Comment la propriété intellectuelle inspire-t-elle les futurs innovateurs aux Philippines?
Les Philippines sont un terrain fertile pour l’innovation, et dans tout le pays, des jeunes utilisent leurs idées pour alimenter un avenir durable en exploitant le potentiel économique de leur propriété intellectuelle, grâce au soutien de leurs systèmes scolaires et de l’Office de la propriété intellectuelle des Philippines (IPOPHL).
L’Académie de l’OMPI a eu l’occasion de s’entretenir avec Lilia Habacon, directrice exécutive du Philippine Science High School System (Réseau d’écoles secondaires à orientation scientifique des Philippines) et Preciosa Medina Bautista, conseillère du Club de la propriété intellectuelle de la Manila Science High School (École secondaire à orientation scientifique de Manille), ainsi qu’avec des inventeurs des deux écoles qui ont reçu conjointement le titre d’Ambassadeur de la propriété intellectuelle de l’OMPI auprès de la jeunesse pour les Philippines.
Le Philippine Science High School System et la Manila Science High School s’adressent à des élèves doués pour les sciences et la technologie, et leur proposent un programme différent de celui de l’enseignement secondaire classique.
Philippine Science High School System
Lilia s’attache à fournir à ses élèves des 16 campus du Philippine Science High School System (PSHS) les moyens d’innover en utilisant les sciences et la technologie pour résoudre des problèmes concrets et répondre aux besoins de la communauté. En tant que directrice exécutive, elle a aidé ses étudiants à déposer des demandes d’enregistrement pour cinq dessins et modèles industriels, sept brevets et 23 modèles d’utilité. Lilia a également été à l’origine de la signature entre le Philippine Science High School System et l’IPOPHL, en 2020, d’un accord visant à favoriser l’utilisation des services de propriété intellectuelle par l’école.
“C’est le jour où l’un de nos élèves a reçu pour la première fois un brevet en 2019 que j’ai commencé à sentir que nous faisions une différence dans leur vie.”
Lilia Habacon, directrice exécutive du Philippine Science High School System
À l’heure actuelle, la propriété intellectuelle est abordée dans le cadre des activités extrascolaires du Philippine Science High School System, mais ne fait pas partie des matières de base du programme d’études. Dans chacun des campus, une personne est chargée de coordonner et de promouvoir une culture de la propriété intellectuelle parmi les élèves, et les écoles organisent des ateliers, des camps d’été et des formations ad hoc sur le sujet, à l’intention de ces derniers et des enseignants.
Lilia travaille en étroite collaboration avec les parents d’élèves, afin de prendre en compte leurs commentaires et propositions sur la manière de favoriser l’innovation chez leurs enfants. Elle s’appuie sur un solide réseau d’anciens élèves de l’école qui contribuent en retour en organisant des ateliers sur leurs domaines d’expertise à l’intention des élèves. L’un de ces anciens est Irving C. Guerrero, le seul praticien internationalement certifié de niveau trois de la théorie de la résolution inventive de problèmes (TRIZ) aux Philippines, qui partage régulièrement son expertise de cette méthode d’innovation avec le PSHS depuis 2017. Lilia propose également des formations aux enseignants de l’école sur la manière d’enseigner l’innovation et la propriété intellectuelle.
“Nous essayons de faire vraiment comprendre à nos élèves à quel point il est important de protéger les idées et les œuvres avant de les présenter au public. Nous nous efforçons d’intégrer la propriété intellectuelle dans le programme d’études, et cela sera complété par notre large éventail d’activités extrascolaires liées à la propriété intellectuelle. Nous voulons avoir un effet concret.”
Lilia Habacon, directrice exécutive du Philippine Science High School System
Lilia espère qu’à la longue, ses efforts auront pour effet de stimuler le développement économique et les possibilités d’emploi pour les générations futures aux Philippines et de freiner la fuite des cerveaux.
“Il n’y a rien de mal pour un Philippin à quitter le pays pour aller travailler à l’étranger, et les envois de fonds sont très appréciés ici, mais cette dynamique crée des défis importants pour la société, dans la mesure où elle sépare les familles pour des raisons économiques. J’espère que la propriété intellectuelle nous permettra de relever ces défis en offrant à nos générations futures des possibilités d’emploi aux Philippines, basées sur leurs innovations et leurs idées créatives.”
Lilia Habacon, directrice exécutive du Philippine Science High School System
En 2015, le Ministère du commerce et de l’industrie des Philippines a offert un financement pour la création d’un Fab Lab (laboratoire de fabrication) au sein du Philippine Science High School System. Lilia est favorable à cette implantation, car le PSHS est déjà membre du réseau Fab Lab. Cette appartenance permet aux élèves d’accéder aux outils disponibles dans les Fab Labs des institutions et universités partenaires, par exemple les imprimantes 3D par laser, pour développer leurs innovations.
S’attaquer à la pollution par les microplastiques avec l’IMAHE
Trois amis et camarades de classe de l’école secondaire Philippine Science High School de Central Visayas se sont associés en dixième année pour inventer un “outil portatif d’évaluation de la qualité de l’eau”, pour lequel ils ont déposé, en 2022, une demande de brevet selon le Traité de coopération en matière de brevets (PCT). En 2021, Josefino Nino O. Ligan (Nino) et David Elijah Corsini C. Atup (David), qui avaient alors 16 ans, retrouvaient régulièrement leur ami Chesyne Danielle Galura Pepito (Chesyne), âgé de 15 ans, pour jouer à des jeux vidéo ou faire du sport, et c’est au cours de l’une de ces rencontres qu’ils eurent l’idée de leur invention. En parlant des débris de matières plastiques qui viennent souvent joncher les plages proches de leur école, ils s’étaient mis à réfléchir à des moyens de résoudre le problème des microplastiques. Sachant que la pollution plastique représente une menace pour la biodiversité dans le monde et pour un grand nombre de familles de leur pays dont la subsistance dépend de la pêche, ils se sont dit qu’il serait utile de disposer d’un appareil portatif, capable de mesurer la quantité de microplastiques présents dans l’eau de mer d’une plage donnée. Après avoir réfléchi à l’idée et consulté leur mentor et leurs professeurs à l’école, ils ont décidé de la développer davantage.
“Aux Philippines, les revenus de nombreux foyers dépendent de la santé des océans, ce qui veut dire que les microplastiques représentent un danger à la fois pour notre santé, pour l’économie et pour l’écosystème.”
Josefino Nino O. Ligan, inventeur de l’IMAHE (Philippines)
Pour créer un appareil capable de compter les microplastiques dans un échantillon d’eau, Nino, Chesyne et David ont utilisé le Fab Lab de leur école. Ils ont même envoyé des échantillons de l’analyse générée par leur appareil à un laboratoire pour qu’il confirme l’exactitude des données. Ils ont passé au total une année à apprendre à coder pour élaborer leur invention, et l’ont perfectionnée au cours de réunions du Club Einstein à leur école. Le Club Einstein se compose d’élèves, d’anciens et d’enseignants qui offrent des services de mentorat aux innovateurs de la Philippine Science High School pour les aider dans leur travail. Le trio a sacrifié ses vacances d’été pour mettre au point son appareil, après quoi ses mentors, M. Ro-Ann S. Laude, leur professeur de physique de neuvième année, et M. Benito Baje, le conseiller du Club Einstein, lui ont fait savoir qu’il était important de breveter leur invention, et ont pris contact pour eux avec un agent de brevets. Cela a finalement abouti au dépôt d’une demande de brevet auprès de l’IPOPHL pour leur outil d’évaluation de la qualité de l’eau, qu’ils ont appelé “IMAHE”.
“IMAHE” est un mot philippin qui signifie “image” et peut être utilisé comme acronyme de la description officielle de l’appareil en anglais : “Image processing device for Micro-plastics Assessment and High-quality Evaluation of water” (dispositif de traitement d’images pour l’évaluation des microplastiques et celle de la bonne qualité de l’eau).
“Ce serait vraiment bien que la propriété intellectuelle fasse partie du programme d’études, car ça permettrait de transmettre des connaissances utiles à quelqu’un qui a des idées ambitieuses pour le pays.”
David Elijah Corsini C. Atup, inventeur de l’IMAHE (Philippines)
La remarquable innovation mise au point par le trio dans le cadre du Club Einstein a attiré l’attention de Lilia, qui les a encouragés à prendre part au Défi de l’innovation des jeunes, organisé chaque année par le Philippine Science High School System. “IMAHE” termina au premier rang et remporta l’or en 2019. La propriété intellectuelle d’IMAHE est protégée en partie par l’école, qui rembourse aux étudiants les dépenses liées au matériel et aux outils et leur apporte un soutien par l’intermédiaire d’un administrateur de licences de technologie, qui les conseille sur la brevetabilité et le succès commercial de leurs inventions. Nino, Chesyne et David espèrent commercialiser l’IMAHE avec l’aide de leur école.
“Nous voulons être certains que l’IMAHE sera économique et abordable, afin d’être accessible dans le monde entier pour faire face à ce problème d’intérêt mondial et, ce qui est encore plus important, pour aider les Philippines à prospérer, car l’environnement a un impact économique sur le pays.”
Chesyne Danielle Galura Pepito, inventeur de l’IMAHE (Philippines)
En attendant, le groupe continuera à travailler sur des innovations favorables à sa communauté. Ses trois membres sont également résolus à améliorer leurs compétences, afin de devenir de meilleurs inventeurs. David veut en apprendre plus sur la programmation en Python, Chesyne espère approfondir ses connaissances des mathématiques et de l’apprentissage automatique, et Josefino travaille au développement de ses capacités en matière de fusion de modèles.
Manila Science High School
Preciosa est la conseillère du Club de la propriété intellectuelle de la Manila Science High School depuis 2015. Elle assure la gestion des activités annuelles du club, et notamment celle de la Foire de la propriété intellectuelle, qui se tient chaque année au mois de septembre. Cette foire donne aux élèves de la Manila Science High School l’occasion de présenter leurs innovations et de prendre part à un séminaire sur la protection de la propriété intellectuelle. L’IPOPHL contribue à la Foire de la propriété intellectuelle de l’école en y envoyant des conférenciers. Au cours de la période qui précède la foire, des campagnes de sensibilisation aux droits de propriété intellectuelle sont organisées à l’école.
La propriété intellectuelle n’est pas inscrite au programme d’études de la Manila Science High School, mais elle est bien présente dans toutes les activités du Club de la propriété intellectuelle. Dans le cadre de ce club, Preciosa travaille avec l’IPOPHL et les parents pour aider les élèves à déposer des demandes de brevet et d’autres formes de protection de droits de propriété intellectuelle. Le club a permis aux élèves de participer à plusieurs compétitions locales et régionales dont le concours Young Intellectual Property Advocates (YIPA) de l’IPOPHL, en 2015, où ils ont remporté la première place, assortie d’un prix de 50 000 pesos philippins. Les élèves du Club de la propriété intellectuelle ont également gagné l’or en 2018 en Malaisie, au Salon de la technologie, et en 2020 au Japon, au Salon du design, de l’idée et de l’innovation de Kyoto.
Preciosa a découvert la propriété intellectuelle à l’occasion d’un séminaire YIPA, en 2014, et décidé peu de temps après de créer un club de propriété intellectuelle à l’école pour donner aux élèves la possibilité d’exploiter tout le potentiel de leur créativité et de leur inventivité. Ce club a vu le jour en 2015, avec trois membres, et s’est développé depuis, pour atteindre plus de 80 membres. Lorsqu’elle n’est pas occupée à diriger le Club de la propriété intellectuelle et à conseiller les élèves dans ce domaine, Preciosa remplit ses fonctions de professeur de sciences physiques et de recherche auprès des élèves de huitième année de l’école. Elle s’efforce également de faire connaître la propriété intellectuelle aux élèves qui ne font pas partie du club, par l’intermédiaire des médias sociaux et en organisant des séminaires et ateliers.
“J’espère encourager d’autres enseignants à créer des clubs de propriété intellectuelle dans leurs écoles, pour apprendre aux générations futures ce qu’est la propriété intellectuelle et quels sont les avantages qu’elles peuvent en retirer. Un grand nombre d’élèves sont inventifs et créatifs, et nous pouvons leur montrer comment utiliser ce qu’ils apprennent au sujet de la propriété intellectuelle, afin de leur permettre de vivre avec une étincelle créative dans leur cœur et leur esprit.”
Preciosa Medina Bautista, conseillère du Club de la propriété intellectuelle de la Manila Science High School
La canne “Multi-Saver” – un pas vers la sécurité sur la voie publique
Yzhae Marrione Capuno Villaruel est une élève de douzième année de la Manila Science High School qui a eu l’idée d’une invention en travaillant sur un projet de recherche scolaire alors qu’elle était en septième année. Deux ans plus tard, en 2020, à l’âge de 15 ans, elle a déposé avec l’aide de ses parents un brevet pour son invention, la canne multifonction “Multi-Saver”.
L’idée d’inventer une canne de marche améliorée est venue à Yzhae parce qu’elle voulait aider sa mère, qui avait régulièrement du mal à traverser les rues en raison de troubles de la vue et d’une perte d’audition résultant d’un lupus. Réalisant qu’une telle canne pouvait également être utile aux personnes âgées, elle a modifié sa première invention pour qu’elle puisse répondre à un plus grand nombre de besoins. Dans sa plus récente version, la canne ergonomique à double fût assure la sécurité des déplacements nocturnes ou par temps de pluie grâce à l’ajout de lumières LED, d’un bouton SOS pour les urgences et d’une fonction parapluie. La canne signale la présence de ses utilisateurs sur la route par mesure de sécurité, afin de permettre aux conducteurs de les éviter, ce qui a pour effet de réduire les risques d’accident. Yzhae a acquis la plupart de ses compétences conceptuelles et techniques de manière autodidacte, en s’inspirant de vidéos YouTube pour apprendre à construire la canne. Après avoir présenté sa canne au Club de la propriété intellectuelle de l’école et participé à son premier concours, Yzhae a décidé de suivre tous les week-ends un cours de programmation robotique qui l’a aidée à corriger et améliorer le dessin de son invention.
Ses parents ont pris en charge le coût des matériaux qu’elle a utilisés pour fabriquer ses prototypes, et son professeur de programmation robotique, Mme Maylyn Enriquez, lui a donné accès aux outils et à l’équipement dont elle avait besoin.
“Le plus gros problème que j’avais à surmonter était de trouver les matériaux et les outils nécessaires, mais mon professeur de programmation robotique m’a permis d’utiliser son laboratoire et ses outils pour que je puisse construire la canne avec les matériaux payés par mes parents. Je n’aurais pas réussi si je n’avais pas eu ce soutien.”
Yzhae Marrione Capuno Villaruel, inventrice (Philippines)
Elle a déposé elle-même sa demande de brevet, qu’elle a ensuite révisée en appliquant les conseils gratuits fournis par le programme d’assistance aux inventeurs de l’IPOPHL. La canne “Multi-Saver” d’Yzhae lui a permis de gagner des médailles d’or dans plusieurs concours, dont RoboRave International en Chine (2019), Japan Design, Ideas and Invention Expo (2020) et World Youth Stem Invention Innovation (2022). À l’occasion de l’un de ces concours, Yzhae a rencontré un investisseur qui lui a recommandé de déposer une demande de brevet pour protéger son invention.
Elle espère commercialiser un jour sa canne à un prix modique et passer un accord avec les autorités locales pour qu’elle puisse être mise à disposition gratuitement, afin d’être accessible à tous ceux qui en ont besoin. Elle a actuellement un investisseur qui l’aidera pour le processus de commercialisation.
“Mon rêve est d’être la ‘Première Philippine’ inventrice de cannes à offrir une canne abordable, durable et multifonctionnelle au public.”
Yzhae Marrione Capuno Villaruel, inventrice (Philippines)
Le processus de développement de la canne ayant demandé beaucoup de temps, Yzhae a dû apprendre à jongler entre ses études, ses activités extrascolaires telles que le Club de la propriété intellectuelle, les formations du week-end, les concours auxquels elle participait et ce projet. Elle a l’intention de continuer à se consacrer aux sciences, qui sont sa matière scolaire préférée, afin de pouvoir un jour faire carrière dans l’aérospatiale, le développement durable ou la robotique, la mécatronique et le génie de l’automatisation.
Les ambassadeurs de la propriété intellectuelle de l’OMPI auprès de la jeunesse pour les Philippines
En reconnaissance de leurs innovations altruistes, Nino, Chesyne, David et Yzhae ont reçu conjointement le titre d’ambassadeurs de la propriété intellectuelle de l’OMPI auprès de la jeunesse pour les Philippines. L’initiative des ambassadeurs de la propriété intellectuelle de l’OMPI auprès de la jeunesse fait partie du service IP4Youth&Teachers. Ce service a été conçu et lancé par l’Académie de l’OMPI en 2018. Son objectif principal est d’inciter les jeunes créateurs à tirer parti de la propriété intellectuelle en faveur de leur communauté et, conjointement avec les autorités nationales, de promouvoir l’utilisation de la propriété intellectuelle auprès des jeunes.
En tant qu’ambassadeurs de la propriété intellectuelle de l’OMPI auprès de la jeunesse, Nino, Chesyne, David et Yzhae feront partie d’un réseau pionnier visant à promouvoir l’importance de la propriété intellectuelle auprès d’autres jeunes innovateurs et créateurs de leur région. Ils bénéficieront également d’une formation sur mesure en matière de propriété intellectuelle, dispensée par le service IP4Youth&Teachers.