Le Requérant est Carrefour SA, France, représenté par IP Twins, France.
Le Défendeur est Contact Privacy Inc. Customer 1249917839 et Customer 1249917838, Canada / Getrier, France, et Contact Privacy Inc. Customer 1249918073, Canada / Bannelier, France.
Les noms de domaine litigieux <carrefourpassbanque.com>, <carrefourpasscontact.com> et <cartecarrefourpass.com> sont enregistrés auprès de Google LLC (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par Carrefour SA auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 23 juillet 2021. En date du 23 juillet 2021, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 23 juillet 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire des noms de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 29 juillet 2021, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire des noms de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte/une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 5 août 2021.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 13 août 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 2 septembre 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 29 septembre 2021, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 7 octobre 2021, le Centre nommait Alexandre Nappey comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le Requérant est la société française Carrefour, un des leaders mondiaux de la grande distribution et le pionnier en 1968 du concept d’hypermarché, cotée à la bourse de Paris. Elle dispose de plus de 12.000 magasins exploités en propre ou en franchise dans plus de 30 pays (dont la France où elle a son siège), avec plus de 384.000 collaborateurs. En 2018, son chiffre d’affaires était de EUR 76 milliards. Carrefour propose également à sa clientèle des services de banque, d’assurance, de voyages et de spectacles.
Le Requérant est titulaire de très nombreuses marques enregistrées consistant en la dénomination CARREFOUR, parmi lesquelles :
- la marque de l’Union européenne CARREFOUR n° 005178371 enregistrée le 30 août 2007;
- la marque française CARREFOUR n° 1487274 enregistrée le 2 septembre 1988 (renouvellement de l’enregistrement n° 1066804 du 11 septembre 1978);
- les enregistrements internationaux CARREFOUR n° 351147, enregistrée le 2 octobre 1968, et n° 353849, enregistrée le 28 février 1969.
(ci-après ensemble désignées : “la Marque”).
En outre, le Requérant est titulaire de plusieurs noms de domaine incorporant la Marque, dont <carrefour.com>, enregistré le 25 octobre 1995.
Selon les informations communiquées par l’unité d’enregistrement suite au dépôt de la plainte, les défendeurs sont.
Titulaire des noms de domaines <cartecarrefourpass.com> et |
Titulaire du nom de domaine <carrefourpassbanque.com> : |
Getrier France |
Bannelier France |
Les Défendeurs ont enregistré les noms de domaine litigieux à la même date (au 7 avril 2021) et par l’intermédiaire de la même unité d’enregistrement, Google LLC:
A la date de la présente décision, les noms de domaine litigieux sont inactifs.
Selon le Requérant, les noms de domaine litigieux reproduisent à l’identique ses marques antérieures CARREFOUR.
Il soutient que l’adjonction des termes “carte”, “pass”, “contact” et “banque” ne sont pas de nature à écarter le risque de confusion mais au contraire à l’accroître dans la mesure où ils font référence à des services ou supports que le Requérant offre ou met à la disposition de ses clients.
Le Requérant soutient donc que les noms de domaine litigieux sont donc similaires au point de créer une confusion avec une marque sur laquelle le Requérant a des droits.
Le Requérant allègue que le Défendeur n’est pas communément connu par les noms de domaine litigieux et qu’il ne détient aucun droit sur la dénomination CARREFOUR. Le Requérant n’entretient aucune relation avec le Défendeur, et ne l’a pas autorisé à enregistrer ou utiliser les noms de domaine litigieux.
Enfin, les noms de domaine litigieux sont inactifs et le Défendeur ne démontre pas d’utilisation ou de préparation en vue de les exploiter en lien avec une offre de bonne foi de produits ou de services.
Le Requérant en conclut que le Défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux.
Le Requérant estime que compte tenu de la renommée de sa marque et de l’antériorité de ses droits, le Défendeur avait nécessairement connaissance de ceux-ci au moment de l’enregistrement des noms de domaine litigieux et qu’il a volontairement fait le choix des noms de domaine litigieux afin de nuire au Requérant.
Enfin d’après le Requérant, le Défendeur a sciemment indiqué de fausses informations dans les données WhoIs et ce dans le but de complexifier son identification par le Requérant.
Selon le Requérant, au vu de l’ensemble des faits, le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, afin d’obtenir gain de cause dans cette procédure et obtenir le transfert des noms de domaine litigieux, le requérant doit prouver que chacun des trois éléments suivants est satisfait :
(i) les noms de domaine litigieux sont identiques ou semblables au point de prêter à confusion avec une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits; et
(ii) le défendeur n’a aucun droit sur les noms de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et
(iii) les noms de domaine litigieux ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi.
En vertu du paragraphe 3(c) des Règles d’application “[l]a plainte peut porter sur plusieurs noms de domaine, à condition que ces noms de domaine soient enregistrés par le même titulaire”.
Selon le paragraphe 10(e), “Un panel doit arbitrer la demande d’une partie de consolider plusieurs litiges portant sur des noms de domaine conformément à la politique et à ces règles”.
En l’espèce les trois enregistrements litigieux sont répartis de la manière suivante :
Titulaire des noms de domaines <cartecarrefourpass.com> et |
Titulaire du nom de domaine <carrefourpassbanque.com> : |
Getrier France |
Bannelier France |
Deux des noms de domaine litigieux <cartecarrefourpass.com> et <carrefourpasscontact.com> sont enregistrés par le même titulaire, le Défendeur Getrier. Le troisième, <carrefourpassbanque.com>, est enregistré par le Défendeur Bannelier.
Le Requérant a fourni dans la plainte amendée des arguments démontrant que tous les noms de domaine litigieux sont néanmoins sous contrôle commun. Qu’ils soient fictifs ou alliés, les titulaires partagent évidement les mêmes buts et les mêmes moyens : les trois noms de domaine litigieux ont été enregistrés auprès de la même Unité d’enregistrement le même jour, ils utilisent les mêmes serveurs DNS (de l’anglais “ Domain Name System”), chacun utilisant les termes communs “carrefour” et “pass”, les structures de noms et d’adresses des titulaires présentent des similitudes (pas de prénom, même fournisseur d’adresses de courrier électronique).
Dans de tels instances, lorsqu’il est démontré que les noms de domaine contestés sont effectivement contrôlés par une seule personne ou sont sous un contrôle commun, parfois à travers des identités fictives, les commissions administratives ont, par le passé, développé une jurisprudence tendant à accepter que la consolidation des plaintes serve un objectif d’efficacité et soit juste et équitable pour les Parties. Voir Synthèse, version 3.0, section 4.11.2; LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International), SNC LIDL (LIDL France) contre nom anonymisé, nom anonymisé, nom anonymisé, Lydia Perez, Litige OMPI No. D2017-1548.
En l’espèce, la Commission administrative considère que les trois noms de domaine litigieux sont sous contrôle commun et peuvent ainsi faire l’objet d’une même procédure.
Le Requérant est titulaire de nombreuses marques CARREFOUR enregistrées bien avant la date à laquelle les noms de domaine litigieux l’ont été.
Les noms de domaine litigieux incluent la marque du Requérant CARREFOUR dans son intégralité, ce qui a toujours été considéré par les commissions administratives comme la manifestation d’une pratique de cybersquattage. Qui plus est, l’adjonction de termes tels que “pass”, “carte”, ou a fortiori “banque” n’est aucunement de nature à empêcher les noms de domaine litigieux d’être considérés comme similaires à la marque du Requérant au point de prêter à confusion avec celle-ci (cf.section 1.8 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux Principes UDRP, troisième édition (“Synthèse, version 3.0”)).
En conséquence, la Commission administrative considère que les noms de domaine litigieux sont similaires à la marque du Requérant au point de prêter à confusion avec celle-ci, au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.
Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs donne des exemplaires non limitatifs de circonstances qui, si la Commission administrative constate qu’ils sont prouvés, démontrent les droits ou intérêts légitimes des Défendeurs dans les noms de domaine litigieux aux fins du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs. Selon le paragraphe 4(c) des Principes directeurs :
“L’une ou l’autre des circonstances suivantes, si elles sont considérées comme avérées par la Commission administrative sur la base de son évaluation des éléments de preuve présentes, attesteront notamment de vos droits ou intérêts légitimes dans le nom de domaine aux fins du paragraphe 4(a)(ii) :
(i) avant d’avoir eu connaissance du litige, vous avez utilisé les noms de domaine ou d’un nom correspondant aux noms de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;
(ii) vous (individu, entreprise ou autre organisation) êtes connu sous les noms de domaine considérés même sans avoir acquis des droits sur une marque de produits ou de services; ou
(iii) vous faites un usage non commercial légitime ou un usage loyal des noms de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.”
Dans la mesure où il est délicat de prouver un fait négatif, il est généralement admis que le requérant doit établir prima facie que le défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux, et il incombe ensuite au défendeur d’établir le contraire (voir Synthèse, version 3.0, section 2.1).
Dans le cas présent, la Commission administrative constate que le Requérant a établi prima facie que les Défendeurs n’ont pas de droit ni d’intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux, surtout parce qu’ils ne correspondent pas aux noms ou entreprises des Défendeurs et parce que le Requérant n’a pas autorisé les Défendeurs à utiliser leur marque renommée.
La Commission administrative estime qu’il appartenait aux Défendeurs d’établir qu’ils ont un droit ou un intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux. Les Défendeurs ne l’ont pas fait, et ces droits ou intérêts ne sont pas évidents. Il n’est pas plausible que les Défendeurs envisagent une utilisation légitime des noms de domaine litigieux.
La Commission administrative estime que la deuxième condition du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.
La mauvaise foi doit être prouvée dans l’enregistrement comme dans l’usage.
La Commission administrative estime que le choix comme nom de domaine d’une marque renommée telle que la Marque CARREFOUR, reconnue comme telle par nombre de décisions de commissions administratives (voir notamment Carrefour c. Yunjinhua, Litige OMPI No. D2014-0257; Carrefour c. Park KyeongSook, Litige OMPI No. D2014-1425; Carrefour c. VistaPrint Technologies Ltd., Litige OMPI No. D2015-0769; Carrefour c. WhoisGuard, Inc., WhoisGuard Protected / Robert Jurek, Katrin Kafut, Purchasing clerk, Starship Tapes & Records, Litige OMPI No. D2017-2533; Carrefour c. Jane Casares, NA, Litige OMPI No. D2018-0976; Carrefour c. Jean-Pierre Andre Preca, Litige OMPI No. D2018-2857), en la combinant avec des termes tels que “pass”, “carte”, ou a fortiori “banque” ne peut être le fruit d’une simple coïncidence.
Dans ces circonstances, la Commission administrative estime plus qu’improbable qu’au moment où il a enregistré les noms de domaine litigieux, le Défendeur ait pu ne pas avoir connaissance de la Marque.
En outre, l’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux par les Défendeurs peut aussi résulter, en certaines circonstances, du fait que son usage de bonne foi ne soit d’aucune façon plausible (voir Audi AG c. Hans Wolf, Litige OMPI No. D2001-0148), compte tenu de la spécificité de l’activité du Requérant.
Enfin, certaines commissions administratives ont même estimé que dans certaines circonstances, les personnes qui réservent des noms de domaine ont l’obligation de s’abstenir d’enregistrer et d’utiliser un nom de domaine qui soit identique ou similaire à une marque détenue par d’autres, et qu’enfreindre notamment les dispositions du paragraphe 2 des Principes directeurs, qui dispose que: “En demandant l’enregistrement d’un nom de domaine ou le maintien en vigueur ou le renouvellement d’un enregistrement de nom de domaine, vous affirmez et nous garantissez que … b) à votre connaissance, l’enregistrement du nom de domaine ne portera en aucune manière atteinte aux droits d’une quelconque tierce partie …”, peut être constitutif de mauvaise foi.
La Commission administrative conclut qu’en détenant et utilisant les noms de domaine litigieux à des fins frauduleuses et en ne se manifestant pas dans la présente procédure administrative, les Défendeurs ont procédé à une utilisation de mauvaise foi des noms de domaine litigieux.
Il en résulte que les trois éléments prévus au paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont cumulativement réunis.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine litigieux <carrefourpassbanque.com>, <carrefourpasscontact.com>, et <cartecarrefourpass.com> soient transférés au Requérant.
Alexandre Nappey
Expert Unique
Le 21 octobre 2021