Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Agence Centrale Des Organismes De Sécurité Sociale contre Eric Diener

Litige No. D2021-2422

1. Les parties

Le Requérant est l’Agence Centrale Des Organismes de Sécurité Sociale, France, représenté par Alain Bensoussan Selas, France.

Le Défendeur est Eric Diener, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <autoentrepreneur-gouv.com> est enregistré auprès de Gandi SAS (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par l’Agence Centrale Des Organismes de Sécurité Sociale auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 25 juillet 2021. En date du 26 juillet 2021, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 27 juillet 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 28 juillet 2021 et le 3 août 2021, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 4 août 2021.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 9 août 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur.

Le 9 et 10 août 2021, le Défendeur a envoyé des communications informelles (cf. paragraphe 5.B. infra).

Le 10 et le 11 août 2021, le Centre a répondu à ces communications en rappelant au Défendeur que la notification du 9 août 2021 l’informait qu’une procédure administrative avait été engagée relativement au nom de domaine litigieux <autoentrepreneur-gouv.com> conformément aux Principes directeurs, et qu’il disposait d’un délai de 20 jours pour y répondre conformément aux instructions mentionnées sur le site du Centre, ainsi que dans la notification valant ouverture de la procédure. Le Centre a également précisé dans sa réponse au Défendeur que ses communications seraient transmises à la Commission administrative, une fois celle-ci nommée.

Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 29 août 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse formelle. En date du 30 août 2021, le Centre notifiait les parties du commencement du processus de nomination de la Commission administrative.

Le 30 août 2021, le Défendeur a envoyé une communication informelle (cf. paragraphe 5.B. infra).

Le 30 août 2021, le Centre a répondu à cette communication en lui priant de se référer à sa notification du 9 août 2021 lui notifiant la plainte et valant ouverture de la procédure, tout en lui rappelant les modalités de dépôt d’une réponse et que sa communication sera transmise à la Commission administrative une fois celle-ci nommée.

En date du 7 septembre 2021, le Centre nommait Fabrice Bircker comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant, l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS), est un établissement public national français à caractère administratif qui a pour tutelle le Ministère de l’Action et des Comptes publics et le Ministre des Solidarités et de la Santé.

Le Requérant est notamment chargé d’assurer la gestion commune des ressources et de la trésorerie des différentes branches du régime général de la Sécurité Sociale en France.

A ce titre, le Requérant assure notamment la collecte des cotisations sociales dues par les entrepreneurs qui ont adopté le statut d’auto-entrepreneur, et la redistribution de ces cotisations aux 900 organismes qui versent des prestations sociales aux bénéficiaires.

Parallèlement à cette mission de service public, le Requérant offre divers services, notamment d’accompagnement juridique et social des entreprises.

Ces activités du Requérant sont notamment identifiées par la marque française logodéposée et enregistrée le 22 janvier 2021, sous le n° 4724483 et protégeant des services des classes 35, 36 et 45.

Cette marque, bien que déposée en 2021, s’avère exploitée par le Requérant depuis plusieurs années, notamment sur son site Internet accessible à l’adresse “www.autoentrepreneur.urssaf.fr”.

S’agissant du Défendeur, très peu d’éléments sont connus à son égard.

Il réside en France.

En ce qui concerne le nom de domaine litigieux, <autoentrepreneur-gouv.com>, il a été réservé le 28 septembre 2020.

Il résulte du dossier de la procédure et des constatations de la Commission administrative qu’il dirige vers une page parking de l’Unité d’enregistrement, de sorte qu’il n’apparaît pas exploité.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Les écritures du Requérant, substantiellement étayées par 63 annexes représentant près de 500 pages peuvent être résumées comme suit :

- Identité ou similitude prêtant à confusion :

Après avoir rappelé que dans le cadre d’une procédure UDRP, un requérant peut non seulement se prévaloir d’une marque enregistrée, mais également d’une marque d’usage non enregistrée, le Requérant indique être titulaire de la marque française logo déposée le 22 janvier 2021, enregistrée sous le n° 4724483 et protégeant des services des classes 35, 36 et 45.

Il poursuit en faisant valoir que cette marque conforte un droit acquis au titre de la marque notoire telle que protégée par l’article 6b de la Convention d’Union de Paris pour la protection de la propriété industrielle, ratifiée par la France.

Puis, le Requérant indique que le dispositif dénommé “auto-entrepreneur“ existe depuis la Loi de Modernisation de l’Economie du 5 août 2008 et que, 10 ans après sa création, ce dispositif connaît un franc succès.

Le Requérant poursuit en présentant les missions de son Agence et celles des Unions de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale (« Urssaf ») - à savoir, en substance, la collecte et la redistribution des cotisations sociales aux organismes versant des prestations sociales en France – et le rôle qu’elles jouent auprès des auto-entrepreneurs.

Puis, le Requérant fait valoir qu’il utilise le signe distinctif logo depuis une date antérieure à son enregistrement en tant que marque, et notamment qu’il l’exploite depuis au moins le 30 octobre 2018 sur son site Internet, lequel propose divers services aux auto-entrepreneurs.

Ensuite, le Requérant soutient qu’il est également titulaire du nom de domaine de troisième niveau <autoentrepreneur.urssaf.fr>, lequel est exploité depuis une date antérieure à celle de l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

A cet égard, le Requérant argue que selon la jurisprudence française un nom de domaine antérieur confère un droit exclusif semblable à un droit de marque antérieur opposable à un nom de domaine postérieur.

Le Requérant conclut ses développements sur le premier élément des Principes directeurs en excipant que le nom de domaine litigieux est similaire au point de prêter à confusion à ses droits antérieurs suivants qu’il estime assimilables à des droits de marque :

- les signes AUTOENTREPRENEUR et logo qui, en raison de leur usage massif, sont devenus notoirement connus pour désigner un dispositif mis en place par le Législateur français et géré par le Requérant,

- le sous-domaine <autoentrepreneur.urssaf.fr>.

A cet égard, le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux reproduit l’élément AUTOENTREPRENEUR de ses droits antérieurs et leur ajoute l’élément “gouv“ qui laisse faussement croire à un lien officiel avec l’Etat français.

- Absence de droit ou d’intérêt légitime :

Le Requérant soutient que le Défendeur n’utilise pas le nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services et qu’il n’a pas fait de préparatifs sérieux à cet effet.

Le Requérant en veut pour preuve que le nom de domaine litigieux renvoie vers une page parking contenant des liens sponsorisés permettant au Défendeur de percevoir une rémunération chaque fois qu’un Internaute clique sur un des liens.

Par ailleurs, le Requérant tire pour conséquence de cette situation que le Défendeur ne peut être connu sous le nom de domaine litigieux et qu’il ne peut pas non plus en avoir fait un usage non-commercial légitime ou un usage loyal.

En outre, le Requérant argue que l’extension “.gouv.fr“ est strictement réservée à l’Etat français et qu’un nom de domaine y enregistré constitue une garantie pour l’Internaute que le site est bien un site officiel de l’administration française.

Ainsi, le Requérant avance que l’association des termes “autoentrepreneur“ et “gouv“ suggère faussement un lien avec l’Etat français.

En dernier lieu, le Requérant indique qu’au terme de ses recherches dans la base de données de l’Institut National de la Propriété Industrielle et sur Google, d’une part, le Défendeur ne détient pas de marque constituée du terme “autoentrepreneur“, et d’autre part, il n’a pas trouvé de résultat entre le nom du Défendeur en lien avec le signe AUTOENTREPRENEUR.

- Enregistrement et usage de mauvaise foi:

Le Requérant fait valoir que la composition du nom de domaine litigieux conduit nécessairement les Internautes à l’apparenter au nom du dispositif mis en place par l’Etat français et piloté par le Requérant, et ce alors que le Défendeur n’a aucun lien, ni avec les services des Urssaf, ni avec le gouvernement français.

Le Requérant soutient également que compte tenu du succès de son dispositif, le Défendeur ne pouvait pas l’ignorer.

Dans ces circonstances, le Requérant estime que le Défendeur a réservé le nom de domaine litigieux pour i) tromper les Internautes qui le saisirait au lieu de <autoentrepreneur.urssaf.fr>, ii) détourner vers sa page parking le trafic généré par le site du Requérant, iii) usurper et parasiter le site du Requérant, iii) nuire aux intérêts du Requérant car les Internautes qui aboutirait sur la page parking du Défendeur croiraient que le site du Requérant serait défaillant, et iv) laisser croire à un lien avec l’Etat français en raison de la présence de l’élément “gouv“ qui s’apparente à l’extension <.gouv.fr> réservée à l’Etat français.

En outre, le Requérant avance qu’afin de renforcer cette confusion, le Défendeur a réservé le nom de domaine via un service d’anonymisation.

Enfin, le Requérant considère que l’usage du nom de domaine litigieux en lien avec une page parking met en évidence l’intention du Requérant de ne pas faire un usage commercial loyal du nom de domaine litigieux.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu formellement aux prétentions du Requérant.

Toutefois, le 9 août 2021, après que le Centre ait adressé au Défendeur la notification de la Plainte valant ouverture de la présente procédure administrative au moyen de cinq e-mails en raison du volume des annexes de la Plainte, à plusieurs reprises, le Défendeur a adressé au Centre les messages suivants :

“Bonjour,

Pour quel motif vous avez reçu cette plainte ?

Pour qui travaille cet Avocat ?

Cordialement

[Prénom Nom]“

“Bonjour,

Pour quel motif vous avez reçu cette plainte pour ce nom de domaine qui est 100% légal?

Pour qui travaille cet Avocat ?

Cordialement

[Prénom Nom]“

Le 10 août 2021, le Défendeur a adressé le message suivant deux fois au Centre, ainsi qu’au Requérant :

“Bonjour,

J’ai pris connaissance qu’une plainte a été déposée à mon encontre.

Je souhaite savoir quel est exactement cette plainte et ainsi quel le motif d’irrégularité. [sic]

Qui a déposé cette plainte et à quel titre.

Je dois en informer mon Avocat?

Veuillez transmettre mon mail à la commission en question

Cordialement

[Prénom Nom]“

Le 30 août 2021, le Défendeur a envoyé l’e-mail suivant au Centre :

“Je vous ai posé certaines questions et j’attends les réponses rapidement, sinon votre démarche n’est pas légale et elle pourras être contestées [sic]“.

6. Discussion et conclusions

Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, afin d’obtenir le transfert ou la suppression du nom de domaine litigieux, le Requérant doit apporter la preuve de chacun des trois éléments suivants:

(i) Le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et

(ii) Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

(iii) Le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

Par ailleurs, le paragraphe 10(b) des Règles d’application dispose quant à lui que “Dans tous les cas, la commission veille à ce que les parties soient traitées de façon égale et à ce que chacune ait une possibilité équitable de faire valoir ses arguments”.

A cet égard, la Commission administrative note que le Défendeur n’a pas formellement répondu à la Plainte, et qu’il a cependant posé un certain nombre de questions.

Au regard du caractère répété des questions posées et des réponses apportées par le Centre, la Commission administrative considère que le Défendeur, nonobstant sa communication du 30 août 2021, était parfaitement en mesure, tant de prendre connaissance de l’ensemble des éléments qu’il sollicitait, que de répondre formellement à la Plainte, d’autant qu’il laissait entendre dans une de ses communications informelles disposer d’un avocat.

Enfin, le paragraphe 15(a) des Règles d’application dispose que “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable”.

La Commission administrative examinera ci-après la position des parties au regard des trois points du paragraphe 4(a) des Principes directeurs.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Aux termes du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, le Requérant doit d’abord établir ses droits sur une marque, et ensuite démontrer que le nom de domaine litigieux lui est identique ou semblable au point de prêter à confusion.

En l’espèce, parmi les droits invoqués par le Requérant figure la marque française logo déposée et enregistrée le 22 janvier 2021, sous le n° 4724483, protégeant des services des classes 35, 36 et 45, et dont il est le titulaire.

A cet égard, la Commission administrative indique que dans le cadre de l’examen du premier élément des Principes directeurs, il suffit au Requérant de démontrer détenir des droits sur une marque; ce qui est le cas en l’espèce. Ainsi, des questions telles que celles de l’antériorité des droits du Requérant ou celle de leur distinctivité sont indifférentes à ce stade de l’analyse, étant au demeurant précisé que ces questions peuvent s’avérer cruciales dans le cadre de l’examen des deuxième et troisième éléments des Principes directeurs (voir en ce sens les sections 1.1.2 1.1.3 et 1.7 de la Synthèse de l’OMPI des avis des Commissions administratives sur certaines questions UDRP, version 3.0 (« Synthèse de l’OMPI, version 3.0 »)).

Aussi, à ce stade de l’examen du bienfondé de la Plainte, la Commission administrative estime suffisant de comparer la marque AUTO ENTREPRENEUR précitée détenue par le Requérant, et le nom de domaine litigieux.

Sur ce point, la Commission administrative relève que le nom de domaine litigieux:

- reproduit à l’identique l’élément verbal de la marque AUTO ENTREPRENEUR,

- et lui adjoint l’élément “-gouv”, ainsi que l’extension de premier niveau “.com”.

Il est constant, lorsque la marque du Requérant demeure identifiable au sein du nom de domaine litigieux, que l’adjonction d’autres termes n’empêche pas d’écarter le risque de confusion (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 1.8).

En l’espèce, dès lors que la marque du Requérant est reproduite à l’identique, la Commission administrative est d’avis que la présence de l’élément “-gouv” n’est pas de nature à écarter le risque de confusion.

Enfin, l’extension de premier niveau “.com” constitue un élément technique nécessaire à l’enregistrement d’un nom de domaine. Elle est ainsi normalement sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion et peut donc être ignorée pour examiner la similarité entre la marque du Requérant et le nom de domaine litigieux (par exemple voir Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003 ou Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 1.11).

Au regard de l’ensemble de ce qui précède, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs énumère de manière non-exhaustive un certain nombre de circonstances de nature à établir les droits ou les intérêts légitimes du défendeur sur le nom de domaine:

(i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;

(ii) le défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

(iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

Toutefois, dans la mesure où démontrer un fait négatif, tel que l’absence de droits ou d’intérêts légitimes, peut s’avérer impossible, il est constant que le requérant doit établir prima facie que le défendeur n’a pas de droits ni d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux. Il incombe ensuite au défendeur d’établir l’existence de ses droits ou de ses intérêts légitimes. S’il n’y parvient pas, le requérant est considéré comme ayant satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs (Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 2.1).

En l’espèce, le Requérant fait valoir que le Défendeur ne lui est pas lié et, même s’il ne l’énonce pas explicitement, l’on comprend de l’existence-même de la présente procédure que le Requérant n’a pas autorisé le Défendeur à demander l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

Par ailleurs, si le Requérant soutient dans ses écritures que le nom de domaine litigieux dirige vers une page parking affichant des liens publicitaires, il résulte néanmoins tant de l’Annexe 51 de la Plainte (qui consiste en une impression de la page accessible via le nom de domaine litigieux réalisée en date du 23 février 2021), que des constatations de la Commission administrative1 qui s’est rendue sur le site Web accessible par le nom de domaine litigieux, que le nom de domaine litigieux s’avère inexploité, puisqu’il dirige vers une page de l’Unité d’enregistrement indiquant qu’il a été enregistré par son canal.

Le nom de domaine litigieux étant inexploité et le Défendeur n’ayant démontré aucun préparatif d’usage, il en résulte que le Défendeur n’est en mesure de se prévaloir d’aucune des circonstances énoncées aux paragraphes 4(c)(i) et (iii).

En outre, le Défendeur n’est pas connu sous le nom de domaine litigieux.

De plus, la Commission administrative est d’avis que le fait que le nom de domaine litigieux incorpore l’élément “-gouv” fait accroire qu’il présente une émanation officielle.

En effet, les deux parties sont établies en France et l’élément “-gouv” est extrêmement proche de l’extension “gouv.fr” qui est strictement réservée au gouvernement français. D’ailleurs, précisément en raison de cette proximité et des risques qui en découlent, en France, l’enregistrement de nom de domaine s’achevant par l’élément “-gouv.fr” est interdit.

Dans ces circonstances, cette Commission administrative considère qu’il existe une présomption très forte, si ce n’est irréfragable, pour que le Défendeur qui n’apparaît nullement lié à un organe officiel de l’Etat français, ne puisse aucunement détenir des droits ou un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

Au vu de ces éléments, la Commission administrative considère que le Requérant a établi prima facie l’absence de droits ou d’intérêts légitimes du Défendeur.

Il appartenait donc au Défendeur de démontrer ses droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux, ce qu’il n’a pas fait (la simple déclaration, non argumentée, ni étayée par des pièces, selon laquelle le nom de domaine litigieux serait “100% légal“ [sic] ne pouvant servir à justifier des droits ou des intérêts légitimes).

En conséquence, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Aux termes du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.

Par ailleurs, le paragraphe 4(b) des Principes directeurs donne des exemples non exhaustifs de comportements susceptibles d’avérer la mauvaise foi.

1. Enregistrement de mauvaise foi

Par principe, un nom de domaine litigieux ne peut être considéré comme enregistré de mauvaise foi, c’est-à-dire avec la volonté de viser la marque du Requérant, que si les droits de ce dernier sont antérieurs au nom de domaine litigieux. Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 3.8.

Par ailleurs, s’il n’est pas indispensable de détenir une marque enregistrée pour pouvoir obtenir le transfert ou la suppression du nom de domaine litigieux dans le cadre d’une procédure UDRP, il est néanmoins nécessaire de pouvoir exciper d’un droit assimilable à une marque d’usage non enregistrée, c’est à dire un signe distinctif utilisé dans la vie des affaires pour identifier des produits ou des services.

En effet, les Principes directeurs ont vocation à s’appliquer spécifiquement aux cas de cybersquatting, et non à tout litige opposant un nom de domaine à un signe autre qu’une marque (voir en ce sens Cerruti 1881 s.a.s. v. Gurpreet Johar, Litige OMPI No. D2012-1574 ou Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 4.14.6).

Aussi, en l’espèce, si cette Commission administrative partage la position du Requérant lorsqu’il fait valoir que le dispositif dénommé “auto entrepreneur“ est notoirement connu en France, elle ne peut pour autant pas faire sien l’argument selon lequel, l’utilisation d’un signe (même notoirement connu) pour identifier un dispositif fiscal et social constituerait un usage de ce signe en tant que marque.

En effet, en pareil cas, le signe en cause n’est pas exploité sur le marché en lien avec des produits ou des services.

Cela étant, le Requérant a également démontré qu’avant de procéder à son dépôt en tant que marque, il utilisait aussi le signe distinctif logopour désigner des services proposés aux micro-entrepreneurs, notamment dans les domaines de l’information juridique, de l’aide et de l’accompagnement à la création d’entreprises ou encore de la gestion d’entreprises.

Cette Commission administrative estime que cette forme d’exploitation constitue un usage en tant que marque non enregistrée invocable dans le cadre d’une procédure UDRP.

Cette exploitation de fait de la marque d’usage non enregistrée logo remonte au moins à 2018, de sorte qu’elle est antérieure à la date de réservation du nom de domaine litigieux, et elle est notamment réalisée à travers le site Internet du Requérant accessible via un nom de domaine contenant l’élément verbal AUTOENTREPRENEUR ce qui participe également à caractériser cette exploitation en tant que marque.

En outre, il résulte des pièces versées que le public mis en relation avec le signe logo du Requérant est extrêmement nombreux, ce qui confère au signe une grande connaissance sur le marché.

Parallèlement, le nom de domaine litigieux, reproduit à l’identique la partie verbale de la marque du Requérant, en lui associant l’élément “gouv” qui, comme indiqué au paragraphe B. suggère nécessairement un lien avec l’Etat français.

Ces éléments établissent que le Défendeur visait nécessairement la marque du Requérant, organe officiel placé sous la tutelle de deux Ministres, lorsqu’il a réservé le nom de domaine litigieux, d’autant qu’il est domicilié dans le pays où cette marque est exploitée.

Dans ces circonstances, la Commission administrative estime que la condition d’enregistrement du nom de domaine litigieux de mauvaise foi est remplie.

2. Usage de mauvaise foi

Le nom de domaine litigieux n’apparait pas exploité, puisqu’il dirige vers une page de l’Unité d’enregistrement

Au demeurant, il est constant que l’absence d’exploitation du nom de domaine litigieux peut, dans certaines circonstances, constituer un usage passif de mauvaise foi (voir par exemple Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003, Crédit Agricole S.A. v. zhangwei/YinSi BaoHu Yi KaiQi, Litige OMPI No. D2016-0555 ou encore Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 3.3).

En l’espèce, la Commission administrative considère qu’en raison de la composition même du nom de domaine litigieux, en ce qu’il consiste en la reproduction de la marque du Requérant associée à l’élément

“-gouv” qui suggère nécessairement un lien avec l’Etat français, tout usage de bonne foi dudit nom de domaine litigieux par tout autre personne que le Requérant apparait extrêmement improbable, si ce n’est impossible.

Enfin, et en dépit de l’assertion du Défendeur faisant valoir la légalité du nom de domaine litigieux, le comportement de ce dernier durant la procédure renforce, si besoin en était, la conviction de la Commission administrative quant à sa mauvaise foi.

En effet, il importe d’indiquer que :

- toutes les plaintes administrées par le Centre, comportent une page de garde expliquant, entre autres, la nature de la procédure en cause, ainsi que la manière d’y répondre,

- par nature, une Plainte UDRP contient un minimum de motivation, ainsi que l’identité des parties et celle du représentant du Requérant,

- lorsque le Centre notifie formellement à un défendeur l’ouverture d’une procédure UDRP, la notification contient notamment, et en plus de la Plainte, des informations sur la manière de se défendre, l’indication expresse des délais, ainsi que des liens hypertextes dirigeant vers des pages permettant d’obtenir plus encore d’informations sur les procédures UDRP et sur le modèle de réponse, ou encore l’adresse électronique à laquelle une réponse à la plainte peut être envoyée.

A l’évidence, la seule lecture des éléments notifiés au Défendeur lui aurait permis de trouver l’ensemble des réponses aux questions qu’il posait au Centre.

Bien entendu, la Commission administrative est tout à fait en mesure de comprendre qu’une personne non familière avec les Principes directeurs puisse s’interroger à réception d’une plainte et chercher assistance.

Toutefois, le fait pour le Défendeur :

- de poser plus de cinq fois les mêmes questions, alors, d’une part, qu’il est en mesure de connaître les réponses en lisant les documents qui lui sont communiqués, et d’autre part que le Centre lui a indiqué à chaque fois à quels documents se référer pour obtenir les réponses,
- puis d’affirmer qu’aucune réponse ne lui a été apporté, tout en indiquant être également en mesure de saisir son avocat habituel (ce qui laisse entendre que le Défendeur disposait d’un accès direct à une source de conseil et d’assistance juridique),
- et d’affirmer que la démarche du Centre serait illégale et contestable au motif qu’il n’aurait pas répondu à ses questions, procède d’un comportement plus que léger assimilable à de la mauvaise foi.

L’ensemble de ces éléments conduit la Commission administrative à considérer que la condition d’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux est remplie.

En conclusion, les exigences du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs sont satisfaites.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <autoentrepreneur-gouv.com> soit transféré au Requérant.

Fabrice Bircker
Expert Unique
Le 21 septembre 2021


1 Il est communément admis que les attributions des commissions administratives telles qu’énoncées aux paragraphes 10 et 12 des Règles incluent, entre autres, la possibilité de réaliser des recherches factuelles limitées sur des points publiquement accessibles, si elles considèrent ces informations utiles pour apprécier le fond de l’affaire. Ces recherches factuelles limitées incluent notamment la consultation du site Web accessible via le nom de domaine litigieux (voir la “Synthèse de l’OMPI, version 3.0”, section 4.8).