Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Bouygues contre Rohr Jeanne

Litige No. D2019-2105

1. Les parties

Le Requérant est Bouygues, France, représenté par Nameshield, France.

Le Défendeur est Rohr Jeanne, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <bouygues-construction-comptabilite.com> est enregistré auprès de NETIM SARL (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Bouygues auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 29 août 2019. En date du 29 août 2019, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 30 août 2019, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 30 août 2019, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte ou une plainte amendée. Le même jour, le Centre a informé les parties par courrier électronique en anglais et en français que la langue du contrat d’enregistrement est l’anglais. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 30 août 2019 ainsi qu’une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Défendeur n’a soumis aucun commentaire quant à la langue de la procédure.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 6 septembre 2019, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 26 septembre 2019. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 30 septembre 2019, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 7 octobre 2019, le Centre nommait Emmanuelle Ragot comme experte dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant appartient à un groupe industriel diversifié français structuré autour de trois activités :

- La construction: Bouygues Construction, Bouygues Immobilier et Colas;
- Les télécommunications: Bouygues Telecom;
- Les média: TF1.

Le groupe est présent dans 93 pays sur les 5 continents et emploie près de 129 000 collaborateurs.

Sa filiale BOUYGUES CONSTRUCTION, acteur global de la construction présent dans 60 pays emploie 56 980 collaborateurs.

Le Requérant est titulaire de nombreuses marques :

- BOUYGUES CONSTRUCTION, dont la marque internationale BOUYGUES CONSTRUCTIONn°732339 enregistrée depuis le 13 avril 2000.

Le Requérant est également titulaire, par l’intermédiaire de sa filiale BOUYGUES CONSTRUCTION de nombreux noms de domaine reprenant la marque BOUYGUES CONSTRUCTION :

- dont le nom de domaine <bouygues-construction.com>, enregistré depuis le 10 mai 1999.

Le nom de domaine litigieux <bouygues-construction-comptabilite.com> a été enregistré le 5 août 2019. Le nom de domaine litigieux est inactif.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux <bouygues-construction- comptabilite.com> est semblable au point de prêter à confusion avec la marque BOUYGUES CONSTRUCTION.

Le Requérant soutient que le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux et que celui-ci a été enregistré et utilisé de mauvaise foi.

Le Requérant soutient que le Défendeur n’est pas identifié dans la base de données WhoIs sous le nom de domaine litigieux. Un Défendeur n’est pas connu sous un nom de domaine si les informations WhoIs ne sont pas identiques au nom de domaine en question

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

A. Langue de la procédure

La plainte a été déposée en français et l’Unité d’enregistrement a notifié au Centre que la langue du contrat d’enregistrement était l’anglais. Au vu des arguments présentés par le Requérant, de l’absence d’objections et de réponse du Défendeur, la Commission administrative décide conformément au paragraphe II(a) des Règles d’application que la langue de la procédure sera le français.

B. Identité ou similitude prêtant à confusion

Selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits.

En l’espèce, il est incontestable que le Requérant est titulaire de nombreuses marques BOUYGUES CONSTRUCTION., dont la marque internationale BOUYGUES CONSTRUCTION n°732339 enregistrée depuis le 13 avril 2000.

Il est admis que le fait de reprendre à l’identique une marque dans un nom de domaine peut suffire à établir que ce dernier nom de domaine est identique ou similaire au point de prêter à confusion avec la marque sur laquelle la Requérante a des droits.

Bien évidemment, la marque BOUYGUES CONSTRUCTION constitue l’élément prédominant du nom de domaine litigieux et l’élément ajouté “- comptabilité” constitue un terme descriptif et ne permet pas d’écarter le risque de confusion avec les droits du Requérant sur sa marque.

Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.

C. Droits ou intérêts légitimes

Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(ii), le Requérant doit démontrer que le Défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

Dans la décision Do the Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624, la commission administrative a considéré que, s’agissant d’un fait négatif presque impossible à démontrer, à partir du moment où les Requérantes ont allégué que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime en relation avec le nom de domaine litigieux. C’est au Défendeur qu’il incombe d’établir l’existence de ses droits. Partant, il suffit que les Requérantes établissent prima facie que le Défendeur ne détient aucun droit ou intérêt légitime pour qu’il revienne au Défendeur de produire des arguments ou des preuves pour établir ses droits. A défaut, les Requérantes sont présumées avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe (a)(ii) des Principes Directeurs.

Tel est le cas en l’espèce. Le Requérant n’a jamais consenti de droit ou d’autorisation au Défendeur en relation avec l’enregistrement et l’exploitation de noms de domaine reprenant la marque BOUYGUES CONSTRUCTION. De surcroît, le Défendeur n’apporte aucun élément d’information susceptible de démontrer l’existence d’un intérêt légitime ou d’un droit.

Le Défendeur n’a donc pas d’intérêt légitime en l’absence de preuve crédible d’usage ou de préparation démontrable d’usage du nom de domaine litigieux en lien avec une offre de bonne foi de produits ou de services. VoirBolloré contre Assiom SITTI – NEWTEK, Litige OMPI No. D2016-2489, “il est acquis qu’un titulaire de noms de domaine n’a pas d’intérêt légitime en l’absence de preuve crédible d’usage ou de préparation démontrable d’usage du nom de domaine en lien avec une offre de bonne foi de produits ou services (voir en ce sens Vector Aerospace Corporation c. Daniel Mullen, Litige OMPI No. D2002-0878).”

Dès lors, le Défendeur n’a ni droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux <bouygues-construction-comptabilite.com>.

Il apparaît au contraire que le nom de domaine litigieux est inactif.

Partant, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.

D. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(iii), le Requérant doit démontrer que le Défendeur a enregistré et qu’il utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

La Commission administrative admet, eu égard à la notoriété de la marque BOUYGUES CONSTRUCTION, qu’il ne fait aucun doute que le Défendeur connaissait la marque du Requérant et que son usurpation via l’enregistrement du nom de domaine litigieux résulte d’une volonté et d’un ensemble de manœuvres sans doute frauduleuse afin de détourner un certain volume de biens du Requérant.

La Commission administrative constate que le nom de domaine litigieux est inactif. L’utilisation passive d’un nom de domaine n’empêche pas de conclure à une utilisation de mauvaise foi, notamment lorsque la marque du Requérant est notoire, que le Défendeur n’a pas soumis de réponse et qu’il a dissimulé son identité via un service de privacy (Voir Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003).

La Commission administrative considère que la condition posée au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est remplie et que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <bouygues-construction-comptabilite.com> soit transféré au Requérant.

Emmanuelle Ragot
Experte Unique
Le 17 Octobre 2019