Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Banque Fédérale du Crédit Mutuel (BFCM) contre Contact Privacy Inc. Customer 1243968166 / Contact Privacy Inc. Customer 1243968167 / Osmaj Klodjan

Litige No. D2019-2721

1. Les parties

Le Requérant est la Banque Fédérale du Crédit Mutuel (BFCM), France, représenté par Meyer & Partenaires, France.

Le Défendeur est Contact Privacy Inc. Customer 1243968166, Canada / Contact Privacy Inc. Customer 1243968167, Canada / Osmaj Klodjan, France.

2. Noms de domaine et unité d’enregistrement

Les noms de domaine litigieux <targobanking.com> et <targobanking.net> sont enregistrés auprès de Google LLC (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par la Banque Fédérale du Crédit Mutuel (BFCM) auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 6 novembre 2019. La plainte était initialement déposée contre trois noms de domaine litigieux. En date du 7 novembre 2019, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 7 novembre 2019, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité des titulaires des noms de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 18 novembre 2019, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives aux titulaires des noms de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et demandant au Requérant à soumettre un amendement à la plainte ou une plainte amendée démontrant que les titulaires des noms de domaine litigieux sont, en fait, la même entité et/ou que tous les noms de domaine sont sous contrôle commun, et/ou déposer une plainte distincte pour tout nom de domaine lequel il n’est pas possible de le démontrer. L’Unité d’enregistrement ayant également révélé que la langue du contrat d’enregistrement étant le français pour les noms de domaine litigieux <targobanking.com> et <targobanking.net> et la plainte ayant été déposée en anglais, le Centre a invité le Requérant à fournir la preuve suffisante d’un accord entre les parties pour que la procédure se déroule en anglais, ou une plainte traduite en français, ou encore une demande motivée pour que le français soit la langue de la procédure.

Le Requérant a déposé une plainte amendée en français le 3 décembre 2019 concernant les noms de domaine litigieux <targobanking.com> et <targobanking.net>.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 9 décembre 2019, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 29 décembre 2019. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 30 décembre 2019, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 17 janvier 2020, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est la Banque Fédérale du Crédit Mutuel, société portefeuille du groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale qui agit en tant que trésorerie centrale et exerce des activités de capital et de marché monétaire pour le compte du groupe.

Le Requérant coordonne les activités des filiales du groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale dans différentes branches de la finance, des assurances, des activités bancaires et de l’information technologique, notamment la filiale Targo Bank AG & Co. KGaA.

En juin 2017, le groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale est devenu, par l’intermédiaire du Requérant, l’unique actionnaire de Targo Bank AG & Co. KGaA, qui exploite un portail Internet accessible à l’adresse “www.targobank.de”.

Le Requérant est titulaire sur la dénomination “Targo Bank” de plusieurs droits de propriété intellectuelle, en particulier :

- la marque verbale internationale n°1013173 TARGO BANK, enregistrée le 22 juillet 2009 en classes 16, 35, 36, et 38;
- la marque semi-figurative de l’Union européenne n°8285579 TARGO X BANK, enregistrée le 1 février 2010 en classes 16, 35, 36, et 38.

En outre, la dénomination “Targo Bank” fait l’objet d’enregistrements à titre de noms de domaines, notamment :

- le nom de domaine <targobank.com>, enregistré le 26 janvier 2009 et régulièrement renouvelé depuis lors;
- le nom de domaine <targobank.net>, enregistré le 26 janvier 2009 et régulièrement renouvelé depuis lors; et
- le nom de domaine <targobank.org>, enregistré le 31 mars 2009 et régulièrement renouvelé depuis lors.

Les noms de domaine litigieux <targobanking.com> et <targobanking.net> ont été enregistrés le 23 février 2019.

Au jour de la présente décision, les noms de domaine litigieux pointent vers des pages d’erreur. Au jour du dépôt de la plainte, le nom de domaine dirigeait vers un site proposant des services financiers et bancaires identiques à ceux du Requérant.

Le Requérant a décidé de s’adresser au Centre afin d’obtenir le transfert des noms de domaine litigieux à son profit.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant fait valoir en premier lieu que les noms de domaine litigieux sont identiques ou semblables, au point de prêter à confusion, avec la marque TARGO BANK sur laquelle il est titulaire de droits.

Le Requérant souligne tout d’abord que les noms de domaine litigieux reproduisent entièrement la marque TARGO BANK, qui est constituée d’un terme distinctif et arbitraire ayant acquis une réputation certaine dans le milieu bancaire en Europe.

Le Requérant ajoute que la seule différence entre la marque TARGO BANK et les noms de domaine litigieux est l’adjonction au terme “bank” de la forme passive “-ing” dans les noms de domaine litigieux, ce qui ne change pas sa signification, de sorte que “bank” et “banking” sont interchangeables dans l’esprit des internautes.

Le Requérant soutient en second lieu que le Défendeur n’a aucun droit sur les noms de domaine litigieux, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

Le Requérant affirme tout d’abord qu’il n’existe aucune relation de quelque ordre que ce soit entre le Défendeur et lui pouvant justifier l’enregistrement de ces noms de domaine litigieux, et qu’il n’a jamais accordé au Défendeur d’autorisation ou licence d’exploitation à cette fin.

Le Requérant considère en outre que le Défendeur n’a engagé aucune action démontrant qu’il dispose de droits ou d’un intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux.

Le Requérant allègue en dernier lieu que les noms de domaine litigieux ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi.

Le Requérant rappelle en effet que le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence de la marque TARGO BANK et que c’est délibérément qu’il a enregistré les noms de domaine litigieux, dans le seul but de faire référence à la banque Targo Bank, d’autant plus qu’il s’est fait passer pour le Requérant en utilisant son logo officiel ainsi que des visuels et une charte graphique ressemblant aux siens.

Le Requérant rapporte également que le Défendeur a utilisé un service d’anonymat afin de masquer son identité, et que sa divulgation par le prestataire d’enregistrement révèle des données d’identification incohérentes pouvant s’inscrire dans un cadre d’identité fictive ou usurpée.

Le Requérant estime en outre que l’usage des noms de domaine litigieux caractérise la mauvaise foi du Défendeur dès lors qu’il a activé un faux site Internet en langue anglaise proposant des services financiers et bancaires identiques à ceux du Requérant, reproduisant la marque et le logo du Requérant de façon grossièrement altérée et indiquant une adresser de courrier électronique paraissant officielle, tout comme une page de connexion sécurisée.

Le Requérant insiste sur le caractère frauduleux de cet usage, dès lors que l’internaute était invité à se connecter sur un espace de ce site internet, ce qui pouvait permettre au Défendeur de recueillir des informations, pratique assimilable au phishing ou du moins à une tentative de collecte de données personnelles à des fins frauduleuses.

Le Requérant indique enfin que si les noms de domaine litigieux renvoient actuellement à des pages d’erreur, la détention passive de noms de domaine est reconnue comme un usage de mauvaise foi.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, le Requérant doit prouver que :

(i) le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et

(ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

(iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits.

La Commission administrative estime que le Requérant a fourni des éléments prouvant qu’il est titulaire de droits sur la marque TARGO BANK.

En l’espèce, les noms de domaine litigieux <targobanking.com> et <targobanking.net> reprennent intégralement et en premier lieu la marque TARGO BANK dont est titulaire le Requérant, composée du terme distinctif “targo” et du terme “bank” auquel est simplement adjoint le suffixe “-ing” pour “banking”.

De nombreuses décisions ont déjà constaté, sur le fondement des Principes directeurs, que l’incorporation d’une marque reproduite à l’identique au sein d’un nom de domaine est suffisante pour établir que le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à la marque sur laquelle le Requérant a des droits, et que la simple adjonction d’un mot à cette marque, qu’il soit descriptif, géographique, péjoratif, sans signification ou autre, est insuffisante pour éviter un tel risque de confusion (voir Magnum Piering, Inc. v. The Mudjackers and Garwood S. Wilson, Sr., Litige OMPI No. D2000-1525; Bayerische Motoren Werke AG v. bmwcar.com, Litige OMPI No. D2002-0615; RapidShare AG, Christian Schmid v. InvisibleRegistration.com, Domain Admin, Litige OMPI No. D2010-1059; Hoffmann-La Roche Inc., Roche Products Limited v.Vladimir Ulyanov, Litige OMPI No. D2011-1474; Swarovski Aktiengesellschaft v. mei xudong, Litige OMPI No. D2013-0150; The American Automobile Association, Inc. v. Cameron Jackson / PrivacyDotLink Customer 2440314, Litige OMPI No. D2016-1671).

Eu égard aux noms de domaine litigieux, la Commission administrative estime que l’ajout du seul suffixe “-ing” au terme “bank” de la marque TARGO BANK n’empêche pas de conclure à une similarité prêtant à confusion entre les noms de domaine litigieux et la marque du Requérant.

Par ailleurs, la Commission administrative rappelle que, comme souligné par le Requérant, les extensions tels que “.com” et “.net” ne sont pas à prendre en considération dans la comparaison des noms de domaine litigieux et de la marque TARGO BANK, comme les décisions fondées sur les Principes directeurs le jugent depuis longtemps.

La Commission administrative estime donc que les noms de domaine litigieux sont similaires au point de prêter à confusion avec la marque détenue par le Requérant, au sens du Paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

Aux termes du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, le Requérant doit être en mesure de démontrer que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

Si la charge de la preuve de l’absence de droit ou d’intérêt légitime du Défendeur incombe au Requérant, les Commissions administratives considèrent qu’il est difficile de prouver un fait négatif. Il est donc généralement admis que le Requérant doit établir prima facie que le Défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux (voir Croatia Airlines d.d. v. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455). Il incombe ensuite au Défendeur de renverser cette présomption. S’il n’y parvient pas, le Requérant est présumé avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs (voir Denios Sarl v. Telemediatique France, Litige OMPI No. D2007-0698).

En l’espèce, le Requérant établit de façon générale qu’il n’a pas autorisé le Défendeur à utiliser sa marque ou à enregistrer le nom de domaine litigieux, n’ayant aucune relation avec lui.

Le Requérant indique également que le Défendeur n’a engagé aucune action démontrant qu’il dispose de droits ou d’un intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux, qui pointent aujourd’hui vers des pages d’erreur.

La Commission administrative considère ainsi que le Requérant a établi prima facie l’absence de droits ou d’intérêts légitimes du Défendeur. Il appartenait donc au Défendeur de démontrer ses droits ou intérêts légitimes sur les noms de domaine litigieux. Or, le Défendeur n’a pas répondu à la plainte du Requérant.

Par conséquent, et conformément aux paragraphes 4(a)(ii) et 4(c) des Principes directeurs, la Commission administrative considère que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux <targobanking.com> et <targobanking.net>.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.

Le paragraphe 4(b) ajoute que la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la Commission administrative, par les circonstances ci-après :

(i) les faits montrent que le nom de domaine a été enregistré ou acquis essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au Requérant qui est propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celle‑ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’elle peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine,

(ii) le nom de domaine a été enregistré en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine,

(iii) le nom de domaine a été enregistré essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent,

(iv) en utilisant le nom de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation du site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.

Tout d’abord, la Commission administrative considère que le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence des marques antérieures du Requérant au moment de l’enregistrement des noms de domaine litigieux, d’une part étant donné que les marques du Requérant ont été déposées et enregistrées bien avant l’enregistrement des noms de domaine litigieux, et d’autre part compte tenu de ce que le nom de domaine litigieux <targobanking.com> pointait initialement vers un site Internet qui imitait les logos, visuels et charte graphique du Requérant.

L’existence même de ce site Internet proposant des services financiers et bancaires identiques à ceux du Requérant témoigne d’une volonté du Défendeur de se faire passer pour le Requérant, notamment afin de tromper les internautes et recueillir des informations les concernant par le biais d’une page de connexion mise à leur disposition, pratique assimilable à du phishing.

En outre, l’incohérence dans les coordonnées du Défendeur divulguées par l’Unité d’enregistrement tend à démontrer une volonté du Défendeur de dissimuler son identité réelle, ce qui va dans le sens d’une démarche frauduleuse.

Enfin, le fait que les noms de domaine litigieux pointent aujourd’hui vers des pages d’erreur n’exclut pas l’usage de mauvaise foi de ces noms de domaine litigieux, la détention passive de nom de domaine étant reconnue depuis longtemps comme un usage de mauvaise foi dans les décisions rendues sur le fondement des Principes directeurs.

Dès lors, la Commission administrative considère que la mauvaise foi du Défendeur dans l’enregistrement et l’utilisation des noms de domaine litigieux est établie conformément aux paragraphes 4(a)(iii) et 4(b)(i) des Principes directeurs.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine litigieux <targobanking.com> et <targobanking.net> soient transférés au Requérant.

Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique
Le 3 février 2020