WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

Euro-Information contre Skiwebcenter

Litige n° DFR2004-0001

 

1. Les parties

Le requérant est la société française Euro-Information, Strasbourg, France, représentée par Meyer & Partenaires, conseils en propriété industrielle.

Le défendeur est la société française Skiwebcenter, Beaurains, France.

 

2. Nom de domaine et prestataire internet

Le nom de domaine contesté est <cybermut.fr>, enregistré en date du 19 mai 2004.

Le prestataire internet auprès duquel le nom de domaine a été enregistré est le défendeur, Skiwebcenter.

 

3. Rappel de la procédure

La plainte du requérant, régie par le Règlement sur la procédure alternative de résolution de litiges du ‘.fr’ et du ‘.re’ par décision technique, ci-après Le Règlement, a été reçue par le Centre le 2 juillet 2004.

Elle a été notifiée par le Centre au défendeur le 9 juillet 2004 par messagerie électronique, télécopie et par poste/messagerie.

L’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération, ci-après L’AFNIC, a confirmé l’ensemble des données relative au nom de domaine litigieux en date du 10 juillet 2004.

Une notification de défaut du défendeur a été adressée par le Centre aux parties le 2 août 2004.

L’expert était désigné par le Centre le 6 août 2004. L’expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

 

4. Les faits

Le requérant est titulaire de deux enregistrements de marques françaises n° 95 574 964 du 6 juin 1995 portant sur le nom CYBERMUT et n° 99 059 916 du 10 septembre 1999 portant sur le nom CYBERMUT PAIEMENT, d’un enregistrement de marque communautaire n° 1 501 758 du 10 février 2000 portant sur le nom CYBERMUT PAIEMENT, et des noms de domaine <cybermut.com>, <cybermut.net> et <cybermut.org> respectivement enregistrés le 4 novembre 1997 pour les deux premiers et le 6 septembre 2001 pour le troisième.

Le requérant exploite le nom Cybermut à titre commercial en relation avec une gamme de services bancaires et de paiement en ligne.

Ayant constaté que le défendeur l’avait pris de vitesse pour l’enregistrement du nom de domaine <cybermut.fr>, et que ce nom de domaine pointait vers le site institutionnel du défendeur, le requérant a saisi le défendeur d’une réclamation par l’intermédiaire de son conseil en propriété industrielle en date du 1er juin 2004, visant à lui notifier ses droits antérieurs et l’enjoindre de lui rétrocéder le nom de domaine litigieux.

Aucune suite favorable n’a été donnée à cette requête.

Selon le requérant, le défendeur a répondu par écrit le 11 juin 2004 ne pas connaître le requérant, qu’il ne portait nullement atteinte aux droits du requérant et que l’enregistrement du nom de domaine avait été motivé par un projet de développement d’un service d’hébergement mutualisé.

Toujours selon le requérant, le défendeur a alors interrompu la redirection du nom de domaine <cybermut.fr> vers son site institutionnel.

C’est dans ces conditions que la présente procédure a été engagée.

 

5. Arguments des parties

A. Le requérant

Le requérant fait valoir qu’il est titulaire de droits privatifs sur la marque Cybermut. Que celle-ci fait l’objet d’une exploitation publique et notoire en relation avec les services bancaires en ligne du groupe Crédit Mutuel / CIC, et plus particulièrement un service de paiement en ligne utilisé par de nombreux commerçants exerçant leur activité par l’entremise d’Internet, et permettant à leurs clients d’acheter et payer leurs prestations en ligne. Qu’au vu de la notoriété de la marque Cybermut et de l’activité exercée par le défendeur, celui-ci ne pouvait ignorer au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux les droits des tiers attachés au nom Cybermut et qu’en tout état de cause, il lui appartenait de vérifier la disponibilité du nom avant de se l’approprier. Qu’en tout état de cause, le défendeur a été informé le 1er juin 2004 des droits du requérant mais n’a pris aucune mesure pour restituer le nom de domaine à son légitime propriétaire.

Le requérant conclut que l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le défendeur constitue une atteinte à ses droits selon les termes de l’article 20 du Règlement.

Le requérant soutient encore que le nom de domaine incriminé a été utilisé par le défendeur de façon à détourner la renommée de la marque Cybermut.

B. Le défendeur

Le Défendeur n’a présenté aucun argument en réponse aux allégations du requérant dans le cadre de la présente procédure.

Sa lettre du 11 juin 2004 adressée au requérant en réponse à la réclamation du 1er juin 2004, évoquée par le requérant dans ses écritures, n’a pas été versée aux débats.

L’expert ne saurait donc en tenir compte (article 17b) du Règlement, puisque ne pouvant constater l’existence matérielle de cette missive et encore moins sa teneur.

L’expert doit donc considérer que le défendeur n’a apporté aucune explication de nature à légitimer l’enregistrement par ses soins du nom de domaine litigieux.

 

6. Discussion

L’expert note que conformément à la Charte de nommage de l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération, le Règlement sur la Procédure alternative de résolution de litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique à caractère obligatoire est applicable aux noms de domaine du “.fr” et du “.re”. Il régit la procédure alternative de résolution de litiges par une décision technique entre un requérant et un défendeur concernant un nom de domaine du “.fr” ou du “.re”. Le Règlement s’applique, par exception au principe de non-rétroactivité de la Charte, à l’ensemble des noms de domaine enregistrés auprès de l’Afnic. Le défendeur s’y soumet en acceptant les conditions de la Charte. L’article 20(a) du Règlement prévoit que : “L’expert statue sur la demande au vu des écritures et des pièces déposées par les deux parties, dans le respect du présent règlement.” Il est également rappelé que le Règlement, dispose en son article 20(c) que l’expert fait droit à la demande du requérant lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers, telle que définie à l’article 1 du Règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte.

Au sens de l’article 1 du Règlement et de la Charte, l’atteinte aux droits des tiers est “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne.”

Il appartient donc à l’expert, au vu des arguments et preuves soumis par les parties, de vérifier si l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine litigieux constituent une atteinte aux droits des tiers, en particulier ceux du requérant, protégés en France et/ou aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et, dans l’affirmative, si le requérant est fondé à solliciter la transmission à son profit du nom de domaine.

A) Enregistrement du nom de domaine

Le requérant souligne à raison que le nom de domaine enregistré par le défendeur est identique à l’une au moins de ses marques enregistrées.

Il invoque donc son droit de marque.

En ce qui concerne le droit de marque, l’expert abordera ci-dessous les bases juridiques qui peuvent être invoquées.

L’expert considère que le délit de contrefaçon de marque n’est pas ici constitué.

Selon les articles L.713-2 et L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle en France, la contrefaçon de marque suppose la reproduction ou l’imitation du signe protégé d’une part et, cumulativement, son utilisation en relation avec des produits ou services identiques ou similaires à ceux visés au dépôt de la marque antérieure d’autre part.

S’il est de jurisprudence constante en France que l’acte de dépôt d’une marque pour désigner des produits ou services identiques ou similaires à ceux d’une marque antérieure enregistrée s’assimile à un acte de contrefaçon, ceci ne saurait s’appliquer mutatis mutandis à l’enregistrement d’un nom de domaine, avec lequel en effet n’est revendiquée aucune liste de produits ou services.

En revanche, le requérant justifie par les pièces qu’il produit de la notoriété de sa marque Cybermut, en particulier auprès des professionnels de l’Internet et du commerce en ligne.

Cybermut est en effet le système de paiement en ligne du groupe bancaire Crédit Mutuel / CIC, largement utilisé en France par de nombreux commerçants offrant leurs prestations par l’entremise d’Internet.

Les documents versés aux débats établissent que les services bancaires en ligne et la solution de paiement sécurisé Cybermut ont fait l’objet d’importantes campagnes de promotion, qu’elles comptent aujourd’hui parmi les plus utilisées et les plus connues en France, non seulement par le grand public, mais aussi par les professionnels et les pouvoirs publics.

Il est permis de penser que les développeurs de sites web, dont le défendeur, sont familiers du système de paiement Cybermut qu’ils sont amenés à intégrer dans les sites marchands qu’ils créent pour leurs clients.

D’ailleurs, le requérant apporte la preuve que le site marchand “rueducommerce.com” utilise le système Cybermut. Or “rueducommerce.com” fait partie des références clients du défendeur, mentionnées sur son propre site.

Le requérant fait aussi remarquer à juste titre que le défendeur, à l’époque où il a enregistré ses noms de domaine <skiwebcenter.com> et <skiwebcenter.net>, a utilisé les services du prestataire internet OVH. Or les pièces produites montrent que cette dernière propose l’achat en ligne de noms de domaine avec le système de paiement Cybermut, que le défendeur a donc dû nécessairement utiliser.

Il est donc difficilement concevable que le défendeur ait pu ignorer au jour où il a enregistré le nom de domaine <cybermut.fr> que des tiers détenaient des droits sur le nom Cybermut.

En tout état de cause il appartenait au défendeur, conformément à l’article 19(1) de la Charte de nommage de l’AFNIC (ci après la Charte), de vérifier, avant d’enregistrer le nom de domaine, que cet enregistrement ne portait pas atteinte aux droits des tiers. En ne procédant pas à cette vérification, il s’est rendu coupable de négligence fautive.

À cet égard, le défendeur n’a justifié dans le cadre de la présente procédure d’aucun droit sur le nom Cybermut.

Le requérant a vérifié que le défendeur n’est titulaire d’aucun droit de propriété intellectuelle sur le nom Cybermut. Il ne ressort pas des pièces versées aux débats que le défendeur fasse un usage commercial de ce nom pouvant légitimer un enregistrement à titre de nom de domaine.

Cet enregistrement à titre de nom de domaine sans autorisation et sans droit sur la marque de renommée d’un tiers ne peut qu’avoir été effectué de façon déloyale pour tenter de tirer indûment profit de la renommée de ladite marque et privant du même coup le requérant de son droit légitime d’exploiter celle-ci dans la zone “.fr”, ce qui est d’autant moins excusable de la part d’une société ayant acquis la qualité de prestataire internet agréé par l’AFNIC.

Au vu de l’analyse des faits et des pièces versées aux débats, l’expert estime que le défendeur lorsqu’il a enregistré le nom de domaine <cybermut.fr> ne pouvait ignorer la renommée et les droits antérieurs attachés au nom Cybermut. Qu’il a agi en fraude des droits du requérant, et en violation des règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale.

B) Utilisation du nom de domaine

Le requérant affirme dans ses écritures que pendant un temps, le nom de domaine a été utilisé par le défendeur de façon à orienter les internautes vers son propre site institutionnel “skiwebcenter.com”, sur lequel sont proposés des services de développement et d’hébergement de sites web.

Le requérant, en soutenant que cette utilisation avait pour but de “spéculer autour d’une marque de renommée en France”, laisse entendre que le défendeur se serait rendu coupable d’usage illicite de marque au sens de l’article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle ou de concurrence déloyale et parasitaire.

Mais le requérant ne rapporte pas la preuve matérielle de cet usage du nom de domaine, c’est à dire de sa redirection vers le site du défendeur.

L’expert ne peut donc se prononcer sur la matérialité de l’infraction alléguée au vu des seuls éléments versés au dossier.

Mais l’utilisation du nom de domaine au sens du Règlement n’implique pas nécessairement que le nom de domaine soit actif, c’est à dire permette l’accès à un site ou une page web.

Dans le cas présent il ressort de l’analyse des faits et des pièces du dossier que bien qu’ayant été informé des droits du requérant sur le nom Cybermut, le défendeur n’a pas jugé utile de légitimer son comportement et s’est abstenu de toute action visant à rétablir le requérant dans ses droits.

Cette rétention injustifiée du nom de domaine doit s’analyser au cas particulier comme un acte d’usage du nom de domaine, privant le requérant de la possibilité d’en disposer.

Indépendamment des arguments avancés par le requérant, l’expert considère que cette utilisation passive du nom de domaine porte atteinte aux droits du demandeur et aux règles de comportement loyal en matière commerciale.

C) Transmission du nom de domaine

Le requérant ayant justifié être titulaire d’une série d’enregistrements de marque et de noms de domaine portant sur le nom Cybermut, l’expert considère que le requérant est fondé à solliciter la transmission à son profit du nom de domaine litigieux.

 

7. Décision

Considérant que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux constituent une atteinte aux droits du requérant protégés en France, ainsi qu’aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale, et que le requérant est fondé à solliciter la transmission à son profit du nom de domaine, l’expert ordonne en application de l’article 20c) du Règlement la transmission du nom de domaine <cybermut.fr> au profit du requérant, sous réserve de sa conformité avec la Charte.

 


                                      

William Lobelson
Expert

Le 6 septembre 2004