WIPO

 

Centre d�arbitrage et de m�diation de l�OMPI

 

D�CISION DE L’EXPERT

Orange France contre KLTE Ltd

Litige n� DFR2005-0020

 

 

1. Les parties

Le requ�rant est Orange France, Montrouge, France, repr�sent� par DS Avocats, France.

Le d�fendeur est KLTE Ltd, Paris, France.

 

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne les noms de domaine <oarange.fr>, <orande.fr>, <orenge.fr>, <organge.fr>, <ornage.fr>, <ornge.fr>, <oronge.fr>, <prange.fr>.

L’unit� d’enregistrement aupr�s de laquelle les noms de domaine sont enregistr�s est AFNIC.

 

3. Rappel de la proc�dure

Une plainte a �t� d�pos�e par Orange France aupr�s du Centre d’arbitrage et de m�diation de l’Organisation Mondiale de la Propri�t� Intellectuelle (ci-apr�s d�sign� le “Centre”) en date du 21 novembre 2005.

En date du 21 novembre 2005, le Centre a adress� une requ�te � l’unit� d’enregistrement du nom de domaine litigieux, AFNIC, aux fins de v�rification des �l�ments du litige et de gel des op�rations. L’unit� d’enregistrement a confirm� l’ensemble des donn�es du litige en date du 22 novembre 2005.

Le Centre a v�rifi� que la plainte r�pond bien au R�glement pour la proc�dure alternative de r�solution des litiges du .fr et du .re par d�cision technique (ci-apr�s le R�glement) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable � l’ensemble des noms de domaine du .fr et du .re conform�ment � la Charte de nommage de l’Afnic (ci-apr�s la Charte)

Conform�ment � l’article 14(c) du R�glement, le Centre a adress� au D�fendeur le�30�novembre�2005, une notification de la plainte valant ouverture de la pr�sente proc�dure administrative.

Conform�ment � l’article 15(a) du R�glement, le dernier d�lai pour faire parvenir une r�ponse �tait le�20�d�cembre�2005. Le d�fendeur a fait parvenir une r�ponse par voie �lectronique le�14�d�cembre 2005.

Le Requ�rant a fait parvenir au Centre les 27 et 28 d�cembre 2005 des observations compl�mentaires en r�action � la r�ponse du D�fendeur.

En date du 3 janvier 2006, le Centre nommait dans le pr�sent litige comme Expert Nathalie Dreyfus. L’expert constate qu’il a �t� nomm� conform�ment au R�glement. L’Expert a adress� au Centre une d�claration d’acceptation et une d�claration d’impartialit� et d’ind�pendance, conform�ment � l’article 4 du R�glement .

 

4. Les faits

Le requ�rant est la soci�t� fran�aise Orange France qui a pour objet la prestation de services de t�l�communications. Le requ�rant est pr�sent en France et dans 16 pays � travers le monde.

La soci�t� Orange France est une filiale du Groupe France T�l�com, l’un des principaux op�rateurs de t�l�communications au monde, pr�sent sur les cinq continents.

La soci�t� Orange France est titulaire de la marque ORANGE FRANCE n�01 3�109�302 du�3�juillet 2001, appliqu�e � des produits et services des classes 9, 16, 28, 35, 36, 38, 41 et 42.

La soci�t� Orange France a r�serv� le 2 f�vrier 2001 le nom de domaine <orange.fr>. Ce nom de domaine est actif et pointe vers le site officiel du requ�rant.

La d�nomination sociale et le nom commercial du requ�rant sont Orange France.

La soci�t� Orange France exploite avec l’autorisation de son titulaire la marque fran�aise ORANGE n�94�511�028 du 15 mars 1994 et est habilit�e � d�fendre ladite marque.

Le d�fendeur est la soci�t� �trang�re immatricul�e en France KLTE Limited pour l’activit� de “autres commerces de gros de biens de consommation”.

Le Conseil d’Administration de l’AFNIC a, par d�lib�ration du 20 juillet 2005, bloqu� pour 3 mois plus de 1200 noms de domaine en .fr r�serv�s par le D�fendeur. Le Requ�rant a alors remarqu� que les noms de domaine <oarange.fr>, <orande.fr>, <orenge.fr>, <organge.fr>, <ornage.fr>, <ornge.fr>, <oronge.fr>, <prange.fr> figuraient dans la liste des noms de domaine bloqu�s par l’AFNIC.

Par lettre simple le 22 ao�t 2005 et par lettre recommand�e avec accus� de r�ception le�7�septembre 2005, le Requ�rant a mis en demeure de D�fendeur d’annuler la r�servation des noms de domaine <oarange.fr>, <orande.fr>, <orenge.fr>, <organge.fr>, <ornage.fr>, <ornge.fr>, <oronge.fr>, <prange.fr>. Les deux courriers sont rest�s sans r�ponse.

 

5. Argumentation des parties

A. Requ�rant

La soci�t� Orange France justifie de droits � titre de marques, de noms de domaine, de nom commercial et de d�nomination sociale en France sur le signe “orange” et “orange France”.

Le Requ�rant all�gue la similarit� des noms de domaine litigieux avec les signes “orange” et “orange France” dans la mesure o� la seule diff�rence entre ces signes tient � l’ajout, � l’inversion ou au remplacement d’une lettre. Ceci n’�limine pas le risque de confusion car il subsiste une forte ressemblance phon�tique et visuelle entre les signes.

Le Requ�rant rel�ve par ailleurs que la r�servation massive des noms de domaine d�montre la mauvaise foi du D�fendeur, cette r�servation ayant �t� effectu�e dans un but sp�culatif afin de d�tourner du site officiel de la soci�t� Orange France les internautes qui pensaient l�gitimement, en tapant ces noms de domaine mais en commettant une faute de frappe, obtenir des informations sur le Requ�rant et ses produits.

Le Requ�rant invoque �galement la notori�t� de la marque Orange France au sens de l’article L713-5 du Code fran�ais de la Propri�t� Intellectuelle.

Le Requ�rant estime �tre fond� � requ�rir le transfert des noms de domaine litigieux au profit de la soci�t� ORANGE France.

B. D�fendeur

La soci�t� KLTE Limited all�gue que les noms de domaine litigieux ont �t� r�serv�s de bonne foi, sans relation avec le nom de domaine en possession du Requ�rant <orange.fr>.

Le D�fendeur affirme que le nom de domaine <oarange.fr> est une faute d’orthographe du mot “Arrange” (organisez), <orande.fr> du mot “Grande” (grand), <orenge.fr> du mot “Orense” (province d’Espagne de l’Ouest), <organge.fr> du mot “organze” (organza), <orange.fr> du mot “ornate” (ayant la d�coration excessive), <ornge.fr> et <oronge.fr> du mot “Ronge” (lac canadien), et <prange.fr> est un mot g�n�rique qui signifie en allemand “d�monstrateur, faire �talage”.

Le Requ�rant conteste la validit� de la r�ponse du D�fendeur au motif qu’elle n’a pas �t� transmise au Centre par �crit conform�ment � l’art. 15 b) du R�glement sur la proc�dure alternative de r�solution de litiges du .fr, mais seulement par voie �lectronique. Le Requ�rant invoque en outre le fait que la r�ponse ne contienne pas la d�claration finale obligatoire�: ”le D�fendeur d�clare que, � sa connaissance, les informations que comporte la pr�sente r�ponse sont compl�tes et exactes, et que la pr�sente r�ponse n’est pas d�pos�e de mani�re abusive”.

 

6. Discussion

Conform�ment � l’article�20(c) du R�glement, “l’expert fait droit � la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le d�fendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que d�finie � l’article 1 du pr�sent r�glement et au sein de la Charte et, si la mesure de r�paration demand�e est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requ�rant a justifi� de ses droits sur l’�l�ment objet de ladite atteinte et sous r�serve de sa conformit� avec la Charte”.

Il est �galement important de souligner que, conform�ment aux dispositions de l’article 1 du R�glement, on entend par “atteinte aux droits des tiers, au titre de la Charte, une atteinte aux droits des tiers prot�g�s en France et en particulier � la propri�t� intellectuelle (propri�t� litt�raire et artistique et/ou propri�t� industrielle), aux r�gles de la concurrence et du comportement loyal en mati�re commerciale et au droit au nom, au pr�nom ou au pseudonyme d’une personne”.

En cons�quence, l’expert s’est attach� � v�rifier, au vu des arguments et pi�ces soumis par les parties, si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux portent atteinte aux droits de tiers.

A titre liminaire, l’expert a �tudi� la question de la recevabilit� de la r�ponse communiqu�e par le D�fendeur au Centre. Conform�ment � l’article 15 (b) du R�glement�:

La r�ponse doit �tre remise par �crit en trois exemplaires ainsi que sous forme �lectronique (� l’exception des pi�ces non disponibles sous cette forme) et contenir les informations suivantes:

(i) une prise de position relative aux d�clarations et aux all�gations figurant dans la demande, y compris les moyens de d�fense indiquant les motifs pour lesquels le d�fendeur doit conserver le nom de domaine objet du litige (cette partie de la r�ponse doit se limiter � 5000 mots au maximum),

(ii) les noms et les coordonn�es du d�fendeur,

(iii) au cas o� le d�fendeur se fait repr�senter lors de la proc�dure alternative de r�solution de litiges, les noms et les coordonn�es du repr�sentant ainsi qu’une procuration correspondante,

(iv) une explication sur les �ventuelles proc�dures judiciaires qui �taient, ou sont encore, pendantes par rapport au nom de domaine objet du litige,

(v) les d�clarations finales ci-dessous, suivies de la signature du d�fendeur ou de son repr�sentant habilit�:

“Le d�fendeur d�clare que, � sa connaissance, les informations que comporte la pr�sente r�ponse sont compl�tes et exactes, et que la pr�sente r�ponse n’est pas d�pos�e de mani�re abusive.”

L’expert constate qu’en l’occurrence le D�fendeur n’a transmis sa r�ponse que par voie �lectronique, omettant les trois exemplaires �crits requis par l’art. 15 (b) du R�glement pr�cit�. De m�me, l’expert observe que le D�fendeur n’a pas respect� le formalisme de l’art. 15 (b) (v) �tant donn� qu’il n’a pas compl�t� sa r�ponse par les d�clarations finales prescrites.

En cons�quence, l’expert rejette la r�ponse du D�fendeur pour non-respect des formes proc�durales prescrites par le R�glement et n’en tiendra donc pas compte.

A. Atteintes aux droits de propri�t� intellectuelle

Les articles L713-2 et L713-3 du Code de la Propri�t� Intellectuelle fran�ais sanctionnent la reproduction ou l’imitation d’une marque ant�rieure ainsi que l’usage d’une marque imit�e, pour des produits ou services identiques ou similaires.

En cons�quence, l’expert doit d�terminer au vu des signes et des produits et services en pr�sence si la reproduction ou l’imitation des marques, noms de domaine, d�nomination sociale et nom commercial du Requ�rant par les noms de domaine du D�fendeur est caract�ris�e.

Comparaison des signes

L’expert retient que les noms de domaine contest�s sont la reproduction quasi-totale des signes “Orange” et “Orange France” (ORANGE constitue l’�l�ment principal, le terme “France” �tant descriptif de la nationalit� de l’entreprise) sur lesquels la soci�t� Orange France a justifi� avoir des droits. En effet, l’ajout d’une lettre (“a” pour <oarange.fr>, “g” pour <organge.fr>), l’inversion de lettres (<ornage.fr>), la suppression d’une lettre (“a” pour <ornge.fr>) ou la modification d’une lettre (“e” pour <orenge.fr>, “o” pour <oronge.fr>, “p” pour <prange.fr>, “d” pour <orande.fr”) ne suffisent pas � �viter le risque de confusion avec le titulaire de la marque (As a rule, almost any simple addition to a well-known trademark is powerless to prevent a connotation with the rightful owner of the trademarkD�cision D2004-0746, Thomson Broadcast & Media Solution Inc., Thomson v. Alvaro Collazo <thompsonvalleygrass.com>, D�cision D2005-0728, Bang & Olufsen a/s v. Unasi Inc. <bag-olufsen.com>, <bagolufsen.com>, <bang-olusen.com>, <bangolusen.com>).

En outre, la modification op�r�e ne modifie pas forc�ment la prononciation du signe en fran�ais (<orenge.fr>). Un internaute distrait pourrait ais�ment faire une faute de frappe et �tre redirig� vers le site du D�fendeur, ce qui constitue un cas clair de typosquatting (D�cision D2005-0444, ESPN, Inc. v. XC2 <espnnews.com> The disputed domain name is confusingly similar to the Complainant’s mark. The addition of another letter “N” does not change the way in which the word is pronounced. Moreover, an Internet user could easily type in an additional “N” by mistake and thus be directed to the Respondent’s website.)

Ainsi, la similarit� des signes est av�r�e.

Comparaison des produits et services

Il n’existe aucune preuve de l’activit� des noms de domaine litigieux avant et apr�s leur blocage par l’AFNIC, aucune capture d’�cran n’�tant pr�sent�e. La seule communication de liens URL ne permet pas de juger de l’activit� des noms de domaine litigieux, le contenu du site ayant pu �tre modifi� entre temps.

La renomm�e de la marque ORANGE est indiscutable. L’expert estime que cette notori�t� n’est pas �trang�re � l’adoption des noms de domaine tr�s proches par le D�fendeur. La Cour de cassation fran�aise a r�cemment �tendu l’application de l’article L 713-5 du Code de la Propri�t� Intellectuelle aux signes identiques ou voisins (Cass Com, 12�juillet�2005).

En pr�sence d’un nom de domaine inactif, l’atteinte � la marque ne peut �tre retenue que si la notori�t� de la marque est d�montr�e (Cass. Com, 13 d�cembre 2005).

Atteinte � une marque notoire

L’art. L713-5 du Code de la Propri�t� Intellectuelle dispose que �”l’emploi d’une marque jouissant d’une renomm�e pour des produits ou services non similaires � ceux d�sign�s dans l’enregistrement engage la responsabilit� civile de son auteur s’il est de nature � porter pr�judice au propri�taire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifi�e de cette derni�re”. Non seulement la jurisprudence fran�aise consid�re qu’il y a abus de droit en cas de d�p�t identique � la marque d’un tiers b�n�ficiant d’une renomm�e (TGI Nanterre, 16 septembre 1999, <vichy.com>), mais elle a en outre �tendue l’application de l’art. L713-5 aux signes identiques ou voisins (Cass. Com., 12 juillet 2005, St� Cartier c/ St� Oxypas).

La renomm�e de la marque ORANGE FRANCE est indiscutable �tant donn� que la soci�t� Orange France est le premier op�rateur t�l�phonique fran�ais et qu’elle exploite ce signe de mani�re extensive. Le fait que le D�fendeur ait choisi l’adoption des noms de domaine litigieux n’est probablement pas �tranger � la renomm�e de la marque en cause.

L’expert estime que l’abus de droit au sens du droit fran�ais relatif aux marques notoires est caract�ris�.

Atteinte aux r�gles de la concurrence et au comportement loyal en mati�re commerciale

L’expert retient que cette affaire constitue un cas de typosquatting, ceci �tant r�v�lateur de mauvaise foi de la part du D�fendeur. Il en est de m�me s’agissant du fait que les noms de domaine litigieux font partie des plus de 1000 noms de domaine bloqu�s par l’AFNIC et sur lesquels il existe des soup�ons de parasitisme.

Par ailleurs, la r�servation des noms de domaine litigieux par le D�fendeur porte atteinte au site Internet officiel de la soci�t� Orange France en ce qu’ils sont susceptibles de capter une partie de son important trafic en misant sur le fait qu’un certain nombre d’internautes fera une erreur de frappe.

Enfin, l’expert rel�ve que le D�fendeur a d�j� fait l’objet de d�cisions de transfert dans le cadre de PARL (DFR2005-0004, Application des Gazs, SAS v. KLTE Ltd <campingaz.fr>, DFR2005-0012, Les Echos v. KLTE Ltd <lesecho.fr> et DFR2005-0017, Total SA v. KLTE Ltd <totale.fr> et <clubtotal.fr>).

Ces �l�ments concordent pour d�montrer le comportement d�loyal en mati�re commerciale et la fraude en application de l’article 1382 du Code Civil fran�ais.

B. Les droits du Requ�rant

L’expert estime que le Requ�rant a d�montr� qu’il d�tenait des droits sur la marque ORANGE, le nom de domaine <orange.fr>, le nom commercial et la d�nomination sociale Orange France sont exploit�s pour pr�senter la soci�t� Orange France, ainsi que les produits et services propos�s par Orange France. Le Requ�rant a de m�me apporter de nombreux �l�ments prouvant son utilisation extensive de la marque ORANGE.

Il a �t� clairement �tabli que le D�fendeur a �t� inform� des droits de propri�t� intellectuelle de la soci�t� ORANGE France aux mois d’ao�t et de septembre 2005 par lettre simple puis par lettre recommand�e.

Le Requ�rant est ainsi fond� � solliciter le transfert � son profit des noms de domaine litigieux, en conformit� avec les dispositions de la Charte.

 

7. D�cision

Conform�ment aux articles 20 (b) et (c) du R�glement, l’expert ordonne la transmission au profit du Requ�rant des noms de domaine <oarange.fr>, <orande.fr>, <orenge.fr>, <organge.fr>, <ornage.fr>, <ornge.fr>, <oronge.fr>, <prange.fr>.


Nathalie Dreyfus
Expert

Le 17 janvier 2006