Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Carrefour contre Raoul Adja

Litige No. D2020-1806

1. Les parties

Le Requérant est Carrefour, France, représenté par IP Twins S.A.S., France.

Le Défendeur est Raoul Adja, Côte d’Ivoire.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <icarrefour.net> est enregistré auprès de Gandi SAS (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Carrefour auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 9 juillet 2020. En date du 9 juillet 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 10 juillet 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 14 juillet 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 16 juillet 2020.

Le 14 juillet 2020 le Centre a notifié aux Parties, en anglais et en français, que la langue du contrat d’enregistrement était l’anglais. Le 21 juillet 2020, le Requérant a déposé une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Défendeur n’a pas apporté de commentaires concernant cette demande.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 3 août 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur en français et en anglais. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 23 août 2020. Le Défendeur a envoyé des courriers électroniques en date des 7, 9, 12 et 14 août 2020 mais n’a fait parvenir une réponse formelle. En date du 1 septembre 2020, le Centre a notifié le début du processus de nomination de la Commission administrative.

En date du 7 septembre 2020, le Centre nommait Lorenz Ehrler comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant, Carrefour, est une société cotée en bourse, actif dans le domaine de la grande distribution. Carrefour dispose de plus de 12,000 magasins dans plus de 30 pays, en propre ou en franchise, avec plus de 284,000 collaborateurs. Il détient les marques CARREFOUR, en particulier les marques de l’Union européenne n° 5178371, enregistrée le 30 août 2007, et n° 8779498, enregistrée le 13 juillet 2010, ainsi que les marques internationales n° 353849, enregistrée le 28 février 1969, et n° 351147, enregistrée le 2 octobre 1968. Ces marques revendiquent des produits et services dans de nombreuses classes. Le nom de domaine litigieux <icarrefour.net> a été enregistré par le Défendeur en date du 23 avril 2020 et est utilisé pour un site d’e-commerce qui propose à la vente, sous le signe “iCarrefour.net”, des produits divers, à l’instar d’un supermarché,

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant allègue que le nom de domaine litigieux est similaire aux marques CARREFOUR au point de prêter à confusion puisqu’il comporte intégralement la marque et les éléments “i” et “.net” ne sauraient écarter le risque de confusion.

En outre, le Requérant allègue que le Défendeur n’a ni un droit ni un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux <icarrefour.net>. A cet égard, le Requérant déclare notamment qu’aucune autorisation n’a été accordée au Défendeur dans le but d’exploiter la marque CARREFOUR.

Enfin, le Requérant fait valoir que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi. Selon le Requérant, le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux en pleine connaissance des marques notoires du Requérant.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas déposé de réponse formelle. Il a envoyé toutefois plusieurs e-mails pour signaler qu’il était disposé à vendre le nom de domaine litigieux et pour inviter le Requérant à faire une offre.

6. Discussion et conclusions

Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, le requérant doit démontrer que

(i) le nom de domaine litigieux est identique ou semblable, au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits; et

(ii) que le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

(iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

A. Langue de la procédure

Selon le paragraphe 11 des Règles d’application, la langue de la procédure administrative sera la langue du contrat d’enregistrement, à moins que la Commission administrative n’en décide autrement au regard des circonstances de la procédure administrative.

En l’occurrence, le Requérant a formulé la requête que le français soit la langue de la procédure au lieu de l’anglais. A l’appui de sa requête, le Requérant a exposé notamment que le site Internet auquel correspond le nom de domaine litigieux est principalement en français. On notera aussi que les e-mails que le Défendeur a envoyés au Centre étaient rédigés en français alors que les correspondances du Centre étaient rédigées en anglais et en français. Si l’on tient également compte que la langue nationale de la Côte d’Ivoire, où le Défendeur réside, est le français, il semble évident qu’il s’agit d’une personne francophone, de sorte que la Commission administrative ne peut que constater qu’il se justifie de mener la présente procédure en français. La requête du Requérant d’utiliser le français comme langue de procédure est donc admise.

B. Identité ou similitude prêtant à confusion

Les marques mises en avant par le Requérant démontrent qu’il est titulaire de marques au sens du paragraphe 4(a) des Principes directeurs. Cette disposition exige que le nom de domaine litigieux soit identique ou prête à confusion avec les marques du Requérant. Cette condition n’exige aucune similitude entre produits et/ou services.

Le nom de domaine litigieux comporte intégralement la marque CARREFOUR, en ajoutant l’élément “i”. L’ajout de “i” dans le nom de domaine litigieux ne permet pas d’écarter le risque de confusion. En particulier, l’élément “i” est susceptible d’être lu comme référence à l’Internet, soit à la présence sur Internet de l’enseigne désigné par la suite, c’-est-à-dire Carrefour. Quoi qu’il en soit, le public reconnaîtra aisément dans le nom de domaine litigieux la marque CARREFOUR du Requérant.

L’extension “.net” n’a pas à être prise en considération dans l’examen de la similitude entre la marque et le nom de domaine (voir la section 1.11 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux Principes UDRP, troisième édition (“Synthèse, version 3.0”)).

Il découle de ce qui précède que le premier élément du paragraphe (4)(a) des Principes directeurs est satisfait.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le Requérant fait valoir que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache. Il a démontré qu’il possédait les marques CARREFOUR et a contesté explicitement avoir octroyé au Défendeur un droit quelconque d’utiliser ses marques.

Le Requérant relève à juste titre que le nom de domaine litigieux n’était pas enregistré depuis suffisamment longtemps pour que le Défendeur puisse acquérir une réputation sous ce nom de domaine litigieux. Il ne saurait dès lors réclamer une quelconque notoriété sous le nom de domaine litigieux.

Enfin, l’usage fait du nom de domaine litigieux par le Défendeur, à savoir l’exploitation d’un supermarché en ligne sous l’enseigne “iCarrefour.net”, n’est pas susceptible de constituer une offre de produits et/ou de services de bonne foi (voir section C. ci-dessous).

Le Requérant a donc rendu vraisemblable l’absence de droit et d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Le Défendeur ayant renoncé à se défendre et n’ayant donc pas fait valoir l’existence d’un usage légitime du nom de domaine litigieux, la Commission administrative ne peut que conclure que le deuxième élément du paragraphe (4)(a) des Principes directeurs est également satisfait.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le Requérant fait valoir, à juste titre, que la marque CARREFOUR est largement connue du public. La Côte d’Ivoire étant une ancienne colonie française et présentant des liens étroits – y compris économiques – avec la France, il paraît évident que cette notoriété s’étend à la Côte d’Ivoire, où le Défendeur réside.

On a constaté que les parties ne sont pas liées entre elles et que le Défendeur ne possède aucune licence ou autre autorisation d’utiliser la marque du Requérant.

Il est également établi que le nom de domaine litigieux a été enregistré bien après la marque du Requérant dont l’origine remonte au moins à 1969. La marque CARREFOUR du Requérant est en outre bien connue, comme l’allègue le Requérant à juste titre. La Commission administrative est dès lors d’avis que le Défendeur ne pouvait pas ignorer la marque du Requérant lorsqu’il enregistrait le nom de domaine litigieux <icarrefour.net>. Il paraît hautement improbable que le Défendeur aurait enregistré le nom de domaine litigieux pour un supermarché en ligne s’il n’avait pas eu connaissance du Requérant et de sa marque.

L’enregistrement de mauvaise foi du nom de domaine est par conséquent établi.

Le nom de domaine litigieux est utilisé par le Défendeur pour l’exploitation d’un supermarché en ligne sous l’enseigne “iCarrefour.net” offrant des produits et des services concurrents du Requérant. Cette utilisation et la réputation solide du Requérant dans ce secteur, étaient la conclusion selon laquelle l'usage du nom de domaine litigieux par le Défendeur est de mauvaise foi au sens du paragraphe 4(b)(iii) et (iv) des Principes directeurs.

Toutes ces circonstances constituent des indices forts pour, et permettent de conclure à, la mauvaise foi du Défendeur.

Le Défendeur n’a pas soumis de preuves démontrant que les allégués du Requérant étaient inexactes. Dans l’absence de telles preuves, et sur la base des preuves soumises par le Requérant, et tenant compte de toutes les circonstances connues, la Commission administrative admet l’argument du Requérant selon lequel le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi dans le sens du paragraphe (4)(a)(iii) des Principes directeurs.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <icarrefour.net> soit transféré au Requérant.

Lorenz Ehrler
Expert Unique
Le 21 septembre 2020