Le Requérant est l’Agence Centrale Des Organismes De Sécurité Sociale, France, représenté par Alain Bensoussan Selas, France.
Le Défendeur est Nizar Laghrifi, France.
Le nom de domaine litigieux <autoentrepreneur-gouv.net> est enregistré auprès de Name.com, Inc. (Name.com LLC) (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par l’Agence Centrale Des Organismes De Sécurité Sociale auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 26 juillet 2021. En date du 26 juillet 2021, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 26 juillet 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 28 juillet 2021, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte/une plainte amendée. Le Requérant a déposé un amendement à la plainte le 29 juillet 2021.
L’Unité d’enregistrement a aussi indiqué que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est l’anglais. Le 28 juillet 2021, la plainte ayant été déposée en français, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant, l’invitant à fournir la preuve suffisante d’un accord entre les Parties, la plainte traduite en anglais, ou une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Requérant a confirmé sa demande afin que le français soit la langue de la procédure le 29 juillet 2021. Le Défendeur n’a pas soumis d’observations.
Le Centre a vérifié que la plainte et l’amendement à la plainte répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 3 août 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 23 août 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 27 août 2021, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 7 septembre 2021, le Centre nommait Fabrice Bircker comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le Requérant, l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS), est un établissement public national français à caractère administratif qui a pour tutelle le Ministère de l’Action et des Comptes publics et le Ministre des Solidarités et de la Santé.
Le Requérant est notamment chargé d’assurer la gestion commune des ressources et de la trésorerie des différentes branches du régime général de la Sécurité Sociale en France.
A ce titre, le Requérant assure notamment la collecte des cotisations sociales dues par les entrepreneurs qui ont adopté le statut d’auto-entrepreneur, et la redistribution de ces cotisations aux 900 organismes qui versent des prestations sociales aux bénéficiaires.
Parallèlement à cette mission de service public, le Requérant offre divers services, notamment d’accompagnement juridique et social des entreprises.
Ces activités du Requérant sont notamment identifiées par la marque française déposée et enregistrée le 22 janvier 2021, sous le n° 4724483 et protégeant des services des classes 35, 36 et 45.
Cette marque, bien que déposée en 2021, s’avère exploitée par le Requérant depuis plusieurs années, notamment sur son site Internet accessible à l’adresse “www.autoentrepreneur.urssaf.fr”.
S’agissant du Défendeur, très peu d’éléments sont connus à son égard, si ce n’est qu’il est établi en France.
En ce qui concerne le nom de domaine litigieux, <autoentrepreneur-gouv.net>, il a été réservé le 7 décembre 2020.
Il résulte du dossier de la procédure et des constatations de la Commission administrative qu’il dirige vers une page constituée exclusivement de liens hypertextes publicitaires. La plupart d’entre eux promeuvent des services de création d’auto-entreprises.
Les écritures du Requérant, substantiellement étayées par 63 annexes représentant près de 500 pages peuvent être résumées comme suit :
- Langue de la procédure
Bien que la langue du contrat d’enregistrement soit l’anglais, le Requérant sollicite que la procédure soit conduite en français car i) le nom de domaine litigieux est constitué de termes de la langue française, ii) le site vers lequel il dirige est rédigé en français, iii) parce que le Défendeur est domicilié en France et iv) parce que son adresse électronique appartient à un nom de domaine enregistré dans l’extension “.fr“.
- Identité ou similitude prêtant à confusion :
Après avoir rappelé que dans le cadre d’une procédure UDRP, un requérant peut non seulement se prévaloir d’une marque enregistrée, mais également d’une marque d’usage non enregistrée, le Requérant
indique être titulaire de la marque française déposée le 22 janvier 2021, enregistrée sous le n° 4724483 et protégeant des services des classes 35, 36 et 45.
Il poursuit en indiquant que cette marque conforte un droit acquis au titre de la marque notoire telle que protégée par l’article 6b de la Convention d’Union de Paris pour la protection de la propriété industrielle, ratifiée par la France.
Puis, le Requérant indique que le dispositif dénommé “auto-entrepreneur“ existe depuis la Loi de Modernisation de l’Economie du 5 août 2008 et que, 10 ans après sa création, ce dispositif connaît un franc succès.
Le Requérant poursuit en présentant les missions de son Agence et celles des Unions de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale (« Urssaf ») - à savoir, en substance, la collecte et la redistribution des cotisations sociales aux organismes versant des prestations sociales en France – et le rôle qu’elles jouent auprès des auto-entrepreneurs.
Puis, le Requérant fait valoir qu’il utilise le signe distinctif depuis une date antérieure à son enregistrement en tant que marque, et notamment qu’il l’exploite depuis au moins le 30 octobre 2018 sur son site Internet, lequel propose divers services aux auto-entrepreneurs.
Ensuite, le Requérant soutient qu’il est également titulaire du nom de domaine de troisième niveau <autoentrepreneur.urssaf.fr>, lequel est exploité depuis une date antérieure à celle de l’enregistrement du nom de domaine litigieux.
A cet égard, le Requérant argue que selon la jurisprudence française un nom de domaine antérieur confère un droit exclusif semblable à un droit de marque antérieur opposable à un nom de domaine postérieur.
Le Requérant conclut ses développements sur le premier élément des Principes directeurs en excipant que le nom de domaine litigieux est similaire au point de prêter à confusion à ses droits antérieurs suivants qu’il estime assimilables à des droits de marque :
- les signes AUTOENTREPRENEUR et qui, en raison de leur usage massif, sont devenus notoirement connus pour désigner un dispositif mis en place par le Législateur français et géré par le Requérant,
- le sous-domaine <autoentrepreneur.urssaf.fr>.
A cet égard, le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux reproduit l’élément AUTOENTREPRENEUR de ses droits antérieurs et leur ajoute l’élément “gouv“ qui laisse faussement croire à un lien officiel avec l’Etat français.
- Absence de droit ou d’intérêt légitime :
Le Requérant soutient que le Défendeur n’utilise pas le nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services et qu’il n’a pas fait de préparatifs sérieux à cet effet.
Le Requérant en veut pour preuve que le nom de domaine litigieux renvoie vers une page parking contenant des liens sponsorisés permettant au Défendeur de percevoir une rémunération chaque fois qu’un Internaute clique sur un des liens.
Par ailleurs, le Requérant tire pour conséquence de cette situation que le Défendeur ne peut être connu sous le nom de domaine litigieux et qu’il ne peut pas non plus en avoir fait un usage non-commercial légitime ou un usage loyal.
En outre, le Requérant argue que l’extension “.gouv.fr“ est strictement réservée à l’Etat français et qu’un nom de domaine y enregistré constitue une garantie pour l’Internaute que le site est bien un site officiel de l’administration française.
Ainsi, le Requérant avance que l’association des termes “autoentrepreneur“ et “gouv“ suggère faussement un lien avec l’Etat français.
- Enregistrement et usage de mauvaise foi:
Le Requérant fait valoir que la composition du nom de domaine litigieux conduit nécessairement les Internautes à l’apparenter au nom du dispositif mis en place par l’Etat français et piloté par le Requérant, et ce alors que le Défendeur n’a aucun lien, ni avec les services des Urssaf, ni avec le gouvernement français.
Le Requérant soutient également que compte tenu du succès de son dispositif, le Défendeur ne pouvait pas l’ignorer.
Dans ces circonstances, le Requérant estime que le Défendeur a réservé le nom de domaine litigieux pour i) tromper les Internautes qui le saisirait au lieu de <autoentrepreneur.urssaf.fr>, ii) détourner vers sa page parking le trafic généré par le site du Requérant, iii) usurper et parasiter le site du Requérant, iii) nuire aux intérêts du Requérant car les Internautes qui aboutirait sur la page parking du Défendeur croiraient que le site du Requérant serait défaillant, et iv) laisser croire à un lien avec l’Etat français en raison de la présence de l’élément “gouv“ qui s’apparente à l’extension “.gouv.fr“ réservée à l’Etat français.
En outre, le Requérant avance qu’afin de renforcer cette confusion, le Défendeur a réservé le nom de domaine via un service d’anonymisation.
Enfin, le Requérant considère que l’usage du nom de domaine litigieux en lien avec une page parking met en évidence l’intention du Requérant de ne pas faire un usage commercial loyal du nom de domaine litigieux.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
Selon le paragraphe 11(a) des Règles d’application, “sauf convention contraire entre les parties ou stipulation contraire du contrat d’enregistrement, la langue de la procédure est la langue du contrat d’enregistrement; toutefois, la commission administrative peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative”.
Les commissions administratives ont ainsi la possibilité d’opter pour une langue de procédure autre que celle définie par le paragraphe 11 des Règles d’application si cela leur paraît approprié, et pour autant qu’elles s’assurent que les deux parties soient traitées sur un même pied d’égalité et qu’il soit donné à chacune une possibilité équitable de présenter son argumentation (voir la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition, “Synthèse de l’OMPI, version 3.0”, section 4.5).
En l’espèce, la Commission administrative relève que la procédure devrait en principe être conduite en anglais, langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux.
Cependant, le Requérant sollicite que le français soit la langue de la procédure, et il avance plusieurs éléments qu’il estime de nature à démontrer que le Défendeur est en mesure de parler et de comprendre le français (cf. paragraphe 5. A).
Dans ce contexte, la Commission administrative relève que:
- les deux parties sont domiciliées en France,
- le nom de domaine litigieux est constitué de termes de la langue française,
- le nom de domaine litigieux dirige vers une page rédigée en français,
- à aucun moment le Défendeur n’a fait valoir d’arguments pour que la procédure ne soit pas conduite en français, alors qu’il a été invité à le faire.
Au regard de ces éléments, il est plus que probable que le Défendeur maîtrise la langue française.
Il serait donc inéquitable et contreproductif d’obliger le Requérant à traduire la plainte en anglais.
En conséquence, la Commission administrative accepte la requête du Requérant visant à ce que le français soit la langue de la procédure.
Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, afin d’obtenir le transfert ou la suppression du nom de domaine litigieux, le Requérant doit apporter la preuve de chacun des trois éléments suivants:
(i) Le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et
(ii) Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et
(iii) Le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
Par ailleurs, le paragraphe 10(b) des Règles d’application dispose quant à lui que “Dans tous les cas, la commission veille à ce que les parties soient traitées de façon égale et à ce que chacune ait une possibilité équitable de faire valoir ses arguments”.
En outre, le paragraphe 15(a) des Règles d’application dispose que “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable”.
La Commission administrative examinera ci-après la position des parties au regard des trois points du paragraphe 4(a) des Principes directeurs.
Aux termes du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, le Requérant doit d’abord établir ses droits sur une marque, et ensuite démontrer que le nom de domaine litigieux lui est identique ou semblable au point de prêter à confusion.
En l’espèce, parmi les droits invoqués par le Requérant figure la marque française déposée et enregistré le 22 janvier 2021, sous le n° 4724483, protégeant des services des classes 35, 36 et 45, et dont il est le titulaire.
A cet égard, la Commission administrative indique que dans le cadre de l’examen du premier élément des Principes directeurs, il suffit au Requérant de démontrer détenir des droits sur une marque; ce qui est le cas en l’espèce. Ainsi, des questions telles que celle de l’antériorité des droits du Requérant ou celle de leur distinctivité sont indifférentes à ce stade de l’analyse, étant au demeurant précisé que ces questions peuvent s’avérer cruciales dans le cadre de l’examen des deuxième et troisième éléments des Principes directeurs (voir en ce sens les sections 1.1.2, 1.1.3 et 1.7 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0).
Aussi, à ce stade de l’analyse, la Commission administrative estime suffisant de comparer la marque AUTO ENTREPRENEUR précitée détenue par le Requérant, et le nom de domaine litigieux.
Sur ce point, la Commission administrative relève que le nom de domaine litigieux:
- reproduit à l’identique l’élément verbal de la marque AUTO ENTREPRENEUR,
- et lui adjoint l’élément “-gouv”, ainsi que l’extension de premier niveau “.net”.
Il est constant, lorsque la marque du Requérant demeure identifiable au sein du nom de domaine litigieux, que l’adjonction d’autres termes n’empêche pas d’écarter le risque de confusion (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 1.8).
En l’espèce, dès lors que la marque du Requérant est reproduite à l’identique, la Commission administrative est d’avis que la présence de l’élément “-gouv” n’est pas de nature à écarter le risque de confusion.
Enfin, l’extension de premier niveau “.net” constitue un élément technique nécessaire à l’enregistrement d’un nom de domaine. Elle est ainsi normalement sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion et peut donc être ignorée pour examiner la similarité entre la marque du Requérant et le nom de domaine litigieux (par exemple voir Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003 ou Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 1.11).
Au regard de l’ensemble de ce qui précède, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie.
Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs énumère de manière non-exhaustive un certain nombre de circonstances de nature à établir les droits ou les intérêts légitimes du défendeur sur le nom de domaine:
(i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;
(ii) le défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou
(iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.
Toutefois, dans la mesure où démontrer un fait négatif, tel que l’absence de droits ou d’intérêts légitimes, peut s’avérer impossible, il est constant que le requérant doit établir prima facie que le défendeur n’a pas de droits ni d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux. Il incombe ensuite au défendeur d’établir l’existence de ses droits ou de ses intérêts légitimes. S’il n’y parvient pas, le requérant est considéré comme ayant satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 2.1).
En l’espèce, le Requérant fait valoir que le Défendeur ne lui est pas lié et, même s’il ne l’énonce pas explicitement, l’on comprend de l’existence-même de la présente procédure que le Requérant n’a pas autorisé le Défendeur à demander l’enregistrement du nom de domaine litigieux.
En outre, le Défendeur n’est pas connu sous le nom de domaine litigieux.
Par ailleurs, le fait que le nom de domaine litigieux incorpore l’élément “gouv” fait accroire qu’il présente un lien avec une autorité officielle.
En effet, les deux parties sont établies en France et l’élément “-gouv” est extrêmement proche de l’extension “.gouv.fr” qui est réservée au gouvernement français. D’ailleurs, précisément en raison de cette proximité et des risques qui en découlent, en France, l’enregistrement de nom de domaine s’achevant par l’élément “-gouv.fr” est interdit.
Dans ces circonstances, cette Commission administrative considère qu’il existe une présomption très forte, si ce n’est irréfragable, pour que le Défendeur, non lié à une instance officielle, ne puisse aucunement détenir de droits ou d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux, et ce d’autant qu’il l’utilise à des fins purement commerciales en le faisant diriger vers une page constituée exclusivement de liens hypertextes publicitaires.
Au vu de ces éléments, la Commission administrative considère que le Requérant a établi prima facie l’absence de droits ou d’intérêts légitimes du Défendeur.
Il appartenait donc au Défendeur de démontrer ses droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux
Or, le Défendeur s’est abstenu de répondre à la Plainte.
En conséquence, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est remplie.
Aux termes du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.
Par ailleurs, le paragraphe 4(b) des Principes directeurs donne des exemples non exhaustifs de comportements susceptibles d’avérer la mauvaise foi.
1. Enregistrement de mauvaise foi
Par principe, un nom de domaine litigieux ne peut être considéré comme ayant été enregistré de mauvaise foi, c’est-à-dire avec la volonté de viser la marque du Requérant, que si les droits de ce dernier sont antérieurs au nom de domaine litigieux. Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 3.8.
Par ailleurs, s’il n’est pas indispensable de détenir une marque enregistrée pour pouvoir obtenir le transfert ou la suppression du nom de domaine litigieux dans le cadre d’une procédure UDRP, il est néanmoins nécessaire de pouvoir exciper d’un droit assimilable à une marque d’usage non enregistrée, c’est à dire un signe distinctif utilisé dans la vie des affaires pour identifier des produits ou des services.
En effet, les Principes directeurs ont vocation à s’appliquer spécifiquement aux cas de cybersquatting, et non à tout litige opposant un nom de domaine à un signe autre qu’une marque (voir en ce sens Cerruti 1881 s.a.s. v. Gurpreet Johar, Litige OMPI No. D2012-1574 ou Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 4.14.6).
Aussi, en l’espèce, si cette Commission administrative partage la position du Requérant lorsqu’il fait valoir que le dispositif dénommé “auto entrepreneur“ est notoirement connu en France, elle ne peut pour autant pas faire sien l’argument selon lequel l’utilisation d’un signe (même notoirement connu) pour identifier un dispositif fiscal et social constituerait un usage de ce signe en tant que marque.
En effet, en pareil cas, le signe en cause n’est pas exploité sur le marché en lien avec des produits ou des services.
Cela étant, le Requérant a également démontré qu’avant de procéder à son dépôt en tant que marque, il utilisait aussi le signe distinctif pour désigner des services proposés aux micro-entrepreneurs, notamment dans les domaines de l’information juridique, de l’aide et de l’accompagnement à la création d’entreprises ou encore de la gestion d’entreprises.
Cette Commission administrative estime que cette forme d’exploitation constitue un usage en tant que marque non enregistrée dans le cadre d’une procédure UDRP.
Cette exploitation de fait de la marque remonte au moins à 2018, de sorte qu’elle est antérieure à la date de réservation du nom de domaine litigieux, et elle est notamment réalisée à travers le site Internet du Requérant accessible via un nom de domaine contenant l’élément verbal AUTOENTREPRENEUR ce qui participe également à caractériser cette exploitation en tant que marque.
En outre, il résulte des pièces versées que le public mis en relation avec la marque du Requérant est extrêmement nombreux, ce qui confère à ladite marque une grande connaissance sur le marché.
Parallèlement, le nom de domaine litigieux, reproduit à l’identique la partie verbale de la marque du Requérant, en lui associant l’élément “-gouv” qui, comme indiqué au paragraphe B. suggère nécessairement un lien avec l’Etat français.
Ces éléments établissent que le Défendeur visait nécessairement la marque du Requérant, organisme officiel placé sous la tutelle de deux Ministres, lorsqu’il a réservé le nom de domaine litigieux, et ce d’autant qu’il est domicilié dans le pays où cette marque est largement exploitée.
Dans ces circonstances, la Commission administrative estime que la condition d’enregistrement du nom de domaine litigieux de mauvaise foi est remplie.
2. Usage de mauvaise foi
Le nom de domaine litigieux dirige vers un site Internet constitué exclusivement de liens hypertextes publicitaires promouvant, pour la plupart, des services de création d’auto-entreprises, lesquels sont identiques ou, à tout le moins, similaires à ceux protégés par la marque antérieure du Requérant.
Parallèlement, le nom de domaine litigieux reproduit à l’identique la marque du Requérant en lui adjoignant l’élément “-gouv” qui conduit nécessairement à lui attribuer une origine officielle. De l’avis de la Commission administrative, ces éléments amènent immanquablement les Internautes à penser que le nom de domaine permet d’accéder à un site Internet opéré par le Requérant ou à tout le moins par une personne autorisée par l’Etat français.
Au regard de l’ensemble de ce qui précède, la Commission administrative estime que l’exploitation du nom de domaine relève très exactement du paragraphe 4(b)(iv) des Principes directeurs, à savoir “en utilisant [l]e nom de domaine litigieux, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du [R]equérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé“.
En dernier lieu, compte tenu de la structure du nom de domaine litigieux qui laisse nécessairement croire qu’il est lié à une autorité officielle, et de ses conditions d’exploitation de nature purement commerciale et engendrant un risque de confusion avec les droits du Requérant, la Commission administrative considère que le recours par le Défendeur à un service d’anonymisation constitue une circonstance supplémentaire et aggravante de sa mauvaise foi. En effet, dans un tel contexte, le recours à ce service d’anonymisation ne peut s’expliquer que par la volonté du Défendeur de compliquer le règlement de tout litige concernant le nom de domaine litigieux.
Au regard de ce qui précède, la Commission administrative considère que le Requérant a également établi la mauvaise foi du Défendeur dans son usage du nom de domaine litigieux.
En conclusion, les exigences du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs sont satisfaites.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <autoentrepreneur-gouv.net> soit transféré au Requérant.
Fabrice Bircker
Expert Unique
Le 21 septembre 2021