Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE L’EXPERT
Ladurée International SA contre Pumpstation Gastro GmbH
Différend n° DCH2011-0009
1. Les parties
La requérante est Ladurée International SA de Genève, Suisse, représenté par Service Juridique, Groupe Holder, France.
La partie adverse est Pumpstation Gastro GmbH de Kilchberg, Suisse.
2. Le nom de domaine
Le différend concerne le nom de domaine <laduree.ch>.
3. Rappel de la procédure
Une demande a été déposée par Ladurée International SA auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 2 mars 2011.
En date du 2 mars 2011, le Centre a adressé une requête au registre SWITCH, SWITCH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. En date du 3 mars 2011, SWITCH a confirmé que la défenderesse est bien le détenteur du nom de domaine et a transmis ses coordonnées.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux exigences des Dispositions relatives à la procédure de règlement des différends pour les noms de domaine .ch et .li (ci après les Dispositions) adoptées par SWITCH, registre du .ch et du. li, le 1er mars 2004.
Conformément au paragraphe 14 des Dispositions, le 17 mars 2011, une transmission de la demande valant ouverture de la présente procédure, a été adressée à la partie adverse. Conformément au paragraphe 15(a) des Dispositions, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 6 avril 2011.
La défenderesse n’a déposé aucune réponse à la demande et n’a exprimé d'aucune autre façon sa volonté de prendre part à une audience de conciliation conformément au paragraphe 15(d) des Dispositions.
En date du 20 avril 2011, le Centre nommait dans le présent différend comme expert Daniel Kraus. L’expert constate qu’il a été désigné conformément aux Dispositions. L’expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 4 des Dispositions.
4. Les faits
La requérante exerce une activité d’exploitation de salons de thé et vente de pâtisseries à travers le monde.
Sa marque et sa réputation sont connues en France et à l’étranger.
Les pays dans lesquels le requérant possède des boutiques en nom propre ou sous licence sont les suivants : la France, le Japon, l’Italie, le Royaume Uni, l’Irlande, Monaco, la Suisse, le Luxembourg, la Turquie, le Liban, Dubaï, le Koweït et l’Arabie Saoudite.
Sur le territoire Suisse, le requérant est propriétaire des marques suivantes :
- Marque Suisse LADUREE n°520067, classes 30 et 43 date de dépôt : 23 février 2004.
- Marque Suisse LADUREE n° 529241 classes 4, 5, 16,21 date de dépôt : le 10 novembre 2004.
- Marque Suisse LADUREE n°556776 classes 3, 24,35 date de dépôt : le 27 octobre 2006.
- Marque Suisse LADUREE n° 579181 classes 25, 29, 30, 32, 33,35 date de dépôt : le 3 avril 2008.
-Marque Suisse LADUREE et sa couronne, n°601637, classes 29, 30, 35,43, date de dépôt : le 18 décembre 2009.
- Marque Suisse LES SECRETS DE LADUREE n°554895, classes : 3, 4, 5, 16, 21, 24,35 date de dépôt : 27 octobre 2006. (annexe2)
Des contrats de licence de marque ont été conclus avec la société Macaron SA le 19 septembre 2005, le 17 juillet 2007 et le 31 décembre 2008 pour l’exploitation de trois boutiques Ladurée en Suisse aux adresses suivantes :
- 7, Cours de Rive - 1204 Genève
- 3 Rue du Bourg - 1003 Lausanne
- 17 Kuttelgasse - 8001 Zürich
Le requérant exploite également les sites internet : “www.laduree.fr“ et “www.laduree.com“.
Le requérant possède enfin les noms de domaine suivants :
Noms de domaine |
<laduréeboutique.ch> |
<ladurée-boutique.ch> |
<macaronsladurée.ch> |
<macarons-ladurée.ch> |
<pâtisserieladurée.ch> |
<pâtisserie-ladurée.ch> |
<pâtisserieladuree.ch> |
<pâtisserie-laduree.ch> |
<patisserieladurée.ch> |
<patisserie-ladurée.ch> |
La défenderesse exerce une activité de restauration. Il semblerait qu’elle avait eu l’intention de proposer une collaboration avec la requérante, laquelle n’a toutefois pas vu le jour.
Elle a enregistré le nom de domaine <laduree.ch> le 21 décembre 2007.
Suite à la demande de transfert du requérant, la partie adverse a proposé par email le transfert du nom de domaine à titre onéreux pour un montant de 10’000 euros.
La requérante a refusé le paiement de cette somme par courrier recommandé du 12 janvier 2011. Une proposition de contrat de transfert de nom de domaine contenue dans le même courrier est restée sans réponse.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
La requérante argumente que l’enregistrement du nom de domaine objet du différend constitue une infraction aux marques du requérant selon le droit, la défenderesse ayant enregistré le nom de domaine <laduree.ch> alors qu’elle connaissait la marque et l’activité du requérant.
Le nom de domaine déposé par la défenderesse est identique à la marque LADUREE détenue par la requérante, ce qui représente une infraction aux droits du requérant et à l’article 13 al. 1 et 2 et à l’article 3 de la Loi fédérale sur la protection des marques et indications de provenances (LPM).
Au surplus, la requérante est d’avis que la défenderesse ne peut justifier d’aucun droit ou intérêt légitime sur ce nom de domaine, aucun accord n’ayant été conclu entre la requérante et la défenderesse, et cette dernière n’étant pas connue sous le nom, l’enseigne ou la marque LADUREE.
La requérante soutient par ailleurs que la défenderesse a enregistré ce nom de domaine de mauvaise foi, car elle connaissait la marque LADUREE lors de l’enregistrement du nom de domaine, elle monnaye le rachat du nom de domaine par le requérant, ces comportements étant constitutifs de cybersquatting contraires à l’article 2 de la loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD). Ce faisant, la défenderesse, empêcherait la requérante d’exploiter le nom de domaine <laduree.ch> et de procéder à la redirection des noms de domaine qui lui appartiennent.
Enfin, la défenderesse exerçant également une activité de restauration, le nom de domaine peut induire en erreur ou créer une confusion des internautes contraire à l’article 3 d) LCD.
B. Défenderesse
La défenderesse n’a déposé aucune réponse à la demande.
6. Discussion et conclusions
A. Langue de la procédure
En vertu de l’art. 7 (a) des Dispositions relatives à la procédure de règlement des différends pour les noms de domaine “.ch“ et “.li“, la procédure doit se dérouler dans la langue du contrat d'enregistrement, sans préjudice de la faculté d'un expert d'en décider exceptionnellement autrement sur demande de l'une des parties ou des deux, ou à sa discrétion, au vu des éléments de la procédure de règlement des différends. La langue du contrat d'enregistrement est celle figurant dans le service Whois du registre.
En l’espèce, la langue du contrat d’enregistrement est l’allemand. La demanderesse a cependant rédigé sa requête en français. En soi, ce fait n’est pas suffisant à motiver l’utilisation du français pour la décision. Toutefois, il y a lieu de tenir compte des faits suivants :
Un échange de correspondance a eu lieu entre les parties. Initié par le défendeur, il s’est fait en français;
Un projet de contrat de transfert de nom de domaine a également été préparé, en français et anglais, mais pas en allemand; or le défendeur ne s’est pas opposé à l’utilisation de ces langues :
Le défendeur n’a pas répondu à la requête de la demanderesse; l’eût-il fait, il aurait eu l’occasion de se prononcer sur la question de la langue de procédure.
En conséquence, l’expert est d’avis que la langue française peut être utilisée pour la présente procédure et rend donc sa décision dans la langue de Molière.
B. Le requérant a-t-il un droit attaché à un signe distinctif selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein ?
Il ressort de l’état de fait (point 4 supra) que la réponse à cette question est positive, la requérante disposant de plusieurs marques LADUREE en Suisse.
C. L'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine constitue-t-il clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein?
La réponse à cette deuxième question est également positive. L’exclusivité sur un signe distinctif peut être revendiquée par la requérante sur la base de l’article 13 LMF.
Le titulaire d’un signe distinctif peut en revendiquer l’exclusivité dans la mesure où il y a au moins risque de confusion. Selon le Tribunal fédéral suisse, le risque de confusion est identique pour tout le droit des signes distinctifs (ATF 126 III 239, 245 “berneroberland.ch”; ATF 128 III 401, 403 “luzern.ch”).
Il convient de déterminer si l’utilisation d’une dénomination identique ou analogue en relation avec un site internet par une personne ayant des droits moins fondés, crée un risque d’attribution incorrecte du site, soit une possibilité d’erreur d’identification de la personne qui est derrière le site (ATF 128 III 401, 403).
De façon générale, la partie qui ne dispose d’aucune protection particulière au sens du droit des signes distinctifs sur le nom de domaine en cause, se doit de prendre les mesures idoines pour que le nom de domaine qu’il a enregistré se distingue suffisamment du signe distinctif appartenant à la requérante (ATF 128 III 353, 358 “Montana”), soit d’un signe distinctif protégé de façon absolue (ATF 126 III 239, 244).
En l’espèce, le risque de confusion est patent. La défenderesse a enregistré le nom de domaine <laduree.ch> le 21 décembre 2007 alors qu’elle connaissait la marque et l’activité du requérant. Elle n’a pris aucune mesure pour se distinguer du signe appartenant à la requérante, bien au contraire. Les signes en cause sont en tous points identiques. Or, compte tenu du fonctionnement des noms de domaine, l’utilisation d’un nom de domaine de second niveau confère à l’utilisateur un monopole de fait, lequel crée ipso facto un risque de confusion. Le détenteur légitime du signe protégé est empêché de faire le commerce de ses produits par internet, par le simple fait de l’enregistrement du nom de domaine en cause (Veolia Environnement SA contre Malte Wiskott, Litige OMPI No. DCH2004-0010).
7. Décision
Pour les raisons énoncées ci-dessus, et conformément au paragraphe 24 des Dispositions, l’expert ordonne le transfert du nom de domaine <laduree.ch> au profit du requérant.
Daniel Kraus
Expert
Le 4 mai 2011