Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

La Francaise de Jeux contre Sebastien Gouverneur

Litige No. D2021-0698

1. Les parties

Le Requérant est La Francaise de Jeux, France, représenté par DS Avocats, France.

Le Défendeur est Sebastien Gouverneur, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <euro-mymillion.net> est enregistré auprès de 1&1 IONOS SE (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée en français par La Française de Jeux auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 8 mars 2021. En date du 8 mars 2021, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 11 mars 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 12 mars 2021, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre une plainte amendée. En outre, le Centre a envoyé une communication par courriel en français et en anglais concernant la langue de la procédure le 12 mars 2021. Le Requérant a déposé une plainte amendée en français et a demandé que la procédure soit diligentée en français le 15 mars 2021.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée soient conformes aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 18 mars 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 7 avril 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 8 avril 2021, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 15 avril 2021, le Centre nommait Benjamin Fontaine comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est la société FRANÇAISE DES JEUX, une entreprise française qui organise des jeux de loterie et de paris sportifs.

Le Requérant invoque divers droits de marque à l’appui de sa Plainte, à savoir :

- La marque semi-figurative française n° 4567768 logo , déposée le 15 juillet 2019 pour des produits et services en classes 9, 16, 28, 35, 38 et 41, et dûment enregistrée;

- La marque semi-figurative française n° 4263458 logo, déposée le 8 avril 2016 pour des produits et services en classes 9, 16, 28, 38 et 41, et dûment enregistrée;

- La marque semi-figurative française n° 4062233 logo, déposée le 21 janvier 2014 pour des produits et services en classes 9,16, 28, 35, 38 et 41, et dûment enregistrée.

Les marques antérieures du Requérant bénéficient d’une importante notoriété, laquelle a de fait déjà été reconnue par de nombreuses décisions UDRP (voir en ce sens Societé aux Loteries en Europe, SLE c. Take That Ltd., Litige OMPI No. D2007-0214; La Française des Jeux contre Maromania, Litige OMPI No. D2015-2292).

Le nom de domaine litigieux, <euro-mymillion.net>, a été réservé le 25 mars 2020. L’identité de son titulaire a été dévoilée en cours de procédure par l’unité d’enregistrement. Le réservataire est un particulier, Monsieur Sébastien Gouverneur, domicilié en France.

Le nom de domaine litigieux héberge un site Internet qui offre la possibilité de participer à une loterie. Le message suivant y est notamment rédigé : “La Loterie Nationale est heureuse d’annoncer le lancement de la Loterie de financement My Millions 2020-2021, en partenariat avec ses donateurs privés et le groupe financier State Street Corporation”. Sur le site Internet est par ailleurs présent un logo, où EUROMILLIONS figure sur une ligne, et My Millions sur une deuxième ligne, avec un élément figuratif qui évoque une étoile bleue. Le site Internet exploité par le Défendeur propose également un onglet “formulaire de validation” qui invite les utilisateurs à fournir une grande quantité de données personnelles.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

I. Quant à la langue de la procédure

Le Requérant a présenté une requête visant à obtenir que le français soit déclaré langue de la présente procédure conformément au paragraphe 11(a) des Règles d’application.

Le Requérant invoque à l’appui de sa demande, le fait qu’il est établi en France, que le site Internet hébergé sur le nom de domaine litigieux est en français, et que ses marques antérieures sont françaises.

II. Sur le fond

Les arguments développés par le Requérant sont, en substance, les suivants :

En premier lieu, le Requérant expose que le nom de domaine <euro-mymillion.net> prête à confusion avec ses droits de marque antérieurs, dans la mesure où il reprend à l’identique les termes “my million” et que la contraction “euro-mymillion” fait référence aux termes “euromillion my million”. Le Requérant poursuit en indiquant que les différences entre les marques antérieures et le nom de domaine litigieux sont essentiellement liées à la suppression du terme “million” de euromillion”, et que ces altérations ne sont pas susceptibles d’exclure le risque de confusion. Par ailleurs, les services offerts sur le site Internet hébergé par le nom de domaine litigieux sont identiques à ceux fournis par le Requérant, avec la présence d’onglets intitulés “loterie”, “formulaire de validation”, “reglement” et “ reglement de la loterie”. Le Requérant ajoute que le site auquel renvoie ce nom de domaine reproduit à plusieurs reprises les marques mentionnées avec un logo qui fait référence aux jeux de hasard, ainsi qu’une imagerie qui rappelle ses propres activités. Par exemple, on trouve sur ce site Internet l’étoile et la trainée lumineuse utilisée par le Requérant (voir annexe 3).

En second lieu, le Requérant indique qu’à sa connaissance le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime se rattachant au nom de domaine contesté, ce dernier n’étant pas connu sous ce nom par le public. Par ailleurs, le Défendeur ne semble être titulaire d’aucune marque associée à ce nom de domaine.

Enfin, en troisième lieu, le Requérant estime que le nom de domaine <euro-mymillion.net> a été enregistré, et est exploité, de mauvaise foi. Cette mauvaise foi est caractérisée par le fait que les services visés sont identiques à ceux proposés par le Requérant, et que le site Internet hébergé par le nom de domaine reproduit ses marques antérieures, de façon à attirer les utilisateurs.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

I. Langue de la procédure

La Commission administrative est saisie d’une requête visant à ce que la langue de la présente procédure soit le français plutôt que l’anglais, alors même que l’anglais est la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux.

Les commissions administratives ont la possibilité d’opter pour une langue de procédure autre que celle définie par le paragraphe 11 des Règles d’application si cela leur paraît approprié, dès lors que le défendeur comprend apparemment la langue de la plainte, ou du moins qu’il a eu la possibilité de contester ce choix et ne l’a pas fait, et que le choix de la langue du contrat d’enregistrement désavantagerait injustement le requérant, notamment en raison de contraintes de traduction (voir la section 4.5 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux Principes UDRP, troisième édition (“Synthèse, version 3.0”)).

En l’espèce, les informations que le Défendeur a communiquées quant à son identité, lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux indiquent que ce dernier est domicilié en France. Par ailleurs, le site Internet exploité par le Défendeur est en français.

Au vu de ces circonstances, la Commission administrative fait donc droit à la requête du Requérant, en ce sens que la langue de la présente procédure sera le français.

II. Sur le fond

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant d’apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement :

- Le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits; et

- Le défendeur ne dispose d’aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

- Le nom de domaine est enregistré et utilisé de mauvaise foi.

La Commission administrative examine ci-après le bien-fondé de l’argumentation des parties sur ces trois points.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Il existe en effet une similitude prêtant à confusion entre les marques antérieures du Requérant, et le nom de domaine litigieux. Comme il ressort de la décision rendue dans l’affaire La Française des Jeux contre Maromania, Litige No. D2015-2292, portant sur le nom de domaine litigieux <euromymillion.com>, la similitude entre les éléments verbaux est réelle, car le nom de domaine litigieux reprend les mots “euromillions” et “my”, qui forment les trois premiers mots de la marque antérieure du Requérant EURO MILLIONS MY MILLION.

Le fait que le nom de domaine litigieux ne reprenne in extenso aucune des marques antérieures du Requérant ne suffit pas à écarter le risque de confusion. En effet, ces dernières sont toutes composées des mots “euromillions” d’une part, et “my million” d’autre part. La Commission administrative estime que le nom de domaine litigieux est la contraction évidente de ces deux éléments.

La première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est donc remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs énumère de manière non-exhaustive un certain nombre de circonstances de nature à établir les droits ou intérêts légitimes du défendeur sur le nom de domaine telles que:

(i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet; ou

(ii) le défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

(iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

Comme il est habituel dans la mise en œuvre des Principes directeurs, il appartient au Défendeur d’invoquer dans sa réponse ses éventuels droits ou intérêts légitimes sur les noms de domaine litigieux, une fois que le Requérant a contesté leur existence. Le Défendeur s’étant abstenu de répondre à la Plainte, et à défaut d’éléments au dossier pouvant contredire l’argumentaire du Requérant, la Commission administrative ne peut que confirmer que ce dernier ne peut invoquer en l’espèce de droits ou d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux <euro-mymillion.net>. Cette présomption est d’ailleurs confirmée par les développements ci-après relatifs aux agissements de mauvaise foi du Défendeur.

La seconde condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est donc également remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon le paragraphe 4(b) des Principes directeurs, la réalisation de l’une des circonstances suivantes est susceptible d’établir que le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi:

i) les faits montrent que le défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine; ou

ii) le défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique; ou

iii) le défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou

iv) en utilisant ce nom de domaine, le défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.

En application des Principes directeurs, le Requérant ne peut obtenir gain de cause qu’à la double condition d’établir que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi, et est utilisé de mauvaise foi.

Tel est bien le cas en l’espèce :

S’agissant en premier lieu de l’enregistrement de mauvaise foi, la Commission administrative estime que le Défendeur, domicilié en France et ayant à tout le moins une connaissance minimale du marché des jeux d’argent ne pouvait ignorer la position dominante que le Requérant occupe en France et l’existence de la loterie “euromillions”. Or, il est de jurisprudence constante que le simple fait d’enregistrer un nom de domaine qui prête à confusion avec des marques antérieures renommées suffit à établir une présomption de mauvaise foi. De plus, associer cette marque au mot “my”, alors même que le Requérant possède des marques EUROMILLIONS MY MILLION, confirme que le Défendeur avait bien en tête les marques du Requérant lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

S’agissant ensuite de l’usage de mauvaise foi, la Commission administrative relève que le site Internet hébergé sous le nom de domaine litigieux a pour vocation de capter des données personnelles des utilisateurs, après avoir créé un risque de confusion avec les marques et les services offerts par le Requérant. Ainsi, les agissements de mauvaise foi sont également confirmés par la nature des services proposés, à savoir des services de jeux d’argent, et par le fait que ce site Internet reprend des éléments (l’étoile, la trainée de lumière) qui rappellent fortement ceux utilisés par le Requérant.

La mauvaise foi du Défendeur est donc caractérisée, et partant la troisième et dernière condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est également satisfaite. Le Requérant est bien fondé à solliciter le transfert du nom de domaine litigieux à son profit.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <euro-mymillion.net> soit transféré au Requérant.

Benjamin Fontaine
Expert Unique
Le 28 avril 2021