Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D. Lec contre Contact Privacy Inc. Customer 12410913767 / Leclerc S.A Intermarché

Litige No. D2021-4149

1. Les parties

La Requérante est Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D. Lec, France, représentée par Inlex IP Expertise, France.

La Défenderesse est Contact Privacy Inc. Customer 12410913767, Canada / Leclerc S.A Intermarché, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <eleclercfrance.com> est enregistré auprès de Google LLC (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D. Lec auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 10 décembre 2021. En date du 13 décembre 2021, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. Le 13 décembre 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 14 décembre 2021, le Centre a envoyé un courrier électronique à la Requérante avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant la Requérante à soumettre une plainte amendée. La Requérante a déposé une plainte amendée le 15 décembre 2021.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée soient conformes aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 16 décembre 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée à la Défenderesse. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 5 janvier 2022. La Défenderesse n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 6 janvier 2022, le Centre notifiait le défaut de la Défenderesse.

En date du 13 janvier 2022, le Centre nommait Philippe Gilliéron comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

La Requérante est une association française appartenant au Mouvement E. Leclerc, qui tient son nom de son fondateur, Monsieur Edouard Leclerc.

La Requérante exploite près de 721 magasins E. Leclerc en France, répartis sur l’ensemble du territoire. La Requérante est l’une des sociétés leader de la grande distribution en France, elle emploie près de 133’000 salariés et a réalisé en 2019 un chiffre d’affaires totale de 48.2 milliards d’EUR.

La Requérante est titulaire de plusieurs marques composées en tout ou partie du nom E LECLERC, dont les marques de l’Union Européenne suivantes :

- la marque française E LECLERC, No. 002700664 (verbale), enregistrée le 31 janvier 2005, avec une date de priorité remontant au 17 mai 2002;

- la marque française E. LECLERC, No. 011440807 (combinée), enregistrée le 27 mai 2013, avec une date de priorité remontant au 5 décembre 2012.

Le 23 août 2021, la Défenderesse a enregistré le nom de domaine litigieux <eleclercfrance.com>. Le nom de domaine litigieux dirige vers une page d’erreur. Plusieurs serveurs mails ont toutefois été paramétrés pointant vers le nom de domaine litigieux.

Le 16 septembre 2021, la Requérante a adressé à la Défenderesse un courrier de mise en demeure l’invitant à supprimer le nom de domaine litigieux ou le lui transférer. La Défenderesse n’a pas donné suite.

5. Argumentation des parties

A. Requérante

La Requérante fait tout d’abord valoir le fait que le nom de domaine litigieux <eleclercfrance.com> est similaire à sa marque E LECLERC et que l’adjonction de la désignation géographique “France”, loin d’exclure le risque de confusion, le renforce compte tenu de la très forte implantation et notoriété de la marque en France en laissant croire aux internautes qu’il s’agit d’un site officiel de la Requérante.

La Requérante considère ensuite que la Défenderesse n’a aucun droit ni intérêt légitime en relation avec le nom de domaine litigieux. La Requérante ne lui a jamais concédé de licence ou autorisé à exploiter la marque E LECLERC. La Défenderesse ne déploie aucune activité de bonne foi sous ledit nom de domaine litigieux. Le nom de la Défenderesse se compose de celui de la Requérante auquel est adjoint le terme “Intermarché”, soit celui de l’un des concurrents principaux de la Requérante; une telle entité n’existe pas, pas plus que les coordonnées de contacts indiquées dans la banque de données WhoIs, qui se réfère à une personne n’ayant aucun lien avec la Requérante et n’étant pas employé par cette dernière.

La Requérante considère enfin que le nom de domaine litigieux <eleclercfrance.com> a été enregistré et qu’il est utilisé de mauvaise foi. Compte tenu de la notoriété de la marque E LECLERC, la Défenderesse ne pouvait pas ignorer l’existence de cette marque lorsqu’elle a procédé à l’enregistrement du nom de domaine litigieux. L’absence de quelque usage que ce soit, dont on ne conçoit pas qu’il puisse être légitime, et le paramétrage de serveurs mails liés au nom de domaine litigieux dont on peut penser qu’ils visent à envoyer des courriels frauduleux aux internautes à des fins d’hameçonnage soulignent l’usage de mauvaise foi que la Défenderesse fait du nom de domaine litigieux <eleclercfrance.com>. Cette mauvaise foi est d’autant plus patente que la Défenderesse a indiqué le nom d’une entité inexistante composée du nom “Leclerc” et de celui de l’un des concurrents principaux de la Requérante, “Intermarché”.

B. Défenderesse

La Défenderesse n’a pas répondu aux arguments de la Requérante.

6. Discussion et conclusions

Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par ceux-ci, à savoir :

(i) si le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et

(ii) si le Défendeur n’a aucun droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux; et

(iii) si le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Selon le paragraphe 4(a)(i) de Principe directeurs, la Requérante doit démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la Requérante a des droits.

En l’espèce, il est établi que la Requérante est titulaire de plusieurs marques composées des termes E. LECLERC dont l’origine remonte au nom de son fondateur, Edouard Leclerc, marque dont la haute renommée est notoire et a été constatée par de nombreuses commissions administratives (parmi d’autres : Association des Centres Distributeurs E. Leclerc c. Redacted for Privacy, See Privacy Guardian.org/pastal dolly malhotra, Litige OMPI No. D2021-0037; Association des Centres Distributeurs E. Leclerc c. WhoisGuard Protected, WhoisGuard, Inc. / auchanlove auchanlove, Litige OMPI No. D2002-0031; Association des Centres Distributeurs E. Leclerc v. WhoiGuard Protected, WhoisGuard, Inc. / yop poyo, Litige OMPI No. D2020-2142; Association des Centres Distributeurs E. Leclerc c. pierre patron, Litige OMPI No. D2019-2017).

Il est de jurisprudence constante que le fait de reprendre à l’identique la marque d’un tiers dans un nom de domaine peut suffire à établir que ce nom de domaine est identique ou similaire au point de prêter à confusion avec la marque sur laquelle la partie requérante a des droits.

De plus, l’adjonction de la désignation géographique “France” à la marque de la Requérante n’est pas de nature à écarter le risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et la marque E. LECLERC.

Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

Selon le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, les requérantes doivent démontrer que le Défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux.

Dans la décision Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624, la commission administrative a considéré que, s’agissant d’un fait négatif presque impossible à démontrer, à partir du moment où la partie requérante a allégué que le défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime en relation avec le nom de domaine, c’est à la partie défenderesse qu’il incombe d’établir l’existence de ses droits. Partant, il suffit que la partie requérante établisse prima facie que la partie défenderesse ne détient aucun droit ou intérêt légitime pour renverser le fardeau de la preuve et laisser à la partie défenderesse le soin d’établir ses droits. A défaut, la partie requérante est présumée avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs (voir la section 2.1 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition, “Synthèse de l’OMPI, version 3.0”).

Tel est le cas en l’espèce. La Requérante a allégué n’avoir jamais consenti de droit ni d’autorisation à la Défenderesse en relation avec l’enregistrement et l’exploitation d’un nom de domaine litigieux reprenant sa marque. La Défenderesse ne démontre pas être connue sous le nom de domaine litigieux, ni n’avoir jamais déployé d’activités de bonne foi en relation avec le nom de domaine litigieux, bien au contraire, puisque le nom de domaine litigieux a été enregistré au nom d’une fausse entité, inexistante et reprenant la marque E. LECLERC de la Requérante et celle de son concurrent “Intermarché”.

La Défenderesse n’ayant pas soumis de réponse doit supporter les conséquences de sa négligence et, partant, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(iii), la Requérante doit démontrer que la Défenderesse a enregistré et qu’elle utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

L’enregistrement de mauvaise foi présuppose que la Défenderesse connaissait la marque de la Requérante. En l’espèce, il ne fait aucun doute au vu de la notoriété de la marque E. LECLERC que la Défenderesse connaissait parfaitement la marque de la Requérante.

En raison de cette même notoriété, la Commission administrative ne conçoit pas qu’une utilisation de bonne foi du nom de domaine litigieux ait été possible. Le fait pour la Défenderesse d’avoir enregistré le nom de domaine litigieux sous une fausse identité, à savoir une entité dont le nom aurait été composé de la marque E. LECLERC et de celle de l’un des concurrents principaux de la Requérante, soit “Intermarché”, ne fait que renforcer cette conviction.

De plus, la Commission administrative considère que l’adjonction de la désignation géographique “France” à la marque E. LECLERC ne fait que renforcer le risque de confusion résultant de la reprise de la marque E. LECLERC dans le nom de domaine litigieux au vu de la très forte implantation et très forte notoriété de cette marque en France, laissant croire aux internautes qu’il s’agirait d’un site officiel de la Requérante et ce, dans le seul but de tromper les internautes et suggérer une affiliation avec le Requérant au sens du paragraphe 4(b)(iv) des Principes directeurs.

Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que les conditions posées par le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs sont satisfaites.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <eleclercfrance.com> soit transféré à la Requérante.

Philippe Gilliéron
Expert Unique
Le 20 janvier 2022