Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Bolloré SE contre Danny Nkongolo

Litige No. D2021-2161

1. Les parties

Le Requérant est Bolloré SE, France, représenté par Nameshield, France.

Le Défendeur est Danny Nkongolo, République démocratique du Congo.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <bollore.pro> est enregistré auprès de Ligne Web Services SARL (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Bolloré SE auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 6 juillet 2021. En date du 6 juillet 2021, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 7 juillet 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 15 juillet 2021, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 16 juillet 2021.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée soient conformes aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Le 15 juillet et le 16 juillet 2021, le Défendeur a envoyé deux courriers électroniques au Centre. Le 26 juillet 2021, le Requérant a demandé la suspension de la procédure et la procédure a été suspendue jusqu’au 25 août, 2021. Le 7 septembre 2021, le Requérant a demandé la ré-institution de la procédure et la procédure a été ré-instituée à partir du 17 septembre 2021.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 21 septembre 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 11 octobre 2021. Le Défendeur a envoyé un courrier électronique le 21 septembre 2021, mais n’a fait parvenir aucune réponse formelle. En date du 9 décembre 2021, le Centre notifiait le début du processus de nomination de la Commission administrative.

En date du 13 décembre 2021, le Centre nommait Edoardo Fano comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

Après avoir vérifié le dossier de communications fourni par le Centre, la Commission administrative considère que le Centre a satisfait à son obligation d’informer le Défendeur de la plainte en utilisant “tous les moyens raisonnablement disponibles afin d’en notifier le Défendeur de façon effective”, conformément au paragraphe 2(a) des Règles d’application. Par conséquent la Commission administrative va rendre sa décision en se fondant sur la plainte, sur les Principes directeurs, sur les Règles d’application et sur les Règles supplémentaires, sans bénéficier d’une réponse formelle du Défendeur.

La langue de la procédure est le français, étant la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux, conformément aux dispositions du paragraphe 11(a) des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est Bolloré SE, un groupe industriel français qui a pour activités principales le transport, la logistique et la communication, exerçant ses activités en France et dans plusieurs autres pays et titulaire de plusieurs enregistrements pour la marque BOLLORÉ, parmi lesquels :

- marque Internationale BOLLORÉ No. 704697 (marque figurative), enregistrée le 11 décembre 1998.

L’activité du Requérant se développe sur Internet à travers plusieurs sites Internet, le principal étant “www.bollore.com”.

Le nom de domaine litigieux a été enregistré le 1er juillet 2021 et, quand la présente plainte a été déposée, dirigeait vers une page parking.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant expose en premier lieu que le nom de domaine litigieux est identique à sa marque BOLLORÉ.

Le Requérant soutient ensuite que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, étant donné qu’il n’y a aucune relation entre le Requérant et le Défendeur et qu’il n'existe aucune preuve crédible suggérant que le Défendeur a utilisé ou a démontré s'être préparé à utiliser le nom de domaine litigieux ou un nom correspondant au nom de domaine litigieux dans le cadre d'une offre de biens ou de services proposés en toute bonne foi ni de manière légitime, non commerciale ou équitable.

Enfin, le Requérant prétend que la notoriété de sa marque permet de conclure qu’au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux le Défendeur ne pouvait qu’avoir connaissance de l’existence de la marque du Requérant et que dès lors l’enregistrement du nom de domaine litigieux a été effectué de mauvaise foi. Mauvaise foi encore traduite dans le fait que le nom de domaine litigieux dirige vers une page parking.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs énumère trois conditions que le Requérant doit justifier pour obtenir une décision établissant que le nom de domaine litigieux enregistré par le Défendeur soit radié ou transféré au Requérant :

(i) le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et

(ii) le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime au regard du nom de domaine litigieux; et

(iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou similaire à une marque sur laquelle le Requérant a des droits.

Le nom de domaine litigieux <bollore.pro> reproduit intégralement la marque BOLLORÉ, dont le Requérant a démontré être titulaire.

En ce qui concerne enfin l’adjonction de l’extension générique de premier niveau (“gTLD”) “.pro”, la Commission administrative rappelle qu’il a également été établi que les extensions de premier niveau ne sont pas un élément distinctif pris en considération lors de l’évaluation de la similitude entre la marque du Requérant et le nom de domaine litigieux. Voir la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition (“Synthèse de l’OMPI, version 3.0”), section 1.11.1.

En conséquence, la Commission administrative conclut que le nom de domaine litigieux est semblable au point de prêter à confusion avec la marque du Requérant au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

Conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, le Requérant doit être en mesure de prouver l’absence de droits ou intérêts légitimes du Défendeur sur le nom de domaine litigieux. Dans la mesure où il peut être parfois difficile d’apporter une preuve négative, il est généralement admis que le Requérant doit établir prima facie que le Défendeur n’a pas de droits ni d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux. Il incombe ensuite au Défendeur de renverser cette présomption et, s’il n’y parvient pas, le Requérant est présumé avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

En l’espèce, la Commission administrative constate que le Requérant a établi que le Défendeur n’a ni droit, ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. En effet, le Requérant n’a pas autorisé de Défendeur ni à utiliser sa marque BOLLORÉ ni à enregistrer un nom de domaine incorporant cette marque et le nom de domaine litigieux n’est pas utilisé par le Défendeur en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, pas plus qu’il n’en fait un usage non commercial légitime ou loyal.

Le Défendeur, n’ayant pas répondu à la plainte du Requérant, n’a apporté aucun élément pour démontrer un droit ou à tout le moins un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la deuxième condition du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs a été remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs prévoit que chacune des circonstances mentionnées ci-après de manière non exhaustive, peut démontrer un enregistrement ou une utilisation de mauvaise foi d’un nom de domaine tel que prévu au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, si la Commission administrative les considère comme prouvées :

(i) circonstances indiquant que le nom de domaine a été enregistré ou acquis (par le défendeur) essentiellement dans le but de vendre, louer ou céder de toute autre manière l’enregistrement du nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque commerciale ou de la marque de service, ou à un concurrent de ce plaignant, à titre onéreux pour une contrepartie dépassant vos débours documentés liés directement au nom de domaine; ou

(ii) le nom de domaine a été enregistré (par le défendeur) dans le but d’empêcher le propriétaire de la marque commerciale ou de la marque de service de refléter la marque dans un nom de domaine correspondant, dans la mesure où (le défendeur a) adopté un comportement de ce type; ou

(iii) le nom de domaine a été enregistré (par le défendeur) essentiellement pour interrompre l’activité d’un concurrent; ou

(iv) en utilisant le nom de domaine, (le défendeur a) essayé intentionnellement d’attirer, à des fins commerciales, des utilisateurs d’Internet sur le site internet (du défendeur) ou toute autre destination en ligne en créant un risque de confusion avec la marque du requérant quant à la source, au parrainage, à l’affiliation ou à l’approbation du site internet (du défendeur) ou destination en ligne ou d’un produit ou d’un service offert sur celui-ci.

Compte tenu de la notoriété de la marque BOLLORÉ du Requérant dans le domaine du transport, de la logistique et de la communication, le Défendeur connaissait probablement l’existence de la marque du Requérant au moment de l’enregistrement de nom de domaine litigieux <bollore.pro>. La Commission administrative considère donc que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi par le Défendeur.

S’agissant de l’utilisation de nom de domaine litigieux par le Défendeur, la Commission administrative relève qu’il renvoyait à une page inactive, c’est-à-dire vers un site Internet où il n’y avait qu’une page parking, ce qui, s’agissant d’un nom de domaine incluant une marque notoire, laisse penser que cette détention passive traduit un usage de mauvaise foi, selon la décision Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003 et la section 3.3 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0.

En outre, le fait que le Défendeur n’ait pas soumis de réponses formelles pour tenter de justifier ses actes conforte la Commission administrative dans son opinion que le nom de domaine litigieux objet de la présente procédure a été utilisé de mauvaise foi.

Dès lors, selon la Commission administrative, la mauvaise foi du Défendeur est établie tant au niveau de l’enregistrement que de l’utilisation de nom de domaine litigieux, conformément au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <bollore.pro> soit transféré au Requérant.

Edoardo Fano
Expert Unique
Le 14 décembre 2021