WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

SAS Carte Bleue contre Association des Amis des Malades de l’Hôpital Cochin

Litige n° D2005-1147

 

1. Les parties

Le requérant est SAS Carte Bleue, Paris, France, représenté par Benjamin May, France.

Le défendeur est Association des Amis des Malades de l’Hôpital Cochin, Paris, France.

 

2. Noms de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine : <cartes-bleues.com>, <cartesbleues.com>, <cartes-bleues.net>, <cartesbleues.net>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est Key-Systems GmbH dba domaindiscount24.com.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par SAS Carte Bleue auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 4 novembre 2005.

En date du 4 novembre 2005, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Key-Systems GmbH dba domaindiscount24.com aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 30 novembre 2005.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément au paragraphe 11 des Règles d’application, le 1 décembre 2005, le Centre a notifié au Requérant la nécessité de resoumettre la plainte en français à défaut d’apporter la preuve d’un accord entre les parties et dans la mesure où la langue du contrat d’enregistrement des noms de domaine litigieux est le français. Le dernier délai pour faire parvenir la plainte en français était le 6 décembre 2005.

En date du 5 décembre 2005, le Requérant a adressé au Centre la plainte traduite en français par courrier électronique, et sur support papier le 8 décembre 2005.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 13 décembre 2005, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 2 janvier 2006. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 5 janvier 2006, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 16 janvier 2006, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Nathalie Dreyfus. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

 

4. Les faits

Le Requérant est la société SAS Carte Bleue qui a une activité de services de cartes de paiement. La SAS Carte Bleue accompagne des établissements financiers et des banques du monde entier dans les phases de conception de carte de paiement de la gamme Carte Bleue et adapte les programmes Visa en fonction de la clientèle des banques.

Le Requérant est présent dans de nombreux pays à travers le monde.

La société SAS Carte Bleue est titulaire de plusieurs enregistrements de marques françaises et communautaires CARTE BLEUE dont notamment la marque française semi-figurative CARTE BLEUE N° 92423679, appliquée à des produits et services des classes 16, 35 et 36 du 22 juin 1992 (renouvelée), la marque française CARTE BLEUE n° 96645267 en classes 3, 9, 12, 16, 18, 24, 25, 28, 34, 35, 36, 38, 39, 41 et 42 et la marque communautaire semi-figurative CARTE BLEUE n° 000707067, pour viser des produits et services des classes 16, 35 et 36 du 19 décembre 1997.

La société SAS Carte Bleue a réservé :

- le 28 avril 2003, le nom de domaine <carte-bleue.fr>. Ce nom de domaine est actif et présente l’activité du Requérant;

- le 8 juin 2001, le nom de domaine <carte-bleue.net>. Ce nom de domaine est actif et présente l’activité du Requérant;

- le 12 avril 2001, le nom de domaine <carte-bleue.org>. Ce nom de domaine est actif et présente l’activité du Requérant;

- le 17 septembre 1997, le nom de domaine <carte-bleue.com>. Ce nom de domaine est actif et présente l’activité du Requérant;

- le 19 novembre 2001, le nom de domaine <carte-bleue.biz>. Ce nom de domaine est actif et présente l’activité du Requérant;

- le 28 avril 2003, le nom de domaine “cartebleue.fr”. Ce nom de domaine est actif et présente l’activité du Requérant;

- le 1er décembre 1999, le nom de domaine <cartebleue.com>. Ce nom de domaine est actif et présente l’activité du Requérant ;

- le 11 décembre 2002, le nom de domaine <cartebleue.net>. Ce nom de domaine est actif et présente l’activité du Requérant;

- le 12 avril 2001, le nom de domaine <cartebleue.org>. Ce nom de domaine n’est pas actif;

- le 9 septembre 2004, le nom de domaine <cartebleue.info>. Ce nom de domaine n’est pas actif;

- le 19 novembre 2001, le nom de domaine <cartebleue.biz>. Ce nom de domaine n’est pas actif.

Par lettre de mise en demeure adressée en recommandé avec accusé réception par voie postale, le 18 mars 2005, le Requérant a mis en demeure le Défendeur de radier ou de procéder au transfert amiable des noms de domaine <cartes-bleues.com>, <cartesbleues.com>, <cartes-bleues.net>, <cartesbleues.net>. Le Détenteur initial a présenté une réponse par lettre recommandée avec accusé réception en date du 6 avril 2005 dans laquelle il exprimait son refus de procéder à la radiation ou au transfert des quatre noms ainsi que sa volonté d’utiliser ces noms. En conséquence, le Requérant a à nouveau adressé au Détenteur initial une lettre de mise en demeure en recommandé avec accusé réception par voie postale le 27 juillet 2005. Par lettre adressée en recommandé avec accusé réception en date du 8 août 2005, le Détenteur initial a renouvelé son refus de procéder à la radiation ou au transfert des quatre noms ainsi que sa volonté d’utiliser ces noms en mentionnant créer un site. Par ailleurs, il indique avoir pris conseil sur le caractère générique du nom “carte bleue” et avoir l’intention de faire apparaître sur son site la mention suivante “ce site n’est pas le site officiel de la Société Anonyme Carte Bleue. Pour vous y rendre etc…”. Après avoir fait procéder à un constat par l’Agence pour la Protection des Programmes en date du 29 et 30 septembre 2005 constatant le transfert des quatre noms litigieux du Détenteur initial au Défendeur, le Requérant a adressé au Défendeur le 7 octobre 2005, une lettre de mise en demeure par lettre recommandée avec accusé réception. En date du 25 octobre 2005, le Requérant a fait procéder à un second constat par l’Agence pour la Protection des Programmes.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant fait valoir qu’il est titulaire de droits sur la marque CARTE BLEUE en France et au niveau communautaire. Il précise que celle-ci jouit d’une grande notoriété en France. Il fait valoir sa titularité sur plusieurs noms de domaine intégrant sa marque.

Par ailleurs, le Requérant évoque des précédents mettant en cause des noms de domaine réservés par des tiers et reproduisant sa marque.

Le Requérant ajoute que les noms réservés sont similaires à sa marque. Il expose que ces noms de domaine prêtent à confusion avec ses marques puisqu’ils sont similaires tant visuellement, phonétiquement qu’intellectuellement.

Le Requérant relève que le risque de confusion est accru par la présence d’un avertissement sur la page d’accueil du site d’un des noms de domaine litigieux <cartesbleues.net> dans la mesure où cet avertissement prouverait la connaissance qu’avait le Défendeur du risque de confusion entre les Noms de domaine et les marques du Requérant et portait des liens hypertextes pointant vers le site officiel “www.cartebleue.com”.

Le Défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime sur les noms litigieux dans la mesure où il ne dispose pas de droit antérieur ou d’autorisation du Requérant d’utiliser les marques.

Par ailleurs, le fait d’avoir temporairement abrité un forum de discussion sur un des quatre noms litigieux ne peut être considéré au regard des faits de l’espèce comme un usage légitime de la marque CARTE BLEUE au titre de la liberté d’expression sur le monde bancaire. Le Requérant soutient à l’appui qu’il s’agit d’un forum Internet factice n’ayant vocation qu’à contrer l’argument tenant à la détention passive des noms.

Trois des quatre noms de domaine n’ont pas fait l’objet d’un usage depuis leur réservation en septembre 2004. Le Requérant soutient que cette détention passive contribue à la qualification d’utilisation de mauvaise foi.

Le Requérant relève également que le transfert des noms de domaine est un indice de la mauvaise foi du Défendeur dans la mesure où il n’était destiné qu’à soustraire le Détenteur initial à ses responsabilités.

Le Requérant conclut que l’enregistrement des noms de domaine litigieux par le Défendeur constitue une atteinte à ses droits.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.

 

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d’application prévoit que “la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément au Principes directeurs aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu’elle juge applicable”.

Au demeurant, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver contre le défendeur cumulativement que :

(a) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le requérant a des droits;

(b) il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache;

(c) son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

En conséquence, il y a lieu de s’attacher à répondre à chacune des trois conditions prévues par le paragraphe 4(a) des Principes directeurs.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La charge de la preuve de droits sur la marque reproduite dans le nom de domaine incombe au Requérant.

L’Expert constate que le Requérant justifie être titulaire de plusieurs marques tant en France qu’au niveau communautaire et que le signe CARTE BLEUE jouit d’une grande notoriété.

L’Expert retient que les noms de domaine contestés sont la reproduction quasi-totale du signe CARTE BLEUE sur lequel la société SAS Carte Bleue a justifié détenir des enregistrements de marques françaises et communautaires. La déclinaison du signe au pluriel ainsi que l’adjonction des suffixes “.com” et “.net” non appropriables en tant que tel, sont inopérants à faire disparaître l’imitation le risque de confusion (Louis Vuitton v. Nett-Promotion, décision OMPI Litige No. D2000-0430, <luisvuitton.com>; Bang & Olufsen a/s v. Unasi Inc., décision OMPI Litige No. D2005-0728, <bag-olufsen.com>, <bagolufsen.com>, <bang-olusen.com>, <bangolusen.com>).

En conséquence, l’Expert considère que les noms de domaine litigieux sont similaires aux marques dont le Requérant est titulaire et qu’il exploite au point de prêter à confusion avec celles-ci.

Par ailleurs, le Requérant fait valoir l’atteinte par les noms litigieux à ses noms de domaine <carte-bleue.fr>, <carte-bleue.net>,  <carte-bleue.org>, <carte-bleue.com>, <carte-bleue.biz>, <cartebleue.fr>, <cartebleue.com>, <cartebleue.net>, <cartebleue.org>, <cartebleue.info>, <cartebleue.biz>, intégrant sa marque.

L’Expert tient à souligner qu’il examine le risque de confusion entre les noms litigieux et les noms de domaine appartenant au Requérant au vu des pièces fournies par le Requérant lors de la soumission de sa plainte au Centre. Après examen de ces pièces, l’Expert constate que le nom de domaine <carte-bleue.info> cité par le Requérant comme lui appartenant ne peut être considéré comme tel dans la mesure où les données Whois fournies désignent comme titulaire de ce nom, la société Euro-Hosting.Com Ltd. En conséquence, l’Expert a écarté ce nom lors de son analyse des droits en présence.

L’Expert estime également que la présence d’un avertissement sur le site Internet du nom de domaine <cartesbleues.net> “Ceci n’est pas le site officiel de la SA Carte Bleue, pour vous y rendre : “http://www.cartebleue.com” n’est pas de nature à écarter le risque de confusion entre les noms litigieux et les droits antérieurs du Requérant (Estée Lauder v. estelauder.com et al, décision OMPI Litige No. D2000-0869, <estelauder.com> et <.net>).

B. Droits ou légitimes intérêts

L’Expert ne relève pas de droit ou intérêt légitime du Défendeur à utiliser le signe CARTES BLEUES dans la mesure où il n’est pas démontré qu’il soit généralement connu sous ce nom en tant que personne, société ou organisation ou qu’il ne lui pas été consenti de licence par le Requérant.

L’Expert estime que le Requérant a démontré que l’un des noms de domaine litigieux avait abrité temporairement un forum de discussion dénommé “Espace d’expression libre sur le monde bancaire” mais qu’il ne s’agissait que d’une simple page comportant des titres sans aucun contenu. Le Défendeur ne pouvait donc pas être considéré comme détenant un intérêt légitime au titre de la liberté d’expression à enregistrer le nom de domaine <cartesbleues.net>. En conséquence, l’Expert ne peut pas retenir qu’une des circonstances du paragraphe 4(c) des Principes directeurs permettant de retenir un droit ou un intérêt légitime du Défendeur est constituée dans la présente affaire.

En conséquence, l’Expert considère que le Requérant a établi que le Défendeur n’avait pas de droit ou intérêt légitime à enregistrer les noms litigieux en application du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

L’Expert souligne tout d’abord que la détention passive d’un nom de domaine ne peut être considéré en tant que telle comme caractérisant la mauvaise foi du Défendeur. L’Expert doit s’attacher à relever d’autres éléments démontrant un enregistrement et une utilisation de mauvaise foi.

L’Expert relève que l’un des noms litigieux abritait une page portant un avertissement indiquant qu’il ne s’agissait pas d’un site officiel du Requérant. Cependant, la présence d’un avertissement ne permet pas d’écarter la mauvaise foi du Défendeur, surtout lorsque la preuve de la mauvaise foi peut être rapportée au vu d’autres indices. A l’inverse, elle peut précisément démontrer que le Défendeur avait connaissance des droits antérieurs du Requérant. L’Expert considère en l’espèce que l’avertissement introduit par le Défendeur sur son site suite à la lettre de mise en demeure du Requérant démontre que le Défendeur s’est évertué à détenir les noms litigieux alors qu’il avait connaissance des droits antérieurs du Requérant. Par ailleurs, la bonne foi est inopérante en matière de contrefaçon de marque dès lors qu’aux termes de l’article L.716-1 du code de la propriété intellectuelle l’atteinte portée aux droits du propriétaire d’une marque engage, à elle seule, la responsabilité de son auteur.

Au vu de la notoriété du signe CARTE BLEUE, l’Expert considère qu’il est évident que le Détenteur initial a procédé à l’enregistrement de mauvaise foi des noms litigieux, quasi-identiques aux marques du Requérant. Par ailleurs, le refus de transférer les noms de domaine litigieux et la détention passive poursuivie, malgré la signification par le Requérant de ses droits, constituent d’autres éléments de mauvaise foi du Défendeur.

 

7. Décision

Les conditions posées à l’article 4a) des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine étant réunies, l’Expert ordonne en conséquence le transfert au profit du Requérant des noms de domaine <cartes-bleues.com>, <cartesbleues.com>, <cartes-bleues.net> et <cartesbleues.net>.


Nathalie Dreyfus
Expert Unique

Le 30 janvier 2006