Le Requérant est Confédération Nationale Du Crédit Mutuel, France, représenté par MEYER & Partenaires, France.
Le Défendeur est Peter Andorf SADJO, Bénin.
Le nom de domaine litigieux <caissecreditmutuelbank.com> (ci-après le “Nom de Domaine Litigieux”) est enregistré auprès de Hostinger, UAB (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par la Confédération Nationale Du Crédit Mutuel auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 22 avril 2020. En date du 23 avril 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 24 avril 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.
L’Unité d’enregistrement a aussi indiqué que la langue du contrat d’enregistrement du Nom de Domaine Litigieux est l’anglais. Le 27 avril 2020, la plainte ayant été déposée en français, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant, l’invitant à fournir la preuve suffisante d’un accord entre les Parties, la plainte traduite en anglais, ou une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le 28 avril 2020, le Requérant a confirmé que sa plainte contenait une demande afin que le français soit la langue de la procédure.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 11 mai 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur en français et en anglais. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 31 mai 2020. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 3 juin 2020, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 7 juin 2020, le Centre nommait Flip Jan Claude Petillion comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
La Confédération Nationale Du Crédit Mutuel (ci-après le “Requérant”) représente le groupe Crédit Mutuel, qui est un des plus grands groupes français de services bancaires et d’assurances.
Le Requérant est titulaire de plusieurs marques dont les suivantes :
- , marque française semi figurative enregistrée le 20 novembre 1990 sous le n° 1 646 012 et enregistrée pour des produits et services des classes 16, 35, 36, 38 et 41;
- CRÉDIT MUTUEL, marque verbale européenne enregistrée le 24 octobre 2011 sous le n° 009943135 et enregistrée pour des produits et services des classes 9, 16, 35, 36, 38, 41, 42 et 45.
Le groupe du Requérant utilise également les noms de domaines <creditmutuel.fr> et <creditmutuel.com>, enregistrés au nom de la filiale informatique du groupe, Euro-Information SAS.
Le Nom de Domaine Litigieux <caissecreditmutuelbank.com> a été enregistré le 9 mars 2020, et redirige les internautes vers un site web semblant offrir des services bancaires et d’assurances similaires aux services du Requérant.
Le Requérant soutient que le Nom de Domaine Litigieux est semblable, au point de prêter à confusion, à sa marque CRÉDIT MUTUEL sur laquelle le Requérant prétend avoir des droits. Le Requérant soutient également que le Défendeur n’a aucun droit sur le Nom de Domaine Litigieux, ni aucun intérêt légitime. Enfin, le Requérant soutient que le Défendeur a enregistré et utilise le Nom de Domaine Litigieux de mauvaise foi. Selon le Requérant, le Nom de Domaine a été enregistré et est utilisé dans un but frauduleux en créant un risque de confusion avec le Requérant et sa marque CRÉDIT MUTUEL.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
Aux termes du paragraphe 11(a) des Principes directeurs, "sauf convention contraire entre les parties ou stipulation contraire du contrat d'enregistrement, la langue de la procédure est la langue du contrat d'enregistrement; toutefois, la commission peut décider qu'il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative".
Les commissions UDRP ont identifié certaines circonstances pouvant justifier de procéder dans une langue autre que celle du contrat d'enregistrement. Ces circonstances comprennent (i) des preuves démontrant que le défendeur peut comprendre la langue de la plainte, (ii) la langue ou l'écriture du nom de domaine, en particulier lorsque celle-ci est identique à celle de la marque du plaignant, (iii) tout contenu sur la page web liée nom de domaine litigieux, (iv) les affaires antérieures impliquant le défendeur dans une langue particulière, (v) la correspondance antérieure entre les parties, (vi) l'injustice potentielle ou le retard injustifié que représenterait le fait d’ordonner au plaignant de traduire la plainte, (vii) la preuve d'autres noms de domaine contrôlés par le défendeur et qui seraient enregistrés et/ou utilisés dans une langue particulière, ou correspondant à une langue particulière, (viii) dans les cas impliquant plusieurs noms de domaine, l'utilisation d'un accord linguistique particulier pour certains (mais pas tous les) noms de domaine litigieux, (ix) devises acceptées sur la page web liée au nom de domaine litigieux, ou (x) d'autres indices tendant à démontrer qu'il ne serait pas injuste de procéder dans une langue autre que celle du contrat d'enregistrement.
La crédibilité de toutes les observations des parties et en particulier celles du défendeur (ou le manque de réaction après avoir eu l’opportunité de donner son point de vue à cet égard) est particulièrement pertinente (Voir la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition (“Synthèse, version 3.0”), section 4.5.1).
En l'espèce, la langue du contrat d’enregistrement est l’anglais. Le Requérant a demandé à ce que la langue de la procédure soit le français. Le Requérant démontre que le Nom de Domaine Litigieux enregistré par le Défendeur contient des termes francophones. En outre, la Commission constate que le français est une des langues dans lesquelles l’entièreté du site web lié au Nom de Domaine Litigieux est disponible.
La Commission administrative relève également que le Défendeur, qui a pourtant eu l'opportunité de répliquer à la plainte sur le fond mais également sur la question de la langue de la procédure, n'a pas contesté les arguments avancés par le Requérant. La Commission administrative considère que le Défendeur était suffisamment informé de l'objet de la procédure administrative, tant par l'acceptation des conditions du contrat d'enregistrement que par les communications du Centre. Le fait que le Défendeur n'ait pas répondu aux communications du Centre indique que le Défendeur a délibérément choisi de ne pas participer à la procédure administrative et de ne pas faire usage de son droit de défense. En l'absence de contestation ou de demande dérogatoire émanant des parties, la Commission administrative estime qu'il n'est pas inéquitable que la langue de la présente procédure administrative soit le français (Voir Crédit du Nord v. Laurent Deltort, Litige OMPI No. D2012-2532; INTS IT IS NOT THE SAME, GmbH (dba DESIGUAL) v. Two B Seller, Estelle Belouzard, Litige OMPI No. D2011-1978).
Au vu de ce qui précède, la Commission administrative accepte la demande du Requérant à ce que la langue de la présente procédure administrative soit le français.
Le paragraphe 15 des Règles d’application prévoit que la Commission administrative statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux Règles d’application et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.
La charge de la preuve se situe auprès du Requérant et il résulte aussi bien de la terminologie des Principes directeurs que de décisions préalables de commissions administratives UDRP, que le Requérant doit prouver chacun des trois éléments mentionnés au paragraphe 4(a) des Principes directeurs afin d’établir que le Nom de Domaine Litigieux peut être transféré.
Dès lors, le Requérant doit prouver conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs et selon la balance des probabilités que :
(i) le Nom de Domaine Litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et
(ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le Nom de Domaine Litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et
(iii) le Nom de Domaine Litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
Par conséquent, la Commission administrative examinera ces critères séparément.
En premier lieu, le Requérant doit établir qu’il a des droits de marque dont il est titulaire. Comme le Requérant démontre être titulaire d’une marque verbale CRÉDIT MUTUEL ainsi que plusieurs marques figuratives dont l’élément textuel est CRÉDIT MUTUEL, le Requérant a établi qu’il existe des droits de marque dont il est titulaire. La marque du Requérant est antérieure à l’enregistrement du Nom de Domaine Litigieux.
La Commission considère que le Nom de Domaine Litigieux <caissecreditmutuelbank.com> est semblable à la marque du Requérant en ce qu’il reproduit la marque invoquée dans son entièreté en ajoutant simplement le mot “caisse” avant et le mot “bank” après la marque. Selon la Commission, ces ajouts descriptifs ne sont pas suffisants pour distinguer le Nom de Domaine Litigieux de la marque du Requérant (Voir Synthèse, version 3.0, section 1.8).
La Commission estime que la similitude entre le Nom de Domaine Litigieux et la marque du Requérant peut prêter à confusion. Dès lors, le Requérant a établi que le premier élément du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est rempli.
Conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, le Requérant a la charge de la preuve pour établir que le Défendeur n’a ni droits ni intérêts légitimes vis-à-vis du Nom de Domaine Litigieux.
Il est de jurisprudence UDRP constante qu’il suffit pour le Requérant de démontrer qu’à première vue (prima facie) le Défendeur n’a ni droits ni intérêts légitimes vis-à-vis du Nom de Domaine Litigieux pour qu’il incombe au Défendeur de démontrer le contraire (Voir Synthèse, version 3.0, section 2.1).
La Commission constate que le Défendeur n’est pas connu sous le Nom de Domaine Litigieux et qu’il est hautement improbable qu’il ait acquis des droits de marque. Selon les informations confirmées par l’Unité d’enregistrement, le Défendeur se nomme Peter Andorf Sadjo. Le Requérant déclare qu’il n’a aucune relation de quelque ordre que ce soit avec le Défendeur.
Lorsqu’un nom de domaine se compose d’une marque et d’un terme supplémentaire, il est de jurisprudence UDRP constante qu’une telle composition ne peut pas constituer une utilisation de bonne foi si elle est de nature à usurper l’identité du propriétaire de la marque, ou si elle suggère effectivement une affiliation ou une approbation par le propriétaire de la marque (Voir Synthèse, version 3.0, section 2.5.1).
Dans la présente affaire, le Nom de Domaine Litigieux reproduit la marque CRÉDIT MUTUEL du Requérant et y ajoute les mots “caisse” et “bank”. Le Requérant démontre que ses différentes filiales sont historiquement désignées comme des “caisses”, et que le groupe fait un usage courant du terme “caisse” pour désigner ses agences locales. Vu le lien évident entre le mot “bank” et les services bancaires couverts par la marque CRÉDIT MUTUEL du Requérant, la Commission considère que le Nom de Domaine Litigieux suggère effectivement une affiliation avec le Requérant.
Au-delà du nom de domaine lui-même, les commissions UDRP prennent également en compte d’autres circonstances, comme le contenu du site web lié au nom de domaine et l’absence de réponse du défendeur (Voir Synthèse, version 3.0, sections 2.5.2 et 2.5.3).
Sur la base des pièces produites par le Requérant, la Commission constate que le site web lié au Nom de Domaine Litigieux semble offrir des produits et services similaires à ceux du Requérant, et présente certaines similitudes avec le site officiel du Requérant. En outre, le site web lié au Nom de Domaine Litigieux mentionne plusieurs fois la dénomination “CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL” et l’abréviation “CCM”. Le Requérant démontre que cette dénomination et cette abréviation sont régulièrement utilisées en référence au Requérant.
En outre, le Requérant indique que le site web lié au Nom de Domaine Litigieux contient de nombreuses informations d’apparence officielle mais incomplètes, et aucune coordonnée ne permet d’identifier la prétendue société offrant les services bancaires. Au vu de la réglementation stricte applicable à de tels services, la Commission considère qu’il est plus que probable que le Nom de Domaine Litigieux est utilisé de manière frauduleuse, tout en créant un risque de confusion avec la marque du Requérant.
Il est de jurisprudence UDRP constante que l’usage d’un nom de domaine dans le cadre d’activités illégales (comme l’usurpation d’identité ou d’autres type de fraude) ne peut jamais conférer de droits ou d’intérêts légitimes dans le chef du défendeur (Voir Synthèse, version 3.0, section 2.13).
Enfin, le Défendeur a eu l’opportunité de répondre aux arguments susmentionnés mais ne l’a pas fait.
Au vu de ce qui précède, la Commission considère que le Requérant a démontré que le Défendeur n’a ni droits ni intérêts légitimes vis-à-vis du Nom de Domaine Litigieux. Le critère repris au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est donc rempli.
Le Requérant doit apporter la preuve sur la balance des probabilités que le Nom de Domaine Litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi (Voir Synthèse, version 3.0, section 4.2; Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Control Techniques Limited v. Lektronix Ltd, Litige OMPI No. D2006-1052).
Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs prévoit une liste non-exhaustive de circonstances qui peuvent constituer la preuve qu’un nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Cette liste comprend le cas où en utilisant un nom de domaine, le défendeur a essayé intentionnellement d’attirer, à des fins commerciales, des utilisateurs d’Internet sur son site web ou toute autre destination en ligne en créant un risque de confusion avec la marque du requérant quant à la source, au parrainage, à l’affiliation ou à l’approbation de son site web ou destination en ligne ou d’un produit ou service offert sur celui-ci.
En l’espèce, la Commission estime qu’il est inconcevable que le Défendeur n’avait aucune connaissance du Requérant et des droits de marque du Requérant lors de l’enregistrement du Nom de Domaine Litigieux. Plusieurs commissions UDRP ont déjà reconnu le caractère notoire de la marque du Requérant, à tout le moins en France (Confédération Nationale du Crédit Mutuel v. Philippe Marie, Litige OMPI No. D2010-1513; CONFEDERATION NATIONALE DU CREDIT MUTUEL v. Georges KERSHNER, Litige OMPI No. D2006-0248). Le site web lié au Nom de Domaine Litigieux renseigne une adresse en France et offre des produits et services similaires à ceux du Requérant.
Il est dès lors évident que le Défendeur avait connaissance des marques du Requérant. Selon la Commission, cela démontre, ou à tout le moins suggère, l’enregistrement de mauvaise foi du Nom de Domaine Litigieux (Red Bull GmbH v. Credit du Léman SA, Jean-Denis Deletraz, Litige OMPI No. D2011-2209; Nintendo of America Inc. v. Marco Beijen, Beijen Consulting, Pokemon Fan Clubs Org., and Pokemon Fans Unite, Litige OMPI No. D2001-1070; et BellSouth Intellectual Property Corporation v. Serena, Axel, Litige OMPI No. D2006-0007).
Tel que mentionné plus haut, le site web lié au Nom de Domaine Litigieux mentionne la marque du Requérant ainsi que des dénominations faisant référence au Requérant, et semble offrir des services bancaires sans qu’il soit possible d’identifier la prétendue société offrant ces services. Selon la Commission administrative, ceci démontre sur la balance de probabilités que le Nom de Domaine Litigieux a été utilisé par le Défendeur dans le but d’attirer, à des fins lucratives, les internautes en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant.
De plus, le Requérant indique que lors de la navigation sur le site, l’internaute est invité à se connecter ou à ouvrir un compte en ligne ou fournir ses informations personnelles. La Commission considère que dans les circonstances de l’espèce il existe un risque réel d’hameçonnage ou de collecte de données personnelles à des fins frauduleuses, ce qui constitue une indication supplémentaire de la mauvaise foi du Défendeur (Voir Synthèse, version 3.0, section 3.1.4).
En ne soumettant pas de réponse à la plainte, le Défendeur n’a pris aucune initiative pour contester ce qui précède. Conformément au paragraphe 14 des Règles d’application, la Commission administrative devra en tirer les conclusions qu’elle estime appropriées.
La Commission déduit des faits et circonstances susmentionnés que le Nom de Domaine Litigieux a été enregistré et utilisé de mauvaise foi. Par conséquent, la Commission considère que le Requérant a satisfait le critère énoncé au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le Nom de Domaine Litigieux <caissecreditmutuelbank.com> soit transféré au Requérant.
Flip Jan Claude Petillion
Expert Unique
Le 18 juin 2020