WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

Carrefour et Carrefour Hypermarchés contre Eurostastic Limited

Litige n° DFR 2005-0011

 

1. Les parties

Les Requérants sont les sociétés Carrefour et Carrefour Hypermarchés, France, représentés par Clifford Chance Europe LLP, Paris, France.

Le Défendeur est la société Eurotastic Limited, France.

 

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <carefour.fr> enregistré le 1er juin 2005.

Le prestataire Internet est la société Safenames Ltd.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 4 août 2005, par courrier électronique et le 5 août 2005, par courrier postal.

Le 5 août 2005, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 8 août 2005, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le ”Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la ”Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la plainte, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 17 août 2005. Le Défendeur n’ayant adressé aucune réponse, le Centre a adressé le 7 septembre 2005 aux parties une notification de défaut du Défendeur.

Le 26 septembre 2005, le Centre nommait Nathalie Dreyfus comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

 

4. Les faits

Les Requérantes sont la société française Carrefour, créée en 1989 avec une activité d’holding et la société française Carrefour Hypermarché France, créée en 1999 avec une activité d’hypermarché.

Les Requérantes sont spécialisées dans la distribution de produits de grande consommation, notamment commercialisés dans les hypermarchés exploités à travers le monde sous l’enseigne CARREFOUR.

La société Carrefour est titulaire de plusieurs enregistrements de marques françaises et internationales “Carrefour” dont notamment la marque française N° 003056257, appliquée à des produits et services des classes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41 et 42 et la marque internationale n° 563304, pour viser des produits et services des classes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41 et 42.

La société CARREFOUR a réservé :

- le 18 juin 2001 le nom de domaine “carrefour.net”. Ce nom de domaine est actif et pointe vers un site dédié aux fournisseurs et autres partenaires professionnels des Requérantes;

- le 25 octobre 1995 le nom de domaine “carrefour.com”. Ce nom de domaine est actif et présente le groupe Carrefour;

- le 3 novembre 1995 le nom de domaine “carrefour.fr”. Ce nom de domaine est actif et abrite le site principal des Requérantes.

Par lettre de mise en demeure adressée en recommandé avec accusé réception, par voie postale et par e-mail, le 20 avril 2005, suivie d’un rappel le 10 mai 2005, les Requérantes ont mis en demeure le Défendeur de cesser l’utilisation et de procéder au transfert amiable du nom de domaine litigieux. Le Défendeur n’a présenté aucune réponse, ni à la lettre de mise en demeure, ni à son rappel. Après de nouvelles vérifications, les Requérantes ont pu constater que le réservataire avait changé et que le nom de domaine <carrefour.fr> était à présent réservé au nom de la société Eurotastic Limited. Une lettre de mise en demeure a été adressée à la société Eurotastic le 4 août 2005, par voie postale et par e-mail mais est restée sans réponse.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

La société Carrefour justifie de droits à titre de marque, de dénomination sociale, de nom commercial et de nom de domaine en France sur le signe “carrefour”

La société Carrefour Hypermarchés France a montré également être titulaire de droits à titre de dénomination sociale et de nom commercial sur le signe “carrefour”.

Les Requérantes invoquent la notoriété du signe “carrefour” et ainsi la notoriété de la marque “CARREFOUR” au sens de l’article 6bis de la Convention de Paris du 20 mars 1883 avec l’ouverture de plus de 835 établissements à travers le monde depuis 1962.

Les Requérantes allèguent que le Défendeur a imité servilement le signe “carrefour” dans la mesure où la seule différence entre le nom de domaine contesté et ce signe tient à la présence d’une consonne “R” supplémentaire dans le signe protégé. Par ailleurs, le nom de domaine contesté pointait précisément vers un site présentant des liens vers des sites concurrents des Requérantes.

En conséquence, les Requérantes allèguent que le Défendeur en réservant et en utilisant le nom de domaine objet du présent litige a entendu porter atteinte à l’image de la dénomination CARREFOUR en trompant et détournant au profit de tiers le consommateur qui pensait légitimement, en tapant ce nom de domaine, obtenir des informations sur leurs produits. Par ailleurs, le Défendeur a pu laisser croire au consommateur qu’il existait entre les sociétés en cause un lien commercial. Les Requérantes avancent que de tels agissements constituent à la fois des actes de concurrence déloyale et de parasitisme au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil français. Par ailleurs, les Requérantes invoquent les dispositions de l’article L.713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle français à savoir l’atteinte à une marque de renommée. Le Défendeur ne justifie d’aucun intérêt légitime sur le nom de domaine <carefour.fr>, qui n’a été réservé qu’avec la seule intention de bénéficier indûment de la renommée du signe.

Les Requérantes soulignent également que la société, réservataire à l’origine du nom de domaine <carrefour.fr>, proposait le nom de domaine contesté à la vente, ce qui ne fait que renforcer la preuve de la réservation de mauvaise foi. Les Requérantes estiment en conséquence être fondées à requérir le transfert du nom de domaine litigieux au profit de la société Carrefour.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu à l’argumentation dans les formes requises et est en conséquence en défaut.

 

6. Discussion

L’Expert constate que les Requérantes invoquent un enregistrement et une utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de leurs droits et sollicitent le transfert au profit de la société Carrefour.

Conformément à l’article 20(c) du Règlement, “l’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

Il est également important de souligner que, conformément aux dispositions de l’article 1 du Règlement, on entend par “atteinte aux droits des tiers, au titre de la Charte, une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.

En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux portent atteinte aux droits de tiers, et si par ailleurs, les Requérantes sollicitant le transfert de ce nom de domaine au profit de la société Carrefour, elles justifient de droits sur ce nom de domaine.

Enregistrement du nom de domaine litigieux en violation des droits de tiers

L’Expert retient que le nom de domaine contesté est la reproduction quasi-totale du signe “carrefour” sur lequel la société Carrefour a justifié détenir des enregistrements de marques françaises et internationales. La suppression de la lettre “r”, ainsi que l’adjonction du suffixe «.fr» non appropriable en tant que tel, sont inopérants à faire disparaître l’imitation de marque au sens du droit français (Louis Vuitton v. Nett-Promotion, Décision OMPI No. D2000-0430, , <luisvuitton.com>; Bang & Olufsen a/s v. Unasi Inc., Décision OMPI No. D2005-0728, <bag-olufsen.com>, <bagolufsen.com>, <bang-olusen.com>, <bangolusen.com>).

L’Expert estime que les Requérantes ont démontré que la marque CARREFOUR et que les noms de domaine <carrefour.net>, <carrefour.com>, <carrefour.fr> sont exploités pour présenter le groupe Carrefour, ainsi que les produits et services proposés par Carrefour et notamment le supermarché en ligne de Carrefour “OOSHOP”.

Par ailleurs, les Requérantes utilisent le signe “carrefour” à titre de dénomination sociale depuis 1989 pour une activité de holding, et depuis 1999 pour des hypermarchés.

Il a été clairement établi que le Défendeur a été informé des droits de propriété intellectuelle de la société Carrefour au mois d’août 2005, notamment suite à une lettre de mise en demeure adressée par courrier électronique à l’adresse “sam@[e-mail]”, qui est également l’adresse électronique de l’ancien titulaire du nom de domaine litigieux, à laquelle avait été adressée une première lettre de mise en demeure dès le mois d’avril 2005. Cette première mise en demeure était d’ailleurs restée sans réponse, malgré un rappel de la part des Requérantes.

En conséquence, l’Expert considère que l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur est intervenu tout à la fois en violation des droits des Requérantes sur les marques et dénominations sociales et en violation des règles de concurrence et de comportement loyal en matière commerciale.

Utilisation du nom de domaine en violation des droits de tiers

L’offre à la vente du nom est un des éléments démontrant l’enregistrement et l’usage de mauvaise foi d’un nom de domaine (AIB-Vincotte Belgium ASBL, AIB-Vincotte USA Inc./Corporation Texas v. Guillermo Lozada, Jr., Décision OMPI No. D2005-0485, <vincotte.com>, <vincotte.net> et <vincotte.org >).

L’Expert retient que le nom de domaine objet du litige porte des liens vers des sites concurrents de celui des Requérantes, pour lesquels le Défendeur est certainement rémunéré au clic. Par ailleurs, ce nom de domaine est parqué chez SEDO afin d’être proposé à la vente (Crédit Industriel et Commercial (CIC) contre Pneuboat Sud, Décision OMPI No.°DFR 2004-0005, <cic-banque.fr>).

En outre, en réservant et en utilisant le nom de domaine litigieux pour des liens vers des sites directement concurrents, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs d’Internet sur un site Web, en créant une confusion avec la marque de la Société Carrefour, tant en ce qui concerne la source que l’affiliation. Par ailleurs, en proposant le nom de domaine à la vente, le Défendeur a également tenté de tirer un profit financier de la réservation du nom de domaine.

En conséquence, l’Expert considère que l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur est intervenu en violation des droits du Requérant, conformément au principe de loyauté dans les relations commerciales.

Droits du Requérant sur le nom de domaine litigieux

L’Expert retient que la société Carrefour détient des droits en France et à l’étranger sur l’enregistrement de la marque CARREFOUR et que la société Carrefour Hypermarchés France justifie de droits à titre de dénomination sociale et de nom commercial sur le signe “carrefour”.

Par ailleurs, l’Expert retient que le signe “carrefour” bénéficie d’une notoriété et constitue ainsi une marque notoirement connue au sens de l’article 6bs de la Convention de Paris du 20 mars 1883.

L’Expert considère ainsi que les Requérantes justifient détenir des droits de propriété intellectuelle sur le signe “carrefour” et, en conséquence, du bien fondé de leur demande de transfert du nom de domaine <carefour.fr>, en conformité avec les dispositions de la Charte.

 

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne le transfert au profit de la société Carrefour du nom de domaine <carefour.fr>.


Nathalie Dreyfus
Expert

Date: Le 18 octobre 2005