Le Requérant est Carrefour, France, représenté par Dreyfus & associés, France.
Le Défendeur est Laurent Suart, France.
Le nom de domaine litigieux <carrefour-herault.com> est enregistré auprès de Ligne Web Services SARL (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par Carrefour auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 15 août 2019. En date du 15 août 2019, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 16 août 2019, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le même jour, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre une plainte amendée. Le Requérant a demandé la suspension de la procédure le 21 août 2019, et le Centre a notifié la suspension de la procédure le même jour. Le 6 septembre 2019, le Requérant a demandé la ré-institution de la procédure et a déposé une plainte amendée. Le Centre a ré-institué la procédure le 9 septembre 2019.
Le Centre a vérifié que la plainte la plainte amendée répondait bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 12 septembre 2019, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 2 octobre 2019. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 3 octobre 2019, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 17 octobre 2019, le Centre nommait Fabrice Bircker comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le Requérant est une société française qui compte parmi les leaders mondiaux de la grande distribution avec plus de 12.000 magasins portant l’enseigne CARREFOUR implantés dans plus de 30 pays.
En 2018, le Requérant a réalisé un chiffre d’affaires de près de 85 milliards d’EUR.
Chaque jour, les différents magasins opérés par le Requérant accueillent près de 13 millions de clients à travers le monde.
Le Requérant est titulaire de plusieurs marques enregistrées consistant en la dénomination CARREFOUR, parmi lesquelles:
- la marque de l’Union européenne CARREFOUR n° 5178371 déposée le 20 juin 2006, enregistrée le 30 août 2007, depuis lors renouvelée, et désignant des produits et des services des classes 9, 35 et 38;
- la marque française CARREFOUR n° 1487274 enregistrée le 2 septembre 1988 (et consistant en le renouvellement de l’enregistrement n° 1066804 du 11 septembre 1978), depuis lors renouvelée, et désignant des services des classes 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et 45.
En outre, le Requérant est également titulaire de plusieurs noms de domaine incorporant ses marques, dont:
- <carrefour.com>, enregistré le 25 octobre 1995;
- <carrefour.fr> enregistré le 23 juin 2005.
Le nom de domaine litigieux a été réservé le 2 janvier 2019.
Au jour de rédaction de la présente décision, le nom de domaine litigieux est inactif.
Au vu des pièces du dossier, le nom de domaine litigieux dirigeait auparavant vers le site Internet du Requérant accessible à l’adresse “https://www.carrefour.fr/” et un serveur de messagerie était configuré en relation avec lui.
Par ailleurs, préalablement à l’introduction de la présente procédure, le Requérant a adressé au Défendeur une mise en demeure sollicitant notamment le transfert du nom de domaine litigieux. En dépit de plusieurs relances cette réclamation est demeurée sans réponse.
Identité ou similitude prêtant à confusion:
Le Requérant fait valoir que le nom de domaine litigieux reproduit sa marque CARREFOUR à l’identique.
Il ajoute que la composition du nom de domaine litigieux accroît le risque de confusion car il conduit les internautes à penser qu’il est lié à sa présence dans l’Hérault.
Le Requérant argue également que la notoriété de sa marque CARREFOUR a déjà été reconnue par des commissions administratives de l’OMPI et que de nombreuses décisions rendues sur le fondement des Principes directeurs ont déjà estimé qu’un nom de domaine associant une marque notoire à un terme géographique est similaire au point de prêter à confusion avec ladite marque.
Absence de droit ou d’intérêt légitime:
Le Requérant soutient que le Défendeur ne lui est pas affilié et qu’il ne l’a pas autorisé à enregistrer ou à utiliser sa marque CARREFOUR, pas plus qu’à demander l’enregistrement d’un nom de domaine incorporant cette marque.
Le Requérant ajoute que l’enregistrement de ses marques précédant largement l’enregistrement du nom de domaine litigieux, le Défendeur ne peut raisonnablement pas prétendre qu’il avait l’intention de développer une activité légitime.
Le Requérant fait également valoir que l’enregistrement d’un nom de domaine correspondant à la marque renommée d’un tiers ne peut être considéré comme un usage légitime dudit nom de domaine.
Le Requérant soutient également que le nom de domaine litigieux dirige vers son site officiel et que des serveurs de messagerie sont configurés, ce qui prouve que le Défendeur a mis en place les éléments nécessaires à l’organisation d’une fraude de type phishing, de sorte que le nom de domaine litigieux n’est pas utilisé de manière légitime.
Enregistrement et usage de mauvaise foi:
S’agissant de l’enregistrement de mauvaise foi, le Requérant soutient qu’au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, le Défendeur connaissait l’existence de la marque CARREFOUR en raison de sa notoriété, d’autant qu’il est domicilié en France.
Le Requérant ajoute qu’il incombait au Défendeur, préalablement à l’enregistrement du nom de domaine litigieux, de vérifier qu’il ne portait pas atteinte aux droits de tiers.
Le Requérant avance également qu’en raison de la composition du nom de domaine litigieux, les internautes peuvent être amenés à penser que le groupe Carrefour est lié audit nom de domaine.
Enfin, le Requérant argue que l’absence de réponse du Défendeur à sa mise en demeure constitue un indice supplémentaire de sa mauvaise foi.
Pour ce qui est de l’usage de mauvaise foi, le Requérant fait notamment valoir qu’un serveur de messagerie est configuré en lien avec le nom de domaine litigieux ce qui implique que le réservataire est probablement engagé dans une pratique de phishing.
Le Requérant soutient également que la détention du nom de domaine litigieux par le Défendeur le prive de la possibilité de déposer un nom de domaine reprenant sa marque, ce qui ne peut être considéré comme un usage de bonne foi.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, afin d’obtenir le transfert ou la radiation du nom de domaine litigieux, le Requérant doit apporter la preuve de chacun des trois éléments suivants:
(i) Le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits;
(ii) Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache;
(iii) Le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
En outre, le paragraphe 15(a) des Règles d’application dispose que “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicables”.
Les paragraphes 10(b) et 10(d) prévoient également que “[d]ans tous les cas, la commission administrative doit veiller à ce que les parties soient traitées de façon équitable et que chaque partie bénéficie de la même juste chance de présenter son cas” et que “la commission administrative devra déterminer la recevabilité, la pertinence, l’importance et le poids des preuves”.
Par ailleurs, le Défendeur n’a pas répondu aux allégations du Requérant. Toutefois, le défaut de réponse du Défendeur n’entraîne pas automatiquement une décision en faveur du Requérant, bien que la Commission administrative ait le droit d’en tirer des conclusions appropriées, conformément au paragraphe 14(b) des Règles d’application (voir la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition « Synthèse, version 3.0 », section 4.3).
C’est au regard de ces règles que la Commission administrative examinera ci-après la position des parties.
Aux termes du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, le Requérant doit d’abord établir ses droits de marque, et ensuite démontrer que le nom de domaine leur est identique ou semblable au point de prêter à confusion.
En l’espèce, au vu des pièces du dossier, la Commission administrative constate que le Requérant dispose bien de marques enregistrées portant sur la dénomination CARREFOUR.
En effet, le Requérant est notamment titulaire de:
- la marque de l’Union européenne CARREFOUR enregistrée sous le n° 005178371,
- la marque française CARREFOUR enregistrée sous le n° 1487274.
Il convient ensuite de comparer le signe de ces marques et le nom de domaine litigieux.
La Commission administrative n’a aucune difficulté à constater que le nom de domaine litigieux est bien semblable au point de prêter à confusion avec les marques du Requérant.
En effet, le nom de domaine litigieux reproduit à l’identique la dénomination CARREFOUR.
Et, ni la présence de l’élément “herault”, ni celle de l’extension générique de premier niveau “.com” ne sauraient rendre le nom de domaine litigieux différent de cette marque.
S’agissant du terme “herault”, il constitue le nom d’un département français et s’avère donc descriptif d’une origine géographique, de sorte que sa présence n’empêche nullement la marque du Requérant de demeurer parfaitement perceptible au sein du nom de domaine litigieux (voir d’ailleurs en sens la Synthèse, version 3.0, section 1.8).
Pour ce qui est de l’extension de premier niveau “.com”, dès lors qu’elle constitue un élément technique nécessaire à l’enregistrement d’un nom de domaine, il est constant qu’elle est normalement sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, et qu’elle peut donc être ignorée pour examiner la similarité entre la marque du Requérant et le nom de domaine litigieux (par exemple voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI n° D2000-0003 ou Synthèse, version 3.0, section 1.11).
Au regard de l’ensemble de ce qui précède, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie.
Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs énumère de manière non-exhaustive un certain nombre de circonstances de nature à établir les droits ou les intérêts légitimes du défendeur sur le nom de domaine:
(i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet,
(ii) le défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services, ou
(iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.
Dans la mesure où démontrer un fait négatif tel que, précisément, l’absence de droits ou d’intérêts légitimes peut s’avérer impossible, il est constant que le requérant doit établir prima facie que le défendeur n’a pas de droits ni d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux.
Il incombe ensuite au défendeur d’établir l’existence de ses droits ou de ses intérêts légitimes.
S’il n’y parvient pas, le requérant est considéré comme ayant satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs (Synthèse, version 3.0, section 2.1).
En l’espèce, le Requérant fait valoir que le Défendeur ne lui est pas affilié et qu’il n’a pas été autorisé à demander l’enregistrement du nom de domaine litigieux, lequel est postérieur à ses marques.
En outre, le Défendeur n’apparaît manifestement pas comme étant connu sous le nom de domaine litigieux.
Au surplus, le nom de domaine litigieux reproduit les marques antérieures et notoires du Requérant, et avant l’introduction de cette procédure il redirigeait vers le site Web du Requérant et un serveur de messagerie lui était associé. De tels éléments, aucunement contredits par le Défendeur (pourtant mis en demeure par le Requérant et invité à participer à la présente procédure), conduisent légitimement à penser, ainsi que le soutient le Requérant, que le Défendeur avait mis en place tous les éléments lui permettant de se faire passer, illégitimement, pour le Requérant.
Par ailleurs, au jour où la Commission administrative statue, aucun usage n’est fait du nom de domaine litigieux.
Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que le Requérant a établi prima facie l’absence de droits ou d’intérêts légitimes du Défendeur.
Il appartenait donc au Défendeur de démontrer ses droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux.
Or, le Défendeur n’a pas répondu à la plainte du Requérant.
Par conséquent, la Commission administrative conclut que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.
Aux termes du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.
Par ailleurs, le paragraphe 4(b) des Principes directeurs donne des exemples non exhaustifs de comportements susceptibles d’avérer la mauvaise foi.
1. Enregistrement de mauvaise foi
La Commission administrative relève notamment que :
- les marques du Requérant sont antérieures au nom de domaine litigieux et sont notoirement connues (outre les données chiffrées communiquées par le Requérant pour démontrer l’ampleur de son activité économique et de la connaissance de ses droits, de nombreuses décisions rendues par des commissions administratives ont déjà reconnu la notoriété, si ce n’est la renommée, des marques CARREFOUR, voir par exemple: Carrefour c. Jean-Pierre Andre Preca, Litige OMPI n° D2018-2857; Carrefour c. Jane Casares, NA, Litige OMPI n° D2018-0976; Carrefour c. WhoisGuard, Inc., WhoisGuard Protected / Robert Jurek, Katrin Kafut, Purchasing clerk, Starship Tapes & Records, Litige OMPI n° D2017-2533; Carrefour c. VistaPrint Technologies Ltd., Litige OMPI n° D2015-0769; Carrefour c. Park KyeongSook, Litige OMPI n° D2014-1425; Carrefour c. Yunjinhua, Litige OMPI n° D2014-0257).
- le Défendeur est domicilié en France, pays dont est originaire le Requérant et sur le territoire duquel ce dernier exploite ses marques,
- au vu des éléments de preuve apportés par le Requérant, lesquels sont parfaitement convaincants et ne sont pas contredits par le Défendeur, le nom de domaine litigieux redirigeait initialement vers le site Internet du Requérant.
Au vu de ces éléments, il ne fait aucun doute aux yeux de la Commission administrative qu’en réservant le nom de domaine litigieux, le Défendeur avait à l’esprit la marque du Requérant.
Par conséquent, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi.
2. Usage de mauvaise foi
Il résulte du dossier, et cela n’est aucunement contredit par le Défendeur, qu’initialement le nom de domaine litigieux dirigeait vers le site Internet du Requérant et qu’un serveur de messagerie lui était associé.
Ces éléments laissent légitimement penser que le Défendeur avait mis en place un système lui permettant d’envoyer des e-mails en se faisant passer pour le Requérant.
En outre, et indépendamment de ces éléments qui conduisent à présumer d’un usage frauduleux du nom de domaine litigieux, la Commission administrative relève que:
- le nom de domaine litigieux est à ce jour inactif;
- ledit nom reproduit le signe des marques indiscutablement notoires du Requérant et se caractérise par une construction susceptible de conduire les internautes à l’associer aux activités du Requérant sur une partie de son marché domestique;
- la détention du nom de domaine litigieux par le Défendeur empêche le Requérant de détenir un nom de domaine associant sa marque au nom d’un département français dans lequel il est présent;
- à aucun moment le Défendeur n’a fait valoir d’arguments pour tenter de justifier ses agissements;
- ces éléments, associés au fait qu’initialement un serveur de messagerie était associé au nom de domaine litigieux lequel renvoyait vers le site Internet du Requérant, conduisent à penser qu’une utilisation légitime et de bonne foi dudit nom de domaine par le Défendeur n’est guère concevable.
Cette situation conduit la Commission administrative à considérer que l’actuelle “détention passive” du nom de domaine litigieux par le Défendeur est tout à fait assimilable à un usage de mauvaise foi (voir par exemple Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI n° D2000-0003, Crédit Agricole S.A. v. zhangwei/YinSi BaoHu Yi KaiQi, Litige OMPI n° D2016-0555 ou encore Synthèse, version 3.0, section 3.3).
En conclusion, compte tenu du dossier de la présente procédure, des écritures du Requérant et de l’absence de contestation du Défendeur pourtant invité à prendre part aux débats, la Commission administrative estime que la condition du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est satisfaite.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <carrefour-herault.com> soit transféré au Requérant.
Fabrice Bircker
Expert Unique
Le 31 octobre 2019