Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Bibliothèque Nationale de France contre Gérard Farnault
Litige n° D2005-1167
1. Les parties
Le requérant est Bibliothèque Nationale de France, Paris, France, représenté par De Gaulle Fleurance & Associés, France.
Le défendeur est Gérard Farnault, Villejust, France.
2. Noms de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne les noms de domaine <bibliothequenationaledefrance.com> et <bibliothequenationaledefrance.net>.
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est Gandi SARL.
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par Bibliothèque Nationale de France auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 9 novembre 2005.
En date du 9 novembre 2005, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Gandi SARL, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 15 novembre 2005.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 16 novembre 2005, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 6 décembre 2005. Le défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 7 décembre 2005, le Centre notifiait le défaut du défendeur.
En date du 20 décembre 2005, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Louis-Bernard Buchman. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
4. Les faits
Le requérant est une institution culturelle de première importance, pluriséculaire, particulièrement réputée non seulement en France mais aussi à l’étranger pour la richesse et l’ampleur de son fonds documentaire qu’elle met à la disposition de chercheurs et du public dans certaines conditions.
Le requérant a déposé plusieurs marques auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle dont :
- une marque semi-figurative BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE déposée le 24 juin 1996 sous le numéro 96631292;
- une marque semi-figurative BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE déposée le 24 juin 1996 sous le numéro 96631289;
- une marque semi-figurative BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE déposée le 24 juin 1996 sous le numéro 96631291.
Le requérant, ayant constaté que le défendeur avait réservé les noms de domaine <bibliothequenationaledefrance.com> et <bibliothequenationaledefrance.net>, lui a adressé une lettre de mise en demeure le 2 septembre 2005, par lettre recommandée avec accusé de réception, reçue par le défendeur le 5 septembre 2005, afin de tenter d’obtenir le transfert amiable desdits noms de domaine.
Le défendeur n’a pas répondu au requérant et n’a pas tenté de justifier détenir de quelconques droits ou intérêts légitimes sur les noms de domaine contestés.
Le requérant a alors engagé la présente procédure.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
Le requérant argue :
- qu’il est établi qu’il dispose de droits sur les marques reproduites dans les noms de domaine concernés par la présente procédure,
- que l’extension du nom de domaine, suffixe nécessaire pour l’enregistrement du nom, est sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, l’extension “.com” ou “.net” ne devant donc pas être prise en considération pour examiner la similarité entre les marques antérieures et les noms de domaine, car la partie signifiante des noms de domaine est le terme “bibliothequenationaledefrance”.
Les noms de domaine <bibliothequenationaledefrance.com> et <bibliothequenationaledefrance.net> apparaissent ainsi identiques ou à tout le moins similaires aux marques antérieures déposées par le requérant. Le requérant estime également que le risque de confusion pour le public est extrêmement important puisque celui-ci sera très certainement amené à penser que ces noms de domaine appartiennent au requérant et que les sites Internet qui seront accessibles par ces noms de domaine appartiennent également au requérant.
Le requérant n’a accordé aucune licence ou autorisation au défendeur afin de lui permettre de faire un quelconque usage des marques ci-dessus mentionnées ni de déposer et utiliser les noms de domaine contestés.
Le défendeur ne fait aucun usage légitime des noms de domaine contestés en relation avec une offre de produits ou services.
Les recherches diligentées par le requérant n’ont révélé aucune marque déposée ou enregistrée en France dont le défendeur serait titulaire. Le défendeur n’est donc pas titulaire d’aucune marque enregistrée correspondant aux noms de domaine contestés.
Le requérant demande que les enregistrements des noms de domaine litigieux lui soient transférés.
B. Défendeur
Aucun document n’ayant été reçu par la Commission administrative émanant du défendeur, celle-ci n’a pas connaissance d’une quelconque argumentation de sa part.
6. Discussion et conclusions
La Commission administrative est tenue d’appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d’application qui prévoit que : “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable”.
Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant de prouver contre le défendeur cumulativement que :
(a) Son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits.
(b) Il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.
(c) Son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
Le requérant est titulaire depuis juin 1996 des marques BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE en France et ce dans les classes suivantes de produits et de services de la classification internationale : 1 à 6, 8, 9, 11, 14, 16, 18 à 21, 24, 25, 27, 28, 34, 35 et 37 à 42.
En ce qui concerne l’identité ou la similitude des signes par rapport aux noms de domaine litigieux, (BIBLIOTHEQUE NATIONALE DEFRANCE / <bibliothequenationaledefrance.com> et <bibliothequenationaledefrance.net>), il sera tout d’abord estimé, conformément à nombre de décisions déjà rendues (Cf.Telstra Corp Ltd c. Nuclear Marshmallows, OMPI Litige No. D2000-0003; ACCOR c. Accors, OMPI Litige No. D2004-0998), que l’adjonction à un signe d’un suffixe générique “.com” (ou mutatis mutandis “.net”) est inopérante et n’altère nullement la perception du signe objet dudit ajout.
Demeure alors la question de la comparaison : BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE” / “bibliothequenationaledefrance” : les marques BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE sont totalement reproduites par le signe “bibliothequenationaledefrance”.
La Commission estime que le public en général et les internautes en particulier pourraient penser que les noms de domaine litigieux renvoient à un service du requérant, ces noms de domaine étant semblables aux marques sur lesquelles le requérant a des droits, au point de prêter à confusion.
Dans ces conditions, la Commission constate que l’exigence du paragraphe 4(a), (i) des Principes directeurs est satisfaite.
B. Droits ou intérêts légitimes
Aucun élément du dossier ne révèle qu’avant d’avoir eu connaissance du litige, le défendeur ait utilisé les noms de domaine litigieux, ou un nom correspondant aux noms de domaine litigieux, en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services ou fait des préparatifs sérieux à cet effet.
Le défendeur n’est en aucune manière affilié au requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à utiliser et à enregistrer ses marques ou à procéder à l’enregistrement de noms de domaine incluant les marques en question. Il n’est ni licencié, ni tiers autorisé à utiliser lesdites marques, y compris à titre de nom de domaine.
L’enregistrement de plusieurs marques par le requérant est antérieur de plusieurs années à l’enregistrement des noms de domaine litigieux.
Par ailleurs, le défendeur ne fait pas non plus un usage légitime et non commercial des noms de domaine litigieux comme en atteste le fait qu’il n’y ait aucun site exploité derrière ces noms.
Le dossier révèle que le défendeur n’a soumis aucun élément de preuve d’un quelconque usage, au contraire il a choisi de ne pas répondre à la plainte.
La Commission est d’avis, dans ces conditions, que le défendeur n’a pas de droit sur les noms de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
En vertu du Paragraphe 4(a)(iii) des Principes Directeurs, le requérant doit prouver que le défendeur a enregistré et utilisé les noms de domaine litigieux de mauvaise foi. La mauvaise foi doit être prouvée dans l’usage comme dans l’enregistrement.
En ce qui concerne l’enregistrement de mauvaise foi, le défendeur ne pouvait pas ne pas avoir eu connaissance du requérant Bibliothèque Nationale de France au moment où il a enregistré les noms de domaine <bibliothequenationaledefrance.com> et <bibliothequenationaledefrance.net>.
Il parait en effet assez difficile de soutenir que le défendeur ignorait l’existence du requérant alors même que les noms de domaine reproduisent quasiment à l’identique les marques de ce dernier, la seule différence consistant en la suppression des trois espaces entre les trois mots, ce qui ne saurait conférer un sens différent aux signes ni permettre de les distinguer des marques du requérant. On note également à cet égard qu’en vertu des protocoles de dénomination en vigueur sur internet, un nom de domaine ne peut en aucun cas contenir des espaces. Les noms de domaine litigieux constituent donc la plus proche approximation des marques du requérant.
La simple suppression de ces espaces laisse penser, au contraire, que les réservations de noms de domaine ont été effectuées dans le but d’attirer les internautes vers le site du défendeur en créant une grande similitude avec les marques du requérant.
Il résulte également du dossier que les noms de domaine litigieux n’ont pas fait l’objet d’une exploitation depuis leur enregistrement.
Des décisions de commissions administratives ont déjà et à plusieurs reprises pu retenir que la détention d’un nom de domaine sans qu’un site actif y corresponde pouvait, dans certains cas, être considérée comme une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine (Cf. Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, OMPI Litige No. D2000-0003; Christian Dior Couture, OMPI Litige No. D2000-0098;Nike, Inc. c. Azumano Travel, OMPI Litige No. D2000-1598;FDNY Fire Safety Education Fund, Inc. and New York City Police Foundation, Inc. c. Great Lakes Coins %27 Collectibles, OMPI Litige No. D2001-1445 et Accor c. S1A, OMPI Litige No. D2004-0053).
En outre, l’usage de mauvaise foi des noms de domaine litigieux par le défendeur peut aussi résulter du fait que leur usage de bonne foi ne soit d’aucune façon plausible (Cf. Audi AG c. Hans Wolf, OMPI Litige No. D2001-0148), compte tenu dans la présente espèce de la notoriété du requérant et de la spécificité de son activité culturelle et non commerciale, ainsi que du non-usage des noms de domaine litigieux.
Les circonstances plus haut décrites traduisent le fait qu’en détenant ces noms de domaine inactifs, après une mise en demeure de les transférer au requérant, et en ne se manifestant plus jusqu’à la présente procédure administrative, le défendeur a procédé à une utilisation de mauvaise foi des noms de domaine en cause.
Par ailleurs, la Bibliothèque Nationale de France est particulièrement renommée en France et il ne peut être valablement soutenu que le défendeur ignorait son existence. En conséquence, le défendeur a enregistré et utilise les noms de domaine litigieux de mauvaise foi.
La Commission administrative conclut que les divers éléments prévus au paragraphe 4(a)(i à iii) des Principes directeurs sont cumulativement réunis.
7. Décision
Pour les motifs qui précèdent, la Commission administrative décide que le requérant a apporté la démonstration que les noms de domaine <bibliothequenationaledefrance.com> et <bibliothequenationaledefrance.net> sont identiques, ou semblables au point de prêter à confusion, aux marques sur lesquelles le requérant a des droits; que le défendeur n’a aucun droit sur les noms de domaine en cause ni aucun intérêt légitime qui s’y attache et qu’ils ont été enregistrés et utilisés de mauvaise foi.
En conséquence, en application des paragraphes 4.i) des Principes Directeurs et 15 des Règles d’application, , la Commission administrative ordonne que les enregistrements des noms de domaine <bibliothequenationaledefrance.com> et <bibliothequenationaledefrance.net> soient transférés au requérant, Bibliothèque Nationale de France.
Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 10 janvier 2006