marques par ailleurs notoires.

Le Défendeur, qui n'a pas répondu à la plainte, n'a pas contesté cette similitude.

B. Droits ou intérêts légitimes

La Commission administrative relève que le Requérant, titulaire de marques très connues (v. Annexe 6 et 7 de la plainte), avance sans être contredit que le Défendeur n'a aucune relation avec le Requérant qui ne lui a concédé aucune autorisation d'enregistrer et d'utiliser le nom de domaine litigieux et que ce Défendeur, qui a caché son identité en apparaissant au registre WhoIs sous le nom singulier de « Privacy protection service – whois proxu.ru » n'a jamais été connu par la dénomination «sanofi». La Commission administrative décide que la preuve prima facie de l'absence de droit ou d'intérêt légitime est ainsi rapportée, d'autant que ce nom de domaine qui ne dirigeait pas vers un site actif mais vers un site «parking» ne pouvait permettre des offres de bonne foi de biens ou de services ni une utilisation non commerciale légitime ou loyale du nom de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La Commission administrative estime effectivement qu'est établie par le Requérant la mauvaise foi du Défendeur dans l'enregistrement du nom de domaine litigieux. Des indices déterminants de cette mauvaise foi opportuniste, outre le fait pour le Défendeur d'avoir dissimulé son identité, tiennent à la notoriété des marques du Requérant reconnue par de nombreuses décisions des commissions administratives et au fait que le nom de domaine litigieux reproduit la marque notoire et distinctive du Requérant.

En enregistrant le nom de domaine litigieux la Commission administrative a la conviction que le Défendeur ne pouvait pas ignorer l'existence des marques du Requérant et a nécessairement agi en vue d'en retirer un profit et intérêt indus.

De la même manière, la Commission administrative estime que la détention passive du nom de domaine litigieux qui ne renvoyait pas à une page active constitue un usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux (v. WIPO Overview of WIPO Panel Views on Selected UDRP Questions, Third Edition (WIPO Overview 3.0), section 3.3). Spécialement les circonstances suivantes militent en ce sens : les marques sont totalement distinctives et particulièrement connues, en France, en Fédération de Russie et dans nombres de pays. Le Defendeur n'a pas révélé son identité qui n'apparaissait pas dans le service WhoIs ; le nom de domaine litigieux renvoyait à un site « parking ». Par ailleurs le Defendeur n'a pas répondu à la plainte qui lui a été notifiée à toutes les adresses indiquées, ne contestant pas ce faisant les arguments du Requérant.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <sanofi-account.com> soit transféré au Requérant.

Christian André Le Stanc
Expert Unique
Le 30 août 2018