Le Requérant est Commune de Paris, de Paris, France, représenté par Brandstorming, France.
Le Défendeur est 1&1 Internet Limited, de Gloucestershire, Royaume-Uni / Khalid Jabri, de Gennevilliers, France.
Le nom de domaine litigieux <vtlib.com> est enregistré auprès de 1&1 Internet SE (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par Commune de Paris auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 15 octobre 2018. En date du 16 octobre 2018, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 19 octobre 2018, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 19 octobre 2018, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte ou une plainte amendée. Le Centre a également indiqué au Requérant que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux était l’anglais. La plainte ayant été déposée en français, le Centre a invité le Requérant à fournir la preuve suffisante d’un accord entre les parties pour que la procédure se déroule en français, ou une plainte traduite en anglais ou encore une demande motivée pour que le français soit la langue de la procédure.
Le Requérant a déposé une requête motivée pour que le français soit la langue de la procédure le 22 octobre 2018 et a déposé une plainte amendée le 23 octobre 2018 modifiant les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux. Le Défendeur n’a pas répondu à la requête relative à la langue de la procédure.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 24 octobre 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée en anglais et en français au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 13 novembre 2018. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 14 novembre 2018, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 19 novembre 2018, le Centre nommait Alexandre Nappey comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le Requérant est la Commune de Paris,.
En 2007, le Requérant a mis en place un système de vélos en libre-service dénommé VELIB’.
En 2011, le Requérant a conçu un service public d’auto partage de voitures électriques en libre-service, dénommé AUTOLIB’.
Depuis leur lancement, les services VELIB’ et AUTOLIB’ ont connu un succès important.
Le Requérant est par ailleurs titulaire des marques suivantes, composées des termes VELIB’ ou
AUTOLIB :
- marque française VELIB’ n° 3482225, déposée le 19 février 2007 et dûment renouvelée le 30 décembre 2016;
- marque de l’Union Européenne VELIB’ n°10015485, déposée le 1er juin 2011 et enregistrée le 18 février 2012;
- marque française AUTOLIB’ n°3558276, déposée le 25 février 2008 et dûment renouvelée le 21 novembre 2017;
- marque de l’Union Européenne AUTOLIB’ n°11541356, déposée le 4 février 2013 et enregistrée le 5 juillet 2013.
Les marques ci-dessus couvrent notamment des produits de la classe 12 (véhicules, lesquels
incluent les bicyclettes et les automobiles) ainsi que des services de location y afférents relevant de la classe 39.
En l’espèce, le nom de domaine contesté <vtlib.fr> a été réservé le 20 novembre 2017 au nom du Défendeur et le nom de domaine redirigeait vers un site proposant des services de chauffeur privé en concurrence avec les services proposés par le Requérant.
Une lettre officielle a été adressée par le Requérant au Défendeur en vue de régler le différend à l’amiable. Devait s’en suivre une entrevue entre les parties dont la tenue n’a pas été confirmée par le Requérant dans sa plainte.
(i) Le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux est similaire au point de prêter à confusion avec ses marques antérieures enregistrées dans la mesure où le nom de domaine litigieux reprend l’intégralité de sa marque, en y ajoutant simplement une lettre “t” entre la première lettre “v” et le suffixe “lib’“, pour évoquer l’acronyme “vtc” (“véhicule de tourisme avec chauffeur”) activité exercée par le Défendeur.
Le Requérant estime que la reprise de la structure de la marque VELIB et AUTOLIB dans le nom de domaine litigieux n’est pas fortuit, le suffixe “lib” étant reconnu par la jurisprudence comme évoquant la liberté.
(ii) Le Requérant soutient que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux à titre de marque ni aucun intérêt légitime qui s’y attache. Le Défendeur n’est pas affilié avec le Requérant.
Le Requérant ajoute que le Défendeur n’utilise pas le nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services ni ne poursuit une utilisation non commerciale légitime ou loyale de celui-ci, dans la mesure où le site Internet en relation avec le nom de domaine litigieux est exploité pour désigner une activité de chauffeur privé.
(iii) Le Requérant soutient enfin que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Le Requérant indique que, compte tenu de l’antériorité et la renommée de la marque du Requérant, le Défendeur avait connaissance de la marque du Requérant au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux. Il ajoute que le fait que le nom de domaine litigieux redirige vers un site proposant des services de chauffeur privé permet de confirmer l’utilisation de mauvaise foi.
Au cours de la procédure le Requérant a porté à la connaissance du Centre une décision qu’il a obtenu à l’encontre du Défendeur dans le cadre d’une procédure dite Syreli devant l’Association française pour le nommage Internet en coopération (l’ “AFNIC”) concernant le nom de domaine <vtlib.fr> (Demande n° FR-2018-01693, décision du 4 décembre 2018, transfert).
Compte tenu de ces éléments, le Requérant sollicite le transfert du nom de domaine litigieux <vtlib.com> à son profit.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
Le Requérant a déposé une plainte initiale en français. Considérant que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux était l’anglais, le Requérant a déposé une demande dérogatoire afin que la décision soit rendue en français.
Conformément au paragraphe 11 des Règles d’application de l’UDRP, il appartient à la commission administrative de déterminer la langue applicable à la procédure sur la base de critères objectifs et dans un souci d’équité entre les parties.
En l’espèce, il apparaît que le Requérant et le Défendeur sont de nationalité française et domiciliés en France.
De plus, le site Internet exploité sous le nom de domaine <vtlib.com> est/était exclusivement en langue française.
Il est établi par ailleurs que les parties ont eu des échanges écrits préalablement à la présente procédure et que ces derniers se sont déroulés exclusivement en français.
Bien qu’il en ait eu l’opportunité, le Défendeur n’a pas pris part à la procédure, et notamment n’a pas contesté la demande du Requérant concernant la langue de la procédure.
Compte tenu de ces éléments la Commission administrative estime que le choix du français est pertinent pour rendre une décision dans cette affaire.
Le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs exige que le Requérant démontre que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter confusion avec une marque sur laquelle le Requérant détient des droits.
Le Requérant a fourni la preuve de droits de marques enregistrées sur les VELIB’ et AUTOLIB’ en France, territoire sur lequel est également établi le Défendeur.
La Commission administrative considère que la substitution de la lettre “e” par la lettre “t” ne saurait éviter le risque de confusion entre le nom de domaine litigieux <vtlib.com> et les marques du Requérant VELIB’.
Le public pourra légitimement croire qu’il accède au site officiel du Requérant en saisissant le nom de domaine litigieux.
Dans des décisions antérieures, les commissions administratives ont retenu qu’un nom de domaine dont une des lettres le composant a été modifiée par rapport à l’orthographe d’une marque peut être similaire au point de prêter à confusion avec la marque d’un requérant. C’est ce que l’on appelle couramment le “typosquatting”.
Voir sur ce point, BioMérieux v. Chy Dutex, Litige OMPI No. D2018-1763 à propos du nom de domaine <biomarieux.com>; voir également, Lagardere SCA v. Jie Ke, Litige OMPI No. D2018-2182 à propos du nom de domaine <lagarbere-se.com>.
La Commission administrative considère donc que le nom de domaine litigieux est similaire au point de prêter à confusion avec les marques VELIB’ sur lesquelles le Requérant a des droits.
Pour l’ensemble de ces raisons, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie.
Conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, le Requérant est tenu de démontrer prima facie que le Défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime au regard du nom de domaine litigieux. Cela étant, si le Défendeur ne réagit pas ou ne parvient pas à apporter la preuve du contraire, le Requérant est présumé avoir fourni la preuve de l’absence de droits ou d’intérêts légitimes.
Il résulte des éléments transmis par le Requérant que le Défendeur n’est titulaire d’aucune marque VELIB’ et que le Requérant n’a concédé au Défendeur aucune licence ou autre autorisation d’usage des marques qu’il détient.
Après avoir été mis en demeure par le Requérant, le Défendeur a répondu de manière évasive et il n’est pas établi que les parties se soient rencontrées comme proposé par le Défendeur pour évoquer cette affaire.
La Commission administrative relève ensuite que le Défendeur n’a pas répondu à la plainte comme il y a pourtant été invité : il n’a ainsi pas contesté les allégations du Requérant, ni fourni d’explications ou de justifications de nature à prouver un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.
Au contraire, la Commission administrative relève que le site exploité sous le nom de domaine litigieux a été suspendu.
La Commission administrative estime que le Requérant a établi une présomption d’absence de droit ou d’intérêt légitime qui n’a pas été renversée par le Défendeur.
Conformément au paragraphe 4(b) des Principes directeurs, la preuve de l’enregistrement et de l’utilisation de mauvaise foi visée au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs peut être constituée en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la Commission administrative, par les circonstances ci-après :
(i) les faits montrent que le Défendeur a enregistré ou acquis les noms de domaine litigieux essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ces noms de domaine au Requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais que le Défendeur peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ces noms de domaine;
(ii) le Défendeur a enregistré les noms de domaine litigieux en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et le Défendeur est coutumier d’une telle pratique;
(iii) le Défendeur a enregistré les noms de domaine litigieux essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou
(iv) en utilisant ces noms de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site web ou autre espace en ligne appartenant au Défendeur en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son site ou espace web ou d’un produit ou service qui y est proposé.
Le Requérant a démontré que ses droits de marque sont antérieurs à l’enregistrement du nom de domaine litigieux et a bien établi sa renommée en France depuis la mise en place du service VELIB en 2007. Par conséquent, la Commission administrative considère que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux en pleine connaissance des droits de marque du Requérant et de sa réputation.
Concernant l’utilisation du nom de domaine litigieux, la Commission administrative note que le Défendeur utilisait le nom de domaine pour proposer des services qui étaient en concurrence directe avec l’activité du Requérant et que le Défendeur n’a pas pris part à la procédure pour justifier ses actes mais qu’en revanche il a manifestement suspendu l’accès au site Internet qu’il exploitait au jour du dépôt de la demande par le Requérant. Sans explication de la part du Défendeur, la Commission administrative considère qu’un tel comportement peut être interprété comme une reconnaissance de l’utilisation de mauvaise foi du nom de domaine.
La Commission administrative déduit de l’ensemble de ces éléments, confortés par la décision Syreli rendue par l’AFNIC dans l’affaire les opposant (Demande n° FR-2018-01693, décision du 4 décembre 2018) que le Défendeur, en enregistrant et en utilisant le nom de domaine litigieux, a cherché à profiter de la renommée du Requérant.
Voir sur ce point : Car&Boat Media contre Jean-François Rouault, Litige OMPI No. D2016-1777.
La Commission administrative conclut que le nom de domaine litigieux a été enregistré et utilisé de mauvaise foi par le Défendeur au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <vtlib.com> soit transféré au Requérant.
Alexandre Nappey
Expert Unique
Le 16 décembre 2018