WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DECISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Société Accor contre M. Philippe Hartmann

Dossier n° D2001-0007

 

1. Les parties

Le Requérant est la Société Accor, société française, 2 Rue de la Mare Neuve, 91000 Evry, France.

Le Mandataire du Requérant est le Cabinet Wagret, Madame Nathalie Dreyfus-Weil, 19 rue de Milan, 75009 Paris, France.

Le Défendeur est M. Philippe Hartmann, 57 rue Notre Dame des Prés, 10120 Saint André Les Vergers, France.

Le défendeur n’a pas institué de mandataire dans la présente procédure.

 

2. Nom(s) de domaine et unité(s) d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <accorsucks.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est GANDI, 38, rue Notre-Dame de Nazareth, 75034 Paris, France.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI (le Centre), le 3 janvier 2001 par courrier électronique et reçue sur support papier le

17 janvier 2001.

Il a été accusé réception de la plainte le 10 janvier 2001.

Le 10 janvier 2001 une demande de vérification d’enregistrement a été envoyée et la réponse à cette demande a été reçue de l’Unité d’enregistrement Gandi le 11 janvier 2001.

Le 19 janvier 2001 le respect des conditions de forme de la plainte a été vérifié et ladite plainte a été notifiée au Défendeur, en version française et anglaise le même jour, date de l’ouverture de la procédure administrative.

Le 19 janvier 2001 le Centre a indiqué au Défendeur que la réponse pouvait être faite indifféremment en français ou en anglais.

Le 6 février 2001 le Défendeur a fait parvenir sa réponse par courrier électronique, reçue sur support papier le 8 février 2001. A cette même date, il a été accusé réception au Défendeur de sa réponse.

L’Expert unique a accepté sa mission le 18 février 2001 et remis une déclaration d’impartialité et d’indépendance.

Le 21 février 2001 la nomination d’Expert a été notifiée aux parties.

Le litige entre dans le champ d’application des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine et la Commission administrative est compétente pour arrêter une Décision. L’acte d’enregistrement par lequel le nom de domaine, objet de la plainte, a été enregistré implique l’acceptation des Principes directeurs.

Le nom de domaine a été enregistré le 24 octobre 2000.

Dans la mesure où l’Unité d’enregistrement a son siège en France, où les parties sont toutes deux Françaises, où le Défendeur a exprimé sa réponse en français, la Commission, bien qu’il semble que le contrat d’enregistrement ait été conclu en anglais, décide, par application de l’article 11 des Règles, que la procédure doit être conduite en français.

La décision est rendue dans le délai expirant le 8 mars 2001, après un bref délai supplémentaire accordé par le Centre.

 

4. Les faits

La Société Accor est titulaire des marques françaises suivantes :

"ACCOR", N°1.237.864, déposée le 13 mai 1983, renouvelée, pour désigner divers produits et services des classes 16, 35, 39 et 42.

"ACCOR", N°1.513.259, déposée le 28 septembre 1988, renouvelée, pour désigner divers produits et services des classes 5, 9, 8, 11, 18, 21, 24, 25, 28 et 37.

"ACCOR", N°00.30.20.477, déposée le 10 avril 2000, dans la classe 38.

Les deux premières marques désignent particulièrement des biens ou services dans le domaine de l’hôtellerie et de la restauration. La dernière désigne les services de télécommunications et particulièrement une activité dans le réseau Internet, en classe 38.

Le requérant dispose également d’un portefeuille de marques pour divers pays du monde, reproduit en simple liste à l’annexe 4 de la plainte.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine <accorsucks.com> le 24 octobre 2000.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

La Société Accor, Requérant, demande à la Commission administrative de rendre une décision ordonnant que le nom de domaine <accorsucks.com> soit transféré (paragraphe 3, b), x), des Règles).

Au soutien de sa plainte sur le fondement du paragraphe 4 (a) (b) (c) des Principes directeurs et paragraphe 3 des Règles, elle avance les arguments suivants.

- Le nom de domaine <accorsucks.com> est semblable au point de prêter à confusion avec la marque "ACCOR" sur laquelle le Requérant a des droits. L’enregistrement du nom de domaine du Défendeur est constitué de la marque du Requérant à laquelle est ajouté le suffixe "SUCKS". Le simple ajout du terme "SUCKS" à la marque distinctive "ACCOR" est inopérant. De plus, dans le nom <accorsucks.com> l’élément premièrement et immédiatement perçu est le mot "ACCOR" et son utilisation dans le nom de domaine litigieux pourra conduire à faire croire que le Requérant a une relation avec ledit nom de domaine.

- Le Défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime au regard du nom de domaine <accorsucks.com> au motif que : 1. Le Défendeur n’a pas fait d’usage ou de préparatifs démontrés pour l’usage du nom de domaine en cause en relation avec une offre de bonne foi de biens ou de services. 2.Le Défendeur ne fait pas un usage non commercial légitime ou loyal du nom de domaine <accorsucks.com> dans la mesure où ce nom de domaine ne correspond à aucun site actif. Dès lors, il apparaît que le Défendeur a enregistré le nom de domaine pour détourner les consommateurs ou avilir les marques concernées. 3.De plus, la marque "ACCOR" est connue dans le monde entier pour désigner des activités d’hôtellerie et de restauration et est protégée de façon mondiale. En conséquence, le Défendeur ne pouvait pas ignorer l’existence de la marque du Requérant, en sorte que le Défendeur n’a aucun intérêt légitime au regard du nom de domaine <accorsucks.com> qui ne peut que conduire à une perception péjorative des consommateurs. Le public considérera nécessairement qu’il existe un lien entre les hôtels Accor et le nom de domaine, ce qui cause préjudice à la réputation du Requérant.

- Le nom de domaine doit être considéré comme ayant été enregistré et utilisé de mauvaise foi. Le suffixe "SUCKS" est péjoratif et cela cause une atteinte importante à la réputation du Requérant. Dans ces conditions, le Défendeur paraît avoir enregistré le nom de domaine <accorsucks.com> essentiellement dans le but de perturber l’activité du Requérant. De plus, le Défendeur n’a pas répondu aux injonctions du Requérant effectuées par lettre et appels téléphoniques.

B. Défendeur

- Le Défendeur reconnaît dans sa réponse, que le nom de domaine <accorsucks.com> est composé du terme "ACCOR" et ajoute que le suffixe "SUCKS" est généralement utilisé sur Internet pour créer un site d’expression des clients et utilisateurs. Il estime, selon ses propres termes : "que le mandataire du Requérant n’amène (pas) la preuve que sa mission englobe les noms de domaine et qu’il agit sur les instructions de son client, voulant ainsi empêcher la mise en ligne d’un tel site. C’est d’autant plus étonnant que dans ce cas, il aurait suffi qu’il réserve ce nom de domaine. Le défendeur indique que, s’il avait été de mauvaise foi, il aurait décliné dans des enregistrement de noms d’autres possibilités d’ajout au terme "ACCOR" et qu’il n’a simplement déposé le nom <accorsucks.com> qu’en conformité avec une pratique commune sur Internet pour identifier un site d’expressions critiques.

- Le Défendeur fait état de ce que les services du Groupe Accor ne répondent guère aux réclamations; que sur le site officiel de la Société Accor il n’existe pas de rubrique permettant aux clients de faire part de réclamations ou remarques. Il conteste qu’il puisse y avoir confusion entre le site "ACCOR" et le site <accorsucks.com> au motif que ce dernier n’est pas actif. Le Défendeur ajoute que c’est en tant que consommateur et client que lui est venue l’idée légitime de créer un site de réclamation pour rendre service au Requérant en l’obligeant à prendre en compte les remarques des clients pour améliorer ses prestations. Le Défendeur précise que si son site n’est pas actif, (ce qui empêche le Requérant d’établir l’intention de nuire à la marque ou de détourner la clientèle) c’est en raison de ce qu’il a reçu du Requérant une lettre comminatoire de ne pas mettre en œuvre pareil site sous peine de poursuites judiciaires.

- Le Défendeur poursuit qu’il est contradictoire d’accuser le Défendeur de dénigrer la marque et de soulever l’inexistence de site actif et ajoute : "La manière d’agir du requérant laisse à croire qu’il agit pour son propre compte, ou qu’il souhaite empêcher la mise en ligne d’un site d’expression publique d’opinions non contrôlé par son client. Le fait de vouloir créer un site public de réclamation client comme il en existe des centaines sur le web, ne constitue pas un acte de dénigrement de la marque ou du groupe accor, mais seulement un moyen d’expression pour les utilisateurs. Dans ce cas, on ne peut retenir l’aspect péjoratif du terme "sucks", celui-ci étant simplement le suffixe généralement utilisé sur Internet pour ce type de site".

- Enfin, le Défendeur indique que suite à la lettre de mise en demeure du Requérant du 6 novembre 2000, le Défendeur a simplement écrit à la Société ACCOR : "pour lui signifier que, si elle souhaitait acquérir le nom de domaine dans le but de se protéger vis à vis de tiers, le défendeur a fait le travail du cabinet Wagret, et que dans ce cas, il est juste de lui verser les honoraires du cabinet qui a failli à sa mission. Le défendeur a précisé que ceci n’était pas fait dans un but lucratif, et qu’il acceptait l’équivalent des dits honoraires sous forme de bons à valoir dans les hôtels du groupe. En aucun cas le défendeur exerce une activité en rapport avec celle du requérant et en aucun cas celui-ci a pour habitude de déposer des noms de domaine pour les vendre ensuite".

 

6. Discussion et conclusions

Avant de procéder à la discussion du cas qui lui est soumis, la Commission relève , comme les parties l’ont d’ailleurs noté, que l’adjonction du suffixe "sucks" à divers noms a déjà donné lieu à divers litiges traités par des juridictions nationales , et, en nombre significatif, par des commissions administratives du Centre.

Il apparaît, en effet, que dans le langage relâché, essentiellement américain, le verbe "to suck" en forme intransitive (it sucks) signifie "être très mauvais" et que certains sites, créés à l’initiative de tiers, peuvent être dénommés : "xxxxsucks" pour accueillir critiques, protestations ou moqueries à l’encontre d’une entreprise ou d’un organisme dont le nom se trouve affecté, dans un nom de site, du suffixe "sucks" : phénomène du "cybergriping" évoqué dans la Décision OMPI D2000-1104, note 20.

La Commission a donc procédé à une observation attentive de décisions déjà rendues et, notamment :

Wal-mart Stores inc., Décision OMPI D2000-0477 (<walmartcanadasucks.com>, inter alia)

Direct Line Group et alii, Décision OMPI D2000-0583 ( <directlinesucks.com>

Dixons Group PLC, Décision OMPI D2000-0584 (<dixonssucks.com>)

Freeserve PLC, Décision OMPI D2000-0585 (<freeservesucks.com>)

National Westminster Bank PLC, Décision OMPI D2000-0636 (<natwestsucks.com>)

Wal-mart Stores Inc., Décision OMPI D2000-0662 (>wal-martsucks.com>)

Diageo PLC, Décision OMPI D2000-0996 (<guinness-beer-sucks.com> inter alia)

Lockheed Martin Corporation, Décision OMPI D2000-1015 (<lockeedsucks.com> inter alia)

Wal-mart Stores Inc., Décision OMPI D2000-1104 (<wallmartcanadasucks.com>)

McLane Company Inc., Décision OMPI D2000-1455 (<mcleannortheastsucks.com>).

La Commission, en outre, est tenue d’appliquer le paragraphe 15 (a) des Régles qui prévoit que : "La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable". La Commission précise à cet égard, d’une part, que la présente décision constitue la solution d’un cas particulier dans le cadre de la plainte déposée et de la réponse du Défendeur et que la Commission n’a nulle compétence pour traiter en général de la liberté d’expression sur le réseau Internet (v. en ce sens : Décision OMPI D2000-1015, Lockheed Martin corp. Opinion of dissent).

La Commission estime, d’autre part, en raison, notamment, de la nationalité française des parties, établies toutes deux en France, du fait que les marques alléguées principalement sont des marques françaises et que l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux a son siège en France, qu’a titre subsidiaire une approche de droit français peut être utilisée pour la solution du litige.

Le Requérant demande le transfert à son profit du nom de domaine <accorsucks.com>.

Le paragraphe 4 (a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver contre le Défendeur cumulativement que :

(a) Son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits.

(b) Il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

(c) Son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

Identité ou similarité

Le Requérant est titulaire depuis longtemps des marques nominales "accor", en France et à l’étranger, pour désigner, notamment, des produits ou services dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration et, depuis avril 2000, en France, pour désigner des services de télécommunications et spécialement des "services de diffusion d’informations par voie électronique notamment pour les réseaux de communication mondiales (de type Internet)", et ce dans la classe 38 de la classification internationale.

Le Défendeur a enregistré le 24 octobre 2000 le nom de domaine <accorsucks.com>. Le site correspondant n’est pas activé.

En ce qui concerne les produits ou services désignés, la Commission constate qu’il y a stricte identité entre les services revendiqués dans la marque du Requérant du

10 avril 2000 et ceux auxquels font référence de manière directe, implicitement mais nécessairement, les noms de domaine, à savoir une activité de communication électronique. Il est par ailleurs relevé que la marque "accor" jouit, en France notamment, d’une réelle notoriété acquise dans ses prestations d’hôtellerie et de restauration.

En ce qui concerne l’identité ou la similitude des signes eux-mêmes, (accor / accorsucks.com ), il sera tout d’abord estimé, conformément à nombre de décisions déjà rendues, que l’adjonction à un signe nominal de la séquence générique ".com" est inopérante et n’altère nullement la perception du signe objet dudit ajout. Demeure alors la question de la comparaison : "accor" / "accorsucks".

Deux cas paraissent possibles. Ou bien le suffixe "sucks" est compris, dans le sens ci-dessus exposé, par le public susceptible de lire le nom <accorsucks.com>, ou bien ce suffixe, pour le public concerné, n’a pas de sens particulier.

Dans le premier cas d’un public anglophone averti, ou connaissant les pratiques de "cybergriping", le mot "sucks" signifiera un service potentiel de critiques probablement distinct de la personne titulaire de la marque et destiné à accueillir les doléances des mécontents de ladite marque. Le public concerné ne fera donc pas, sans doute, de confusion entre "accor" et "accorsucks" (v. en ce sens Décisions OMPI D2000-1015, Lockheed Martin corp.; D2000-1104, Wal Mart Stores; D2000-1455, Mc Lane Company).

Il demeurera, néanmoins, dans cette situation, que la marque "accor" est totalement reproduite dans la séquence "accorsucks" . Ceci, au regard du droit français, et indépendamment de tout risque de confusion, peut constituer une contrefaçon de marque, par application de l’article L.713-2 du Code français de la propriété intellectuelle qui dispose : "Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire : (a) la reproduction (…) d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que ‘formule, façon, système, imitation, genre, méthode’ (…) pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement".

Toujours au regard du droit français, il ne paraît pas que le Défendeur pourrait alléguer sérieusement l’article L.713-6 du même Code qui indique : "L’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme (…) (b) référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée, à condition qu’il n’y ait pas de confusion dans leur origine", en raison spécialement du dernier alinéa du texte qui ajoute : "toutefois, si cette utilisation porte atteinte à ses droits, le titulaire de l’enregistrement peut demander qu’elle soit limitée ou interdite".

La Commission, par ailleurs, et surabondamment, précisera que l’article L.713-5 du même Code prévoit : "L’emploi d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur s’il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière".

La Commission ajoutera, toujours pour le droit français, que si la question de la licéïté de la parodie de marque est discutée, même lorsqu’il n’y a pas de confusion possible, l’utilisation de la marque de tiers dans l’intention de nuire est fautive et peut engager la responsabilité civile de l’auteur de ladite utilisation (v. TGI Paris, 9 mars 1987, JCP 1988, II, 20957, note Auvret ( aff. BASF) et, sur l’ensemble de la question, P.Tréfigny, L’imitation, contribution à l’étude juridique des comportements référentiels, Coll . CEIPI, PUS, 2000, n° 326, p. 243, note 60).

La Commission conclut que dans le cas où le terme "sucks" serait aisément compris comme potentialité de site critique de la marque "accor", la formule "accorsucks", reprend, sans risque de confusion, intégralement la marque "accor", -et pour des services identiques-, en sorte que le nom de domaine est à cet égard identique à la marque sur laquelle le Requérant a des droits. Par conséquent, l’exigence du paragraphe 4 (a) (i) des Principes directeurs est satisfaite à cet égard, le texte prévoyant le cas où le "nom de domaine est identique (...) à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits". Elle ajoute que le Défendeur, dans le cadre du droit français, ne peut se prévaloir d’une exception tenant à la "référence nécessaire", en raison de la volonté manifestée clairement par le Défendeur de dénigrer les services du Groupe Accor par le truchement d’un site de réclamations auquel pourrait correspondre le nom de domaine litigieux.

Parallèlement à ce qui précède, la commission estime que dans le cas d’un public non anglophone, voire anglophone, mais peu habitué aux expressions familières ou argotiques, bref, d’un public ignorant la signification du mot "sucks" en soi ou pour désigner des sites de "cyberprotestation", la formule "accorsucks" ne signifie rien de plus que l’adjonction à la marque connue "accor" d’un suffixe dénué de sens particulier et, donc est inapte à constituer un "tout indivisible" modifiant globalement la perception de la marque "accor" constituant les deux premières syllabes de la séquence "accorsucks".

Cette situation a déjà été envisagée dans de précédentes Décisions. Par exemple, la Décision OMPI D2000-0636, National Westminster Bank, a indiqué : "Given the apparent mushrooming of complaints sites identified by reference to the target’s name, can it be said that the registration would be recognised as an address plainly dissociated from the Complainant? In the Panel’s opinion, this is by no means necessarily so. The first and immediately striking element in the Domain Name is the Complainant’s name. Adoption of it in the Domain Name is inherently likely to lead some people to believe that the Complainant is connected with it. Some will treat the additional "sucks" as a pejorative exclamation and therefore dissociate it after all from the Complainant; but equally others may be unable to give it any definite meaning and will be confused about the potential association with the Complainant". De même, la Décision OMPI D2000- 0996, Diageo plc, a relevé : "As the Internet extends far beyond the Anglophone world, a more difficult question arises as to whether non-english speaking users of the Internet would be confused into believing that such a site is owned and / or controlled by the Complainant. Because the word ‘sucks’ is a slang word with which all English speakers may not be familiar, this Administrative Panel concludes that there may well be circumstances where Internet users are not aware of the abusive connotations of the word and consequently associate the domain name with the owner of the trademark".

Dans ces conditions, la Commission estime que le public pourra penser que le nom de domaine en litige réfère à un service en relation avec le Requérant et, dès lors, le nom de domaine en cause sera semblable au point de prêter à confusion, à une marque sur laquelle le Requérant a des droits.

Ayant la conviction que le public en général et les internautes en particulier, n’étant pas tous anglophones et/ou avertis du sens du terme "sucks" dans le monde d’Internet, auront, pour certains, plutôt le sentiment que "sucks" est un ajout banal et obscur à la marque "accor" passablement connue et que, dès lors, <accorsucks.com> réfère à un service du Groupe Accor, la commission constate que l’exigence du paragraphe 4 (a), (i) des Principes directeurs est satisfaite.

Droit ou intérêt légitime du Défendeur quant au nom de domaine litigieux

Les élément du dossier ne révèlent pas qu’avant d’avoir eu connaissance du litige, le Défendeur ait utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services ou fait des préparatifs sérieux à cet effet, d’autant que la protestation du Requérant a été faite très peu de temps après l’enregistrement du nom de domaine.

Le Défendeur n’est pas, par ailleurs, connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque identique ou semblable.

Le Défendeur, cependant, paraît exciper de l’exemple fourni au paragraphe 4 (c)(iii) des Principes directeurs visant l’usage non commercial légitime ou loyal du nom de domaine. Le Défendeur dans sa réponse a, en effet, indiqué qu’il a eu l’idée, selon lui légitime, de créer un site de réclamation client sous le nom en cause et a ajouté que "le site n’étant pas actif à l’heure actuelle, le Requérant ne peut démontrer l’intention de nuire à la marque déposée ou de détourner la clientèle". Quelques lignes plus loin, néanmoins, le Défendeur précise que "des consultations ont été engagées" pour rendre le site actif, site dont la mise en ligne n’a été différée qu’en raison des menaces de poursuites émanées du Requérant.

La Commission relève, d’une part, des termes mêmes du Défendeur, que le site sera peut-être activé et que cette activation pourrait alors, a contrario, établir l’intention de nuire à la marque ou de détourner la clientèle. La Commission relève, d’autre part et surtout, que le Défendeur fait état contre le Requérant de reproches de ne pas répondre aux réclamations de consommateurs et de ne pas proposer de "dédommagements pour les désagréments subis". Il apparaît, alors, que le site qui serait créé à l’initiative du Défendeur sous le nom de domaine en cause serait conçu pour être le réceptacle des mécontentements des clients des hôtels Accor. Dans un environnement de droit français et sans doute de manière plus large, la Commission pense que les litiges de consommation entre clients et agents économiques peuvent se régler amiablement inter partes ou par contentieux contractuels judiciaires sans donner lieu nécessairement à exposition sur des sites Internet; que le projet du Défendeur auquel il indique n’avoir pas renoncé (en sorte que le Défendeur fait pour l’heure un "usage" sous forme passive du nom de domaine) ne correspond pas à la teneur du paragraphe 4 (c) (iii) des Principes directeurs :   "usage non commercial légitime ou usage loyal du nom de domaine sans intention (…) de ternir la marque de produits ou de services en cause". 

La Commission, enfin, soulignera quelque contradiction dans la teneur de la réponse du Défendeur qui, d’une part, avance fortement l’idée que son enregistrement

d’<accorsucks.com> pour un site public de réclamation client ne constituait pas un acte de dénigrement de la marque accor mais "seulement un moyen d’expression pour les utilisateurs" et qui, d’autre part, s’est déclaré prêt, quelques lignes plus loin, à rétrocéder au Requérant le nom de domaine litigieux afin que le Requérant  puisse "se protéger vis à vis des tiers", en contrepartie, éventuellement, de "bons à valoir dans les hôtels du Groupe"( v. infra).

La Commission est d’avis, dans ces conditions, que le Défendeur n’a pas de droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

Enregistrement et utilisation de mauvaise foi

La réponse du Défendeur à la plainte, outre ses allégations sur les dysfonctionnements de l’hôtellerie de la société Accor, paraît mettre en doute les pouvoirs de représentation du cabinet de conseil en propriété industrielle, mandataire du Requérant, et reprocher parallèlement audit mandataire de n’avoir pas enregistré, à titre préventif, le nom <accorsucks.com> avant que le Défendeur s’en préoccupe dans les circonstances rappelées plus haut. Il sera dit, sur le premier point, qu’il ne paraît pas sérieusement contestable, dans le cadre de la présente procédure administrative, que le mandat dont le mandataire se prévaut implicitement par le dépôt de la plainte soit valable, car le droit français, applicable à cet égard en raison de la règle locus regit actum, connaît le mandat tacite (article 1985 du Code civil français).

Sur le second point, la Commission n’a aucune qualité pour décider si ledit mandataire aurait du ou non enregistrer <accorsucks.com>, avant que le défendeur ne le fasse, pour éviter que se constitue un site critique contre le Requérant .

La commission note, en revanche, que le Défendeur a indiqué dans sa réponse, in fine : "que suite à la lettre de mise en demeure du Requérant du 6 novembre 2000, le Défendeur a simplement écrit à la société Accor : ‘pour lui signifier que, si elle souhaitait acquérir le nom de domaine pour se protéger vis à vis des tiers, le défendeur a fait le travail du cabinet Wagret, et que dans ce cas il est juste de lui verser les honoraires du cabinet qui a failli à sa mission. Le défendeur a précisé que ceci n’était pas fait dans un but lucratif, et qu’il acceptait l’équivalent desdits honoraires sous forme de bons à valoir dans les hôtels du groupe. En aucun cas le défendeur exerce une activité en rapport avec celle du requérant et en aucun cas celui-ci a pour habitude de déposer des noms de domaine pour les vendre ensuite’".

La Commission en conclut que ce que recherchait le défendeur était en fait la contrepartie, en nature ou en espèce, de ses insatisfactions à l’égard de la société Accor en matière d’hôtellerie, parce qu’il n’avait pas obtenu cette contrepartie de gré à gré et parce que l’enregistrement du nom de domaine <accorsucks.com>, a été effectué essentiellement par dépit pour retrouver ultérieurement une possibilité de pression et de dédommagement excédant les coûts engagés pour l’obtention du nom de domaine, sans véritablement vouloir créer, pour les motifs allégués d’intérêt général, un site d’expression des clients du groupe Accor ( v. en ce sens, Décision OMPI D2000-0662, Wal-Mart Stores inc., in fine).

La Commission estime, en effet, que la demande du Défendeur de se faire allouer, même sous forme de bons à valoir dans les hôtels Accor, l’équivalent des honoraires d’un conseil en propriété industrielle, sans davantage de précision, correspond nécessairement à un montant qui, sans être fatalement très élevé, excède les simples frais engagés pour enregistrer un nom de domaine auprès d’une unité d’enregistrement. Elle ajoute qu’il n’importe pas, pour la circonstance décrite au paragraphe 4 (b) (i) des Principes directeurs, que le Défendeur ait agi dans un but lucratif ou simplement pour obtenir la rémunération de ses diligences ou la couverture d’un préjudice prétendument subi, ni que le Défendeur soit ou non concurrent du Requérant ou ait une pratique habituelle ou non du "cybersquattage".

La Commission constate, alors, au vu de la teneur de la plainte et de la réponse du Défendeur, que l’enregistrement du nom <accorsucks.com> a été effectué de mauvaise foi, au sens du paragraphe 4 (a)(iii) et (b)(i) des Principes directeurs.

Il résulté également du dossier que le nom de domaine litigieux n’a pas fait l’objet d’une exploitation depuis son enregistrement. Des décisions des Commissions administratives ont, cependant, à plusieurs reprises, pu retenir que la détention d’un nom de domaine sans qu’un site actif y corresponde pouvait, dans certains cas, être considérée comme une utilisation de mauvaise foi dudit nom de domaine ( v. Décision OMPI D2000-0003, Telstra et, parmi d’autres, Décision OMPI D2000-0098, Christian Dior Couture). Les circonstances plus haut décrites traduisent le fait qu’en détenant ce nom inactif, en essayant de le monnayer auprès du Requérant, après une mise en demeure de transférer le nom au Requérant, et en ne se manifestant plus jusqu’à la présente procédure administrative, le Défendeur a procédé à une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine en cause.

La Commission administrative conclut que les divers éléments prévus au paragraphe 4 (a) (i à iii) des Principes directeurs sont cumulativement réunis

 

7. Décision

Pour les raisons ci-dessus exposées, la Commission administrative décide que le Requérant a apporté la démonstration que le nom de domaine <accorsucks.com> est identique ou semblable au point de prêter à confusion, aux marques sur lesquelles le Requérant a des droits; que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine en cause ni aucun intérêt légitime qui s’y attache et qu’il a été enregistré et utilisé de mauvaise foi.

En conséquence, conformément au paragraphe 4 (i) des Principes directeurs et 15 des Règles, la Commission ordonne que l’enregistrement du nom de domaine <accorsucks.com> soit transféré au Requérant, la société ACCOR.

 


 

Professeur Christian Le Stanc
Expert Unique

Date: Le 13 mars 2001