WIPO

 

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Société Performances contre M. Michel Elkouby

Litige No. DTV2001-0015

 

1. Les Origines de la Contestation

1.1 Les parties

La requérante est la société Performances, société anonyme de droit français ("la requérante"). Le défendeur est M. Michel Elkouby, personne physique, de nationalité française et résident français ("le défendeur"). A également été attraite dans la présente instance la société Datalan ("la codéfenderesse").

1.2 Le nom de domaine et l’unité d’enregistrement

Le nom de domaine contesté est <rfm.tv>, qui a été enregistré auprès de l’organisme .tv Corporation International, Los Angeles, Californie, Etats-Unis d’Amérique.

1.3 Historique de la procédure et présentation des faits

La société Performances, entreprise de droit français, exploite depuis de nombreuses années le nom commercial "RFM", attaché à une activité de radio dédiée à la musique ("la radio en or"), qu’elle a doublée plus récemment par une chaîne télévisuelle ayant le même objet, abritée par le bouquet Canal Satellite et diffusée par voie numérique. 

Le succès des stations RFM repose sur une sélection de titres français et étrangers des quarante dernières années, devenus pour la plupart des classiques de la chanson.

RFM jouit en France d’une grande notoriété et d’une audience importante, que ce soit auprès de la jeunesse ou des professionnels qui l’utilisent publiquement, dans le cadre de leur commerce.

Elle est classée parmi les premières stations musicales françaises.

La société Performances est propriétaire de plusieurs marques françaises, européennes et internationales comportant le nom "rfm". Les dépôts ont été effectués en septembre 1994, pour la principale marque française, août 1997, pour la marque communautaire et octobre de la même année pour l’extension internationale, notamment dans les classes 9, 16, 35, 38 et 41, c’est-à-dire essentiellement les domaines de la musique, la presse, les services de communication audiovisuelle, l’informatique, la publicité et le divertissement.

En septembre 1999, la requérante a déposé pour les mêmes classes la marque française "RFM TV" ; et en février 2000, elle a déposé le même signe comme marque internationale (OMPI).

Du point de vue des adresses Internet, elle a procédé en 1998, à l’enregistrement du nom de domaine "rfm.fr", mais pas <rfm.tv>. M. Elkouby, de nationalité française, établi en France (chez "Netlan"), a déposé le nom de domaine <rfm.tv> auprès de l’unité d’enregistrement .tv Corporation le 30 octobre 2000.

Le défendeur est également gérant d’une société "Datalan France", spécialisée dans les prestations de service relatives à l’informatique et aux réseaux.

1.4 Le 10 janvier 2001, l’avocat de la requérante, après s’être prévalu tant de la renommée du signe "RFM" que des dépôts de marque susvisés, mettait en demeure M. Elkouby de cesser d’utiliser le terme RFM et l’invitait à transférer à sa cliente la propriété du nom de domaine <rfm.tv>.

Cette mise en demeure ne recevait aucune réponse et le conseil de Performances la renouvelait le 28 février 2001.

1.5 Par plainte en date du 13 juin 2001, dont réception a été accusée par le secrétariat du Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI ("le Centre") le 15 juin 2001, la société Performances a requis le transfert à son bénéfice du nom de domaine <rfm.tv>.

Le 18 juin, la demande de vérification a été formulée auprès de l’unité d’enregistrement, qui a répondu le même jour, livrant les informations qui ont été données plus haut.

Après l’examen formel de la plainte par le Centre et un échange avec le requérant sur la langue à employer dans la procédure, celle-ci a été ouverte et les notifications effectuées le 2 juillet 2001.

1.6 La plainte est assise sur les motifs qui peuvent ainsi être résumés : le signe distinctif "RFM", jouissant d’une grande notoriété dans le domaine de la musique et de la communication, ne saurait être approprié en tant que nom de domaine, y compris en extension ".tv", par le défendeur, qui ne justifie d’aucune activité dans cette spécialité et dont la mauvaise foi, d’ordre parasite, s’infère tant de ce qu’il appartient aux milieux français et ne saurait donc ignorer ce nom commercial, que du silence qui est le sien depuis la mise en demeure qui lui a été adressée.

Les activités de la requérante, de plus en plus tournées vers le numérique, la conduisent à protéger et exploiter les noms de domaine comprenant le terme "RFM".

Le dépôt auprès de Dot TV Corporation fait par le défendeur méconnaît donc ses droits.

1.7 Le défendeur n’a pas répondu à la plainte, alors que la faculté lui en a été laissée, jusqu’au 21 juillet 2001 : la notification faite par le Centre d’arbitrage de l’OMPI lui indiquait, dans le § 6, qu’en cas d’absence de réponse, le défendeur est réputé défaillant et que la Commission peut alors "tirer de votre défaut les conclusions qu’elle estimera appropriées".

Le 25 juillet 2001, le Centre l’informait de ce que conformément aux règles d’application des principes directeurs de l’ICANN, la Commission allait être nommée et déciderait souverainement, en dépit du manquement.

Le 6 août 2001, l’expert unique a été nommé et a notifié le même jour au Centre son acceptation, ainsi que sa déclaration d’impartialité et d’indépendance.

 

2. Recevabilite de la Requete

2.1 A titre préalable, la Commission estime devoir examiner d’office la recevabilité de la mise en cause de la société Datalan, codéfenderesse : M. Elkouby en semble certes être le gérant, compte tenu de l’extrait K bis versé par la requérante, mais cette entreprise n’apparaît en aucune façon dans le processus d’enregistrement du nom de domaine litigieux, chez .tv Corporation. La requérante n’administre pas non plus la preuve de l’implication qui pourrait être celle de cette société, dans l’appropriation ou l’usage du signe.

En conséquence, elle sera mise hors de cause.

 

3. Le Fond de la Contestation

3.1 Cette affaire sera tranchée en application des principes directeurs sur le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine, adoptés par l’ICANN le 26 août 1999, ainsi que par les règles d’application du 24 octobre 1999, et les règles supplémentaires de l’OMPI, en vigueur au 1 décembre 1999.

Du point de vue du droit applicable, les règles matérielles susvisées, suffisent à résoudre le litige. Cependant, conformément à l’art. 15-a des Règles d’application, le droit français est également déclaré compétent, en tant que de besoin, les parties étant toutes deux de nationalité française et la contestation se rattachant étroitement à la France.

La langue retenue sera le français, pour les mêmes raisons.

La commission a pu consulter les pièces produites par la requérante, énumérées dans son bordereau et transmises, par l’intermédiaire du Centre d’arbitrage de l’OMPI.

Le défendeur étant resté muet contrairement à l’invitation d’entamer un débat contradictoire qui lui a été faite à plusieurs reprises, la Commission appliquera l’art. 14 des Règles d’application, relatif au défaut d’une partie.

3.2 Si l’on commence par évoquer le signe revendiqué, il ne saurait d’abord être sérieusement contesté que le terme "RFM", conçu comme antériorité qu’invoque la requérante et appliqué à la communication et au numérique, revêt un caractère distinctif, tant du point de vue des marques que de celui des noms de domaine. L’évocation du nom auprès du public identifie avant tout la personne et les activités de la station musicale.

Le défaut du défendeur ne permet pas de connaître les autres sens plausibles du mot "RFM", aussi bien dans son esprit, lors du dépôt que dans celui du public.

S’agissant de l’extension ".tv", l’on sait que celle-ci correspond à un nom de domaine géographique, Tuvalu, île située dans l’océan Pacifique, mais également que l’enregistrement auquel il est fréquemment procédé, auprès d’une unité basée au Canada, loin de correspondre à une extension nationale, est pris par nombre de déposants, compte tenu de son extrême équivoque, comme un rattachement au domaine de l’audiovisuel, de la communication et du numérique.

Plusieurs décisions étatiques ou arbitrales ont déjà eu l’occasion de le souligner.

3.3 L’art. 4-a des Principes directeurs énonce trois conditions pour mettre en œuvre une procédure à l’encontre d’une personne ayant déposé un nom de domaine, dans des conditions qui seraient illicites : qu’il soit "identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits" ; que le défendeur n’ait "aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache" ; que ce nom ait été "enregistré et (soit) utilisé de mauvaise foi".

Ces trois conditions préalables à une éventuelle radiation ou à un transfert sont cumulatives et il appartient au requérant d’administrer la preuve qu’elles sont réunies. On peut noter qu’elles se recoupent (surtout les deux dernières) et que la troisième est déterminante.

La commission examinera d’abord le risque de confusion (1), puis la question de la mauvaise foi (2), les deux conditions de l’absence d’intérêt légitime et de la mauvaise foi pouvant être abordées de front.

Risque de confusion

3.4 La marque "RFM" jouit, ainsi qu’il a déjà été relevé, d’une forte renommée. C’est un fait incontestable, au moins en France.

Comme les principales radios musicales d’importance, RFM a basculé ses activités de diffusion dans le domaine du numérique  en créant son site Internet ou en faisant abriter sa chaîne par Canal Satellite.

C’est avec cette notoriété dans le domaine de la communication, de la musique et du numérique, que le défendeur risque d’entretenir une confusion par l’appropriation du nom de domaine <rfm.tv>.

En toute hypothèse, la commission remarque qu’il s’agit d’apprécier une "probabilité de confusion" et non de vérifier une confusion avérée. Et que le dommage subi par la partie plaignante, à supposer qu’il soit requis, ne doit pas non plus être nécessairement actuel, mais probable.

Mauvaise foi

3.5 Le point essentiel est de déterminer si le dépôt a été effectué de mauvaise foi. Celle-ci peut se définir comme la conscience, chez un sujet de droit, qu’il se place par son action dans une situation illicite, de nature à porter atteinte à une valeur sociale ou à causer un dommage à autrui.

C’est une notion psychologique, qui repose dans le for intérieur de la personne à laquelle on l’impute, de sorte que pour en administrer la preuve, s’agissant d’un fait juridique, le demandeur est en droit d’utiliser tous les éléments probatoires pertinents, au premier rang desquels les indices et présomptions.

L’art. 4-b des Principes directeurs livre des indications sur les principaux cas de mauvaise foi : c’est celui où le défendeur aura enregistré le nom de domaine dans le but de le revendre au requérant, ou de l’empêcher de transposer sa marque dans les noms de domaine (ce qui revient pratiquement au même), ou encore, afin de désorganiser son entreprise et susciter une confusion dans l’esprit du public.

Cette mauvaise foi s’apprécie normalement au moment du dépôt. Les Principes directeurs prévoient qu’il doit y avoir également une "utilisation" de mauvaise foi, de sorte qu’il existe une continuité dans l’élément psychologique du manquement et que c’est à nouveau une exigence cumulative qui est opérée.

L’utilisation du nom de domaine ne sera pas nécessairement l’ouverture et l’exploitation d’un site comportant ce signe. On peut la définir comme tout comportement par lequel le déposant use du nom de domaine, activement ou de toute autre manière. Ce qui comprend le cas où le déposant oppose un silence obstiné aux mises en demeure faites par un titulaire de droit de marque ayant dûment justifié de ses prérogatives, de procéder à la radiation ou au transfert.

3.6 Deux séries d’éléments d’appréciation ont été utilisés par la commission.

- En premier lieu, il est clair que le défendeur, qui a persisté à se montrer silencieux, en dépit des invitations qui lui ont été faites, ne prouve pas (preuve qu’il est le seul à pouvoir administrer), par toutes pièces justificatives, qu’il ait eu la volonté réelle et sérieuse de créer et d’exploiter un site portant le nom contesté.

- En deuxième lieu, il faut souligner que le défendeur est de nationalité française, établi en France, de sorte que compte tenu de la renommée de RFM, il serait peu réaliste de présumer, a fortiori en l’absence d’explications de sa part, une ignorance excusable de l’appropriation préalable de ce signe par autrui.

Le fait qu’il n’ait entrepris aucune démarche positive, de création d’un site ou de prise de contact avec la requérante, afin de monnayer le nom déposé, pourrait certes être tenu pour un silence équivoque, non productif de contrainte à son encontre.

Cependant, l’absence complète de réaction, sur une période de plus de six mois, tant aux mises en demeure à lui adressées par la requérante qu’aux notifications effectuées par le Centre, rend ce comportement non ambigu et pouvant être interprété contre lui.

Alors que la procédure de l’ICANN et de l’OMPI étant rapide et non onéreuse, toute personne physique ou morale est à même de se défendre, si elle l’entend, dans de bonnes conditions.

On ajoutera que les déposants de mauvaise foi connaissent en général très bien les textes applicables et la jurisprudence étatique ou celle des Commissions administratives mises en place par le Centre d’arbitrage de l’OMPI, dont les décisions sont mises en ligne sur le site de celle-ci.

3.7 La Commission, faisant la balance des éléments pour et contre la décision de transfert, retient que le défendeur était bien de mauvaise foi dès le jour du dépôt et qu’il n’existe aucune raison plausible pour que cet état d’esprit se soit mué en bonne foi, en cours d’utilisation, alors que son absence de réaction aux notifications diverses a été constant.

Le défendeur, par son défaut, n’établit pas non plus remplir les autres motifs d’intérêt légitime énoncés par l’art. 4-c des Principes directeurs, parmi lesquels le fait d’être déjà connu pour ses activités sous le nom de domaine litigieux, ou d’en avoir déjà fait un usage non commercial légitime.

La requérante, titulaire de marques antérieures au nom de domaine litigieux et qui jouit du nom de domaine "rfm.fr", ne peut plus se faire attribuer le nom de domaine <rfm.tv>, occupé par le défendeur, ce qui est de nature à lui causer un dommage pour son expansion dans le domaine de l’audiovisuel et du numérique.

L’utilisation par le défendeur du nom de domaine <rfm.tv>, constitue l’occupation illicite des différentes marques "RFM", dont la requérante est propriétaire et se trouve reproduit de façon servile l’élément essentiel.

La mesure de transfert forcé du nom de domaine litigieux sera, dans ces conditions, ordonnée.

 

4. Decision de la Commission Administrative

Vu les articles 4 i) des Principes directeurs, 14 et 15 des règles d’application, la commission administrative décide :

- La société Datalan est mise hors de cause ;

- Pour les raisons énoncées dans les motifs, faisant corps avec le dispositif, qui établissent le dépôt abusif et de mauvaise foi par le défendeur du signe litigieux, le nom de domaine <rfm.tv> doit être transféré à la société requérante, selon les modalités et la procédure prévues par les Principes directeurs de l’ICANN.

 


 

Pierre-Yves Gautier
Expert unique

Date : 21 août 2001