Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Carrefour SA contre Zebi

Litige No. D2021-2414

1. Les parties

Le Requérant est Carrefour SA, France, représenté par IP Twins, France.

Le Défendeur est Zebi, France.

2. Noms de domaine et unité d’enregistrement

Les noms de domaine litigieux <carrefourpass.app> et <carrefourpass.promo> sont enregistrés auprès de Google LLC (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée en anglais par Carrefour SA auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 23 juillet 2021. En date du 23 juillet 2021, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 23 juillet 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire des noms de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 28 juillet 2021, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire des noms de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre une plainte amendée. De plus, le Centre a envoyé un courrier électronique concernant la langue de la procédure informant les parties que l’unité d’enregistrement avait indiqué que la langue du contrat d’enregistrement était le français. Le Requérant a déposé une plainte amendée en français les 28 juillet et 5 août 2021. Le Défendeur n’a pas soumis d’observations.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 1 septembre 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 21 septembre 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 23 septembre 2021, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 13 octobre 2021, le Centre nommait Michel Vivant comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

Conformément au paragraphe 11(a) des Règles UDRP, la langue de la procédure doit être la langue du contrat d’enregistrement, le Requérant ayant traduit sa plainte en français, la décision sera en français.

4. Les faits

Le groupe Carrefour, l’un des leaders mondiaux de la grande distribution, est titulaire de nombreuses marques CARREFOUR et notamment une marque internationale CARREFOUR, n° 351147, enregistrée le 2 octobre 1968 mais aussi une marque nationale comme la marque canadienne CARREFOUR n° TMA511596, enregistrée le 7 mai 1999. Il est également titulaire d’une marque internationale CARREFOUR PASS n° 719166, enregistrée le 18 août 1999.

Les noms de domaine litigieux <carrefourpass.app> et <carrefourpass.promo> ont été enregistrés le 19 mai 2021, soit postérieurement à l’enregistrement des marques invoquées. Ils ont été enregistrés auprès de la même unité d’enregistrement et sont hébergés, l’un et l’autre, par Google Domains Servers. Les deux noms de domaine ont été enregistrés au nom de « Zebi ».

Ces noms de domaine donnent accès à une page d’erreur.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant fait valoir que la marque CARREFOUR est une marque notoire, ainsi que « de très nombreuses décisions l’ont déjà admis ». Il soutient que les noms de domaine litigieux sont similaires à la marque CARREFOUR, en tant qu’ils incorporent entièrement les marques du Requérant, rappelant qu’il est admis que « l’ajout de termes génériques à une marque notoire au sein d’un nom de domaine n’a pas pour effet de diminuer le risque de confusion créé par ce nom de domaine ». Le Requérant soutient également que les noms de domaine litigieux sont identiques à sa marque CARREFOUR PASS. Ainsi, pour le Requérant, « la première condition [UDRP] est remplie ».

Le Requérant fait ensuite valoir qu’aucune marque CARREFOUR PASS n’a pu être trouvée au nom du Défendeur et que rien ne permet d’affirmer que celui-ci serait connu « par les noms de domaine en litige ». Il ajoute qu’il n’a pas autorisé l’usage des termes « Carrefour ». Le Requérant fait encore observer que les noms de domaine litigieux ne sont reliés à aucune offre de produits ou de services de bonne foi, ces noms de domaine donnant seulement accès à une page d’erreur. Avançant enfin qu’il revient au Défendeur d’établir les droits ou intérêts légitime qu’il pourrait avoir sur les noms de domaine litigieux, le Requérant juge la seconde condition remplie.

Le Requérant avance enfin qu’eu égard à la notoriété de ses marques, le Défendeur n’a pu choisir les noms de domaine litigieux qu’en toute connaissance de cause. Bien plus, pour lui, « il est quasi-certain que [cet enregistrement a] été fait dans l’espoir et l’attente que des utilisateurs d’Internet recherchant les services et les produits du Requérant aboutissent plutôt sur les sites web du Défendeur ». Par ailleurs, l’usage fait des noms de domaine litigieux qui débouchent sur une page d’erreur, n’est pas un usage de bonne foi. Qui plus est, si, comme le fait valoir le Requérant, qui vise la Synthèse de l’OMPI des avis des Commissions administratives sur certaines questions UDRP, version 3.0 (« Synthèse de l’OMPI, version 3.0 »), « la commission administrative doit examiner toutes les circonstances de l’affaire pour déterminer si le titulaire du nom de domaine agit de mauvaise foi ou non », d’autres éléments peuvent être pris en compte tel que le fait pour le Défendeur d’utiliser une adresse postale « fantaisiste », « le terme « zebi » correspondant à de l’argot dérivé de la langue arabe et signifiant « pénis ».

De tout cela il résulte pour le Requérant que la condition d’enregistrement et d’usage de mauvaise foi est remplie.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Comme il a été indiqué plus haut, le Requérant est titulaire de plusieurs marques CARREFOUR ainsi que d’une marque CARREFOUR PASS.

Les noms de domaine litigieux <carrefourpass.app> et <carrefourpass.promo> reprennent donc dans leur entièreté les marques CARREFOUR du Requérant. Or la reprise d’une marque dans son entièreté est jugée aujourd’hui par les Commissions administratives de l’OMPI comme suffisant à établir le caractère identique ou similaire au point de prêter à confusion d’un nom de domaine avec une marque tel qu’exigé par les Principes directeurs (voir Synthèse de l’OMPI, version 3.0, sections 1.7 et 1.8).

En conséquence, la Commission administrative considère que les noms de domaine litigieux sont semblables aux marques du Requérant au point de prêter à confusion, au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

Rien ne rattache a priori le Défendeur à l’appellation « Carrefour ».

Le Requérant déclare ne lui avoir accordé aucune autorisation d’utiliser ses marques CARREFOUR. Ce qui, comme il convient de le rappeler, à défaut de démonstration contraire par le Défendeur, doit, selon les Commissions administratives, être tenu pour exact (ainsi Croatia Airlines d.d. v. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455; ou Boursorama S.A. contre Pharpentier Gildas, Litige OMPI No. D2016-2248; ou encore CIC contre S.A. contre John, Finanfast, Litige OMPI No. D2021-0259).

Par ailleurs, les noms de domaine litigieux débouchent sur un message d’erreur, ce qui ne permet pas de conclure à l’existence d’un intérêt légitime chez le Défendeur.

La Commission administrative observe en outre que, si le Défendeur avait effectivement des droits ou intérêts légitimes à faire valoir, il aurait été bien simple pour lui de ne pas faire défaut et de produire ses arguments.

Aussi la Commission administrative estime-t-elle que le Défendeur n’a aucun droit sur les noms de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache au sens du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le Requérant fait justement valoir que sa marque est une marque notoire ou renommée, reconnue comme telle par plusieurs décisions des Commissions administratives en vertu des Principes directeurs (par exemple Carrefour and Carrefour Property v. MIC Domain Management, Litige OMPI No. D2009-0489; ou Carrefour S.A. v. Patrick Demestre, Litige OMPI No. D2011-2248; ou encore Carrefour contre Geoffroy Pichon, Litige OMPI No. D2020-1539). Le point n’est pas discutable. Ainsi est-il hors de doute que le Défendeur a enregistré les noms de domaine litigieux en toute connaissance de cause et donc en méconnaissance des droits du Requérant.

Quant à l’usage fait des noms de domaine litigieux, il ne peut être considéré comme un usage de bonne foi. La présente situation de passive holding correspond très exactement aux observations figurant à la Synthèse de l’OMPI, version 3.0, à savoir : notoriété de la marque; défaut du Défendeur (se dispensant donc de répondre); masquage de l’identité du Défendeur et fournitures de fausses indications (telle qu’en l’occurrence l’adresse postale de fantaisie mais aussi le nom prétendu du Défendeur).

Ainsi, pour la Commission administrative, l’enregistrement comme l’usage de mauvaise foi des noms de domaine litigieux au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, sont caractérisés.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine litigieux <carrefourpass.app> et <carrefourpass.promo> soient transférés au Requérant.

Michel Vivant
Expert Unique
Le 27 octobre 2021