Le Requérant est Alain Afflelou Franchiseur, France, représenté par Novagraaf France, France.
Le Défendeur est Gilles Menochet, France.
Le nom de domaine litigieux <afflelou.biz> est enregistré auprès de 1&1 IONOS Inc. (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée en anglais par Alain Afflelou Franchiseur auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 17 mars 2020. En date du 17 mars 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 19 mars 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 25 mars 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 26 mars 2020.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 30 mars 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur en français et en anglais. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 19 avril 2020. Un courrier électronique du Défendeur, a été reçu par le Centre le 25 mars 2020 concernant la langue de la procédure. Le Défendeur n’a pas fait parvenir une réponse formelle. Conformément, en date du 28 avril 2020, le Centre notifiait le début du processus de nomination de la Commission administrative.
En date du 11 mai 2020, le Centre nommait Benjamin Fontaine comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
La Commission Administrative a jugé préférable de rendre cette décision en français, même si la plainte a été rédigée en anglais, comme le lui autorise le paragraphe 11(a) des Règles d’application. En effet, les deux parties et le mandataire du Requérant sont établies en France, et le français est une des langues du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux avec l’anglais. Le Défendeur, dans la seule communication adressée au Centre en cours de procédure, a exposé ne pas comprendre l’anglais. Enfin, la Commission relève que la plupart des pièces jointes à la plainte étaient disponibles en français, notamment les droits invoqués par le Requérant et les preuves de notoriété.
Le Requérant est Alain Afflelou Franchiseur, un des grands acteurs du secteur de l’optique en France. Le Requérant exploite sous la marque AFFLELOU, depuis plusieurs décennies, des centaines de magasins d’optiques principalement en France mais également dans d’autres marchés, comme l’Espagne. Le Requérant est indissociable de la figure de son fondateur et dirigeant historique, Alain Afflelou. Ce dernier est l’un des entrepreneurs les plus connus en France, compte tenu de son implication personnelle dans la promotion de la marque AFFLELOU, et de ses investissements dans des grands clubs sportifs.
Le Requérant invoque les droits suivants à l’appui de sa plainte :
- La dénomination sociale Alain Afflelou Franchiseur, adoptée le 12 novembre 1975;
- La marque française AFFLELOU no 4267761 déposée le 26 avril 2016, et enregistrée le 19 août 2016;
- La marque internationale AFFLELOU no 1305969 enregistrée le 26 avril 2016, et visant une quinzaine de territoires dont l’Union européenne;
- Le nom de domaine <afflelou.com> a été enregistré le 13 septembre 1999.
Le nom de domaine litigieux, <afflelou.biz>, a été enregistré le 31 janvier 2011. Il renvoie sur une page d’attente générée automatiquement par l’unité d’enregistrement. Le Requérant a versé au dossier un document montrant l’existence de deux enregistrements de serveurs de messagerie (enregistrements MX) actuellement configurés pour le nom de domaine litigieux. Il est donc possible que le nom de domaine litigieux soit utilisé pour créer des adresses emails.
Les coordonnées du Défendeur ont été confirmées par l’Unité d’enregistrement. Il s’agit de Monsieur Gilles Menochet, domicilié en France. Ce dernier, après avoir indiqué ne pas comprendre l’anglais, n’a pas déposé de réponse à la plainte, alors que toutes les étapes de la procédure lui ont bien été notifiées en français et en anglais. Les activités du Défendeur ne sont pas connues.
Le Requérant a exposé succinctement les arguments suivants à l’appui de la plainte :
Le Requérant invoque en premier lieu une similitude prêtant à confusion entre sa dénomination sociale, son nom de domaine, ses marques AFFLELOU, et le nom de domaine litigieux, compte tenu de la reprise à l’identique du vocable “afflelou”.
Le Requérant estime en second lieu que le Défendeur n’a ni droits, ni intérêts légitimes, attaché au nom de domaine litigieux. Après avoir eu connaissance de l’identité du Défendeur, le Requérant a modifié sa plainte et a invoqué les arguments suivants: aucune connexion n’a pu être effectuée entre le terme “afflelou”, qui est aussi un patronyme, et le nom du Défendeur; il n’existe aucune relation entre le Requérant et le Défendeur. Enfin, une recherche n’a révélé aucune marque AFFLELOU détenue par la Défendeur.
Enfin au titre de la mauvaise foi, le Requérant invoque en premier lieu l’absence de réponse à un courrier de mise en demeure adressé au Défendeur – via l’unité d’enregistrement – en août 2018. Le Requérant estime en second lieu que les adresses emails potentiellement associés au nom de domaine litigieux sont susceptibles d’être utilisés pour l’envoi de messages frauduleux. Enfin, le Requérant expose que le Défendeur ne pouvait ignorer ses marques et noms de domaine, compte tenu de leur notoriété. Cette circonstance, ajoutée à l’absence de réponse à la plainte, et au fait que le Défendeur aurait caché son identité, démontrent sa mauvaise foi au sens des Principes directeurs.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant d’apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement :
- Le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits,
- Le défendeur ne dispose d’aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache,
- Le nom de domaine est enregistré et utilisé de mauvaise foi.
La Commission administrative examine ci-après le bien-fondé de l’argumentation des parties sur ces trois points.
Le Requérant détient des droits sur la marque AFFLELOU.
Le nom de domaine litigieux reproduit intégralement la marque AFFLELOU. L’extension “.biz” ne sera pas prise en considération dans l’examen de la similitude entre la marque et le nom de domaine litigieux (voir la section 1.11 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux Principes UDRP, troisième édition(“Synthèse de l’OMPI 3.0”)).
Le Requérant invoque des droits à titre de dénomination sociale, de nom de domaine et de marque à l’appui de la plainte. Or, seul un droit de marque peut être invoqué dans la cadre d’une procédure UDRP, ainsi qu’il a été rappelé de longue date (voir Sopal contre Packalpha, Litige OMPI No. D2004-0568 portant rejet d’une plainte invoquant des droits à titre de dénomination sociale, en France). Ni la dénomination sociale, ni le nom de domaine, ne peuvent être assimilés à un droit de marque et ils sont donc inopérants en l’espèce.
Cette précision est importante, puisque les droits de marques invoqués par ailleurs à l’appui de la plainte par le Requérant sont postérieurs de plus de cinq ans à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.
Toutefois, bien que le Requérant n’ait pas invoqué de droit de « Common Law » sur le patronyme AFFLELOU, tel qu’utilisé dans la vie des affaires, cette possibilité est envisagée dans la jurisprudence UDRP, sans avoir spécifiquement égard au droit applicable dans les juridictions dans lesquelles le patronyme est utilisé à titre de marque (voir la section 1.5.2 de la Synthèse de l’OMPI 3.0”).
L’antériorité du nom de domaine litigieux sur les droits de marque invoqués par le Requérant peut soulever des difficultés lors de la démonstration de l’enregistrement de mauvaise foi du nom de domaine litigieux. En revanche, une telle circonstance est neutre pour évaluer la première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs, ainsi qu’il est rappelé à la section 1.1.3 de la Synthèse version 3.0. Aussi, la Commission administrative se limitera ici à constater qu’il existe une identité entre les droits de marque AFFLELOU du Requérant, et le nom de domaine litigieux.
La première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est donc remplie.
Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs énumère de manière non-exhaustive un certain nombre de circonstances de nature à établir les droits ou les intérêts légitimes du défendeur sur le nom de domaine telles que:
(i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;
(ii) le défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine litigieux, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou
(iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.
Comme il est habituel dans la mise en œuvre des Principes directeurs, il suffit au Requérant d’apporter la preuve prima facie que le Défendeur n’a pas de droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux. Le Défendeur s’étant abstenu de répondre à la plainte, et à défaut d’éléments au dossier pouvant contredire l’argumentaire du Requérant exposé au point 5 A ci-dessus, la Commission administrative confirme que le Défendeur ne peut invoquer en l’espèce de droits ou d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux.
La seconde condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est donc également remplie.
Selon le paragraphe 4(b) des Principes directeurs, la réalisation de l’une des circonstances suivantes est susceptible d’établir que le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi:
i) les faits montrent que le défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine;
ii) le défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique;
iii) le défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou
iv) en utilisant ce nom de domaine, le défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.
En application des Principes directeurs, le Requérant ne peut obtenir gain de cause qu’à la double condition d’établir que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi, et est utilisé de mauvaise foi.
L’antériorité du nom de domaine litigieux sur les droits de marques invoqués par le Requérant remet directement en question l’argument du Défendeur selon lequel le nom de domaine litigieux aurait été enregistré de mauvaise foi. Ainsi, il est rappelé à la section 1.1.3 de la Synthèse de l’OMPI 3.0 que dans l’hypothèse d’un enregistrement antérieur du nom de domaine litigieux, c’est uniquement dans des circonstances exceptionnelles que la mauvaise foi peut être prouvée. La Commission administrative relève par ailleurs que le Requérant n’a pas développé d’arguments spécifiques sur cette question centrale.
Toutefois, après examen attentif des pièces versées au dossier, la Commission administrative estime que les circonstances propres à cette espèce tendent à confirmer que le nom de domaine litigieux, a bien été enregistré, et utilisé passivement, de mauvaise foi.
Il apparaît en effet qu’à la date de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, le 31 janvier 2011, la marque AFFLELOU était massivement déployée en France, et connue d’une très large part du public. De même, le fondateur de l’entreprise et porteur de la marque, Alain Afflelou, était déjà très largement connu comme grand entrepreneur et président de club de football.
Ainsi, un article publié dans Atlantico, le 6 novembre 2013, fait état d’un chiffre d’affaire du Requérant de près de 770 millions d’euros, réalisé avec un réseau de 1200 boutiques dans le monde. Il y est précisé que ce chiffre d’affaire a été réalisé essentiellement en France, avec les magasins du réseau de la branche optique. Un tel réseau, et un tel chiffre d’affaire, nécessitent des années de développement et ont donc nécessairement été constitués préalablement à la réservation du nom de domaine litigieux. Un autre article publié dans « Boursorama.com », le 23 mars 2016, mentionne l’ouverture d’une première boutique en 1972. Il y est précisé que Monsieur Alain Afflelou a présidé le club de football des Girondins de Bordeaux de 1991 à 1996, ce qui contribua à lui fournir une grande exposition médiatique. Un autre article, publié sous forme de brève dans le site Chefdentreprise.com le 25 mai 2016, relève qu’en 2006, soit cinq années avant la réservation du nom de domaine litigieux, “772 points de vente vendaient des lunettes sous la marque Afflelou, dont 622 en France”. Enfin, dans une entrevue publiée dans le quotidien Le Parisien le 5 octobre 2015, Alain Afflelou revient sur les 40 années d’existence de la marque qui porte son nom et explique investir depuis 25 ans 7% de son chiffre d’affaire en communication, pour la promouvoir.
Ainsi, en 2011 lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, le patronyme AFFLELOU était très largement connu du public en France, en référence à Monsieur Alain Afflelou et à la marque créée par lui et largement présente dans l’ensemble du pays. Il est donc très probable que le Défendeur, qui est domicilié en France, avait en tête la marque du Requérant lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux.
Cette forte présomption est corroborée par d’autres facteurs liés à l’inaction du Défendeur, à savoir d’une part l’absence de réponse à la plainte et d’explication plausible sur le choix du nom de domaine litigieux, et d’autre part l’absence d’exploitation du nom de domaine litigieux sur une période particulièrement longue, de près d’une décennie.
La Commission administrative estime donc que le Défendeur a ciblé la marque du Requérant lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, ce qui constitue un agissement de mauvaise foi.
Par ailleurs, la détention passive d’un nom de domaine usurpant une marque notoirement connue, sur une si longue période, constitue également un agissement de mauvaise foi, voir la section 3.3 de la Synthèse de l’OMPI 3.0. En détenant ce nom de domaine litigieux, le Défendeur a privé le Requérant d’un nom de domaine pertinent pour le développement de ses activités. Par ailleurs, comme il a été indiqué dans l’exposé des faits, l’éventuelle utilisation d’adresses email rattachées au nom de domaine litigieux pourrait donner lieu à des opérations frauduleuses de “phishing”.
Partant, la dernière condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est également satisfaite. Le Requérant est bien fondé à solliciter le transfert du nom de domaine litigieux à son profit.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <afflelou.biz> soit transféré au Requérant.
Benjamin Fontaine
Expert Unique
Le 25 mai 2020