Le Requérant est Bolloré (S.A.), d’Ergue Gaberic, France, représenté par Nameshield, France.
Le Défendeur est Maxence Censier, d’Alfortville, France.
Le nom de domaine litigieux <bollore.family> est enregistré auprès de OVH (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par Bolloré (S.A.) auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 7 septembre 2018. En date du 7 septembre 2018, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 10 septembre 2018, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le même jour, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte ou une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 10 septembre 2018.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 13 septembre 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 3 octobre 2018. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 9 octobre 2018, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 26 octobre 2018, le Centre nommait Louis-Bernard Buchman comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le Requérant est un groupe familial fondé en 1822 actif notamment dans les secteurs du transport, de la logistique et de la communication, ayant réalisé en 2017 un chiffre d'affaires de plus de 18 milliards d'EUR et employant dans le monde plus de 81 000 personnes.
Le Requérant est le titulaire de plusieurs marques portant sur le nom BOLLORE, dont la marque française No. 98739779 enregistrée le 1 juillet 1998, la marque internationale No. 704697 enregistrée le 11 décembre 1998, et les marques de l’Union européenne No. 1021963 enregistrée le 8 décembre 1998 et No. 4055901 enregistrée le 24 septembre 2004 (ci-après ensemble désignées “la Marque”).
Le Requérant est également titulaire de nombreux noms de domaine portant sur le nom “Bolloré”, dont <bollore.com> enregistré le 25 juillet 1997.
Le Défendeur est Maxence Censier, dont l’adresse renseignée est située en France.
Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux <bollore.family> en date du 5 septembre 2018.
Le nom de domaine litigieux avant sa suspension renvoyait les internautes vers le site de l'Unité d'enregistrement. A la date à laquelle la présente décision est rendue, le nom de domaine litigieux est inactif.
(i) Le Requérant dispose d’un droit sur la Marque.
(ii) Le nom de domaine litigieux contient la Marque.
(iii) Le nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits dont est titulaire le Requérant, en ce qu’il imite la Marque, et est susceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit des internautes en laissant croire que le site vers lequel pointait le nom de domaine litigieux, où sont proposés des services de financement, est lié au Requérant.
(iv) Le Défendeur n’a jamais été affilié au Requérant ni autorisé par lui à utiliser la Marque à quelque titre que ce soit. Le Défendeur ne peut justifier d’aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, le fait de se faire passer pour le Requérant pouvant en outre lui permettre de récupérer les informations personnelles des utilisateurs et manifestant une intention frauduleuse allant à l’encontre de tout droit ou intérêt légitime.
(v) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux et l’utilise de mauvaise foi.
(vi) Le Requérant demande que le nom de domaine litigieux lui soit transféré.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
Il est rappelé que la Commission administrative est tenue d’appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d’application qui prévoit que : “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable”.
Le paragraphe 10(a) des Règles d’application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu’elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d’application).
En conséquence, la Commission administrative s’est attachée à vérifier, au vu des seuls arguments et pièces disponibles, si l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux portaient atteinte aux droits du Requérant et si le Défendeur pouvait justifier de droits sur ce nom de domaine.
Dans le cadre de l’analyse de la première condition du paragraphe 4(a), la Commission administrative doit se contenter de constater si le droit de marque du Requérant existe ou non.
Au vu des pièces versées au dossier, la Commission administrative constate que le Requérant justifie de droits exclusifs sur la dénomination BOLLORE, à titre de marque enregistrée.
Reste alors la question de la comparaison entre cette dénomination d’une part et le nom de domaine litigieux d’autre part. Or il n'y a aucune différence entre eux, le nom de domaine litigieux reproduisant la Marque en totalité.
Il est établi par ailleurs que les extensions de nom de domaine (telles que “.family”), nécessaires pour leur enregistrement, sont généralement sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, les extensions pouvant donc ne pas être prises en considération pour examiner la similarité entre la Marque du Requérant et le nom de domaine litigieux, conformément à nombre de décisions déjà rendues sous les Principes directeurs (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003 ; Accor c. Accors, Litige OMPI No. D2004-0998).
La Commission administrative estime que le public en général et les internautes en particulier pourraient penser que le nom de domaine litigieux renvoie au Requérant, ce nom de domaine litigieux étant similaire à la Marque sur laquelle le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (voir Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA c. PrivacyProtect.org / N/A, indishi india mr.ugala, Litige OMPI No. D2010-1147 ; Credit Industriel et Commercial S.A., BanqueFédérative du Crédit Mutuel c. Headwaters MB, Litige OMPI No. D2008-1892 ; Banque Saudi Fransi c. ABCIB, Litige OMPI No. D2003-0656 ; Islamic Bank of Britain Plc c. Ifena Consulting, Charles Shrimpton, Litige OMPI No. D2010-0509 ; BPCE c. PrivacyProtect.org / Maksym Pastukhov, Litige OMPI No. D2010-1666).
Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l’exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.
Il est admis que, s’agissant de la preuve d’un fait négatif, une commission administrative ne saurait se montrer trop exigeante vis-à-vis d’un requérant. Lorsqu’un requérant a allégué le fait que le défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine, il incombe au défendeur d’établir le contraire, puisque lui seul détient les informations nécessaires pour ce faire. S’il n’y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes (Eli Lilly and Company c. Xigris Internet Services, Litige OMPI No. D2001-1086 ; Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624).
Aucun élément du dossier ne révèle qu’avant la naissance du litige, le Défendeur ait utilisé le nom de domaine litigieux, ou un nom correspondant au nom de domaine litigieux, en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services ou qu’il ait fait des préparatifs sérieux à cet effet.
Le Défendeur n’est en aucune manière affilié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à utiliser la Marque ou à procéder à l’enregistrement d’un nom de domaine incluant la Marque.
Par ailleurs, le mutisme conservé par le Défendeur, qui a choisi de ne pas répondre à la plainte dans la présente procédure, ne permet pas de penser qu’il ferait un usage légitime et non commercial du nom de domaine litigieux.
Dans ces conditions, la Commission administrative est d’avis que le Défendeur n’ayant pas de droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache, l’exigence du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.
La mauvaise foi doit être prouvée dans l’enregistrement comme dans l’usage.
En ce qui concerne l’enregistrement de mauvaise foi, la bonne foi du Défendeur lors de l’enregistrement ne ressort d’aucun document soumis au dossier.
En outre, la Commission administrative estime que le choix comme nom de domaine d’une marque notoire ne peut être le fruit d’une simple coïncidence, le caractère notoire de la Marque ayant déjà été reconnu par une décision rendue sous les Principes directeurs (voir par exemple Bolloré c. Assiom SITI – NEWTEK, Litige OMPI No. D2016-2489).
Dans ces circonstances, la Commission administrative estime plus qu’improbable qu’au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux, le Défendeur ait pu ne pas avoir connaissance de la Marque.
Dès lors, le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi.
Par ailleurs, la simple immobilisation d’un nom de domaine, sans raison, peut être constitutive d’une utilisation de mauvaise foi.
Il est établi que le site vers lequel pointait le nom de domaine litigieux était celui de l'Unité d'enregistrement. Des décisions administratives UDRP ont déjà et à plusieurs reprises pu retenir que la détention d’un nom de domaine sans qu’un site actif y corresponde pouvait, dans certains cas, être considérée comme une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, supra ; Christian Dior Couture SA c. Liage International Inc., Litige OMPI No. D2000-0098 ; ACCOR c. S1A, Litige OMPI No. D2004-0053 et Westdev Limited c. Private Data, Litige OMPI No. D2007-1903).
De surcroît, la réservation du nom de domaine litigieux par le Défendeur a pour effet de priver le Requérant de la possibilité d'enregistrer et d’utiliser la Marque comme nom de domaine, avec l’extension ".family".
Enfin, l’utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux par le Défendeur peut aussi résulter du fait que son utilisation de bonne foi ne soit d’aucune façon plausible (voir Audi AG c. Hans Wolf, Litige OMPI No. D2001‑0148), compte tenu de la spécificité de l’activité du Requérant.
La Commission administrative conclut qu’en détenant passivement, en utilisant le nom de domaine litigieux à des fins d’empêcher l’usage de ce nom de domaine par le Requérant et en ne se manifestant pas dans la présente procédure administrative, le Défendeur a procédé à une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.
Il en résulte que les trois éléments prévus au paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont cumulativement réunis.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <bollore.family> soit transféré au Requérant.
Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 9 novembre 2018