Centre d’Arbitrage et de Médiation de l’OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF) c. Paco Elmudo
Litige No. D2002-1079
1. Les parties au litige
La requérante est la Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF), 34 rue du Commandant Mouchotte, 75014 Paris, France.
La requérante est représentée par Maîtres Marie-Hélène Tonnellier et Guillaume Teissonnière, Latournerie Wolfrom & Associés, Avocats au Barreau de Paris, 164 rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris, France.
Le défendeur est Monsieur Paco Elmudo, 30 avenue Maréchal Craveiro Lopes, 95555 Lisbonne, Portugal.
2. Le nom de domaine et l’unité d’enregistrement
Le nom de domaine litigieux est <wwwvoyages-sncf.com>.
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine litigieux a été enregistré est la SARL Gandi.
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 26 novembre 2002, par courrier électronique, et reçue sur support papier le 29 novembre 2002, conformément aux Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après désignés "les Principes directeurs") adoptés et publiés par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN).
L’OMPI a accusé réception de la plainte le 28 novembre 2002.
Le même jour, le Centre a adressé la requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la requérante. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 28 novembre 2002.
Le 29 novembre 2002, le respect des conditions de forme de la plainte a été vérifié et la notification de ladite plainte valant ouverture de la présente procédure administrative a été adressée au défendeur par courrier privé et courrier électronique. Ce courrier électronique a également été transmis au "postmaster" du nom de domaine contesté ainsi qu’aux adresses et liens de messagerie électronique figurant sur la page Web active <monde-voyage.com> vers laquelle le nom de domaine litigieux pointait alors (Annexes 5 et 6 du dossier remis au soussigné par le Centre).
Le défendeur n’ayant pas communiqué de réponse, le Centre a adressé aux parties la notification d’un défaut du défendeur en date du 20 décembre 2002. En ce qui concerne ce dernier, ladite notification s’est effectuée par courrier électronique à son adresse électronique ainsi qu’aux adresses suivantes : postmaster@wwwvoyages-sncf.com, alexis@monde-voyage.com, info@monde-voyage.com, partenariat@monde-voyage.com, presse@monde-voyage.com, webguide@monde-voyage.com et webmaster@monde-voyage.com.
Un dénommé "Alexis" du "Monde du Voyage" a répondu le même jour au Centre, relativement à cette notification de défaut, en l’interrogeant sur le rapport existant entre son Site Web "Monde du Voyage" et <wwwvoyages-sncf.com> qui ne lui appartenait prétendument pas et qui redirigeait sur le site "alltheweb.com" (Annexe 8 du dossier transmis par le Centre).
Par courrier électronique du 23 décembre 2002, au Centre, le représentant de la requérante a précisé à ce propos qu’il tenait à disposition du Monde du Voyage un exemplaire papier de sa plainte et des pièces jointes; que le "re-routage" opéré à partir de l’adresse <wwwvoyages-sncf.com> vers un site localisé à l’adresse "www.alltheweb.com" ne modifiait aucune de ses demandes, ni aucun de ses griefs soulevés dans sa plainte à l’encontre du défendeur; qu’en effet, les re-routages étaient administrés par le détenteur du nom de domaine (déclaré sous le nom du défendeur) et pouvaient être modifiés à tout moment; qu’en tout état de cause, une telle manœuvre ne faisait que confirmer l’utilisation illégitime, sans droit et de mauvaise foi, du nom de domaine <wwwvoyages-sncf.com> en violation directe des marques, propriété de la requérante; qu’il tenait enfin à indiquer que la plainte notifiée à l’adresse déclarée par le défendeur lui avait été réexpédiée pour les raisons suivantes : le numéro de l’avenue indiquée n’existe pas à Lisbonne, le numéro de téléphone donné est celui de l’hôtel Radisson situé à Lisbonne et qu’à ce titre la société expéditrice avait pris soin, avant de retourner l’envoi, de vérifier auprès de cet hôtel qu’aucun de ses clients n’était connu sous le nom du défendeur.
A ces deux dernières communications, le Centre a répondu le même jour que les Règles d’application des Principes directeurs (ci-après désignées "les Règles") prévoient le dépôt d’une plainte par le requérant et d’une réponse par défendeur sans qu’aucune clause desdites Règles ne régisse le dépôt d’une plainte ou d’un document supplémentaire, sauf en réponse à une notification d’irrégularité ou sur la demande du Centre ou de la commission administrative. Le Centre informait les parties que la commission administrative, une fois nommée, serait informée de la situation, à charge pour elle de décider comment traiter cette question (Annexe 10 du dossier transmis par le Centre).
Le 9 janvier 2003, le Centre a notifié la nomination de l’expert unique aux parties après que ce dernier eut déclaré son acceptation, impartialité et indépendance vis-à-vis des parties, le 8 janvier 2003.
Le 9 janvier 2003, l’ensemble des pièces du présent litige a été adressé à la Commission administrative constituée de l’expert signataire des présentes, lequel a rendu sa décision dans le délai imparti.
4. Les faits
La requérante est titulaire des marques suivantes :
- la marque française "SNCF" enregistrée sous le No. 1 314 288, le 27 juin 1985, en classes 6, 7, 12 et 39 et renouvelée le 22 juin 1995 (Annexe 3, Pièce No. A-1 de la plainte);
- la marque française "SNCF" enregistrée sous le No. 93 466498, le 30 avril 1993, en classes 12, 16, 18, 25, 28, 35, 39 et 42 (Annexe 3, Pièce No. A-2 de la plainte);
- la marque française "SNCF" enregistrée sous le No. 00 3 066 781, le 24 novembre 2000, en classes 9, 35, 38 et 41 (Annexe 3, Pièce No. A-3 de la plainte);
- la marque française semi-figurative "voyages-sncf.com"; cette marque enregistrée a été déposée par la SNCF le 11 juin 2001, sous le numéro de dépôt 01 3104791 et vise l’exploitation de produits et services dans les classes 09, 35, 38, 39 et 42 (Annexe 3, Pièce No. A-4 de la plainte).
Ces marques sont utilisées par la requérante dans le cadre de son activité de transporteur ferroviaire.
La requérante utilise la marque "voyages-sncf.com" pour localiser le site marchand de la SNCF situé à l’adresse URL "http://www.voyages-sncf.com" et exploité par une filiale de la SNCF dénommée <voyages-sncf.com> (Annexe 3, Pièce No. B-1 de la plainte).
La requérante a également déposé le nom de domaine <voyages-sncf.com> le 16 mai 2000 (Annexe 3, Pièce No.C-1 de la plainte). Les noms de domaine <voyages-sncf.net> et <voyages-sncf.org> ont également été enregistrés par la SNCF le 21 décembre 2001 (Annexe 3, Pièce No.C-2 et C-3 de la plainte).
Selon un article paru dans le "Journal du net" du 23 juillet 2002, le site
"www.voyages-sncf.com" consacré à l’univers du voyage constitue l’un des principaux sites marchands du marché français du commerce électronique (Annexe 3, Pièce No. D-1 de la plainte).
5. Argumentation des parties
A. Requérante
La requérante expose en droit ce qui suit :
1. Le nom de domaine est identique, ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant à des droits.
Le nom de domaine <wwwvoyages-sncf.com> reprend à l’identique la marque et le nom de domaine <voyages-sncf.com> auxquels sont simplement ajoutés le préfixe "www". A ce titre, la jurisprudence du Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI estime, de façon constante, que l’adjonction des lettres "www" devant la marque d’un plaignant ne peut conférer au nom de domaine litigieux le moindre caractère distinctif, une telle adjonction étant insuffisante pour éviter le risque de confusion (Infospace.com, Inc v. registrar Administrator Lew Blanck, Litige OMPI No. D2000-0069; Il Sole 24 ORE S.p.A. v. Host Master, Litige OMPI No. D2002-0233; La Française des Jeux v. Welsr, Litige OMPI No. D2002-0305). La raison d’être de l’enregistrement du nom de domaine est justement de profiter de la confusion qui pourrait naître, dans l’esprit des internautes, de la proximité de l’orthographe de ce nom de domaine avec la marque et le nom de domaine du plaignant (Infospace.com, Inc. v. registrar Administrator Lew Blanck, Litige OMPI No. D2000-0069).
2. Le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.
Le nom de domaine litigieux redirige les internautes vers les pages d’un site Web dénommé "Monde du voyage", localisées à l’adresse URL "http://www.monde voyages.com/meilleurs_sites.html". Ce site est un concurrent direct du site marchand de la requérante (des offres de billets d’avions, de réservations de nuits d’hôtel ou de location de voiture y sont disponibles). Des informations ferroviaires sont également disponibles sur ce site. En outre, ce site est affilié à diverses agences de voyage en ligne concurrentes du site de la requérante, telles que les agences Karavel, Promovacances.com ou Govoyages et renvoie, par liens hypertextes, vers les sites marchands de ces sociétés (Annexe 3, Pièce No. F-1 de la plainte).
La requérante n’a conféré aucun droit d’utilisation de sa marque ou de son nom de domaine <voyages-sncf.com> au défendeur ou aux responsables du site Web "Monde du voyage" vers lequel le nom de domaine litigieux renvoie.
L’enregistrement du nom de domaine litigieux par le défendeur vise uniquement à profiter d’une erreur de frappe de l’internaute (omission du point entre le préfixe "www" et le radical "voyages-sncf") pour le dérouter du site de la SNCF sur lequel il souhaite aller. Cette utilisation du nom de domaine litigieux caractérise une exploitation commerciale réalisée dans des conditions déloyales visant à détourner les internautes du site Web de la plaignante.
Aucun intérêt légitime ne peut justifier l’enregistrement et l’utilisation d’un tel nom de domaine.
3. Le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi car :
- en enregistrant le nom de domaine litigieux, le défendeur avait nécessairement à l’esprit les marques et le nom de domaine de la requérante, exploités pour localiser l’un des plus importants sites marchands français;
- ce nom de domaine a pour seul objectif de capter le trafic des internautes souhaitant se connecter au site de la requérante, mais commettant une erreur de frappe pour les rediriger vers le nom de domaine litigieux;
- l’enregistrement de ce nom de domaine et l’utilisation qui en est faite traduisent l’intention délibérée du défendeur d’attirer les utilisateurs de l’Internet, à leur insu, sur un site Web qu’ils n’auraient pas visité sans avoir commis une erreur de frappe sur le nom de domaine de la plaignante. Le site Web sur lequel sont redirigés les internautes étant un site directement concurrent du site de la requérante, de tels actes ont également pour conséquence de perturber gravement ses opérations commerciales de la requérante; en effet, cet acte de "redirection" constitue un détournement manifeste de clientèle qui est d’autant plus préjudiciable à la requérante que la confusion provoquée par l’exploitation du nom de domaine litigieux est susceptible de faire croire aux internautes détournés qu’en accédant au site "monde-voyage.com" (sur lequel figurent notamment des informations ferroviaires), ils se trouvent sur un site officiel de la SNCF, alors qu’ils se trouvent en réalité sur un site concurrent.
La requérante conclut dès lors que l’enregistrement et l’utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux par le défendeur sont amplement caractérisés.
La requérante demande à la commission administrative de lui transférer le nom de domaine <wwwvoyages-sncf.com>.
B. Défendeur
Le défendeur n’a pas fourni de réponse à la plainte.
6. Discussion
A. Procédure
i) Langue
Sera préalablement évoquée la question de la langue de la procédure soulevée par la requérante dans sa plainte (p. 6), laquelle est soumise en langue française.
La requérante explique que l’unité d’enregistrement, la société Gandi, ayant contracté avec le défendeur, propose à ses clients une version française et anglaise du contrat d’enregistrement, sans préciser dans ses conditions générales si une des versions (française ou anglaise) prévaut sur l’autre.
Ladite société a en effet informé le Centre, le 28 novembre 2002 (Annexe 3 du dossier transmis par le Centre), que son site est disponible en anglais et en français et qu’elle n’était pas en mesure de préciser la langue qui avait été choisie lors de l’enregistrement du nom de domaine en question.
La requérante justifie son choix de la langue française en raison du faisceau d’indices suivants : le nom de domaine litigieux a été déposé auprès d’une unité d’enregistrement française; il vise à parasiter celui de la requérante qui est un établissement public industriel et commercial français ayant une activité s’exerçant, quasi-exclusivement, sur le territoire français; il redirige les internautes vers un site Web français dédié à l’univers du voyage <monde-voyage.com> qui, concurrent direct du site Web marchand de la requérante, est rédigé en français et s’adresse aux internautes français. Pour la requérante, ces critères établissent à l’évidence que le défendeur, qui dirige l’ensemble des actes d’administration et d’exploitation du nom de domaine litigieux vers la France, maîtrise la langue française; il existe en conséquence une forte présomption pour que le contrat d’enregistrement ait été conclu en français.
Comme le souligne en droit la requérante, le paragraphe 11 des Règles régit la langue de la procédure. Son alinéa (a) dispose que "Sauf convention contraire entre les parties ou stipulation contraire du contrat d’enregistrement, la langue de la procédure est la langue du contrat d’enregistrement; toutefois, la commission peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative".
Les précédents montrent que les commissions administratives ont une certaine latitude à cet égard, prenant compte notamment l’état d’avancement de la procédure et le désavantage d’une partie à suivre une procédure dans une langue étrangère (cf. Adecco S.A. v. XXXXXX (Registrant ID C953978-LRMS), Litige OMPI No. D2002-0106; Novartis AG v. Oscar Tejero, Litige OMPI No. D2001-1336), le caractère bi-lingue de l’espace Web de l’unité d’enregistrement, la langue de correspondance des parties, la maîtrise des langues par la commission administrative et la volonté du défendeur de transférer le nom de domaine au requérant (cf. Yahoo! Inc. v. Yahoosexy.com, Yahoo-sexy.com, Yahoosexy.net, Yahousexy.com and Benjamin Benhamou, Litige OMPI No. D2001-1188), ou encore la langue adoptée avant la mise en œuvre de la procédure administrative (Desco Von Schultess AG v Daniel Fernandez, Litige OMPI No. D2001-1140).
Le cas d’espèce doit être rapproché de l’affaire Société Air France SA c. Paco Elmudo, Litige OMPI No. D2002-0996, dont le soussigné a eu à connaître, laquelle la question se posait dans des circonstances pratiquement similaires qui impliquait le même défendeur.
L’expert unique, par identité de motifs, retiendra le caractère bi-lingue de l’espace Web de l’unité d’enregistrement ainsi que l’allégué de la requérante, non contesté, selon lequel le défendeur est francophone dans la mesure où ce dernier a utilisé le nom de domaine litigieux pour effectuer un renvoi vers le site Web en français <monde-voyage.com>, pour juger que la langue de la procédure est bel et bien le français.
ii) Plainte et/ou document(s) additionnels
En application du paragraphe 2(a)(ii) des Règles, le Centre a notifié la plainte non seulement à l’adresse électronique du défendeur (cf. supra 3) mais aussi au postmaster du nom de domaine litigieux ainsi qu’aux adresses et liens de messagerie électronique figurant sur la page Web active <monde-voyage.com> vers laquelle <wwwvoyages-sncf.com> pointait alors; et de même pour la notification de défaut du défendeur, ce qui a provoqué la réaction du propriétaire du site Web <monde-voyage.com> ainsi que la prise de position de la requérante, telles que décrites plus haut (supra 3).
Ainsi que l’a correctement relevé le Centre dans sa communication du 23 décembre 2002, aux parties, les Règles ne traitent pas le dépôt d’une plainte ou d’un document supplémentaire, sauf en réponse à une notification d’irrégularité, dans la mesure prévue par le paragraphe 4(b) des Règles, ou encore sur la demande du Centre ou de la commission administrative, selon le paragraphe 12 des Règles.
L’expert unique constate que la requérante n’a pas, formellement parlant, requis que la plainte fût notifiée au(x) représentant(s) dûment autorisé(s) du site Web <monde-voyage.com>. La question d’une éventuelle plainte supplémentaire ne se pose dès lors point.
Demeure dès lors la communication de la requérante du 23 décembre 2002, évoquée plus haut (supra 3; Pièce 8 du dossier transmis par le Centre), du moins pour les informations (supplémentaires ou nouvelles) qu’elle contient.
Sur ce dernier point, l’expert unique considère qu’il est à même de rendre une décision sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les informations supplémentaires transmises par la requérante en date du 23 décembre 2002.
B. Fond
Le paragraphe 15(a) des Règles prévoit que "la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément au Principe directeur aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu’elle juge applicable".
Au demeurant, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant de prouver contre le défendeur cumulativement que :
i) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le requérant a des droits;
ii) il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache; et
iii) son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
En conséquence, il y a lieu de s’attacher à répondre à chacune des trois conditions prévues par le paragraphe 4(a) des Principes directeurs.
i) Identité ou similitude au point de prêter à confusion
La requérante a établi détenir des droits à titre de marques sur la marque française "SNCF" et, qui plus est, sur celle semi-figurative "voyages-sncf.com" (cf. Annexes 3, Pièces No. A et B de la plainte) dont la notoriété est établie (cf. par exemple Annexe 3, Pièce No. D-1 de la plainte).
L’expert unique relève, comme dans le litige OMPI No. D2002-0996 évoqué plus haut (supra 6.A (ii) ) et de même que l’a souligné à juste titre la requérante dans la présente cause, que de nombreuses commissions administratives ont jugé, de manière concordante et desquelles il n’y a pas lieu de s’écarter, que l’ajout du préfixe "www" à une marque n’est pas de nature à éviter le risque de confusion (InfoSpace.com v. Registrar Administrator Lew Blanck, Litige OMPI No. D2000-0069; Google, Inc. v. wwwgoogle.com and Jimmy Siavesh Behain, Litige OMPI No. D2000-1240; Microsoft Corporation v. Stoneybrook, Litige OMPI No. D2000-1274; Bayer Aktiengesellschaft v. Yongho Ko, Litige OMPI No. D2001-0205; NIKE, Inc. v Alex Nike, Litige OMPI No. D2001-1115).
En conséquence, il y a lieu de considérer que le nom de domaine <wwwvoyages-sncf.com> est identique à la marque "SNCF" et plus clairement encore à la marque "voyages-sncf.com" détenue et exploitée par la requérante.
ii) Droit ou intérêt légitime du défendeur sur le nom de domaine
Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs prévoit une liste non-exhaustive de circonstances qui, si la Commission considère les faits comme établis au vu de tous les éléments de preuve présentés, la preuve des droits du défendeur sur le nom de domaine ou de son intérêt légitime qui s’y attache peut être constituée. Ces circonstances sont les suivantes :
i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;
ii) le défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou
iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.
Le défendeur, en ne répondant point à la plainte, n’a pas fait valoir une des circonstances qui auraient pu établir, à teneur du paragraphe 4(c) des Principes directeurs, ses droits sur le nom de domaine ou un intérêt légitime qui s’y attache.
Cela permet dès lors à la Commission administrative d’en tirer les conclusions qu’elle juge approprié selon le paragraphe 14(b) des Règles (cf. Talk City, Inc. v. Michael Robertson, Litige OMPI No. D2000-0009; Isabelle Adjani .v. Second Orbit Communications, Inc., Litige OMPI No. D2000-0867).
Il ressort des éléments du dossier - en l’absence de preuves du contraire - et ainsi que l’a relevé la requérante que le défendeur n’a aucun droit de propriété intellectuelle ou autre sur les marques "SNCF" et "voyages-sncf.com", ni n’a obtenu une quelconque autorisation pour les exploiter à titre de nom de domaine.
De plus et en l’absence de preuves contraires, le défendeur n’est pas connu sous le nom de domaine en question, ni ne fournit de services ou n’a de relations commerciales avec la requérante.
En conséquence, l’expert unique considère que l’existence d’un droit ou intérêt légitime du défendeur à la détention du nom de domaine <wwwvoyages-sncf.com> n’est pas établi.
iii) Enregistrement et utilisation de mauvaise foi
Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs prévoit une liste non-exhaustive de circonstances qui, pour autant que leur réalité soit constatée par la commission administrative, établissent la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Une telle preuve est donnée par l’une des circonstances ci-après :
i) les faits montrent que le défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine;
ii) le défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique;
iii) le défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou
iv) en utilisant ce nom de domaine, le défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.
L’expert unique ne voit aucune circonstance exceptionnelle au sens du paragraphe 14(a) des Règles qui n’aura pas permis au défendeur de respecter le délai de réponse fixé. Deux conclusions peuvent être tirées : le défendeur ne conteste pas les faits allégués par le requérant ni ne s’oppose aux conclusions qu’il tire desdits faits.
La Commission administrative a néanmoins le devoir de déterminer lesquels des allégués sont établis en fait et si les conclusions soumises par les requérants peuvent être tirées desdits faits Litige (cf. Harvey Norman Retailing Pty Ltd v. Oxford-University, Litige OMPI No. D2000-0944).
L’expert unique fait sien l’allégué de la requérante d’après lequel le défendeur a procédé à l’enregistrement de mauvaise foi du nom de domaine incriminé. Il ne fait aucun doute, vu le caractère notoire des marques "SNCF" et "voyages-sncf.com" (cf. Annexes 3, Pièces No. A et B et Annexe 3, Pièce No. D-1 de la plainte) que le défendeur connaissait ou aurait du connaître celles-ci au moment de l’enregistrement du nom de domaine incriminé.
S’agissant de l’utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux, l’expert unique considère que le comportement du défendeur, tel qu’abondamment décrit par la requérante dans sa plainte et non contesté par sa partie adverse, est constitutif de mauvaise foi au sens du paragraphe 4(b)(iv) des Principes directeurs.
Plus généralement encore, il y a lieu de qualifier le comportement du défendeur de mauvaise foi au sens général du paragraphe 4(b) des Principes directeurs dans la mesure où ce dernier utilise des méthodes dont il est coutumier (cf. litige OMPI No. D2002-0996 précité).
En conséquence, la présente commission administrative, appréciant souverainement les faits au regard des éléments qui lui sont rapportés et des pièces versées aux débats, ordonnera le transfert du nom de domaine <wwwvoyages-sncf.com> au profit de la requérante.
7. Décision
Pour les raisons ci-dessus exposées, la Commission administrative décide que la requérante a apporté la démonstration que le nom de domaine <wwwvoyages-sncf.com> est identique à la marque sur laquelle la requérante a des droits, que le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache et que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
En conséquence, conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission ordonne que l’enregistrement du nom de domaine <wwwvoyages-sncf.com> soit transféré à la requérante.
Christophe Imhoos
Expert Unique
Date : Le 23 janvier 2003