Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE L’EXPERT

WAFACASH S.A. contre Avito Sarl

Litige No. DMA2015-0002

1. Les parties

Le Requérant est WAFACASH S.A. de Casablanca, Maroc, représenté par Kettani law firm, Maroc.

Le Défendeur est Avito Sarl de Casablanca, Maroc, représenté par Maître Mehdi Salmouni-Zerhouni, Maroc.

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <bikhir.ma> enregistré le 24 mars 2011.

Le prestataire Internet est l’Agence Nationale de Réglementation des Télécommunications (ci-après “ANRT”).

3. Rappel de la procédure

Une Demande a été déposée par WAFACASH S.A. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 16 février 2015 par courrier électronique et le 9 mars 2015 par courrier postal. En date du 17 février 2015, le Centre a adressé une requête à l’ANRT une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations. Le 23 février 2015, l’ANRT a révélé l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur. Le 3 mars 2015, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’ANRT et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la Demande. Le Requérant a déposé une Demande amendée le 4 mars 2015.

Le Centre a vérifié que la Demande et la Demande amendée répondent bien au Règlement sur la Procédure alternative de résolution des litiges du .ma (ci-après le “Règlement”) adopté le 1er août 2007 en conformité avec à la Charte de nommage du .ma adoptée par l’ANRT.

Conformément à l’article 15(c) du Règlement, une notification de la Demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 18 mars 2015. Conformément à l’article 16(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 7 avril 2015. Le Défendeur n’a pas fait parvenir de réponse. Le Centre a donc transmis au Défendeur une Notification d’un défaut du défendeur le 10 avril 2015.

En date du 28 avril 2015, le Centre nommait Brahim Chentouf comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 5 du Règlement.

4. Les faits

Le Requérant est une société crée le 25 janvier 1991, inscrite au registre de commerce de Casablanca sous le numéro 60809, et ayant son siège social à Casablanca, Maroc. L'objet de cette société est la gestion des cartes de crédit effectuant des opérations d'avances ou de prêts. Le Requérant exploite les marques BIKHIR et BIKHAIR enregistrées auprès de l’Office Marocain de la Propriété Industrielle et commerciale ("l'OMPIC") et sont déposées dans toutes les classes de 1 à 45, la première sous le numéro 119946 BIKHIR et la deuxième sous le numéro 119947 BIKHAIR.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant soutient que le nom de domaine est identique à la marque BIKHIR.MA enregistrée le 30 octobre 2008 sous le numéro 119946 auprès de l'OMPIC, et que l'enregistrement de la marque du Requérant porte sur tous les produits et services de 1 à 45 selon la classification de Nice et que les services proposés par le site Internet du Défendeur sont identiques aux services de la marque antérieure invoquée et que le nom de domaine reprend comme signe distinctif prédominant le mot "bikhir", la ressemblance est phonétique et intellectuelle.

Le Requérant indique que la demande d'enregistrement de la marque BIKHIR a fait l'objet d'un rejet par l'OMPIC après l'opposition formée par le Réquerant, en précisant que le Défendeur n'a pas contesté cette opposition et que le Défendeur a utilisé le nom de domaine litigieux en abusant du droit conféré au Requérant et en affirmant que le Défendeur n'est pas connu auprès du grand public marocain mais le site est largement utilisé.

Le Requérant conclut enfin que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur, en considérant l'élaboration par le Défendeur d'une compagne publicitaire de son site Internet en faisant appel à un personnage public (comédien) qui avait précédemment fait la promotion publicitaire du produit du Requérant.

Le Défendeur, en utilisant le nom de domaine litigieux a sciemment tenter d'attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l'Internet sur un site web lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne l'affiliation du site au Requérant.

Le Requérant demande, par conséquent, le transfert du nom de domaine litigieux <bikhir.ma> à son profit et à titre subsidiaire sa radiation.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a adressé aucune réponse formelle au Centre dans le délai imparti, qui prenait fin le 7 avril 2015.

Néanmoins, le conseil du Défendeur a envoyé plusieurs courriers électroniques en date 21 avril 2015, 5 mai 2015, 7 mai 2015 et 11 mai 2015.

Malgré le défaut du Défendeur, l’Expert a accepté exceptionnellement de prendre en considération les argumentations présentées par Maître Salmouni-Zerhouni.

Par courrier électronique du 5 mai 2015, le Défendeur a présenté ses conclusions en demandant la mise hors de cause la société SCM Ventures AB en précisant que cette dernière était la titulaire antérieure du nom de domaine <bikhir.ma> et qui l'a cédé à la société Avito Sarl, l'actuelle titulaire du nom de domaine, en affirmant que la Demande dirigée contre la société SCM Ventures AB est irrecevable en tout état de cause en faisant valoir la spécialité du nom de domaine <bikhir.ma> dont son objet est la mise en contact des personnes sur le site pour l'achat et la vente d'objets ou de services en soulignant que ce site n'a aucune activité bancaire et aucune activité similaire ou identique aux activités de la société WAFACASH S.A. en précisant que l'objet de la société Requérante est la gestion des cartes de crédit, et les opérations d'intermédiation en matière de transfert de fonds et aux opérations de change mutuel.

Le Défendeur conclut au rejet de la Demande du Requérant en demandant principalement de l'Expert de se déclarer incompétent en raison du fait que le Requérant n'est plus titulaire du dépôt de la marque n. 119946 BIKHIR, du 30 octobre 2008, en totalité suite à la condamnation du Tribunal de Commerce de Casablanca du 20 janvier 2015 ayant amputé les classes 9, 35, 38, 42 et 45 de ce dépôt.

Le Défendeur demande également à l’Expert de se déclarer incompétent en raison du fait que le nom de domaine <bikhir.ma> relève depuis le 20 janvier 2015 de la compétence des Tribunaux Marocains avant la saisine du Centre et, subsidiairement, déclarer que le Requérant n'a plus la qualité pour agir étant donné que le jugement du 20 janvier 2015 a amputé les classes 9, 35, 38, 42 et 45 du dépôt n. 119946 BIKHIR et a annulé partiellement le dépôt n.119946.

Le Défendeur demande, en conséquence, à rejeter la Demande.

6. Discussion

A. Questions préliminaires

Sur l’exception d’incompétence évoqué par le Défendeur, l’Expert rappelle que conformément aux dispositions de l’article 2(a) du Règlement qui stipule que le défendeur est tenu de se soumettre à une procédure obligatoire au cas où un tiers (le Requérant) fait valoir auprès du Centre que :

(i) le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de fabrique, de commerce ou de service sur laquelle le requérant a des droits protégés au Maroc; et

(ii) le défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache; et

(iii) le nom de domaine a été enregistré ou est utilisé de mauvaise foi.

L’Expert constate que le Requérant a justifié de ses trois conditions demandés par l’article 2(a) du Règlement alors l’Expert estime qu’il peut statuer sur la Demande.

L’Expert estime encore que le litige qui oppose les partie devant l’OMPIC et les Tribunaux marocains est étranger à la présente procédure en ce qu’il ne porte pas sur le nom de domaine <bikhir.ma>, il n’est pas donc pas lié par la décision rendue le 20 janvier 2015 par le Tribunal de Commerce de Casablanca, et l’Expert note que l’objet de l’action en cours devant la jurisprudence marocaine est l’enregistrement de la marque d’un tiers BIKHIR.MA en sa relation avec les deux marques BIKHIR et BIKHAIR du Requérant.

L’Expert décide donc de se prononcer sur ce litige conformément au Règlement, et note que la présente décision n’empêche pas les Parties de soumettre le litige a un tribunal compètent selon l’article 11 du Règlement.

B. Le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de fabrique, de commerce ou de service sur laquelle le Requérant a des droits protégées au Maroc

L'Expert constate que le Requérant est titulaire de deux enregistrements de marque déposées auprès de l’OMPIC sous les numéros 119946 BIKHIR et 119947 BIKHAIR, et par ailleurs, les marques disposent d’une grande notoriété.

L'Expert constate également que le nom de domaine <bikhir.ma> est composé des mêmes lettres, placées dans le même ordre que la marque BIKHIR du Requérant, la seule différence consistant en l’ajout du suffixe “.ma”.

L'Expert conclu que le nom de domaine <bikhir.ma> reproduit la marque BIKHIR du Requérant à l'identique.

L’Expert a noté la décision du Tribunal de Commerce de Casablanca amputant les classes 9, 35, 38, 42 et 45 du dépôt de la marque BIKHIR. Les produits et les classes n’ont aucune incidence pour établir l’article 2(a)(i) du Règlement, il suffit de démontrer une marque valide protégé au Maroc.

Vu ces circonstances, l'Expert considère que la première condition de l'article 2(a)(i) du Règlement est remplie.

C. Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache

L’Expert rappelle que selon l’article 2(c) du Règlement, "la preuve des droits du défendeur sur le nom de domaine ou d'intérêt légitime qui s'y attache, peut être constituée, en particulier, par l'une des circonstances ci-après :

(i) avant d'avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;

(ii) le défendeur est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de fabrique, commerce ou de service; ou

(iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de fabrique, commerce ou de service en cause."

L'Expert constate que le Requérant est titulaire de deux marques BIKHIR et BIKHAIR enregistrées auprès de l’OMPIC.

L’Expert constate aussi que le Requérant a obtenu la décision n. 34846 rendu par l’OMPIC faisant droit à une opposition engagée par le Requérant en date du 23 janvier 2012 contre la demande d’enregistrement de la marque BIKHIR.MA présenté par le Défendeur en date du 21 novembre 2011.

L’Expert note que le Défendeur n’a présenté aucun élément de l’article 2(c) du Règlement. En effet, le Défendeur n’a pas démontré qu’il a utilisé le nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services, ni qu’il est connu sous le nom de domaine et ni qu’il fait un usage non commercial.

Par conséquent, l’Expert considère que la condition posée à l’article 2(a)(ii) du Règlement est remplie.

D. Le nom de domaine a été enregistré ou est utilisé de mauvaise foi

L’Expert rappelle que selon l’article 2(b)(iv) du Règlement, la preuve de la mauvaise foi de la part du Défendeur est établie notamment lorsqu’il est prouvé que ce dernier a “sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation du site du défendeur ou espace Web ou d’un produit ou d’un service qui y est proposé”.

L’Expert constate que le nom de domaine redirige vers le site « www.avito.ma » qui offre des annonces de particuliers. Bien que ce site ne présente pas des activités similaires a celles du Requérant, à savoir, des services bancaires, il apparait qu’en faisant cette redirection en profitant de la notoriété de la marque du Requérant le Défendeur utilise le nom de domaine de mauvaise foi.

En enregistrant le nom de domaine litigieux <bikhir.ma> qui est identique à la marque BIKHIR du Requérant tant en ce qui concerne la typographie que la prononciation, l’Expert considère que le Défendeur comptait bien tromper les clients du Requérant en les redirigeant vers son site Internet commercial.

L’Expert considère que le Défendeur étant résident au Maroc ne pouvait pas ignorer l’existence de la marque BIKHIR du Requérant au vu de la notoriété nationale de cette dernière. Les documents versés aux débats établissent que les services bancaires en ligne présentés par le Requérant ont fait l’objet d’importantes campagnes de promotion au Maroc. L’enregistrement du nom de domaine a été de mauvaise foi.

En conséquence de quoi, l’Expert estime que le critère posé à l’article 2(a)(iii) du Règlement est rempli.

Vu les motifs ci-dessus exposés, l’Expert décide que le nom de domaine <bikhir.ma> enregistré par le Défendeur le 24 mars 2011 est identique au point de prêter à confusion avec la marque BIKHIR du Requérant, que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni intérêt légitime qui s’y attache et que le nom de domaine a été enregistré ou est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.

7. Décision

Conformément aux articles 21(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <bikhir.ma>.

Brahim Chentouf
Expert
Le 15 mai 2015