Lisbonne, le 31 octobre 2008
M. Francis Gurry, Directeur général de l’OMPI
[À vérifier]
Aujourd’hui, nous célébrons le cinquantième anniversaire d’un traité conclu le 31 octobre 1958, ici même, dans la magnifique ville de Lisbonne, un traité qui commence une seconde jeunesse : je veux parler de l’Arrangement de Lisbonne concernant la protection des appellations d’origine et leur enregistrement international.
La conclusion, en 1958, de l’Arrangement de Lisbonne constituait une prouesse. Je l’affirme d’autant plus que je sais que, dès le début, cet arrangement était loin de faire l’unanimité. Ses détracteurs n’avaient d’ailleurs de cesse de le décrier.
Il existe trois raisons importantes pour lesquelles je souhaite souligner les remarquables résultats obtenus par les fondateurs de l’arrangement.
Première raison : le fait que la question des indications géographiques ait déjà donné lieu à des débats nourris sur la scène internationale depuis la fin du XIXe siècle, sans pour autant déboucher sur des résultats tangibles, acceptés multilatéralement, dans le domaine de la protection des indications géographiques, allant au delà de ce qui était déjà prévu par la Convention de Paris et par l’Arrangement de Madrid de lutte contre la répression des indications de provenance fausses ou fallacieuse sur les produits (en 1891). Même parmi les personnes de même sensibilité, il n’avait pas été possible de trouver un terrain d’entente pour la création d’un système d’enregistrement international des indications géographiques.
Deuxième raison : les négociateurs ont réussi non seulement à s’entendre sur une définition sur la base de laquelle les indications géographiques seraient considérées comme pouvant être inscrites au registre international conformément à l’arrangement mais aussi sur le niveau de protection que les États membres devraient accorder à ces indications géographiques.
Troisième raison, probablement la plus importante : à tous égards, les négociateurs ont réussi à introduire une grande souplesse dans les dispositions de l’arrangement sans empiéter sur l’efficacité de la protection à accorder aux indications géographiques enregistrées au niveau international.
Cependant, comme nous le savons tous, l’Arrangement de Lisbonne n’a séduit qu’un petit nombre d’États membres durant les quatre premières décennies de son existence. Plusieurs pays, bien que disposés à améliorer la protection de leurs indications géographiques à l’étranger, ont préféré négocier une série d’arrangements bilatéraux, échangeant des listes d’indications géographiques à protéger, plutôt qu’adhérer à l’Arrangement de Lisbonne.
En outre, à cette époque, l’OMPI a par trois fois essayé de mettre en place un nouveau système pour l’enregistrement international des indications géographiques, à savoir au milieu des années 70, au début des années 80 et au début des années 90. Son objectif était, sans conteste, de mettre en place une couverture géographique plus large. Ces trois tentatives ont fait long feu.
L’OMC n’est pas non plus arrivée, jusqu’à présent, à mettre en place un système d’enregistrement international des indications géographiques, contrairement à ce qu’appelaient de leurs vœux l’Accord sur les ADPIC et le Programme de Doha pour le développement.
Depuis 1997, il y a eu 10 nouvelles adhésions à l’Arrangement de Lisbonne, dont six depuis 2004. En outre, plusieurs autres pays ont demandé à l’OMPI des renseignements sur le système de Lisbonne car ils envisagent – éventuellement – d’y adhérer.
Cette nouvelle manifestation d’intérêt pour le système de Lisbonne est elle surprenante? Nous, à l’OMPI, ne le pensons pas, essentiellement pour deux raisons.
Depuis l’entrée en vigueur de l’Accord sur les ADPIC, de plus en plus de pays s’intéressent à la question des indications géographiques, allant au delà de l’adoption d’une législation conforme à l’Accord sur les ADPIC pour les indications géographiques. En outre, compte tenu de l’importance que la différentiation des produits joue pour attirer les clients sur un marché aujourd’hui mondialisé et très concurrentiel, les indications géographiques, sans compter les marques, sont essentielles pour ajouter de la valeur à un produit, sous la forme d’une certaine qualité ou autrement, valeur qui permettra de distinguer ce produit parmi les produits concurrents sur le marché.
Bon nombre de ces pays ont mis en place un système national d’enregistrement des indications géographiques et ont commencé à promouvoir l’utilisation de ces systèmes. Et c’est quand ils se sont attelés à cette tâche qu’ils ont très souvent choisi de délimiter la zone concernée sur la base des critères applicables aux appellations d’origine prévus par l’Arrangement de Lisbonne plutôt que par l’Accord sur les ADPIC. Plus de soixante dix pays semblent avoir opté dans leur législation pour une définition qui correspond à celle de l’Arrangement de Lisbonne.
À cet égard, on peut relever que, si des actes de concurrence déloyale ont été commis partout depuis longtemps pour faire face à une appropriation abusive d’indications géographiques, ils n’ont pas supprimé la nécessité de systèmes supplémentaires visant à fournir la transparence nécessaire par une reconnaissance ex ante de ce qui précisément est protégé et des modalités de cette protection.
Bien que les Membres de l’OMC aient l’obligation, conformément à l’Accord sur les ADPIC, de protéger ces indications géographiques, sous réserve de l’application éventuelle de l’une quelconque des exceptions prévues par l’arrangement, ils ne sont pas tenus de prévoir un niveau de protection supérieur à celui que prévoit l’Accord sur les ADPIC en ce qui concerne les indications géographiques concernant les vins et les spiritueux. L’Arrangement de Lisbonne s’applique de la même manière à toutes les appellations d’origine, quelle que soit la catégorie de produit, imposant aux États membres que ceux ci assurent une protection contre toute usurpation ou imitation, même si l’origine véritable du produit est indiquée ou si l’appellation est employée en traduction ou accompagnée d’expressions telles que “genre”, “type”, “façon”, “imitation” ou “similaires”.
Il est ressorti effectivement d’une expérience récente que les dispositions de l’Arrangement de Lisbonne offrent effectivement la latitude nécessaire pour pouvoir être interprétées avec la souplesse voulue par les négociateurs et qu’elles permettent d’incorporer de nouvelles procédures dans le règlement d’exécution, sans pour autant rendre superflue la protection accordée aux indications géographiques enregistrées au niveau international. C’est la raison pour laquelle les nombreuses critiques faites à l’égard du système de Lisbonne au fil des ans devraient être considérées comme négligeables.
La protection des indications géographiques aux niveaux régional et national se caractérise par l’existence d’une multitude de concepts juridiques différents. Ces concepts ont été développés dans la ligne de différentes traditions juridiques nationales et dans des contextes historiques et économiques déterminés. Ces différences ont une répercussion directe sur d’importantes questions telles que les conditions de protection, le droit à l’utilisation et l’étendue de la protection. Ainsi qu’il est ressorti au cours des deux ou trois dernières années des travaux organisés dans le cadre du programme implicite de l’OMC sur les indications géographiques et des délibérations du Comité permanent du droit des marques, des dessins et modèles industriels et des indications géographiques de l’OMPI, cette diversité dans les systèmes de protection est demeurée même après l’entrée en vigueur des obligations découlant de l’Accord sur les ADPIC qui protègent les indications géographiques telles que définies dans cet accord.
Le système de Lisbonne, tel que conçu par ses fondateurs, s’appuie sur cette souplesse qui caractérise cette diversité.
Mais, ainsi que nous l’avons vu ces deux derniers jours, beaucoup reste à faire.
C’est pour cette raison que l’Assemblée de l’Union de Lisbonne, le mois dernier, a décidé de créer un groupe de travail chargé d’étudier les améliorations qui pourraient éventuellement être apportées aux procédures prévues par l’Arrangement de Lisbonne. La première réunion de ce groupe de travail est prévue en mars 2009. Elle permettra de rassembler des représentants d’États membres de l’Union de Lisbonne et d’autres représentants d’États membres de l’OMPI, en qualité d’observateurs, ainsi que certaines organisations ayant le statut d’observateur auprès de l’OMPI.
Les négociateurs de l’Arrangement de Lisbonne nous ont montré, dès 1958, qu’il était possible de parvenir à un résultat associant admirablement une protection efficace à des exceptions applicables à la carte.
Monsieur le Ministre, c’est avec un plaisir non dissimulé que j’affirme, ici et maintenant, à l’occasion de cette cérémonie commémorative du cinquantième anniversaire de l’Arrangement de Lisbonne, que j’augure bien de l’avenir du système de Lisbonne. Continuons donc à œuvrer en faveur d’un nouveau système de Lisbonne!